Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160614


Dossier : IMM-5417-15

Référence : 2016 CF 656

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

JEAN ALEAXANDER ELEJALDE ALVAREZ CAMILA LOPEZ BETANCOURT

GABRIELA ELEJALDE BETANCOURT

JUANITA ELEJALDE BETANCOURT

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’un contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 3 novembre 2015, par laquelle il a été conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés ou des personnes à protéger au sens des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]               La présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                   Contexte

[3]               Les demandeurs sont M. Jean Alexander Elejalde Alvarez [le demandeur principal], son épouse, Camila Lopez Betancourt et leurs deux enfants mineurs, Gabriela Elejalde Betancourt et Juanita Elejalde Betancourt. Ils sont tous des citoyens de la Colombie. Les allégations donnant lieu à leur demande d’asile sont liées à leur crainte de personnes prétendant à la succession d’un parent du demandeur principal. Dans sa décision, la SPR a énuméré ces allégations comme suit.

[4]               Le 19 août 2008, M. Ricardo Leon a été assassiné au Mexique. Il était le père de Estefanye Leon Alvarez (Estefanye) qui est la cousine du demandeur principal. Le 7 octobre 2008, Estefanye a accordé une procuration à sa grand-mère et à sa tante au Mexique pour représenter ses intérêts dans la succession de son père décédé. Cependant, le 3 avril 2009, elle a révoqué la procuration, après qu’elle eut commencé à recevoir des menaces par téléphone, de personnes inconnues, indiquant que sa grand-mère et ses demi-frères subiraient un préjudice si elle continuait à revendiquer son héritage dans la succession de son père. Estefanye et sa famille ont déménagé le 21 avril 2009, et elle a déposé une plainte au Bureau du procureur de l’État.

[5]               Le 4 mai 2009, les demandeurs ont reçu une lettre de condoléances non signée; ils ont compris que c’était une lettre de menace, puisque personne n’était mort récemment dans leur famille. Le demandeur principal affirme également avoir reçu un appel téléphonique le 15 mai 2009, dans lequel on lui a dit que si Estefanye ne renonçait pas à la succession de son père, lui et sa famille seraient tués. Le 16 mai 2009, le demandeur principal et son épouse sont allés déposer une plainte auprès de la police, et le 18 mai 2009, ils se sont rendus au Bureau du procureur de l’État.

[6]               Le 20 mai 2009, le demandeur principal a reçu une menace adressée à ses filles faisant référence à leur école. Cela a poussé les demandeurs à croire que les enfants ne seraient plus en sécurité à l’école; le demandeur principal a envoyé sa femme et ses enfants vivre à la maison de sa belle-mère. Le 2 juin 2009, le demandeur principal a obtenu une entrevue au Bureau du procureur de l’État. Au cours de cette entrevue, il a appris que M. Leon avait des liens avec les cartels de la drogue au Mexique et avec la guérilla en Colombie. Toutefois, les demandeurs n’ont pas été capables de donner aux enquêteurs les noms des auteurs des menaces et, sans les noms des personnes qui harcelaient la famille, peu de choses pouvaient être faites pour les protéger.

[7]               En juin 2009, le demandeur principal a présenté une demande d’asile au Haut-commissariat du Canada en Colombie.

[8]               N’ayant alors reçu aucune menace pendant environ un an, la famille revint à la maison de la grand-mère. Les appels de menace ont cependant repris vingt jours plus tard, et les demandeurs ont de nouveau déménagé en juillet 2010. Le propriétaire du nouveau logement a avisé le demandeur principal que des personnes étaient venues à sa recherche. Les demandeurs sont donc retournés vivre à la maison de la belle-mère du demandeur principal. Sept mois plus tard, les demandeurs déménagent de nouveau, mais les appels de menaces reprennent.

[9]               Le 7 janvier 2015, les demandeurs ont reçu une lettre du Bureau du procureur de l’État indiquant que l’enquête sur leur plainte avait été classée sans suite en octobre 2014. Quelques jours plus tard, les demandeurs ont reçu une brochure avec le logo d’un groupe paramilitaire, Las Aguilas Negras Bloque Capital. La brochure indiquait que les demandeurs n’avaient que vingt jours pour quitter la région, après quoi le groupe paramilitaire pourrait les faire disparaître. Les demandeurs ont de nouveau déménagé à la maison de la belle-mère, et le demandeur principal a appelé sa mère au Canada et lui a demandé d’acheter des billets d’avion pour toute la famille. Le 15 février 2015, les demandeurs se sont enfuis vers les États-Unis et le 4 mars 2015, ils sont arrivés à la frontière canadienne et présenté une demande d’asile.

II.                Décision contestée

[10]           La SPR a fait diverses conclusions défavorables quant à la crédibilité des demandeurs. Plus particulièrement, la SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles en raison de contradictions dans leurs témoignages et de certains gestes jugés incompatibles avec leurs allégations de crainte. Ces conclusions comprenaient notamment :

A.                Des contradictions dans la preuve concernant les dates et la chronologie des événements qui étaient au cœur de la demande, y compris des incohérences relatives aux emplacements et à la chronologie des déménagements des demandeurs;

B.                 Des incohérences entre les témoignages des demandeurs et celui d’Estefanye émanant du Bureau du procureur de l’État et qui ont été soumis à l’appui de la demande d’asile des demandeurs;

C.                 Le fait que les demandeurs n’aient pas fourni d’explication satisfaisante pour expliquer qu’ils ont continué à envoyer leurs filles à l’école à la suite des menaces reçues à leur endroit;

D.                Le refus des demandeurs de quitter la Colombie jusqu’en 2015, malgré qu’ils aient demandé l’asile en 2009;

E.                 La décision des demandeurs de rester en Colombie, et la planification en 2014 d’un voyage aux États-Unis à des fins touristiques, plutôt que de demander l’asile.

[11]           La SPR a également examiné les documents fournis par les demandeurs pour corroborer leur demande et a jugé que la valeur probante de ces documents ne suffisait pas pour rétablir leur crédibilité. La SPR a tiré les conclusions suivantes à l’égard de ces documents :

A.                Les lettres de menace n’étaient pas signées et ne comportaient pas de caractéristiques de sécurité valables pour être considérées comme fiables. Les bordereaux du service de messagerie présentés à la SPR ne pouvaient pas être liés à ces documents;

B.                 Un courriel envoyé par Estefanye informant les demandeurs qu’ils étaient en danger ne comprenait pas son adresse de courriel, un oubli que les demandeurs n’ont pas pu expliquer;

C.                 Les documents émanant du Bureau du procureur de l’État, bien que possiblement authentiques, ne confirmaient pas la véracité des allégations et contenaient trop peu d’information pour étayer ces allégations. Il n’y avait pas de détails sur les circonstances des menaces proférées par téléphone ni aucune mention précise des menaces écrites reçues seulement quelques jours plus tôt.

[12]           La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs après avoir conclu qu’ils n’avaient pas établi qu’il existait une possibilité sérieuse de persécution liée à un motif prévu par la Convention ou que, selon la prépondérance des probabilités, ils étaient personnellement exposés à un risque de torture ou à un risque pour leur vie ou un risque de traitements cruels et inusités ou à des représailles à leur retour en Colombie.

III.             Questions en litige et norme de contrôle

[13]           Le demandeur soumet à la considération de la Cour les questions suivantes :

A.                La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les menaces écrites n’étaient pas signées et ne comportaient pas de caractéristiques de sécurité valables pour être considérées comme fiables alors que la SPR n’avait aucun élément de preuve démontrant qu’une menace crédible doit avoir ces deux caractéristiques?

B.                 La SPR a‑t‑elle commis une erreur en élevant la norme de preuve au niveau de la preuve concluante ou de la preuve selon la prépondérance des probabilités, par opposition à la preuve d’un risque sérieux de persécution ou de préjudice?

C.                 La SPR a‑t‑elle commis une erreur en omettant de fournir des motifs adéquats justifiant ses conclusions?

D.                La SPR a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions déraisonnables?

[14]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux questions soulevées par le demandeur est celle de la raisonnabilité, les demandeurs citant Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47. Je suis d’accord que c’est la norme applicable.

IV.             Analyse

[15]           Je vais examiner les questions soulevées par les demandeurs comme arguments dans leur mémoire des faits et du droit, arguments que les demandeurs ont fidèlement repris au cours des plaidoiries à l’audition de la présente demande.

A.                Contradiction entre la date du décès de M. Leon et la date des menaces

[16]           Dans sa déclaration au point d’entrée, le demandeur principal a déclaré que le père de sa cousine Estefanye (M. Leon) est décédé en 2007 et qu’il avait commencé à recevoir des menaces depuis cette année-là. Toutefois, il a déclaré dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) que le père de sa cousine était mort en août 2008 et qu’il avait commencé à recevoir des menaces en mai 2009, l’année suivante. Pour expliquer la différence dans les dates, le demandeur principal a déclaré qu’il ne connaissait pas l’homme à la frontière, qu’il était nerveux et avait peur, et qu’il se trompait souvent dans les dates.

[17]           La position des demandeurs est que la SPR a commis une erreur susceptible de révision en omettant d’examiner correctement les explications du demandeur principal. Elle n’a pas examiné pourquoi le demandeur principal était effrayé et nerveux et se trompait souvent dans les dates. La SPR a plutôt simplement conclu que l’explication n’indiquait pas pourquoi le demandeur principal a déclaré que les menaces avaient commencé la même année que le meurtre, surtout si l’on considère qu’il a une formation universitaire.

[18]           Les demandeurs soutiennent en outre qu’il ne convenait pas que la SPR tienne compte du fait que le demandeur principal eut une formation universitaire en tirant sa conclusion relative à la crédibilité. Ils soutiennent que la SPR n’a pas fourni de motifs valables pour étayer sa conclusion que l’explication du demandeur principal ne pouvait pas justifier qu’il ait fait des déclarations contradictoires à la frontière. La SPR n’a pas non plus expliqué pourquoi, d’une part, elle avait accepté l’explication du demandeur principal qu’il se trompait dans les dates comme étant en contradiction avec le fait qu’il se rappelait de la durée exacte de son séjour à la maison de sa belle-mère, mais, d’autre part, a rejeté la même explication à l’égard des erreurs dans sa déclaration au point d’entrée.

[19]           La position du défendeur, en ce qui concerne tous les arguments des demandeurs contestant les conclusions relatives à la crédibilité de la SPR, est que ces conclusions doivent faire l’objet d’une grande déférence (voir Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, aux paragraphes 42 et 43). S’appuyant sur Toma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 121, aux paragraphes 9 et 10, le défendeur fait référence aux conclusions relatives à la crédibilité comme étant au « cœur de la compétence de la Commission » et fait valoir que la SPR est mieux placée pour évaluer la preuve et déterminer la crédibilité, vu son expertise et vu qu’elle entend les demandeurs de première main.

[20]           Le défendeur soutient que, dans ce cas, la SPR a conclu à des incohérences dans la preuve des demandeurs (et, comme discuté ci-dessous, à des gestes qui sont incompatibles avec la crainte alléguée des demandeurs) et que bien que la SPR ait donné aux demandeurs l’occasion d’expliquer ces incohérences, ils ont été incapables de donner une explication satisfaisante. Le défendeur soutient que ces incohérences sont significatives par leur nombre et par leur importance dans la demande, et la SPR a raisonnablement conclu qu’elles minaient la crédibilité des demandeurs.

[21]           De retour aux contradictions dans la preuve des demandeurs concernant la date du décès de M. Leon et le moment où les menaces ont commencé, je ne vois rien de déraisonnable dans la conclusion de la SPR. Même si le demandeur principal a donné l’explication qu’il était nerveux, avait peur et se trompait souvent dans les dates, les motifs de la SPR indiquent qu’elle a examiné cette explication qui ne l’a pas satisfaite. Cela est dû au manque de cohérence de la preuve du demandeur principal concernant non seulement la date du décès de M. Leon et le moment où les menaces ont commencé, mais aussi au fait que ces deux événements se situaient dans la même année.

[22]           Les motifs indiquent que cette conclusion a été renforcée par le fait que le demandeur principal possède une formation universitaire. Bien que je ne considère pas que le niveau de scolarisation du demandeur principal présente un intérêt important à l’égard de son habileté à se souvenir des dates, je ne peux pas conclure que c’est hors de propos. En outre, les conclusions de la SPR ne dépendaient pas de ce seul fait. Je ne considère pas que le fait de faire référence à l’éducation du demandeur principal mine le caractère raisonnable de cette conclusion.

[23]           Le raisonnement de la SPR, selon lequel la crédibilité du demandeur principal a été minée en raison des incohérences quant à savoir si le décès de M. Leon et le début des menaces se situaient dans la même année, distingue également cette conclusion du constat de la volonté de la SPR de négliger les contradictions dans son témoignage concernant le temps que la famille avait passé à la maison de sa belle-mère.

B.                 Contradictions relatives aux résidences

[24]           Lors de l’audience, on a demandé au demandeur principal d’énumérer tous les endroits où il avait déménagé avec sa famille afin de la protéger. Ce faisant, il a changé l’ordre des endroits qu’il avait énumérés précédemment dans un autre document, le formulaire IMM 5669. Quand on lui a demandé d’expliquer l’incohérence, le demandeur principal a répondu que c’était source de confusion pour lui parce qu’il s’agissait de lieux qui appartenaient à des proches qu’ils visitaient de temps à autre. La SPR a déclaré qu’elle n’était pas satisfaite de ces réponses et a souligné que les demandeurs adultes sont tous deux des universitaires qui ont pris le temps de remplir les formulaires IMM 5669 ensemble aux États-Unis avant d’arriver à la frontière canadienne.

[25]           Les demandeurs font valoir qu’une explication raisonnable a été donnée lorsque le demandeur principal a dit que c’était son erreur. Leur position est que la SPR n’a fourni aucun motif pour ne pas accepter l’explication du demandeur principal et que le raisonnement de la SPR selon lequel les demandeurs adultes possèdent tous les deux une formation universitaire, et que par conséquent, ils n’auraient pas dû faire cette erreur est déraisonnable et indéfendable. Ils adoptent la même position en ce qui concerne la conclusion de la SPR voulant que les demandeurs aient pris le temps de remplir les formulaires IMM 5669 ensemble et n’auraient donc pas dû faire d’erreurs. Les demandeurs soutiennent également que la SPR a omis de considérer le fait pertinent que les demandeurs fuyaient la persécution, n’étaient pas dans un état d’esprit  normal et se fiaient à leur mémoire en remplissant les formulaires.

[26]           J’estime qu’aucun fondement ne peut m’amener à conclure que cette conclusion est déraisonnable. La SPR a fait référence à l’explication du demandeur principal de la contradiction dans son témoignage quant à l’ordre dans lequel sa famille s’est installée à divers endroits et n’a pas été satisfaite de cette explication. J’interprète le raisonnement de la SPR, sur le fait que les demandeurs aient rempli les formulaires IMM 5669 ensemble pendant qu’ils étaient aux États-Unis, comme un raisonnement démontrant qu’ils avaient le temps de remplir ces formulaires avec précision. J’estime que ni ce raisonnement ni la référence au niveau de scolarisation des demandeurs n’indique que la conclusion de la SPR relative à la crédibilité s’inscrive au-delà de la gamme des issues acceptables.

C.                 Acte des droits des victimes

[27]           Dans la décision de la SPR, il a été souligné que les demandeurs ont déposé un document intitulé « Acte des droits des victimes » émanant du Bureau du procureur de l’État. Le document a été écrit par Estefanye qui a déclaré que c’est le 7 juillet 2008 qu’elle a donné une procuration à sa tante relativement à son intérêt à l’égard de la succession de son père. La SPR a fait observer que la procuration a été donnée avant le décès de M. Leon et a souligné que les bénéficiaires de la procuration étaient différents de ceux invoqués par le demandeur principal dans son formulaire FDA, qui faisait référence à la procuration donnée à sa tante et à sa grand-mère. Pour cette raison, la SPR a conclu que le document ne pouvait pas corroborer les allégations des demandeurs.

[28]           Les demandeurs font valoir que l’Acte des droits des victimes ne devrait pas nuire à la crédibilité du demandeur principal puisque ce dernier n’est pas l’auteur du document qui n’a pas de lien direct avec sa crainte de persécution.

[29]           Encore une fois, je ne vois aucune erreur dans la décision de la SPR à cet égard. La SPR n’a pas estimé que la crédibilité du demandeur principal avait été minée par ce document. Elle a plutôt reconnu que la déclaration au Bureau du procureur de l’État n’était pas rédigée par le demandeur principal, mais a conclu que, en raison des contradictions avec son témoignage, elle ne corroborait pas l’existence de menaces à l’endroit des demandeurs. En outre, la preuve entourant la procuration n’était pas secondaire, puisque les allégations des demandeurs sont issues d’événements directement liés à la procuration concernant la succession de M. Leon.

D.                Conduite incompatible avec la crainte alléguée

[30]           Les demandeurs contestent également les conclusions de la SPR sur leur conduite qu’elle jugeait incompatible avec leur crainte alléguée, notamment : les demandeurs mineurs ont continué de fréquenter l’école même si les auteurs des menaces à leur endroit connaissaient l’emplacement de l’école; les demandeurs ont attendu de 2009 à 2015 avant de quitter la Colombie; et les demandeurs ont fait des demandes de passeports et de visas américains en 2014 afin de voyager à des fins touristiques.

[31]           Les demandeurs invoquent les explications qu’ils ont fournies à la SPR en relation avec les conclusions ci-dessus. La SPR a reconnu qu’ils ont déménagé quatre fois pour se protéger, que les enfants ont manqué l’école à cause des menaces et que la dernière école qu’ils ont fréquentée avait adopté des mesures de sécurité importantes. Les enfants ont finalement cessé d’aller à l’école trois mois avant leur départ de la Colombie. En ce qui concerne le fait qu’ils n’aient pas quitté la Colombie avant 2015, les demandeurs ont fait valoir qu’ils avaient expliqué qu’ils n’avaient pas beaucoup d’argent pour déménager avant 2015 et qu’ils sont partis lorsqu’ils ont découvert que des paramilitaires étaient impliqués. Ils invoquent également le fait qu’ils ont sollicité la protection du Haut-commissariat du Canada en 2009. Enfin, pour expliquer pourquoi ils avaient fait des demandes de visas américains en 2014 s’ils n’avaient pas d’argent pour voyager, les demandeurs affirment qu’ils voulaient se prévaloir de la décision du gouvernement américain de délivrer des visas de dix ans.

[32]           Les motifs indiquent que la SPR a examiné ces explications, mais n’en a pas été satisfaite. La SPR a rejeté l’explication concernant la fréquentation de l’école puisqu’elle a conclu que c’était incompatible avec la crainte alléguée des demandeurs qui affirment avoir déménagé plusieurs fois pour échapper à leurs assaillants, mais ont continué à reconduire leurs enfants chaque jour à une école qui avait été ciblée par les assaillants. Elle a rejeté l’explication selon laquelle avant 2015, les demandeurs n’avaient pas d’argent pour quitter la Colombie, puisqu’ils sont finalement partis à l’aide de fonds fournis par la mère du demandeur principal, aide qu’ils n’ont pas demandée plus tôt. La SPR a de plus considéré que la décision des demandeurs d’obtenir un visa de touriste, mais de rester dans leur pays n’était pas cohérente avec leurs allégations de crainte. Compte tenu de la déférence dont il convient de faire preuve à l’égard de la SPR, j’estime que rien ne justifie d’intervenir dans quelque partie que ce soit de ce raisonnement.

E.                 Preuve documentaire

[33]           Quant à la preuve documentaire, les demandeurs font valoir que la SPR a supposé, sans aucune justification ni aucun élément probant, que les lettres de menace doivent comporter la signature de l’auteur de la menace. Ils font valoir que la SPR a commis une erreur en concluant que les lettres de menace doivent comporter des « caractéristiques de sécurité valables pour être considérées comme fiables ». Ils font également valoir que la SPR a déraisonnablement exigé d’eux qu’ils fournissent des éléments de preuve concluants pour prouver que le demandeur principal et sa cousine avaient reçu des appels de menaces. Ils font référence à la conclusion de la SPR selon laquelle les documents du Bureau du procureur de l’État confirmant qu’Estefanye et le demandeur principal ont déposé des plaintes pour menaces téléphoniques et que le dossier a été fermé en 2014, bien que possiblement authentiques, en aucun cas ne confirment la véracité des allégations que ces menaces ont effectivement été proférées. Les demandeurs font valoir qu’il n’y avait aucune raison valable pour expliquer que la SPR ne croie pas que les appels de menaces ont été effectués. Au lieu de cela, la SPR s’est appuyée sur des soupçons pour tirer sa conclusion.

[34]           De même, selon les demandeurs, la SPR a commis une erreur en concluant, sans explication, que la déclaration de la grand-mère n’était pas de nature à l’emporter sur les questions défavorables quant à la crédibilité. Ils font également référence au bordereau du service de messagerie, accompagnant la lettre de menaces à l’endroit des filles du demandeur principal, comportant une signature dans la case « nom de l’expéditeur », qui selon eux constitue un élément de preuve qui n’a pas été analysé dans la décision.

[35]           Les demandeurs invoquent Leal Alvarez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 154 [Alvarez Leal], au paragraphe 5, comme suit :

[5]        Quant à la seconde erreur, la demanderesse a déclaré avoir été enlevée et battue par les FARC. La SPR a insisté sur la « preuve absolue » de cette allégation. La SPR a également rejeté la prétention de Mme Alvarez parce qu’elle croyait, « selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’était pas une cible des FARC ». Aucune de ces conclusions ne repose sur la norme juridique applicable. Il n’incombait pas à la demanderesse principale de produire une preuve concluante ou une preuve selon la prépondérance des probabilités. Le critère consiste à déterminer s’il existe une possibilité sérieuse de persécution ou de préjudice. Comme l’a rappelé le juge O’Reilly dans Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4, lorsque la Commission a rehaussé à tort la norme de preuve, ou que la Cour ne peut déterminer la norme de preuve qui a été effectivement appliquée, la tenue d’une nouvelle audience peut être ordonnée; Il s’agit donc là aussi d’une erreur susceptible de contrôle.

[36]           La décision Leal Alvarez semble faire référence au vocabulaire utilisé par la SPR « preuve concluante » et preuve « selon la prépondérance des probabilités » dans l’articulation de la norme de preuve applicable pour établir qu’ils craignent d’être persécutés pour un des motifs prévus par la Convention. Les demandeurs en l’espèce font valoir, au contraire, que l’approche par laquelle la SPR a abordé la preuve démontre l’application d’une norme élevée. Cependant, je ne vois rien dans le raisonnement de la SPR qui soutienne cette thèse. Comme l’a soutenu le défendeur, l’approche de la SPR des documents déposés par les demandeurs à l’appui de leur demande est conforme à celle décrite dans Al-Shaibie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 887, au paragraphe 21 :

[21]... Je m’appuie à cet égard sur les propos suivants qui ont été formulés par le juge Nadon dans Hamid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1293 (C.F. 1re inst.), au par. 21 :

Lorsqu’une commission, comme vient de le faire la présente, conclut que le requérant n’est pas crédible, dans la plupart des cas, il s’ensuit nécessairement que la Commission ne donnera pas plus de valeur probante aux documents du requérant, à moins que le requérant ne puisse prouver de façon satisfaisante qu’ils sont véritablement authentiques. En l’espèce, la preuve du requérant n’a pas convaincu la Commission qui a refusé de donner aux documents en cause une valeur probante. Autrement dit, lorsque la Commission estime, comme ici, que le requérant n’est pas crédible, il ne suffit pas au requérant de déposer un document et d’affirmer qu’il est authentique et que son contenu est vrai. Une certaine forme de preuve corroborante et indépendante est nécessaire pour compenser les conclusions négatives de la Commission sur la crédibilité.

[37]           La SPR n’exigeait pas de preuve concluante des allégations des demandeurs. Elle a plutôt estimé que le demandeur principal n’était pas crédible et a conclu que les documents des demandeurs avaient peu de valeur probante et n’étayaient donc pas leur demande. Je ne vois aucune erreur dans l’approche de la SPR. En ce qui concerne le bordereau du service de messagerie, que les demandeurs allèguent ne pas avoir été analysé dans la décision, je constate que les motifs de la SPR indiquent que le bordereau déposé avec la lettre de menaces ne pouvait pas être lié aux menaces écrites.

[38]           Enfin, tout en notant que l’» insuffisance» des motifs ne permet pas à elle seule de justifier un contrôle judiciaire (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14), j’estime qu’il n’y a aucune telle insuffisance dans le cas soumis à la Cour. Les motifs de la SPR sont suffisants pour permettre de comprendre pourquoi la demande des demandeurs a été rejetée.

[39]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question de portée générale n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5417-15

INTITULÉ :

JEAN ALEAXANDER ELEJALDE ALVAREZ ET AL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 mai 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 14 juin 2016

COMPARUTIONS :

Rezaur Rahman

POUR LES DEMANDEURS

Sarah Sherhols

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rezaur Rahman

Avocat

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.