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Date : 20160620


Dossier : IMM-4153-15

Référence : 2016 CF 690

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2016

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

YULIYA SOLOPOVA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La demanderesse, Mme Yuliya Solopova, est une citoyenne ukrainienne qui réside actuellement en Espagne. Elle vit avec son conjoint de fait, un citoyen du Royaume-Uni, et leur fils de quatre ans. À l’été 2015, Mme Solopova a déposé auprès de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) une demande de permis d’études, car elle avait été admise au triOS College de Mississauga, en Ontario, dans le cadre du programme d’assistance en physiothérapie/ergothérapie. Sa demande de permis d’études a été refusée en juin 2015 par un agent des visas (l’agent) à l’ambassade du Canada à Paris, en France, car l’agent n’était pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour. Mme Solopova a déposé une nouvelle demande de permis d’études le mois suivant et celle-ci a également été rejetée pour les mêmes raisons.

[2]               Mme Solopova a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent datée du 27 juillet 2015. Elle fait valoir que la décision de l’agent est déraisonnable parce qu’elle était fondée sur des constatations de fait non étayées par la preuve et que l’agent a fait fi ou omis de considérer les éléments de preuve pertinents. Mme Solopova fait aussi valoir que les motifs de l’agent sont insuffisants puisqu’ils n’expliquent pas les raisons pour lesquelles il conclut que Mme Solopova n’a pas l’intention de retourner dans son pays d’origine après ses études. En outre, elle soutient que l’agent a manqué à son devoir d’équité procédurale en ne lui permettant pas de répondre à ses préoccupations. Elle demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire aux fins d’un nouvel examen par un autre agent des visas différent.

[3]               La présente demande soulève deux questions : 1) est-ce que la décision de l’agent de refuser d’octroyer le permis d’études demandé par Mme Solopova était raisonnable?; 2) l’agent a-t-il commis une erreur en omettant de demander des explications supplémentaires ou d’appeler Mme Solopova pour la convoquer à une entrevue avant de prendre une décision relativement à sa demande?

[4]               Ayant examiné la preuve dont disposait l’agent et le droit applicable, je ne vois rien qui permette d’infirmer la décision de l’agent. Dans sa décision, l’agent a tenu compte de la preuve et l’issue pouvait se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire de Mme Solopova.

II.                Contexte

A.                Décision de l’agent

[5]               La décision de l’agent est brève.

[6]               L’agent a rejeté la demande de permis d’études de Mme Solopova au motif qu’il n’était pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour. Pour en arriver à cette décision, il a examiné plusieurs facteurs qu’il a ensuite cochés sur le formulaire standard utilisé par CIC. Les facteurs étaient les suivants : le statut d’immigration de Mme Solopova dans son pays de résidence, ses liens familiaux au Canada et dans son pays de résidence, le but de sa visite, et sa situation professionnelle actuelle.

[7]               Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) par l’agent en date du 24 juillet 2015 fournissent plus de précisions sur les motifs du refus de l’agent : Il est utile de les reproduire dans leur intégralité. Ils sont énoncés comme suit :

[traduction] Couple : Ukrainienne de 35 ans et conjoint de fait britannique plus âgé (57 ans) – résidant actuellement en Espagne. Elle sollicite un permis d’études et lui un permis de travail. Un enfant de 4 ans doit les accompagner. Refus précédent noté. Observations du représentant notées au sujet du précédent refus. Étant donné l’âge des clients et leurs antécédents académiques, ils semblent – du moins en ce qui concerne la femme – vouloir immigrer. Les observations du représentant ne font aucun sens. Le représentant déclare que la principale raison pour laquelle la famille choisit le Canada plutôt que le Royaume-Uni est liée au coût du programme de physiothérapie – et pourtant, il déclare que le conjoint de fait anglais a 400 000 euros d’économies. Non satisfait des intentions/de la décision des clients de retourner aux études et aucune preuve que la femme a des liens avec l’Espagne, l’Ukraine, le Royaume-Uni ou tout autre pays qui motiveraient un départ du Canada.

[8]               Les notes du SMGC en date du 3 juillet 2015 fournissent des renseignements de base supplémentaires sur Mme Solopova, indiquant qu’elle détient le statut de résident à long terme en Espagne, statut qui doit expirer en février 2020, et qu’elle travaille comme gestionnaire de bureau.

B.                 Les dispositions pertinentes

[9]               La disposition pertinente de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) est le paragraphe 22(2), qui prévoit que « l’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée ».

[10]           L’alinéa 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002-227 (le Règlement) exige en outre que le demandeur d’un permis d’études établisse qu’il « quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable ». Il est donc clair qu’un demandeur de permis d’études porte le fardeau de convaincre l’agent des visas qu’il ne restera pas au Canada après l’expiration de son visa (Zuo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 88 [Zuo], au paragraphe 12; Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1493 [Zhang], au paragraphe 7).

[11]           Par conséquent, lorsque l’agent des visas examine une demande de permis d’études, il doit décider s’il est probable que le demandeur retourne dans son pays d’origine après ses études (Akomolafe v Canada (Citizenship and Immigration), 2016 FC 472 [Akomolafe], au paragraphe 12; Zhang, au paragraphe 8; Guo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1353, au paragraphe 11). De l’avis de la Cour, « [l]’agent des visas jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour l’appréciation de la preuve et la prise de sa décision. Cependant, sa décision doit être fondée sur des conclusions de fait raisonnables. » (Zhang, au paragraphe 7).

C.                Norme de contrôle

[12]           Il est incontestable que la norme de contrôle pour l’examen de l’évaluation par un agent des faits pour une demande de visa d’étudiant et de la conviction de l’agent que le demandeur ne quittera pas le Canada à la fin de son séjour est celle de la décision raisonnable (Akomolafe, au paragraphe 9; Tang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1284 [Tang], au paragraphe 15; Guinto Bondoc c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 842, au paragraphe 6). Une telle décision d’un agent des visas est « une décision administrative prise dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire » (My Hong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 463 [My Hung], au paragraphe 10). Étant donné qu’il s’agit d’une décision discrétionnaire fondée sur des constatations de fait, elle appelle une retenue considérable compte tenu de la spécialisation [et de l’expérience] de l’agent des visas (Kwasi Obeng c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 754, au paragraphe 21).

[13]           En se fondant sur cette norme de contrôle, la Cour doit veiller à ce que la décision de l’agent des visas satisfasse au critère de clarté, de précision et d’intelligibilité et à ce qu’elle soit étayée par une preuve acceptable qui peut être justifiée en fait et en droit. La norme de la décision raisonnable exige non seulement que la décision en cause fasse partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, mais aussi qu’elle tienne à la justification de la décision, à la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel (se reporter à l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[14]           La norme de la décision raisonnable s’applique également à l’évaluation de la suffisance des motifs (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au paragraphe 14).

[15]           En ce qui concerne les questions de justice naturelle et d’équité procédurale, elles doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404, au paragraphe 53; Tang, au paragraphe 17).

III.             Analyse

A.                La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[16]           Mme Solopova allègue que l’agent a tiré plusieurs conclusions de fait erronées. D’abord, elle fait valoir que les déclarations de l’agent sur son manque de liens avec l’Espagne étaient fondées sur des faits vagues et non pertinents qui ont mal interprété la preuve. Mme Solopova soutient que son statut temporaire de longue durée en Espagne ne signifie pas que ses liens avec ce pays sont faibles. Au contraire, Mme Solopova et son partenaire ont des actifs financiers importants en Espagne et ils y exercent tous deux un emploi rémunéré, deux facteurs non pris en compte par l’agent.

[17]           Mme Solopova soutient en outre que l’agent a utilisé de façon déraisonnable l’absence de liens familiaux de Mme Solopova comme une indication qu’elle resterait probablement une fois son statut expiré au Canada, alors que son absence de liens familiaux au Canada aurait normalement dû conduire à la conclusion opposée. En outre, Mme Solopova se plaint que l’agent n’a pas tenu compte de ses douze années de résidence et de travail en Espagne, lesquelles illustrent ses liens avec ce pays.

[18]           Les motifs de l’agent n’ont pas non plus traité adéquatement les arguments de Mme Solopova, à savoir une lettre préparée par son représentant qui indiquait qu’elle avait des actifs financiers et des biens immobiliers en Espagne, qu’un programme éducatif en Espagne semblable à celui qu’elle sollicitait au Canada l’obligerait à passer plusieurs examens et serait financièrement onéreux, et que le programme au Canada lui permettrait d’améliorer son anglais.

[19]           Mme Solopova fait également valoir que dans les motifs du rejet de sa demande, l’agent n’a pas fourni d’analyse de fond ou de commentaire pour expliquer pourquoi son témoignage avait été rejeté, l’agent ayant simplement indiqué [traduction] « Refus précédent noté » et « Observations du représentant notées au sujet du précédent refus ». Mme Solopova dit que ces motifs ne sont pas suffisants et que l’agent aurait au moins dû prendre en considération et aborder les nouveaux éléments de preuve qui répondaient spécifiquement aux préoccupations soulevées dans la première décision (Dhillon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1446, aux paragraphes 5 à 8).

[20]           Mme Solopova soutient enfin qu’au moment de déterminer si elle quitterait le Canada à la fin de ses études, l’agent n’a pas tenu compte de sa double intention en vertu du paragraphe 22(2) de la LIPR. Elle soutient qu’une personne peut à la fois avoir l’intention d’immigrer et celle de se conformer à la législation en matière d’immigration en ce qui concerne l’entrée temporaire. Conformément à cette disposition, l’agent doit être convaincu que les demandeurs ne resteront pas illégalement au Canada s’ils ne satisfont pas aux exigences et que leur demande de résidence permanente est rejetée. Par conséquent, même si l’agent avait des préoccupations quant à l’intention de Mme Solopova de rester au Canada de façon permanente, cette intention ne constituait pas un obstacle à son entrée en tant qu’étudiante temporaire tant que l’agent était convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé. Mme Solopova affirme aussi que le fait qu’elle se soit conformée aux lois espagnoles sur l’immigration pèse en sa faveur étant donné que les « antécédents en matière d’immigration sont les meilleurs indicateurs de la probabilité qu’un demandeur respecte les lois à l’avenir » (Momi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 162, au paragraphe 20).

[21]           Les observations et les arguments de Mme Solopova ne m’ont pas convaincu.

[22]           Il incombait à Mme Solopova d’établir le bien-fondé de son cas selon la prépondérance des probabilités et de démontrer qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. La Cour rappelle qu’un demandeur de visa d’étudiant a le fardeau de fournir à l’agent des visas tous les renseignements pertinents pour convaincre l’agent qu’il satisfait aux exigences prévues par la LIPR et par le Règlement (Zuo, au paragraphe 11). Les arguments de Mme Solopova dans le présent contrôle judiciaire ne font qu’avancer d’autres explications pour contrer les conclusions de l’agent et contestent le poids que l’agent a accordé aux facteurs et éléments de preuve. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer les éléments de preuve.

[23]           Lorsque la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, il n’est pas suffisant de simplement donner d’autres explications, même si elles sont tout aussi raisonnables. Pour pouvoir obtenir gain de cause dans sa demande, Mme Solopova devait souligner une conclusion qui était hors des issues possibles et raisonnables. Elle ne l’a pas fait.

[24]           Après avoir examiné le dossier, je ne suis pas convaincu que l’agent a fait fi ou mal interprété un élément de preuve dans l’évaluation de la demande de Mme Solopova. Ainsi, il était raisonnablement loisible à l’agent de constater que Mme Solopova avait fourni une preuve insuffisante de liens avec l’Espagne, le Royaume-Uni, l’Ukraine ou tout autre pays qui la motiverait à quitter le Canada au moment où elle serait tenue de le faire.

[25]           L’agent a également raisonnablement fait remarquer qu’en plus du refus de la précédente demande de permis d’études, les antécédents académiques de Mme Solopova ne correspondaient pas à son domaine d’études envisagé au Canada. Dans les circonstances, il était loisible à l’agent de conclure que Mme Solopova n’était pas une véritable étudiante, qu’elle cherchait maintenant à venir au Canada pour obtenir un diplôme d’assistante en physiothérapie. Il relevait également de l’expertise de l’agent de pondérer la preuve de la situation financière du conjoint de Mme Solopova et de parvenir à une conclusion différente de celle offerte par Mme Solopova quant à la raison pour laquelle elle avait choisi le Canada plutôt que le Royaume-Uni ou l’Espagne.

[26]           Les notes inscrites par l’agent dans le SMGC mentionnent la preuve pertinente contenue dans le dossier certifié du tribunal. Je suis convaincu que cette preuve ne reflète pas l’existence de liens solides avec l’Espagne, à l’exception d’une grosse somme d’argent (environ 400 000 euros d’économies) détenue par le partenaire de Mme Solopova. Contrairement à ce que fait valoir Mme Solopova, il n’y a aucune preuve que Mme Solopova et son partenaire possèdent un quelconque bien immobilier en Espagne.

[27]           Mme Solopova a affirmé avoir justifié son choix du Canada sur la base des coûts. Cependant, je note que les programmes utilisés dans sa comparaison étaient des programmes d’études universitaires alors que le programme choisi par Mme Solopova au Canada était sanctionné par un diplôme d’assistante de physiothérapie ou d’ergothérapie. Compte tenu de ce fait, conjointement avec les antécédents de Mme Solopova en matière d’éducation et la situation financière de son conjoint, il était loisible à l’agent de conclure que cet élément financier ne suffisait pas à expliquer pourquoi Mme Solopova avait opté pour le Canada.

[28]           De plus, rien ne permet d’inférer que l’agent a fait fi de la preuve matérielle qui contredisait carrément ses conclusions (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Abdulghafoor, 2015 CF 1020, au paragraphe 22). Comme je l’ai dit dans la décision Mirmahaleh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1085, au paragraphe 25, un tribunal est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve et n’est pas tenu de référer à chaque élément qui la compose (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Le défaut de se référer à chaque élément de preuve ne signifie pas qu’il n’a pas été tenu compte de tous les éléments de preuve (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 (CF 1re inst.), aux paragraphes 16 et 17). Ce n’est que lorsqu’un tribunal passe sous silence des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions de façon claire que la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[29]           En ce qui concerne les arguments de Mme Solopova au sujet de la double intention, ils sont sans fondement puisque l’agent n’a pas évalué l’intention de Mme Solopova d’établir sa résidence permanente. La question en l’espèce est de savoir si Mme Solopova pouvait satisfaire à la condition préalable de cette double intention, à savoir qu’elle quitterait le Canada à la fin de ses études. L’agent a estimé que non. Il a pris sa décision à la lumière de l’absence d’éléments de preuve de la part de Mme Solopova établissant des liens avec le Royaume-Uni, l’Ukraine, l’Espagne ou tout autre pays, de ses antécédents académiques, du précédent refus de sa demande de permis d’études et de la demande de son conjoint pour l’obtention d’un permis de travail ouvert (Odewole c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 697, au paragraphe 16). Étant donné que Mme Solopova n’avait pas réussi à convaincre l’agent sur cette prémisse, sa double intention n’était pas devenue un facteur pertinent pour l’agent.

[30]           Il est vrai que la Cour fédérale a confirmé à plusieurs reprises « qu’une personne peut avoir la double intention d’immigrer et de respecter les règles de droit applicables au sujet du séjour temporaire » (Kachmazov c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 53, au paragraphe 15). Les deux intentions sont complémentaires et non contradictoires (Loveridge c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 694 [Loveridge] au paragraphe 18). Toutefois, il incombe au demandeur de démontrer d’abord qu’il quittera le Canada à la fin de sa période d’études (Loveridge, au paragraphe 20; Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 619, au paragraphe 14). Cette exigence de base n’a pas été satisfaite en l’espèce.

[31]           En ce qui concerne la suffisance des motifs, il est bien établi en droit que la pertinence des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. Dans l’arrêt Newfoundland Nurses, la Cour suprême a donné des indications quant à la manière d’aborder les situations dans lesquelles le décideur fournit des motifs brefs ou limités. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient exhaustifs ou parfaits ou qu’ils traitent de l’ensemble des éléments de preuve ou des arguments présentés par une partie ou figurant dans le dossier. Il suffit que les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si la conclusion appartient aux issues possibles acceptables (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). La cour de révision doit considérer les motifs dans leur ensemble, conjointement avec le dossier, pour déterminer s’ils possèdent les attributs de la raisonnabilité, laquelle tient à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 53; Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3; Dunsmuir, au paragraphe 47).

[32]           Selon la norme, la décision doit être raisonnable, et non parfaite. Même si les motifs de la décision sont brefs ou mal rédigés, la Cour doit faire montre de retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve effectuée par le décideur et des conclusions tirées par ce dernier relativement à la crédibilité, dans la mesure où la Cour est capable de comprendre le fondement de la décision. J’ajoute que le devoir d’un agent des visas de motiver sa décision de rejeter une demande de permis de séjour temporaire est minime et se situe à l’extrémité inférieure du registre.

[33]           Ayant examiné la décision et le dossier (y compris les notes du SMGC), je conclus que les motifs de l’agent sont suffisants et que sa conclusion sur l’absence de véritable intention, de la part de Mme Solopova, de quitter le Canada à la fin de ses études est raisonnable. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve au dossier et de substituer ses propres conclusions à celles des agents des visas (Babu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 690, aux paragraphes 20 et 21). Les agents des visas possèdent une grande discrétion dans leurs décisions en vertu de l’alinéa 216(1)b) du Règlement. Pourvu que la décision appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, elle ne sera pas écartée (Dunsmuir, au paragraphe 47). Je suis d’avis que, en l’espèce, la décision de l’agent est transparente, intelligible et appartient à ces issues possibles.

B.                 Est-ce que l’agent a commis une erreur en omettant de demander des explications supplémentaires ou d’appeler Mme Solopova pour la convoquer à une entrevue?

[34]           Mme Solopova fait également valoir que l’agent a tiré une conclusion défavorable concernant sa crédibilité, ayant écarté ses observations selon lesquelles elle quitterait le Canada et ayant tiré une conclusion négative sans lui avoir fait part de ses préoccupations. Ce faisant, Mme Solopova affirme que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne lui donnant pas l’occasion de fournir des renseignements supplémentaires ou en ne la convoquant pas à une entrevue.

[35]           Plus précisément, Mme Solopova soutient qu’elle n’avait aucun moyen de savoir que l’agent tirerait des conclusions négatives du fait qu’elle avait un statut temporaire de longue durée en Espagne. Elle prétend que lorsqu’un agent des visas [traduction] « se forge une opinion subjective alors que le demandeur n’avait aucun moyen de savoir qu’elle serait utilisée contre lui », il y a obligation d’équité procédurale (Campbell Hara c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 263 [Hara], au paragraphe 23). Si l’agent n’avait pas vu le témoignage de Mme Solopova sous un angle aussi négatif et s’il lui avait donné la possibilité de dissiper les doutes qu’il entretenait, Mme Solopova soutient qu’une conclusion différente aurait probablement été tirée.

[36]           Je ne suis pas d’accord.

[37]           Le devoir d’un agent des visas dans le cadre d’une demande de permis d’études est moins strict, et Mme Solopova n’a pas réussi à prouver qu’il y avait eu iniquité de la part de l’agent. L’agent n’était pas tenu d’appeler Mme Solopova pour la convoquer à une entrevue et l’informer de préoccupation ou l’aviser qu’une décision négative serait prise. Il incombait plutôt à Mme Solopova de convaincre l’agent en première instance qu’un permis d’études devait être délivré.

[38]           Il est bien établi que l’agent des visas n’a pas l’obligation légale de tenter d’éclaircir une demande déficiente, ni l’obligation d’aider un demandeur à établir le bien-fondé de sa demande, ni l’obligation de faire connaître au demandeur ses doutes se rapportant aux conditions énoncées dans la loi, ni encore l’obligation de dire au demandeur ce qu’est le résultat de sa demande à chaque étape du processus (Sharma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 786, au paragraphe 8; Fernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 994 (QL), au paragraphe 13; Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 FTR 316 (CF 1re inst.), au paragraphe 4). Imposer de telles contraintes à l’agent des visas reviendrait à lui demander de donner avis préalable d’une décision défavorable, une obligation qui a été expressément rejetée par la Cour à de nombreuses reprises (Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 940 (QL), au paragraphe 8; Dhillon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 574 (QL), aux paragraphes 3 et 4). L’agent des visas n’a pas l’obligation de demander des précisions ou d’aider le demandeur à établir le bien-fondé de sa demande (Mazumder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 444, au paragraphe 14; Kumari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1424, au paragraphe 7).

[39]           Je suis donc d’avis que, dans les circonstances de l’espèce, l’agent n’était pas tenu de procéder à une entrevue ou d’informer Mme Solopova des lacunes de sa demande. Contrairement aux observations de Mme Solopova, il ne s’agit pas d’un cas où elle avait un droit de réponse aux préoccupations de l’agent. Cette affaire est distincte de Hara ou Li, décisions sur lesquelles se base Mme Solopova. Dans la décision Tang, la Cour a conclu que l’agent avait le devoir de donner au demandeur l’occasion de répondre à ses préoccupations puisque rien dans sa demande, à l’exception d’une référence à un salaire plus élevé au Canada, ne suggérait qu’il avait l’intention de rester au Canada de façon permanente (Tang, aux paragraphes 37 et 38). En l’espèce, l’agent s’est fondé sur de nombreux éléments de preuve à l’appui de sa conclusion sur les intentions de Mme Solopova.

[40]           Mme Solopova affirme que, puisque la crédibilité était en cause, l’agent aurait dû procéder à une audience (Hamadi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 317, au paragraphe 14; Duka c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1071, au paragraphe 13). Cependant, Mme Solopova confond une conclusion défavorable en matière de crédibilité avec une conclusion de preuve insuffisante. J’ai traité cette question dans Ibabu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1068, où j’ai déclaré ce qui suit au paragraphe 35 :

[35]      Une conclusion défavorable sur la crédibilité est différente d’une conclusion quant à l’insuffisante de la preuve ou quant au défaut du demandeur de s’acquitter du fardeau de la preuve. Comme la Cour l’a déclaré dans Gao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 59, au paragraphe 32, et l’a réaffirmé dans Herman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 629, au paragraphe 17, « [o]n ne peut toutefois pas présumer que, lorsque l’agente conclut que la preuve ne démontre pas le bien‑fondé de la demande du demandeur, l’agente n’a pas cru le demandeur ». Ce principe a été repris sous une forme différente dans Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 23, dans lequel le juge Zinn a déclaré que, même si un demandeur s’est acquitté de sa charge de présentation de la preuve parce qu’il a présenté des éléments de preuve pour chaque fait essentiel, il pourrait ne pas s’être acquitté de la charge de persuasion parce que la preuve présentée n’établit pas les faits requis, selon la prépondérance de la preuve.

(Non souligné dans l’original.)

[41]           Il incombait à Mme Solopova de présenter une preuve suffisante qu’elle ne prolongerait pas indûment son séjour au Canada. Comme l’a indiqué le juge Boivin dans la décision My Hong au paragraphe 31, les demandes de visa étudiant doivent être analysées au cas par cas et un agent des visas n’a pas à compléter la preuve du demandeur lorsque celle-ci fait défaut. Il incombe au demandeur de fournir à l’agent des visas tous les renseignements pertinents et la documentation complète afin de le convaincre que toutes les exigences légales sont satisfaites. C’est précisément ce que Mme Solopova a négligé de faire.

[42]           Par conséquent, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale en l’espèce. L’obligation d’équité oblige simplement les agents des visas à fournir des motifs suffisamment clairs, précis et intelligibles, et je suis convaincu que l’agent a satisfait à cette norme.

IV.             Conclusion

[43]           Le rejet par l’agent de la demande de permis d’études de Mme Solopova représentait un résultat raisonnable compte tenu du droit et de la preuve dont disposait l’agent. Selon la norme de la décision raisonnable, il suffit que la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Or, c’est le cas en l’espèce. De plus, l’agent a correctement traité la demande de Mme Solopova et il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire de Mme Solopova.

[44]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et je conviens qu’il n’y en a pas.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

2.      Aucune question de portée générale n’est mentionnée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4153-15

INTITULÉ :

YULIYA SOLOPOVA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 mars 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

Le 20 juin 2016

COMPARUTIONS :

Rui Chen

Soohyun Nam

Pour la demanderesse

Aleksandra Lipska

Pour le DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Orange LLP, avocats spécialisés en immigration

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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