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Date : 20160620


Dossier : T-1891-15

Référence : 2016 CF 689

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2016

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

VALMIKI DEORAJ SAMAROO

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Le défendeur, M. Valmiki Deoraj Samaroo, est un citoyen de Trinité-et-Tobago (Trinité). L’appelant est devenu un résident permanent du Canada à son arrivée au pays en décembre 2005. Sa femme est également une résidente permanente et ils ont trois enfants adultes qui sont des citoyens du Canada. M. et Mme Samaroo possèdent et exploitent deux sociétés : Trident Protective Services Inc. (Trident), qui vend du matériel de sécurité au Canada, ainsi que Intercept Security Ltd., qui propose un service de gardiennage à Trinité. M. Samaroo a demandé la citoyenneté canadienne le 1er février 2012.

[2]               M. Samaroo n’a déclaré aucun déficit de jours de présence effective au Canada dans sa demande. Cependant, après avoir examiné le dossier de M. Samaroo, son questionnaire sur la résidence et d’autres documents, l’agent de la citoyenneté a relevé certaines préoccupations quant à la crédibilité de M. Samaroo. L’affaire a donc été renvoyée à un juge de la citoyenneté (le juge) qui a tenu une audience avec M. Samaroo le 6 octobre 2015, où il l’a interrogé et a abordé les questions relatives à sa présence effective au Canada. Le juge était convaincu que M. Samaroo avait maintenu et centralisé sa résidence au Canada, et il a donc approuvé la demande de citoyenneté de M. Samaroo le 15 octobre 2015.

[3]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) a demandé un contrôle judiciaire de cette décision. Le ministre soutient que le juge a accordé la citoyenneté à tort en dépit d’un manque de preuve sur l’établissement de M. Samaroo au Canada, et que sa décision est déraisonnable et qu’il a fait fi des lacunes et les incohérences importantes dans la preuve. En réponse, M. Samaroo soutient que la décision du juge est raisonnable et appartient aux issues possibles acceptables compte tenu de la preuve au dossier.

[4]               Les questions en litige soulevées dans la présente demande sont les suivantes : 1) est-ce que le juge a commis une erreur dans l’application du critère de résidence sélectionné; 2) la décision du juge d’accorder la citoyenneté à M. Samaroo était-elle raisonnable?

[5]               La demande de contrôle judiciaire que le ministre a présentée est rejetée pour les motifs qui suivent. Je ne suis pas convaincu que la décision du juge n’appartient pas aux issues possibles acceptables ou que le nombre limité de preuve à l’appui de la décision est suffisant pour justifier l’intervention de la Cour. Je conclus aussi que les motifs de la décision expliquent adéquatement comment le juge est parvenu à la conclusion que M. Samaroo avait satisfait aux exigences qualitatives relatives à la résidence en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi).

II.                Contexte

A.                La décision du juge

[6]               Dans sa décision, le juge a déterminé que la période de quatre ans pertinente aux fins de l’obligation de résidence de M. Samaroo allait du 1er février 2008 au 1er février 2012. Aux termes de l’alinéa 5(1)c) de la Loi (version en vigueur au moment où M. Samaroo a présenté sa demande de citoyenneté), le ministre doit accorder la citoyenneté à toute personne qui, durant la période visée de quatre ans ou 1 460 jours, a accumulé au moins trois années (ou 1 095 jours) de résidence au Canada. Dans sa demande de citoyenneté, M. Samaroo a déclaré 1 109 jours de présence effective et 352 jours d’absence du Canada.

[7]               Dans sa décision, le juge a expressément adopté l’approche analytique utilisée dans Re Papadogiorgakis, [1978] 2 CF 208 [Papadogiorgakis]. Conformément à ce critère « qualitatif », le juge était tenu d’évaluer l’attachement de M. Samaroo au Canada afin de déterminer si son mode de vie était centralisé au Canada et reflétait l’intention d’établir une résidence permanente dans le pays.

[8]               Après avoir résumé les étapes de la procédure menant à sa décision et après avoir fait référence aux préoccupations concernant la crédibilité de M. Samaroo, le juge a énuméré les faits tels qu’il les comprenait ainsi que les explications fournies par M. Samaroo pour répondre aux préoccupations qui lui avaient été présentées. Plus précisément, le juge a mentionné ce qui suit :

[traduction]

Après qu’un nouveau calcul des jours d’absence de M. Samaroo a été effectué, lequel tenait compte des timbres de son passeport qui n’avaient pas été déclarés, il a été conclu que M. Samaroo avait totalisé 1 066 jours de présence effective et 394 jours d’absence du Canada. Il manquait donc 29 jours pour satisfaire aux 1 095 jours requis.

Il y avait d’autres dates de retour au Canada dans le rapport du Système intégré d’exécution des douanes (le SIED), lesquelles n’avaient pas été déclarées dans la demande de M. Samaroo ou dans son questionnaire sur la résidence. Cependant, le juge a déclaré qu’il avait vérifié les dates qui n’avaient pas été déclarées et qui figuraient dans le rapport du SIED et a noté que toutes, à une exception près, étaient déjà incluses dans les timbres du passeport que M. Samaroo n’avaient pas déclarés. Le juge a conclu, [traduction] « après avoir examiné les dates proches de celle qui n’avait pas été déclarée et les habitudes de déplacement du demandeur », qu’il était convaincu que les nouvelles absences potentielles du Canada au cours de la période concernée ne changeraient pas les conditions de résidence établies par la Loi;

L’adresse de l’entreprise Trident de M. Samaroo au Canada est la même que celle de sa résidence, alors que son entreprise à Trinité a une adresse différente de celle de la résidence de M. Samaroo à Trinité. À l’audience, M. Samaroo a expliqué que les activités de son entreprise canadienne, contrairement à celles de son entreprise à Trinité, ne nécessitaient pas un grand bureau et pouvait être menées à la maison;

Le compte de l’entreprise de M. Samaroo au Canada n’enregistrait presque aucune activité. Il a en effet indiqué qu’il utilisait principalement la carte de crédit de son entreprise à Trinité pour ses activités commerciales au Canada;

En ce qui concerne les activités commerciales de l’entreprise Trident, M. Samaroo a fourni un bon de commande émis par Affaires étrangères Canada en janvier 2012 relativement à des produits de sécurité, ainsi que des relevés de carte de crédit trinidadiens faisant état d’achats pour son entreprise canadienne;

M. Samaroo a admis pendant l’audience qu’il avait un compte courant auprès de la Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC) et que ce compte était principalement utilisé par sa fille;

M. Samaroo et sa femme sont « régulièrement » allés chez leur médecin de famille au Canada au cours de la période de référence;

Le juge a noté que M. Samaroo et sa femme se rendaient à Trinité tous les deux mois pour affaires;

D’autres documents tels que les dossiers scolaires des enfants de M. Samaroo au Canada au cours de la période de référence et des détails supplémentaires sur les activités professionnelles de M. Samaroo au Canada et à Trinité ont été présentés après l’audience, à la demande du juge;

Dans le cadre de ses démarches pour son établissement au Canada, M. Samaroo a indiqué qu’il avait acheté une maison à Belleville, en Ontario, entre décembre 2005 et juillet 2006, et que la famille avait déménagé au Canada en août 2006. La famille Samaroo a également quitté Belleville pour Vaughan, en Ontario, en août 2010. M. Samaroo a fourni un titre de propriété au Canada;

M. Samaroo a fourni une lettre de Mme Karen McDonald, ancienne haute-commissaire du Canada à Trinité, avouant que M. Samaroo vivait au Canada de 2008 à 2012 et qu’il retournait à Trinité de temps en temps pour affaires.

[9]               Le juge a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que M. Samaroo satisfaisait aux conditions de résidence pour obtenir la citoyenneté canadienne, telles qu’elles sont énoncées dans Papadogiorgakis, étant donné qu’il avait [traduction] « maintenu et centralisé sa résidence au Canada ». Le juge a spécifiquement mentionné le paragraphe 16 de Papadogiorgakis dans sa décision.

B.                 Norme de contrôle

[10]           La question de savoir si un demandeur a respecté ou non les conditions de résidence de la Loi est une question mixte de fait et de droit qui est susceptible de révision en vertu de la norme de la décision raisonnable. Il est bien établi que la norme de contrôle applicable à ces décisions prises par un juge de la citoyenneté est raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Baccouche 2016 CF 97, au paragraphe 8; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Bayani, 2015 CF 670 [Bayani], au paragraphe 17; Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 576 [Huang], au paragraphe 26).

[11]           Dans ses observations, l’avocate du ministre s’était référée à la décision de la Cour dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Farag, 2009 CF 299, au paragraphe 19, pour faire valoir que c’est la norme de la décision correcte qui permet d’établir si le juge a mal appliqué le critère de résidence énoncé dans la décision Papadogiorgakis. À l’audience, l’avocate du ministre a cependant reconnu que cette décision remontait à 2009 et qu’elle ne s’appliquait plus à la lumière des enseignements ultérieurs de la Cour suprême dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 [Alberta Teachers] et dans les décisions qui ont été rendues dans sa foulée, y compris plus récemment dans l’arrêt Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, au paragraphe 32. Dans ces affaires comme dans d’autres, la Cour suprême a systématiquement jugé que, lorsqu’un tribunal administratif interprète ou applique sa loi constitutive, il existe une présomption selon laquelle la norme de contrôle applicable à sa décision est raisonnable (Alberta Teachers, aux paragraphes 39 et 41; Tervita Corp. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3, au paragraphe 35).

[12]           En effet, la Cour a appliqué ce même principe aux cas de résidence dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Patmore 2015 CF 699 [Patmore], où le juge de Montigny a écrit explicitement que les questions relatives à l’interprétation de l’un des critères de citoyenneté sont des questions qui « touchent à l’interprétation de la «propre loi constitutive» des juges de la citoyenneté, et la Cour suprême du Canada a clairement établi dans un certain nombre d’arrêts récents que la norme de contrôle applicable à de telles questions est celle de la décision raisonnable » (Patmore, au paragraphe 14).

[13]           Lorsqu’elle effectue un examen selon la norme de la raisonnabilité de conclusions de fait, la Cour n’a pas pour mission d’apprécier de nouveau les éléments de preuve ou l’importance relative accordée par l’agent d’immigration à tout facteur pertinent (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 99). Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et si la décision est étayée par une preuve acceptable qui peut être justifiée en fait et en droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Safi, 2014 CF 947 [Safi], au paragraphe 16). En d’autres termes, la norme de la décision raisonnable exige non seulement que la décision en cause fasse partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, mais aussi qu’elle tienne à la justification de la décision, à la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel (se reporter à l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[14]           Il est également acquis en matière jurisprudentielle que c’est à la personne qui demande la citoyenneté qu’incombe le fardeau de prouver que les conditions prévues par la Loi en ce qui a trait aux exigences de résidence ont été respectées (El Falah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 736 [El Falah], au paragraphe 21). Le juge de la citoyenneté ne saurait s’en remettre aux seules prétentions du demandeur à cet égard, plus particulièrement en présence d’éléments de preuve contradictoires (El Falah, au paragraphe 21). Une demande doit être étayée par une preuve claire et convaincante (Atwani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1354, au paragraphe 12). Il en est ainsi parce que la citoyenneté canadienne est un privilège qu’il ne faut pas accorder à la légère (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Pereira, 2014 CF 574 [Pereira], au paragraphe 21). Cette exigence vaut indépendamment du critère de résidence appliqué par le juge de la citoyenneté, que le critère soit quantitatif ou qualitatif (Abbas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 145, au paragraphe 8).

[15]           Il est également bien établi en droit que les tribunaux doivent faire preuve d’un degré élevé de déférence à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité que tirent les organismes et tribunaux administratifs (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), au paragraphe 4; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Vijayan, 2015 CF 289, au paragraphe 64; Pepaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 938, au paragraphe 13). Plus précisément, si un tel degré de déférence est exigé à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité que tirent les juges, c’est que ces derniers sont mieux placés pour [traduction] « rendre une décision basée sur les faits pour ce qui est de savoir si la question de seuil de l’existence d’une résidence a été établie » (Martinez-Caro c. Canada [Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration], 2011 CF 640, au paragraphe 46).

III.             Analyse

A.                Est-ce que la juge a commis une erreur en appliquant le critère de la décision Papadogiorgakis?

[16]           Le ministre affirme que le juge a commis une erreur en appliquant le critère de la décision Papadogiorgakis étant donné qu’il n’a pas procédé à l’analyse en deux étapes comme l’exige le critère. Le ministre soutient que conformément au premier critère, le juge devait décider si M. Samaroo avait établi sa résidence au Canada. Il faut pouvoir répondre à cette question préalable avant de passer à la deuxième étape, à savoir l’analyse de la qualité de l’attachement de M. Samaroo au Canada. Le ministre soutient que le juge n’a pas examiné la question de savoir si M. Samaroo avait établi sa résidence au Canada avant sa première absence prolongée du Canada, et si le Canada est le pays dans lequel il a centralisé son mode de vie.

[17]           Plus précisément, le ministre fait valoir que rien ne prouve que M. Samaroo avait établi sa résidence au Canada avant de demander la citoyenneté. Les documents fournis indiquent qu’une propriété a été achetée par M. Samaroo et sa femme en août 2010. En outre, M. Samaroo est arrivé au Canada en décembre 2005 et est parti à Trinité au début du mois de janvier 2006, soit avant d’être en mesure de présenter une demande et de recevoir une carte de résident permanent. M. Samaroo est revenu au Canada à la fin du mois de janvier 2006 et est resté au Canada jusqu’à la mi-juin 2006. Rien ne suggère qu’il soit revenu au Canada avant la fin du mois de janvier 2007, presque un an après sa première visite au Canada.

[18]           Je suis en désaccord avec l’évaluation faite par le ministre de l’analyse du juge sur la question de l’établissement et de son application du critère de la décision Papadogiorgakis.

[19]           La Loi ne définit pas le terme « résidence ». Voilà déjà quelque temps que la Cour se livre à un débat sur ce que ce terme et l’alinéa 5(1)c) de la Loi veulent vraiment dire. Trois écoles jurisprudentielles sont ressorties de ce débat, et les juges de la citoyenneté disposent donc, dans une affaire donnée, de trois critères pour évaluer si les exigences en matière de résidence ont été respectées (Patmore, au paragraphe 13; Huang, aux paragraphes 17 et 18; Sinanan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1347, aux paragraphes 6 à 8).

[20]           Le premier critère prévoit le comptage strict des jours de présence effective au Canada, qui doivent totaliser 1 095 jours dans les quatre ans précédant la demande. Il est souvent appelé critère quantitatif ou critère de la décision Pourghasemi, tel qu’il a été élaboré dans la décision Pourghasemi (Re) (1993), 62 FTR 122 (CF 1re inst.) [Pourghasemi]. Le deuxième critère évalue la qualité des attaches du demandeur avec le Canada et reconnaît qu’une personne peut être résidente du Canada même si elle en est temporairement absente dans la mesure où son mode de vie est centralisé au Canada et reflète l’intention d’établir une résidence permanente dans le pays. Ce critère, qui est moins rigoureux, est le critère de la décision Papadogiorgakis et c’est celui qu’a appliqué le juge en l’espèce. Enfin, le troisième critère, qui prend assise sur le second critère, définit la résidence comme étant l’endroit où l’on a centralisé son mode d’existence. Dans la jurisprudence, ce critère est appelé critère de la décision Koo, (Re Koo, [1993] 1 CF 286). Les deux derniers critères sont souvent décrits comme étant des critères qualitatifs (Huang, au paragraphe 17).

[21]           Il ressort de la jurisprudence de la Cour que les juges de la citoyenneté peuvent choisir parmi ces trois critères celui qu’il souhaite appliquer et qu’on ne peut lui reprocher d’avoir choisi l’un plutôt que l’autre (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Lin, 2016 CF 58, au paragraphe 12; Bayani, au paragraphe 24; Pourzand c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 395, au paragraphe 16; Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 700, au paragraphe 16). La Cour ne doit pas intervenir à moins que le critère choisi ait été appliqué d’une manière déraisonnable (Canada [Citoyenneté et Immigration] c. Demurova, 2015 CF 872, au paragraphe 21). Bien qu’ils puissent choisir entre les trois critères, les juges de la citoyenneté doivent toutefois au moins indiquer quel critère de résidence a été utilisé et en quoi le critère a été satisfait ou non. L’omission de le faire constitue une erreur susceptible de contrôle (Bayani, au paragraphe 30; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Jeizan, 2010 CF 323 [Jeizan], au paragraphe 18). La décision d’un juge de la citoyenneté est suffisamment motivée lorsque les motifs sont clairs, précis et intelligibles, et quand elle reflète une compréhension des points soulevés par la preuve et indique pourquoi la décision a été rendue (Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, au paragraphe 46; VIA Rail Canada Inc. c. Canada (Office national des transports), [2001] 2 CF 25 (CAF), au paragraphe 22; Jeizan, au paragraphe 17).

[22]           En l’espèce, le juge a clairement choisi le critère qualitatif énoncé dans la décision Papadogiorgakis. On ne peut pas le lui reprocher.

[23]           Je suis d’accord avec le ministre que l’analyse selon le critère de la décision Papadogiorgakis est divisée en deux parties, à savoir si un demandeur a établi sa résidence au Canada et l’a maintenue, et que l’établissement de la résidence est une étape préalable ou préliminaire (Patmore, au paragraphe 16; Eltom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1555, au paragraphe 21). L’analyse de M. le juge O’Reilly dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650, aux paragraphes 23 et 24, permet d’expliquer l’interrelation de ces deux étapes. Il est utile de la reproduire dans son intégralité.

[23] [L]es périodes au cours desquelles [le demandeur de la citoyenneté canadienne] s’est absenté devraient être comptées dans la durée requise pour que soit remplie la condition de résidence, durée qui a commencé à la date où l’on peut dire qu’il a établi sa résidence au Canada. Malheureusement, cependant, le juge de la citoyenneté n’a pas déterminé cette date.

[24] Comme je l’ai dit, la Loi sur la citoyenneté prévoit qu’un demandeur de citoyenneté doit justifier d’une période de résidence au Canada correspondant à un total d’au moins trois années sur les quatre années antérieures. Pour qu’un demandeur réponde à la condition de résidence, il doit d’abord prouver qu’il a établi sa résidence au Canada, puis qu’elle l’y a maintenue pendant la durée requise. La Cour a rendu de nombreuses décisions en ce sens : voir par exemple Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 270; [2002] A.C.F. no 376 (QL) (1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Xu, 2002 CFPI 1111; [2002] A.C.F. no 1493 (QL) (1re inst.).

(Non souligné dans l’original.)

[24]           Par conséquent, le juge devait dans un premier temps déterminer si M. Samaroo avait établi sa résidence au Canada. Le juge devait ensuite vérifier que la résidence avait été maintenue. Les absences du Canada doivent être comptabilisées dans la période concernée (en l’espèce, du 1er février 2008 au 1er février 2012). Une personne qui été présente au Canada pendant une période de temps extrêmement courte pourrait difficilement prétendre y avoir établi une résidence. Dans la décision Canada (Secrétaire d’État) c. Yu, [1995] ACF no 919 [Yu], Mme Yu n’était restée au Canada que 17 jours avant de quitter le pays pour poursuivre ses études aux États-Unis. Le juge Rothstein n’était pas convaincu qu’une résidence avait été initialement établie. Il [traduction] « [a trouvé] difficile d’admettre qu’on puisse dire qu’une personne ait maintenu ou centralisé un mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d’intérêts et de convenances en seulement 17 jours alors qu’elle n’avait qu’une chambre dans la résidence de son oncle » (Yu, au paragraphe 6).

[25]           En l’espèce, je reconnais que le juge n’a pas expressément divisé son analyse en étapes, ce qui aurait peut-être permis de suivre plus facilement le critère. Cependant, j’estime qu’il est possible et raisonnable de déduire de la lecture du dossier, en liaison avec les motifs, que le juge avait conclu que M. Samaroo avait en effet établi sa résidence au Canada avant la période pertinente. Dans ses motifs, le juge évoque notamment le fait que [traduction] « le demandeur avait fourni la preuve qu’il possédait une résidence au Canada ». Le juge a également noté que M. Samaroo [traduction] « avait une entreprise à Trinité et une au Canada ». En outre, le dossier montre que la maison de M. Samaroo à Belleville a été achetée en 2006, alors que Trident, sa société canadienne, a été lancée en 2007. Il convient également de noter la déclaration suivante contenue dans la lettre de l’ancienne haute-commissaire du Canada à Trinité : « À mon arrivée en décembre 2008, la famille Samaroo vivait déjà au Canada. »

[26]           Il est vrai que les éléments de preuve fournis par M. Samaroo ne sont peut-être pas les plus solides en ce qui concerne l’établissement de la famille Samaroo au Canada avant la période pertinente, et que les motifs du juge auraient pu être plus explicites et articulés. Toutefois, je ne suis pas convaincu que la décision du juge à cet égard est déraisonnable ou qu’elle manque d’intelligibilité. La présente situation peut être différenciée de l’affaire récente Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Gentile, 2015 CF 1029 [Gentile] dans laquelle le critère de la décision Papadogiorgakis a également été appliqué et où la juge Kane a accueilli la demande de contrôle judiciaire pour que la décision du juge de la citoyenneté soit réexaminée. Dans la décision Gentile, le juge de la citoyenneté avait conclu à tort que certaines évaluations fiscales étaient compatibles avec un emploi à temps plein alors que M. Gentile avait seulement été employé pendant deux ans au cours de la période pertinente de quatre ans. Le juge de la citoyenneté avait également indiqué à tort que les absences déclarées dans le questionnaire sur la résidence pouvaient être vérifiées au moyen du passeport de M. Gentile et le rapport du SIED, ce qui n’était pas le cas ici (Gentile, aux paragraphes 46 et 47). En outre, dans la décision Gentile, le juge de la citoyenneté ne semblait pas avoir compris le critère et semblait avoir combiné les évaluations qualitatives et quantitatives de la preuve (Gentile, au paragraphe 49). En l’espèce, rien ne suggère que le juge ne comprenait pas le critère, et le juge a clairement dit qu’il appliquait le test de la décision Papadogiorgakis (Pereira, au paragraphe 16).

[27]           Le ministre invoque également la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) v. Naveen), 2013 CF 972 [Naveen] à l’appui de sa position. Dans la décision Naveen, Mme Naveen était devenue résidente permanente du Canada en septembre 2007 alors qu’elle n’avait passé que quatre jours  au Canada avant de retourner à l’université en Californie. Elle était revenue au Canada à l’occasion de quelques congés et vacances scolaires, mais n’avait jamais travaillé ou étudié au Canada. Le juge Annis a fait remarquer que la « Cour a bien établi que l’établissement initial d’une résidence était une condition préalable à une demande de citoyenneté » (Naveen, au paragraphe 15) et il a conclu que l’exigence initiale n’avait pas été respectée. La situation de M. Samaroo est cependant très différente étant donné qu’il y a une preuve qu’il a passé près de la moitié de son temps au Canada entre son arrivée initiale au pays et le début de la période de référence pertinente.

[28]           Dans ses observations, l’avocate du ministre indique également que la résidence doit être établie avant la [traduction] « première absence prolongée ». À l’appui de cette affirmation, le ministre se réfère à la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. CamorlingaPosch, 2009 CF 613, au paragraphe 18, dans laquelle la Cour a déclaré que « les absences prolongées du Canada ne seront pas fatales à une demande de citoyenneté si le demandeur peut démontrer qu’il a établi sa résidence au Canada avant de quitter et si le Canada est le pays dans lequel il a centralisé son mode d’existence ». Le ministre se fonde également sur la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Italia, [1999] ACF no 876, au paragraphe 14. Cependant, aucune de ces deux affaires n’appuie la proposition selon laquelle la résidence doit être établie avant la première absence prolongée. Elle doit simplement être établie avant de quitter le pays.

[29]           Les arguments du ministre quant aux conclusions de fait tirées par le juge relativement à l’établissement de M. Samaroo au Canada invitent la Cour à substituer son appréciation de la preuve à celle du juge de la citoyenneté. Le juge a entendu M. Samaroo directement à l’audience et a examiné la preuve avant d’arriver à la conclusion que M. Samaroo avait fourni une preuve suffisante qu’il avait maintenu et centralisé sa résidence au Canada. De plus, rien ne permet d’inférer que le juge de la citoyenneté a fait fi de la preuve matérielle qui contredisait carrément ses conclusions (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 (CF 1re inst.), au paragraphe 17).

[30]           Un décideur tel qu’un juge de la citoyenneté est réputé avoir pris en considération tous les éléments de preuve au dossier (Hassan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] ACF no 946 (CAF), au paragraphe 3; Kanagendren c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86, au paragraphe 36). Le défaut de mentionner un élément de preuve ne signifie pas qu’il n’a pas été pris en compte ni qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise. En l’espèce, le juge a eu l’occasion de tenir une audience avec M. Samaroo, pour laquelle il n’existe aucune transcription contredisant les éléments de preuve au dossier. Compte tenu de ces éléments, et compte tenu de l’ensemble du dossier, je ne suis pas convaincu que le juge n’a pas tenu compte de l’établissement de M. Samaroo au Canada.

[31]           Je tiens à faire remarquer que, contrairement à beaucoup d’autres affaires, il ne s’agit pas d’une situation où le déficit de jours de présence de M. Samaroo équivalait à plusieurs centaines de jours ou d’une situation où M. Samaroo avait passé seulement quelques jours au Canada avant de partir. En l’espèce, il manquait seulement 29 jours à M. Samaroo et ce dernier avait passé beaucoup de temps au Canada avant de demander la citoyenneté.

[32]           Le ministre souligne à juste titre qu’il incombe aux demandeurs de citoyenneté de fournir des renseignements véridiques, exacts et complets et de s’abstenir de faire de fausses déclarations. Il est bien établi que la Loi n’exige pas la corroboration à tous les égards; plutôt, il « en revient au décideur initial, en tenant compte du contexte, de déterminer l’étendue et la nature de la preuve requise » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. El Bousserghini, 2012 CF 88, au paragraphe 19). Le juge n’a peut-être pas fait part de son analyse du critère de résidence aussi clairement que le ministre l’aurait souhaité dans ses motifs, ou expliqué de manière aussi détaillée que le ministre l’aurait espéré la façon dont M. Samaroo a convaincu le juge du maintien et de la centralisation de sa résidence et de son mode de vie au Canada. Cependant, je suis convaincu qu’il y a suffisamment d’éléments indiquant que la conclusion du juge quant à l’établissement de M. Samaroo au Canada n’était pas déraisonnable.

[33]           La décision du juge montre en effet qu’il s’est penché et s’est prononcé sur les questions relatives à la crédibilité et la résidence de M. Samaroo. Il ne s’agit pas d’un cas où, comme dans la décision Pereira, le juge de la citoyenneté a outrepassé son pouvoir discrétionnaire et a accepté des explications invraisemblables concernant des absences non déclarées sans essayer d’obtenir des précisions (Pereira, aux paragraphes 23 et 30). En l’espèce, le juge de la citoyenneté, à l’audience, a fait part des préoccupations de l’agent d’immigration à M. Samaroo et il a conclu que ce dernier s’était acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir sa résidence grâce à des éléments de preuve suffisants et crédibles. Les erreurs de fait invoquées par le ministre ne sont pas assez pour que la décision puisse être qualifiée de déraisonnable et elles ne justifient pas l’intervention de la Cour.

[34]           Pour faire écho à ce que la Cour a déclaré dans la décision Moreno c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 841, au paragraphe 15, les erreurs sans conséquence, même s’il y en a plusieurs, ne suffisent pas à rendre une décision déraisonnable. Une décision imparfaite qui renferme des erreurs sans conséquence est tout de même raisonnable.

[35]           La Cour comprend pourquoi le ministre souhaite que les juges de la citoyenneté fournissent des motifs plus détaillés ou plus exhaustifs : le processus établi par la Loi prévoit que l’agent de la citoyenneté qui a des préoccupations et qui n’est pas convaincu que les conditions de résidence sont satisfaites doit transmettre la demande à un juge de la citoyenneté. Cependant, le critère que la Cour doit appliquer n’est pas de savoir si la décision satisfait aux attentes du ministre; la Cour doit plutôt statuer sur le caractère raisonnable de la décision. En l’espèce, je ne suis pas convaincu que les conclusions du juge concernant l’établissement de M. Samaroo n’appartiennent pas aux issues raisonnables. J’estime plutôt que le résultat final est raisonnable compte tenu de l’ensemble de la preuve et des principes juridiques applicables. La Cour ne doit pas intervenir à cet égard dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

B.                 Est-ce que la décision du juge d’octroyer la citoyenneté à M. Samaroo était raisonnable?

[36]           Le ministre soutient en outre que le juge a mal interprété la preuve qui lui a été présentée. M. Samaroo avait déclaré dans son affidavit qu’il avait témoigné devant le juge que lui et sa femme se rendaient du Canada à Trinité [traduction] « pendant dix jours environ tous les trois mois pour affaires », mais le juge a déclaré dans sa décision que [traduction] « [M. Samaroo] admet que tous les deux mois, lui et sa femme se rendent à Trinité pour affaires ». En outre, le ministre fait valoir que les documents bancaires, le fait que les activités de son entreprise au Canada étaient exercées depuis le domicile de M. Samaroo, et le fait que M. Samaroo a maintenu une résidence à Trinité et au Canada ne permet pas de conclure que M. Samaroo avait centralisé son mode de vie au Canada.

[37]           De plus, le ministre soutient que le juge n’a pas fait [traduction] « le strict minimum qui lui incombait » en ce qui concerne la suffisance des motifs. Outre sa simple conclusion selon laquelle M. Samaroo [traduction] « a maintenu et centralisé sa résidence au Canada », le juge ne justifie pas les éléments dont il a tenu compte pour en arriver à ces conclusions. Les lacunes dans la preuve en l’espèce, combinées au manque de clarté de la preuve, n’ont pas été soigneusement étudiées et résolues par le juge. Le ministre affirme qu’aucune mention n’a été faite des questions découlant du passeport fourni par M. Samaroo, y compris le nombre de timbres dans le passeport, et d’autres préoccupations soulevées par l’agent de la citoyenneté dans le rapport issu du modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers (MPAD).

[38]           Selon le ministre, le juge n’a pas expliqué comment les éléments de preuve fournis par M. Samaroo l’ont amené à la conclusion que M. Samaroo avait centralisé sa résidence au Canada. Les juges de la citoyenneté sont tenus de motiver leurs décisions indépendamment du critère qu’ils choisissent d’appliquer; et la simple énumération des faits ne constitue pas des motifs. Le ministre soutient que, à tout le moins, les motifs [traduction] « devraient indiquer quel critère de résidence a été utilisé et en quoi le critère a été satisfait ou non » (Jeizan, au paragraphe 18).

[39]           Les arguments du ministre ne m’ont pas convaincu. Au contraire, je suis convaincu que les conclusions du juge étaient raisonnables et que les lacunes relevées par le ministre ne rendent pas la décision déraisonnable. Je ne suis pas convaincu que le juge n’a pas répondu aux préoccupations soulevées par l’agent de la citoyenneté. Le juge de la citoyenneté aurait peut‑être pu fournir davantage de motifs pour appuyer son analyse, mais son raisonnement n’est vicié par aucune erreur fatale, et je conclus qu’il a examiné l’ensemble de la preuve. À la place du juge, j’aurais peut-être évalué la preuve différemment ou présenté l’analyse autrement. Toutefois, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour doit décider si le juge pouvait raisonnablement en venir à cette conclusion compte tenu du dossier dont il était saisi. Je ne crois pas que, dans les circonstances de l’espèce, la décision du juge n’appartient pas aux issues possibles acceptables.

[40]           L’argument principal du ministre, à savoir que la preuve démontre que M. Samaroo n’a pas établi un mode de vivre centralisé au Canada, revient essentiellement à demander à la Cour de soupeser et d’évaluer de nouveau la preuve présentée au juge. Il est acquis en matière jurisprudentielle que cela ne relève pas du contrôle judiciaire.

[41]           Le ministre attache une importance au fait que les activités de l’entreprise canadienne de M. Samaroo étaient menées depuis son domicile alors que celles de son entreprise à Trinité étaient menées depuis un entrepôt, ce qui suggère que cette preuve pèse contre la conclusion du juge que M. Samaroo avait centralisé son mode de vivant au Canada. Toutefois, M. Samaroo a témoigné qu’il était facile de diriger l’entreprise depuis chez lui, qu’il lui avait fallu quelques années pour créer son entreprise canadienne et que le gouvernement canadien faisait partie de ses clients. Bien que les dossiers bancaires de la CIBC ne montrent aucune activité au Canada pour l’entreprise canadienne, M. Samaroo a présenté des relevés de carte de crédit trinidadiens faisant état de transactions commerciales effectuées par M. Samaroo au Canada.

[42]           Le juge a également noté que M. Samaroo avait admis avoir un compte bancaire conjoint (le compte bancaire CIBC) avec sa fille, qui était utilisé « principalement », mais pas exclusivement, par elle. En outre, il y avait d’autres éléments de preuve établissant le mode de vie au Canada de M. Samaroo au cours de la période de référence : le titre de propriété au Canada, les dossiers scolaires de ses enfants prouvant qu’ils allaient à l’école secondaire à Belleville, la lettre d’une fonctionnaire du gouvernement canadien, soit l’ancienne haute-commissaire du Canada à Trinité, attestant que M. Samaroo vivait au Canada de 2008 à 2012, un ordre d’achat passé par Affaires étrangères Canada auprès de Trident en date de janvier 2012, et plusieurs rendez-vous avec des médecins canadiens.

[43]           Le ministre affirme que le juge (et la Cour) devrait rejeter la preuve concernant les dossiers scolaires des enfants de M. Samaroo, car ils ne reflètent pas la présence de M. Samaroo au Canada, ainsi que la preuve relative à l’entreprise canadienne de M. Samaroo étant donné l’absence de revenus déclarés jusqu’en 2012. Je ne suis pas de cet avis. M. Samaroo a expliqué que l’absence de revenus générés par son entreprise canadienne durant les premières années d’exploitation était normale et reflétait les années de démarrage de toute entreprise. Je suis convaincu qu’il était raisonnable pour le juge d’accepter une telle preuve. De même, je ne trouve pas déraisonnable que le juge ait retenu les dossiers scolaires des enfants de M. Samaroo alors qu’ils étaient mineurs comme indicateur de la présence active et effective de M. Samaroo au Canada au cours de ces années.

[44]           Bien que le juge ait écrit à tort « deux mois » au lieu de « trois mois » pour la fréquence des déplacements de M. Samaroo à Trinité, cette erreur ne rend pas la décision déraisonnable. En fait, cette erreur a joué contre M. Samaroo, car cela augmentait la fréquence de ses séjours à l’extérieur du Canada, et le juge a néanmoins tranché en sa faveur.

[45]           Le ministre fait également valoir à tort qu’il n’y a aucune preuve que M. Samaroo a acheté et rénové une propriété en 2006 puisque le dossier contient un document de prêt hypothécaire, daté du 31 mai 2006, relatif à une propriété à Belleville et une facture d’impôt foncier datant de 2010.

[46]           En outre, je ne retiens pas l’argument du ministre selon lequel aucune mention n’a été faite des questions découlant du passeport fourni par M. Samaroo, y compris le nombre de timbres dans le passeport. Dans ses motifs, le juge prend note du nouveau calcul des jours de présence effective et fait remarquer [traduction] « que le nouveau calcul tient compte des timbres du passeport qui n’ont pas été déclarés, mais qu’il y a d’autres dates de retour au Canada dans le rapport du SIED qui n’ont pas été déclarées dans la demande ou dans le questionnaire sur la résidence ». Le juge reconnaît qu’il y a des problèmes avec la demande et il n’ignore pas ces problèmes, mais il déclare être convaincu [traduction] « que les nouvelles absences potentielles du Canada au cours de la période concernée ne changeraient pas les conditions de résidence établies par la Loi ».

[47]           Il était donc loisible au juge de conclure que M. Samaroo avait maintenu et centralisé son mode de vie au Canada pendant la période pertinente, et il ne peut pas dire que sa décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

[48]           De plus, un juge de la citoyenneté n’est pas tenu de prendre en considération chaque élément de preuve. Les motifs doivent uniquement être suffisants pour permettre à la cour de révision de comprendre pourquoi il est arrivé à cette décision et d’apprécier le caractère raisonnable de celle‑ci. Comme je l’ai dit dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Abdulghafoor, 2015 CF 1020 [Abdulghafoor] au paragraphe 31, « le décideur n’est pas tenu de mentionner tous les détails qui étayent sa conclusion. [...] [Il n’est pas tenu] d’expliciter chaque motif, argument ou détail dans ses motifs et qu’il n’est pas non plus tenu de tirer une conclusion expresse sur chaque élément constitutif du raisonnement qui l’a mené à sa conclusion finale ».

[49]           En ce qui concerne la question de la suffisance des motifs, selon la norme, la décision doit être raisonnable, et non parfaite (Abdulghafoor, au paragraphe 33). En fait, « même si les motifs de la décision sont brefs ou mal rédigés, la Cour doit faire montre de retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve effectuée par le décideur et des conclusions tirées par ce dernier relativement à la crédibilité, dans la mesure où la Cour est capable de comprendre le fondement de la décision du juge de la citoyenneté » (Abdulghafoor, au paragraphe 33; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Thomas, 2015 CF 288, au paragraphe 34).

[50]           J’estime qu’il est possible de comprendre le raisonnement utilisé par le juge et les éléments de preuve qui l’ont conduit à être convaincu que M. Samaroo avait été présent au Canada pendant la période exigée. Dans ses motifs, le juge énumère les éléments de preuve sur lesquels il s’est appuyé et énumère ses préoccupations en matière de crédibilité et la façon dont M. Samaroo a répondu à ces préoccupations à l’audience ou par la suite. Je suis également d’avis que le juge a souligné ou directement abordé les diverses observations formulées par l’agent de la citoyenneté dans le rapport issu du modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers comme il se doit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Lin, 2016 CF 58, au paragraphe 16; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Raphaël, 2012 CF 1039, aux paragraphes 23 et 24). Cela vaut notamment pour les faits que M. Samaroo a continué d’exploiter une entreprise à Trinité et qu’il y possède une résidence, ou qu’il partage le compte de chèques personnel avec sa fille puisque le compte enregistrait une activité lorsque M. et Mme Samaroo étaient à l’étranger.

[51]           À l’audience devant la Cour, l’avocate du ministre a insisté sur la distinction entre les indices passifs et actifs de résidence, en faisant valoir que M. Samaroo n’avait pas fourni suffisamment d’indices actifs de sa résidence. Les indices passifs de résidence « faisaient uniquement état d’une inscription, et non d’une présence à des cours » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Qarri, 2016 CF 113 [Qarri], au paragraphe 7) et consistent en des éléments de preuve tels que des cartes d’assurance-maladie, des cartes d’assurance sociale, des déclarations de revenus canadiennes, des lettres de banque indiquant qu’un compte avait été ouvert et des baux ainsi que des avis d’augmentation de loyer (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chved, [2000] ACF no 1661 [Chved], aux paragraphes 7 et 11).

[52]           Je ne suis pas d’accord avec le ministre que la preuve de résidence invoquée par le juge peut se limiter à des indices passifs de résidence et que cette preuve n’était pas concluante ou qu’elle était insuffisante (Qarri, au paragraphe 48; Ozlenir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 457, au paragraphe 26; Zhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 5, au paragraphe 9). Les indices actifs fournis par M. Samaroo comprenaient les dossiers scolaires de ses enfants, les relevés bancaires faisant état d’achats au Canada, les activités de Trident au Canada, des lettres de médecins certifiant qu’ils étaient médecins de famille au cours de la période pertinente, et la lettre de l’ancienne haute-commissaire du Canada à Trinité. Comme dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Lee, 2016 CF 67, aux paragraphes 26 et 27, dans laquelle le juge Southcott a associé les arguments du demandeur critiquant le fait que le juge de la citoyenneté s’était fié à des indices passifs de résidence à une invitation à apprécier à nouveau la preuve, je ne considère pas que l’importance accordée par le juge aux critères qu’il a retenus suffit à rendre sa décision déraisonnable.

IV.             Conclusion

[53]           Pour les motifs établis précédemment, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Bien que le ministre ait pu préférer une décision plus élaborée et explicite, je suis convaincu que le juge a répondu aux préoccupations qui ont été soulevées par l’agent de la citoyenneté et qu’il a expliqué de manière adéquate pourquoi elles n’avaient pas eu d’incidence sur sa conclusion sur la résidence de M. Samaroo au Canada. Sa décision était raisonnable et était suffisamment motivée. Elle est intelligible, défendable et étayée par la preuve, et je conclus qu’elle satisfait à la norme de la décision raisonnable.

[54]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification. Je conviens qu’il n’y a pas de question de cette nature.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1891-15

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. VALMIKI DEORAJ SAMAROO

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 mai 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DU JUGEMENT :

Le 20 juin 2016

COMPARUTIONS :

Nimanthika Kaneira

Pour le demandeur

Jeremiah A. Eastman

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Cabinet d’avocats Eastman

Avocats

Brampton (Ontario)

Pour le défendeur

 

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