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Date : 20160620


Dossier : IMM-3822-15

Référence : 2016 CF 691

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2016

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

SURESTHIRANAGAM SOORASINGAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               M. Suresthiranagam Soorasingam, un homme tamoul du Sri Lanka, conteste une décision rendue le 29 juin 2015 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada concluant que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. M. Soorasingam a présenté une demande d’asile puisqu’il craignait être persécuté ou subir un préjudice au Sri Lanka, son pays natal. La SPR a rejeté la demande de M. Soorasingam, puisqu’elle a conclu que sa crainte d’être persécuté et ses allégations n’étaient pas crédibles.

[2]               M. Soorasingam prétend que la décision de la SPR était déraisonnable. Il demande à notre Cour d’annuler la décision et d’ordonner que sa demande soit réexaminée par un autre tribunal.

[3]               La seule question à trancher consiste à déterminer s’il était raisonnable de la part de la SPR de rejeter la demande d’asile de M. Soorasingam au motif qu’elle manquait de crédibilité. Les avocats de M. Soorasingam ont confirmé à l’audience devant notre Cour qu’il s’agissait de la seule question à examiner dans le cadre du présent contrôle judiciaire, malgré le fait que d’autres arguments ont été présentés devant la SPR.

[4]               La demande de contrôle judiciaire que M. Soorasingam a présentée est rejetée pour les motifs qui suivent. Ayant examiné la décision, la preuve dont disposait la SPR et le droit applicable, je ne vois rien qui permette d’infirmer les conclusions de la SPR. La SPR a examiné avec attention la preuve et les conclusions de la SPR appartiennent aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

II.                Contexte

A.                Faits

[5]               M. Soorasingam est originaire de Point Pedro, dans la région tamoule du Sri Lanka, et a des origines « mixtes », puisque son père est Cingalais et sa mère, Tamoule. M. Soorasingam soutient qu’en septembre 2006, son père et lui ont été abordés par des militants du Parti démocratique populaire de l’Eelam (EPDP), qui leur ont demandé de payer cinq lakhs de roupies. M. Soorasingam et son père ont refusé, disant qu’ils n’avaient pas l’argent. En octobre 2006, deux hommes sur des motocyclettes se sont prétendument présentés à la maison familiale de M. Soorasingam, l’appelant par son nom. Lorsque M. Soorasingam et son père sont sortis, les hommes ont commencé à tirer sur eux, tuant le père de M. Soorasingam.

[6]               Près de cinq ans plus tard, en décembre 2011, M. Soorasingam affirme avoir été enlevé par des militants du parti EPDP et avoir été battu et torturé. Pour obtenir sa libération, M. Soorasingam devait leur donner cinq lakhs de roupies. M. Soorasingam affirme avoir été remis en liberté le 27 septembre 2011, après avoir promis qu’il obtiendrait l’argent nécessaire pour payer la rançon. En décembre 2011, M. Soorasingam s’est enfui à Colombo, où il s’est caché. Il a ensuite quitté le Sri Lanka en janvier 2012, se rendant d’abord au Mexique, puis traversant illégalement la frontière pour se rendre aux États-Unis en février 2012.

[7]               M. Soorasingam a été arrêté par les autorités américaines peu après, et il a demandé l’asile aux États-Unis. Cependant, il n’a pas attendu qu’une décision soit rendue concernant sa demande aux États-Unis, et est plutôt venu au Canada et y a demandé l’asile.

B.                 La décision de la SPR

[8]               Dans sa décision, la SPR a soutenu que la crédibilité de M. Soorasingam était minée par une série d’omissions, de contradictions et d’invraisemblances dans son témoignage.

[9]               Premièrement, la SPR a conclu que M. Soorasingam était incapable d’expliquer un certain nombre de ses actions, y compris pourquoi il a attendu presque six ans après la fusillade de son père avant de s’enfuir du Sri Lanka, étant donné son témoignage dans lequel il affirmait que cet événement l’a poussé à quitter son pays, et pourquoi il a attendu deux mois après sa libération pour s’enfuir de Point Pedro vers Colombo. Concernant ce dernier point, la SPR a également soutenu qu’il était invraisemblable que ses ravisseurs ne soient pas venus à la recherche de M. Soorasingam durant la période après sa libération, étant donné qu’ils ne l’ont relâché que pour lui permettre d’obtenir les fonds nécessaires pour verser la rançon demandée.

[10]           Deuxièmement, la SPR a soulevé un certain nombre d’incohérences dans les déclarations de M. Soorasingam qu’il était incapable d’expliquer de façon satisfaisante, notamment :

  • M. Soorasingam a témoigné qu’il a reçu des traitements pour des blessures qu’il a subies durant son enlèvement peu après sa libération, malgré le fait qu’il a affirmé dans son exposé circonstancié qu’il n’a reçu des traitements qu’une fois arrivé à Colombo, deux mois après avoir été blessé.
  • M. Soorasingam a témoigné qu’il est resté caché pendant toute la période où il était à Colombo, malgré le fait qu’il a affirmé dans son formulaire Fondement de la demande d’asile qu’il a continué de travailler comme pêcheur jusqu’à son départ du Sri Lanka.
  • M. Soorasingam a témoigné qu’il a abandonné son passeport à son arrivée au Mexique, malgré le fait qu’il a affirmé plus tôt aux autorités canadiennes avoir abandonné son passeport alors qu’il traversait une rivière au Mexique.

[11]           En raison de ces incohérences et de ces omissions, la SPR a conclu que M. Soorasingam manquait de crédibilité, et que cette conclusion était suffisante pour rejeter sa demande d’asile.

[12]           En arrivant à cette conclusion, la SPR a accordé peu de poids au certificat de décès du père de M. Soorasingam, concluant qu’il n’y avait aucune preuve crédible établissant un lien entre le certificat de décès et la déclaration de M. Soorasingam selon laquelle son père a été tué par des militants du parti EPDP. De même, la SPR a accordé peu de poids aux lettres fournies par l’employeur allégué et par la femme de M. Soorasingam, concluant que M. Soorasingam était incapable d’expliquer comment l’auteur de la première lettre connaissait les événements décrits, et concluant que la deuxième lettre était intéressée.

[13]           La SPR a également noté que M. Soorasingam a présenté des éléments de preuve photographiques de cicatrices provenant des tentatives de retirer ses tatouages le liant prétendument aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Cependant, parce que la SPR a conclu que M. Soorasingam manquait de crédibilité, elle était incapable de trouver un lien entre ces éléments de preuve et les déclarations de M. Soorasingam.

[14]           La SPR a également conclu que la décision de M. Soorasingam de quitter les États-Unis avant la décision définitive concernant sa demande d’asile était incompatible avec le comportement attendu d’une personne qui craint d’être persécutée dans son pays natal. De plus, la SPR a conclu que l’explication de M. Soorasingam pour sa décision, soit qu’il ne connaissait personne aux États-Unis et qu’il avait de la famille au Canada, était insatisfaisante. La SPR a déterminé qu’une personne demandant l’asile doit demander l’asile dès que possible, et que le fait de ne pas le faire peut indiquer que la demande n’est pas sincère. La SPR a conclu que le fait que M. Soorasingam ne soit pas resté aux États-Unis jusqu’à ce qu’une décision soit prise concernant sa demande démontre le manque de sérieux de sa demande d’asile.

C.                Norme de contrôle

[15]           Il est bien établi qu’en ce qui concerne la crédibilité ou la plausibilité de l’histoire ou de la crainte de persécution d’un demandeur d’asile, les conclusions de la SPR sont de nature factuelle et commandent un degré élevé de retenu, compte tenu du rôle de juge des faits de la SPR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa], au paragraphe 59; Lawal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 155 [Lawal], au paragraphe 9; Martinez Giron c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 7 [Martinez Giron], au paragraphe 14; Dong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 55, au paragraphe 17).

[16]           Les conclusions relatives à la crédibilité ont été décrites comme « l’essentiel » de la compétence de la SPR, puisqu’elles sont essentiellement de pures conclusions de faits (Pepaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 938, au paragraphe 13; Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116 [Lubana], aux paragraphes 7 et 8). Par conséquent, la SPR est mieux placée pour évaluer la crédibilité d’un demandeur d’asile, puisque le commissaire peut voir le témoin au cours de l’audience, observer le comportement du témoin et entendre son témoignage. La SPR a la possibilité et la capacité de juger le témoin, sa franchise, la spontanéité avec laquelle il répond et la cohérence et l’uniformité de son témoignage (Navaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 856, au paragraphe 23). De plus, la SPR profite des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d’expertise (El-Khatib c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 471, au paragraphe 6).

[17]           Puisqu’il s’agit de questions mixtes de fait et de droit, les évaluations par la SPR de la crédibilité et de la plausibilité doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 160 NR 315 (CAF), au paragraphe 4; Bikoko c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1313, au paragraphe 8). Pour ce qui est de telles questions de crédibilité et de plausibilité, une cour de révision ne peut substituer l’issue qui serait à son avis préférable et ne peut réévaluer la preuve (Khosa, au paragraphe 59; Mikhno c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 385, aux paragraphes 32 à 33; Diallo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1062, au paragraphe 30). La Cour ne doit pas intervenir dans la décision de la SPR tant que celle-ci parvient à une conclusion qui est transparente, qui peut être justifiée, qui est intelligible et qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 47). Il suffit que les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au paragraphe 16).

[18]           La cour de révision doit considérer les motifs dans leur ensemble, conjointement avec le dossier (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 53; Dunsmuir, au paragraphe 47). Pour déterminer le caractère raisonnable d’une décision, la Cour peut non seulement examiner les motifs, mais elle peut également examiner le dossier sous-jacent (Newfoundland Nurses, au paragraphe 15). Cela dit, un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54). La Cour doit examiner les motifs en « essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, au paragraphe 15).

[19]           L’analyse de la crédibilité d’un demandeur d’asile doit être transparente et intelligible, et les motifs de la SPR doivent par conséquent constituer une évaluation de la crédibilité du demandeur « en termes clairs et explicites » (Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 NR 236 (CAF [Hilo], au paragraphe 6; Lubana, au paragraphe 9). À l’inverse, une analyse mettant simplement en doute la crédibilité sera insuffisante, puisque la SPR doit faire plus que tirer des conclusions générales et vagues. Elle doit plutôt énoncer pourquoi la crédibilité est contestée ou manquante (Hilo, au paragraphe 6).

III.             Analyse

[20]           M. Soorasingam soutient que la décision de la SPR quant à son manque de crédibilité est déraisonnable, puisque les conclusions de la SPR ont mal interprété les éléments de preuve et ont fait fi d’autres parties de ceux-ci. Plus précisément, M. Soorasingam soutient que la SPR a commis une erreur susceptible de révision en faisant fi des éléments de preuve substantiels ou en fondant ses conclusions sur des éléments de preuve non pertinents (Suduwelik c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 326, au paragraphe 21), et qu’il s’agit également d’une erreur de fonder une décision défavorable concernant la crédibilité sur de tels éléments de preuve (Lai c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 906 (CA); Rezaei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 40 (CA)).

[21]           Premièrement, M. Soorasingam affirme que la SPR a commis une erreur en se fondant sur le fait qu’il ne s’est enfui du Sri Lanka que six ans après la mort de son père, puisque sa crainte de persécution a pris naissance après son enlèvement et non après la mort de son père. Deuxièmement, M. Soorasingam soutient que la SPR a mal interprété son témoignage ou n’a pas tenu compte de son témoignage concernant son attente avant de s’enfuir de Point Pedro à Colombo, puisqu’il hésitait à quitter sa famille. Troisièmement, M. Soorasingam soutient que la SPR s’est livrée à des spéculations non fondées lorsqu’elle a conclu qu’il était invraisemblable que les ravisseurs de M. Soorasingam le laissent tranquille après sa libération. Quatrièmement, M. Soorasingam affirme que la SPR a commis une erreur en n’accordant aucun poids aux éléments de preuve démontrant ses tentatives de retirer ses tatouages. Cinquièmement, M. Soorasingam affirme que la SPR a procédé à une évaluation trop minutieuse des éléments de preuve lorsqu’elle a conclu qu’il a donné un témoignage contradictoire concernant le moment de ses traitements médicaux, son travail après s’être enfui à Colombo et la remise de son passeport au Mexique. Selon M. Soorasingam, cela démontre le désir excessif de la SPR de trouver des contradictions dans son témoignage où aucune n’existe (Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)), [1989] ACF no 444 (CAF) [Attakora], au paragraphe 1). Enfin, M. Soorasingam affirme que son explication du fait qu’il n’a pas attendu qu’une décision soit prise aux États-Unis, soit qu’il avait de la famille au Canada, était raisonnable et a déjà été acceptée par notre Cour (Soueidan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 956, au paragraphe 32).

[22]           Je suis en désaccord avec M. Soorasingam, puisque ses arguments se résument tous à une réévaluation de la preuve. Je conclus plutôt que les conclusions de la SPR concernant la crédibilité de M. Soorasingam sont raisonnables et ont droit à un important devoir de réserve au cours d’un contrôle judiciaire. La SPR a fourni des motifs détaillés précisant pourquoi le témoignage de M. Soorasingam était rejeté à la lumière de la preuve. Pour toutes les questions de crédibilité et de plausibilité, M. Soorasingam ne fait qu’inviter la Cour à réévaluer la preuve. Ce n’est pas le rôle de la Cour lorsqu’elle effectue un examen des conclusions de fait selon la norme de la décision raisonnable.

[23]           Il est généralement admis que la SPR est la mieux placée pour évaluer la crédibilité du demandeur, puisqu’elle a l’avantage de voir le témoignage du demandeur (Jin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 595, au paragraphe 10). La SPR est autorisée à rendre une conclusion négative quant à la crédibilité lorsque le témoignage du demandeur est incohérent ou contradictoire (Lawal, au paragraphe 9), ou lorsque la SPR n’est pas satisfaite de l’explication du demandeur quant à ces incohérences (Lin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 183, au paragraphe 19). Même si des éléments peuvent être insuffisants lorsqu’ils sont examinés individuellement ou isolément, l’accumulation des incohérences, des omissions et des contradictions peuvent, dans l’ensemble, miner la crédibilité globale d’un demandeur (Sary c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 178, au paragraphe 20; Quintero Cienfuegos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1262, au paragraphe 1; Asashi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 102, au paragraphe 8). De plus, un décideur est autorisé à tirer des conclusions en fonction des invraisemblances, du bon sens et de la rationalité, et peut rejeter les éléments de preuve ne se contredisant pas si elles ne sont pas conformes aux probabilités ayant une incidence sur l’affaire dans l’ensemble (Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 415 (CAF), au paragraphe 2; Mohamed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1379, au paragraphe 25).

[24]           C’est précisément ce qui s’est produit en l’espèce. La SPR a cerné de nombreuses incohérences et contradictions dans la preuve de M. Soorasingam, n’était pas satisfaite de ses explications concernant celles-ci et, par conséquent, a conclu que la preuve de M. Soorasingam manquait de crédibilité. Les arguments de M. Soorasingam ne sont rien de plus qu’un désaccord avec l’évaluation de la SPR de son témoignage et la façon dont la SPR a apprécié la preuve. C’est insuffisant pour accueillir la demande de contrôle judiciaire (Musthafa Samseen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 542, au paragraphe 31; Islam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1422, au paragraphe 11).

[25]           Plus précisément, un examen du dossier confirme que M. Soorasingam a donné un témoignage contradictoire concernant le moment où il a reçu des traitements pour les blessures qu’il a subies durant son enlèvement et le moment où il a abandonné son passeport après son arrivée au Mexique. Il était également loisible à la SPR de trouver invraisemblable les explications de M. Soorasingam sur son attente de six ans avant de craindre une persécution ou le temps écoulé avant de s’enfuir à Colombo.

[26]           La SPR n’a peut-être pas fait référence à certains éléments de preuve aussi clairement que M. Soorasingam l’aurait voulu, mais il ne s’agit pas d’un motif pour un contrôle judiciaire. Par exemple, la décision ne fournit peut-être pas beaucoup de détails sur les éléments de preuve affirmant que la crainte de persécution de M. Soorasingam était causée par son enlèvement plutôt que par le meurtre de son père et sur le fait qu’il a attendu avant de s’enfuir de Point Pedro parce qu’il ne voulait pas mettre sa femme et ses enfants en danger. Cependant, je suis convaincu que dans l’ensemble, les conclusions d’invraisemblance de la SPR sur ces points appartiennent aux issues possibles.

[27]           Je rejette également l’argument de M. Soorasingam selon lequel l’analyse de la SPR était déraisonnablement microscopique ou exagérée. Je reconnais que ce ne sont pas toutes les incohérences ou les invraisemblances dans la preuve d’un demandeur d’asile qui appuieront raisonnablement les conclusions négatives quant à la crédibilité générale. Il ne convient pas que la SPR tire ses conclusions d’un examen approfondi ou trop minutieux des incohérences et des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la demande, ignorant ainsi de sérieux incidents au cœur de la preuve (Attakora, au paragraphe 9; Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 442 (CAF), au paragraphe 2; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 713, au paragraphe 27). Cependant, il ne s’agit pas d’une situation où la SPR a appliqué à tort un examen microscopique du témoignage de M. Soorasingam ou s’est basé sur des incohérences accessoires pour discréditer le demandeur. Une analyse n’est pas microscopique parce qu’elle est exhaustive. Les facteurs examinés par la SPR n’étaient pas des éléments secondaires aux allégations de persécution de M. Soorasingam; ils étaient en fait d’une grande pertinence et constituaient l’essence même de ses allégations.

[28]           De la même façon, un manque de crédibilité quant aux éléments centraux d’une demande d’asile peut s’étendre à toute la preuve présentée (Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238 (CAF), au paragraphe 8).

[29]           Je suis conscient qu’il faut faire preuve de prudence en ce qui concerne les conclusions d’invraisemblance dans les cas de réfugiés (Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7). Les conclusions d’invraisemblance ne devraient être tirées que dans les cas les plus clairs, et la SPR doit toujours indiquer suffisamment les motifs de ces conclusions (Kiyarath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1269, au paragraphe 22). Sinon, les conclusions d’invraisemblance peuvent être vues comme arbitraires et déraisonnables (Yu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 167, aux paragraphes 10 et 12; Martinez Giron, au paragraphe 24). Je ne suis pas convaincu que les conclusions de la SPR quant à l’histoire de M. Soorasingam font partie de cette catégorie. Au contraire, l’évaluation effectuée par la SPR a été faite en termes clairs et sans équivoque et avait des conclusions détaillées expliquant pourquoi M. Soorasingam manquait de crédibilité.

[30]           De plus, rien ne permet d’inférer que la SPR a fait fi de la preuve matérielle qui contredisait carrément ses conclusions (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Abdulghafoor, 2015 CF 1020, au paragraphe 22). Comme je l’ai dit dans la décision Mirmahaleh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1085, au paragraphe 25, un tribunal est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve et n’est pas tenu de référer à chaque élément qui la compose (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16; Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF), au paragraphe 1; Hassan v Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] ACF no 946 (CAF), au paragraphe 3). Le défaut de mentionner un élément de preuve précis ne signifie pas qu’il n’a pas été pris en compte ou que tous les éléments de preuve n’ont pas été examinés (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 (CF 1re inst.), aux paragraphes 16 et 17). Ce n’est que lorsqu’un tribunal passe sous silence des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions de façon claire que la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[31]           En résumé, je conclus que l’analyse effectuée par la SPR est transparente, justifiable et intelligible. N’importe quel lecteur peut savoir exactement pourquoi la SPR n’a pas cru M. Soorasingam. La conclusion défavorable quant à la crédibilité tient à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Je conclus également que la SPR a mené une évaluation approfondie et détaillée de l’ensemble de la preuve. Son raisonnement n’est pas entaché d’une erreur fatale et j’estime que le résultat final est raisonnable compte tenu des principes juridiques applicables.

IV.             Conclusion

[32]           La SPR a examiné soigneusement les éléments de preuve présentés par M. Soorasingam à l’appui de sa demande et a conclu qu’il était invraisemblable qu’il risque d’être persécuté s’il retournait au Sri Lanka. La conclusion n’était pas déraisonnable et représentait une issue acceptable selon la loi et les éléments de preuve présentés à la SPR. Selon la norme de la décision raisonnable, il suffit que la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[33]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et je conviens qu’il n’y en a pas.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3822-15

INTITULÉ :

SURESTHIRANAGAM SOORASINGAM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 février 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 20 JUIN 2016

COMPARUTIONS :

Rita Daou

Viken G. Artinian

Pour le demandeur

Charles Junior Jean

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen & Associés

Avocats

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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