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Date : 20160622


Dossier : IMM-5102-15

Référence : 2016 CF 703

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

ITOHAN UKINEBO, ASMAO ASHAT SANI, RABIETU SAKIRATU SANI et DAUDA SALAMI SANI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS 

I.                   Introduction

[1]               La présente est une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) à l’encontre d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (SAR) annulant la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) et concluant que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi. Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la décision de la SAR afin que l’affaire soit renvoyée aux fins d’une nouvelle décision.

[2]               La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.                Contexte

[3]               Itohan Ukinebo est la principale demanderesse dans cette affaire. Elle est la représentante désignée des autres demandeurs, notamment ses deux filles, Asmao Ashat Sani et Rabietu Sakiratu Sani, âgées de six et de quatre ans, respectivement, et de son fils, Dauda Salami Sani, âgé de deux ans. Les demandeurs sont tous des citoyens du Nigéria.

[4]               La demanderesse principale allègue que, aux alentours du 24 septembre 2014, des militants du groupe Boko Haram ont pris d’assaut l’église Christ Solution Ministry Christian Church où son mari, M. Sani, était ministre. Elle soutient que son mari était à l’église au moment de l’attaque et qu’il n’a pas été vu depuis. Par conséquent, les demandeurs disent qu’ils craignent être tués par le groupe extrémiste Boko Haram.

[5]               Le 5 octobre 2014, les demandeurs ont quitté le Nigéria en passant par les Pays-Bas avant d’entrer clandestinement au Canada avec l’aide d’un agent.

[6]               En novembre 2014, ils ont présenté une demande d’asile, qui a été acceptée par la SPR le 14 janvier 2015, laquelle les reconnaît comme réfugiés au sens de la Convention, reposant sur la conclusion selon laquelle les demandeurs sont crédibles.

[7]               Le 20 février 2015, le ministre a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR concernant l’identité des demandeurs en se fondant sur les prétendus éléments de preuve qui démontrent que les documents d’identification fournis à la SPR par la demanderesse principale étaient certainement ou probablement contrefaits.

[8]               Les deux parties ont présenté de nouveaux éléments de preuve dont ne disposait pas la SPR. La demande de date d’audience du ministre a été accueillie. Le 8 octobre 2015, l’appel a été examiné et, le 15 octobre 2015, la SAR a annulé la décision de la SPR.

III.             Décision contestée

[9]               En ce qui concerne la question de l’identité de la demanderesse principale, selon les nouveaux éléments de preuve fournis au ministre, lesquels incluaient un rapport sur l’analyse des documents d’identification des demandeurs entreprise par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), la SAR a conclu que les principaux éléments de preuve corroborants étaient contrefaits, et que les actes de naissance étaient probablement contrefaits aussi. La SAR a toutefois accepté les documents d’identification, soit de nouveaux passeports, récemment présentés par les demandeurs. Les documents tirés du site Web du Service national de l’immigration du Nigéria ont permis d’établir l’identité de la demanderesse principale et celle de ses enfants.

[10]           Cependant, la SAR a ensuite procédé à l’évaluation de la crédibilité de la principale demanderesse pour arriver à la conclusion qu’une erreur avait été commise à cet égard. Certaines questions de crédibilité ont été soulevées par la SAR en ce qui a trait aux documents d’identification des demandeurs fournis à la SPR, dont cette dernière n’avait pas connaissance. La SAR a également conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible lorsqu’elle a témoigné devant la SPR qu’elle avait obtenu sa carte d’identité auprès de la Commission de la gestion de l’identité nationale du Nigéria en 2005, alors que les documents du gouvernement nigérian indiquent que la Commission n’a été établie qu’en 2007.

[11]           La SAR est parvenue à une conclusion défavorable en matière de crédibilité en se fondant sur le témoignage de la demanderesse principale, selon lequel elle n’avait jamais présenté une demande de passeport ni utilisé celui présenté pour entrer au Canada, alors que la preuve documentaire démontre que la demanderesse principale a versé 250 $ US au gouvernement nigérian, soit des frais de pénalité pour un passeport perdu, au lieu des frais habituels de 30 $ US pour un nouveau passeport ou un renouvellement. Ainsi, la SAR a conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible, selon la prépondérance des probabilités.

[12]           La SAR a soulevé d’autres questions de crédibilité découlant du fait que les documents utilisés par la demanderesse principale pour obtenir son passeport indiquent qu’elle est d’origine indigène en provenance de Benin City, dans le sud du Nigéria, plutôt que de Shaffa City dans l’État de Borno, où elle a précisé habiter et où le groupe Boko Haram est présent. Ces questions ont été soulevées en vue de déterminer la raison pour laquelle la demanderesse principale n’a pas déménagé à Benin City, au lieu d’entreprendre l’initiative dispendieuse d’émigrer au Canada. On a donc conclu que les éléments de preuve indiquant que les déplacements de la demanderesse principale organisés par des personnes qu’elle ne pouvait pas nommer étaient hors de son contrôle et dépassaient ses connaissances ne sont tout simplement pas crédibles. La SAR n’a pas trouvé crédible non plus le fait qu’elle dit être retournée à Benin City pour obtenir son passeport puisqu’elle souhaitait découvrir ses origines pour connaître son « statut ».

[13]           Malgré avoir reconnu la conclusion favorable de crédibilité de la SPR, la SAR a annulé sa décision. Étant donné les documents falsifiés et les témoignages trompeurs, la SAR a conclu qu’il n’existait aucune allégation fondée crédible au dossier concernant la résidence et que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni qualité de personnes à protéger.

IV.             Questions en litige

[14]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

1.      La SAR a-t-elle manqué à l’équité procédurale en procédant à l’évaluation de la crédibilité lorsque le ministre a seulement interjeté appel de la question d’identité, ou bien en s’appuyant sur les documents du pays qui n’ont été fournis qu’à l’audience comme fondement pour certaines de ses conclusions défavorables quant à la crédibilité?

2.      La SAR a-t-elle commis une erreur en ne prenant pas en compte une preuve corroborante?

V.                Norme de contrôle

[15]           Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte, alors que les conclusions de faits sont évaluées selon la norme de la décision raisonnable; voir la décision Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

VI.             Analyse

A.                Manquement à l’équité procédurale

[16]           Les demandeurs soutiennent que l’appel du ministre repose sur la question d’identité. Ils ont donc été pris au piège lorsque la SAR a poursuivi une audience portant sur la question en litige après avoir établi l’identité des demandeurs. Je rejette cet argument puisque les éléments de preuve indiquent clairement que la SAR a donné un préavis de plus de deux mois et que, en plus de la question d’identité, elle examinerait les questions de crédibilité et de possibilité de refuge intérieur.

[17]           En outre, la demanderesse principale a été informée à l’avance que le ministre ferait valoir que les documents objectifs corroborants sur lesquels les demandeurs se sont fondés devant la SPR étaient contrefaits. Cela soulève évidemment une importante question de crédibilité.

[18]           De plus, la SAR a signifié son intention de tenir une audience en vertu du paragraphe 110(6) de la Loi. Les audiences ne peuvent être tenues que s’il y a de nouveaux documents qui « soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause. » La Cour mentionne également que la demanderesse principale, même si elle était représentée, ne s’est pas opposée à ce que la SAR aborde la question de crédibilité. Cela porte atteinte à la gravité de l’argument : Linares Morales c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1496, au paragraphe 13 (Linares Morales).

[19]           Les demandeurs soutiennent également que la SAR a manqué à son devoir d’équité procédurale à leur endroit lorsqu’elle ne les a pas avisés de son intention de se fonder sur des documents tirés du site Web du gouvernement nigérian concernant leurs demandes de passeport et leurs documents d’identification au Nigéria. Ces documents ont servi à miner la crédibilité des demandeurs.

[20]           Je rejette aussi cet argument puisqu’un commissaire de la SAR a remis une copie de la documentation, laquelle n’était pas exhaustive, à l’avocat de la demanderesse au début de l’audience précisant son intention de poser des questions au sujet des documents concernant les passeports et les cartes d’identité. Peu après, un commissaire de la SAR a suspendu les procédures pour permettre à l’avocat de la demanderesse de passer en revue les documents. À leur retour, les demandeurs n’ont soulevé aucune objection à l’égard des documents. Ils ne se sont également pas opposés lorsque le commissaire de la SAR leur a posé des questions sur les documents pendant l’audience, ni après, avant que la décision soit rendue, portant ainsi atteinte à la gravité de l’argument : Linares Morales.

B.                 Défaut de prendre en compte une preuve corroborante

[21]           Les demandeurs soutiennent qu’il n’existe aucune preuve matérielle corroborante allant à l’encontre des constatations de la SAR. Ainsi, ils font valoir que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas fait référence à ces éléments de preuve dans ses motifs. Il est bien établi qu’un décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement qui a mené à sa conclusion finale, pourvu que les motifs du Tribunal expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision : voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 16 à 18. Il n’est pas non plus tenu de mentionner tous les éléments de preuve fournis par une partie : voir Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 408, au paragraphe 18.

[22]           En l’espèce, je suis convaincu que, compte tenu de la gravité du manquement en matière de crédibilité fondé sur l’intention d’induire le Tribunal en erreur en présentant des documents contrefaits, et du manque d’éléments de preuve corroborants concernant le lieu de résidence, d’où le vol aurait présument décollé, ainsi que des préoccupations découlant des éléments de preuve fournis à cet égard, les motifs sont raisonnables de conclure que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes ayant besoin de protection.

VII.          Conclusion

[23]           La demande est rejetée, et aucune question n’est soumise pour être certifiée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande, et aucune question n’est à certifier.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-5102-15

 

INTITULÉ :

ITOHAN UKINEBO ET AL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUébec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JUIN 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 JUIN 2016

COMPARUTIONS :

Idorenyin E. Amana

Pour la demanderesse

 

Bassam Khouri

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Idorenying E. Amana

Avocat

Cornwall (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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