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Date : 20160530


Dossier : IMM-3859-15

Référence : 2016 CF 599

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2016

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

BELINDA KIFUNGO

KEVIN KIFUNGO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   L’aperçu

[1]               Les demandeurs, Madame Belinda Kifungo et son frère M. Kevin Kifungo, sont citoyens de la République démocratique du Congo. Ils demandent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 31 juillet 2015 par la Section de protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR], refusant de leur reconnaître le statut de réfugié ou de personne protégée en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection du réfugié, LC 2001, c 27 [LIPR] au motif que leur récit n’est pas crédible et qu’ils ne se sont pas déchargés de leur fardeau de preuve.

[2]               En juillet 2010, Belinda et Kevin Kifungo, alors respectivement âgés de 16 et 13 ans, accompagnent leur mère ainsi que leur sœur aînée Anaïs lors d’un voyage en Europe et aux États-Unis. Vers la fin août 2010, leur mère retourne au Congo, laissant les enfants seuls aux États-Unis. Étant sans nouvelle de leurs parents, Anaïs entreprend alors des démarches pour demander l’asile à la frontière canado-américaine avec sa sœur Belinda et son frère Kevin, mais Anaïs est refoulée parce qu’elle est majeure. La demande d’asile de Belinda et Kevin Kifungo poursuit son cours en tant que mineurs non-accompagnés.

[3]               Dans leur demande d’asile, Belinda et Kevin Kifungo affirment que leur père a été détenu au Congo d’août 2010 à janvier 2011 en raison d’une plainte que leurs parents avaient logée auprès de la police locale suite à une tentative d’agression sexuelle dont Belinda avait été victime en mai 2010. Leur père aurait dû quitter le Congo par la suite, et Belinda et Kevin Kifungo soutiennent craindre d’être persécutés au Congo en raison de ces événements. La SPR a rejeté leur demande au motif que la preuve de détention de leur père était insuffisante et que le récit de Belinda et Kevin Kifungo manquait ainsi de crédibilité.

[4]               Belinda et son frère plaident qu’en rendant sa décision, la SPR n’avait pas de motifs suffisants pour douter de leur crédibilité et de la détention de leur père. Au surplus, ils allèguent que la SPR a mal évalué leur crainte de persécution et n’a pas respecté les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe [Directives] émises par la CISR. Ils demandent à la Cour d’annuler la décision de la SPR et de retourner le dossier pour que leur demande soit réévaluée par un tribunal différemment constitué à la lumière de tous les éléments soumis.

[5]               Les questions en litige sont les suivantes :

1.                  La SPR a-t-elle erré en concluant que Belinda Kifungo et son frère Kevin ne s’étaient pas déchargés de leur fardeau de preuve?

2.                  La SPR a-t-elle erré dans son appréciation de la crainte de persécution des demandeurs?

[6]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de Belinda et Kevin Kifungo doit échouer. En effet, je ne décèle dans la décision de la SPR aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour. Je suis plutôt d’avis que les conclusions de la SPR sur le manque de crédibilité du récit de Belinda et Kevin Kifungo et sur l’absence de preuve suffisante de la détention de leur père sont raisonnables et font clairement partie des issues possibles acceptables dans les circonstances. De plus, je conclus que les Directives visant à s’assurer que les revendications fondées sur le sexe soient entendues avec compassion et sensibilité ne s’appliquaient pas au traitement de la demande d’asile de Belinda Kifungo car sa crainte de persécution résultait d’un motif tout à fait autre que ceux visés par les Directives.

II.                Le contexte

A.                Les faits

[7]               Belinda Kifungo dit avoir été victime d’une tentative d’agression sexuelle au Congo en mai 2010, suite à laquelle ses parents ont porté plainte à la police locale. Son père est un exécutif haut placé de la compagnie de télécommunications Airtel et sa mère est membre du cabinet du gouverneur du Bas-Congo, ainsi qu’une militante bien connue de l’organisme Caucus des femmes congolaises. En juin 2010, des gendarmes de la police congolaise se présentent au domicile familial et emmènent alors le père de Belinda au poste de police. Deux jours plus tard, le père rentre à la maison, en affirmant que tout est réglé.

[8]               En décembre 2010, Belinda et Kevin Kifungo, qui sont alors au Canada suite à leur demande d’asile, apprennent que leur mère s’est réfugiée dans un couvent car leur père est détenu. En janvier 2011, leur père leur dit avoir été détenu d’août 2010 à janvier 2011, en raison apparemment de la plainte d’agression sexuelle déposée au nom de Belinda en mai 2010. En 2012, le père des demandeurs dépose une nouvelle plainte à la police congolaise afin de contester son arrestation et sa détention arbitraire de 2010. Suite à cette plainte, il se réfugie au Gabon. La mère des demandeurs demeure toutefois au Congo et y poursuit ses activités politiques.

B.                 La décision de la SPR

[9]               Dans sa décision, la SPR conclut que le récit de Belinda Kifungo et de son frère n’est pas crédible compte tenu des circonstances et du profil de leurs parents, et qu’ils ne se sont donc pas déchargés de leur fardeau de preuve pour obtenir le statut de réfugié ou de personne à protéger.

[10]           La SPR ne croit pas que le père de Belinda et Kevin a été détenu d’août 2010 à janvier 2011. Elle note que le père était un homme d’affaires prospère qui apparaissait fréquemment dans les médias. La disparition d’un tel homme pendant cinq mois aurait donc nécessairement attiré l’attention des médias et des organismes de protection des droits humains. Par ailleurs, la compagnie Airtel pour laquelle il travaillait aurait sans doute rapporté la disparition de son directeur des opérations.

[11]           La SPR accorde par ailleurs peu de valeur probante aux preuves documentaires apportées par Belinda et Kevin Kifungo à l’appui de la détention de leur père. Elle observe d’abord que ces preuves ont été déposées tardivement, alors qu’elles étaient disponibles depuis le début du processus de demande d’asile. Par ailleurs, les documents ne contiennent aucune caractéristique de sécurité permettant de confirmer leur authenticité car il s’agit de photocopies envoyées par courriel. La SPR n’accepte pas non plus les explications de Belinda Kifungo et de son avocat à l’effet qu’ils ne savaient plus quels documents déposer et qu’ils s’étaient concentrés sur la préparation d’une autre question pour l’audience devant le tribunal.

[12]           La SPR ajoute que, même si la détention du père avait bel et bien eu lieu, Belinda Kifungo et son frère ne sont pas à risque au Congo. La SPR se base notamment sur la situation de leur mère, qui poursuit ses activités politiques au Congo sans difficulté, même si elle dénonce régulièrement l’agression dont sa fille Belinda aurait été victime. La SPR trouve incohérent dans les circonstances que le père ait été arrêté pour faire taire sa plainte concernant l’agression sexuelle de sa fille, alors que la mère n’est pas elle-même à risque malgré son statut de politicienne et activiste bien connue au Congo.

C.                Norme de contrôle

[13]           Il est bien établi que, lorsqu’il s’agit de la crédibilité ou de la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile, les conclusions de la SPR sont de nature factuelle et commandent un degré élevé de déférence judiciaire, compte tenu du rôle de juge des faits du tribunal administratif (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa] au para 59; Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 155 au para 9; Martinez Giron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 7 au para 14; Dong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 55 au para 17).

[14]           L’évaluation de la crédibilité loge en fait au cœur même de l’expertise de la SPR et elle est intimement liée aux faits d’une espèce donnée (Pepaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 938 au para 13; Lubana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CFPI 116 aux para 7-8). Puisqu’il s’agit de questions mixtes de faits et de droit, la norme de contrôle applicable aux questions portant sur la crédibilité et l’évaluation de la preuve faite par la SPR est donc celle de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF No 732 (CAF) au para 4; Bikoko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1313 au para 8). Sur de telles questions de crédibilité et d'appréciation de la preuve, la Cour ne doit pas substituer son point de vue à celui du tribunal administratif même si cela pourrait constituer, à ses yeux, un dénouement préférable (Khosa au para 59). La Cour ne doit intervenir que si le processus décisionnel n’est pas transparent et intelligible et que la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[15]           Les motifs d’une décision sont considérés raisonnables « s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses] au para 16). Dans ce contexte, la Cour doit faire preuve de retenue envers la décision du tribunal. Elle n'a pas pour mission de soupeser à nouveau les éléments de preuve au dossier ni de s’immiscer dans les conclusions de fait du tribunal, mais doit plutôt se limiter à rechercher si une conclusion a un caractère irrationnel ou arbitraire (Mikhno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 385 aux para 32-33; Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1062 au para 30).

[16]           Si les motifs de la décision possèdent les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, et permettent de déterminer que la conclusion appartient aux issues possibles acceptables, il n’y a pas lieu pour la Cour d’interférer.

III.             L’analyse

A.                La SPR a-t-elle erré en concluant que Belinda Kifungo et son frère ne se sont pas déchargés de leur fardeau de preuve?

[17]           Belinda et Kevin Kifungo soumettent que la SPR a porté une attention disproportionnée aux documents soumis à l’appui de la détention de leur père, alors qu’il ne s’agissait pas d’un élément essentiel à leur demande. Ils soutiennent que, lors de la première audience tenue en 2012, la SPR n’avait par ailleurs pas requis ces documents, et il est donc normal que ni eux ni leur avocat n’aient pensé à les soumettre avant que la SPR ne les demande. De plus, Belinda Kifungo et son frère avancent que la SPR a commis une erreur en accordant peu de valeur probante à ces documents en raison de leur nature et de leur provenance, alors que le tribunal avait tenu une audience particulière sur l’admissibilité de ces documents et n’avait pas auparavant soulevé de doute sur leur authenticité ou sur la démarche pour les obtenir.

[18]           Je ne souscris pas aux prétentions formulées par Belinda Kifungo et son frère. Il ressort clairement de la décision de la SPR que la détention du père des demandeurs constituait l’élément catalyseur de la demande d’asile logée par Belinda Kifungo et son frère, et qu’ils avaient ainsi l’obligation d’établir cet élément essentiel de leur demande. Or, l’absence de preuves corroborant la détention de leur père pouvait raisonnablement affecter la crédibilité de Belinda Kifungo et de son frère aux yeux de la SPR.

[19]           Il est bien établi qu’un demandeur d’asile a le fardeau de prouver les éléments sur lesquels repose sa demande (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 62 au para 16). Belinda Kifungo et son frère ont allégué que leurs parents, en particulier leur père, avaient fait l’objet de représailles prenant la forme d’une arrestation et d’une détention arbitraire, suite au dépôt d’une plainte concernant la tentative d’agression sexuelle subie par Belinda. Le père aurait par la suite déposé une plainte contre sa détention arbitraire, ce qui lui aurait valu de nouvelles représailles le poussant à fuir au Gabon.

[20]           Contrairement aux prétentions de Belinda Kifungo et de son frère, il ne s’agit pas là d’un élément secondaire ou périphérique à leur demande d’asile. Bien au contraire, il ressort du dossier que ceci constitue le fondement même de leur demande. S’ils craignent pour leur sécurité au Congo, c’est précisément parce que leurs parents auraient subi des représailles. Il était donc essentiel d’établir que ces représailles ont bel et bien eu lieu.

[21]           Ce n’est pas un cas où, comme dans l’affaire Sothinathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 154, le tribunal ne mentionne qu’indirectement les aspects de la crédibilité d’un demandeur qui soulèvent un problème. Au contraire, il s’agit ici d’une situation où le tribunal conclut, suite à une analyse fouillée, à une absence de crédibilité relative aux éléments centraux de la revendication de statut de réfugié des demandeurs. Dans de telles circonstances, l’absence de crédibilité pourra s’étendre aux autres éléments de la demande d’asile et être généralisée à l’ensemble de la preuve documentaire présentée pour corroborer les faits allégués (Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF No 604 (CAF) aux para 7-9).

[22]           Certes, la SPR ne peut pas fonder une conclusion quant au manque de crédibilité sur des contradictions mineures relevées dans des éléments de preuve secondaires ou marginales à la demande d’asile. Le tribunal ne doit donc pas se livrer à une analyse de la preuve qui soit « microscopique » sur des questions sans pertinence ou périphériques à la demande d'asile (Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168 (CAF) au para 9; Cooper c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 118 au para 4; Akhigbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 249 au para 16). Il en va cependant tout autrement lorsqu’une preuve porte sur l’essence de la demande d’asile, comme c’est le cas ici pour la détention du père de Belinda et Kevin Kifungo.

[23]           La SPR est également en droit de tirer des conclusions portant sur la crédibilité d’un demandeur d’asile en se basant sur l’invraisemblance, le bon sens et la raison, et de rejeter des témoignages si ceux-ci ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire prise dans son ensemble (Shahamati c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] ACF No 415 (CAF) [Shahamati] au para 2; Yin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 544 au para 59; Hernandez Utrera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1212 au para 61). J’estime que c’est cette approche qui a guidé la SPR dans le présent dossier.

[24]           Par ailleurs, je partage l’avis de la SPR à l’effet que les preuves corroborant la détention du père des demandeurs ont été déposées tardivement. L’absence d’efforts pour obtenir des preuves appuyant une demande d’asile peut affecter la crédibilité d’un demandeur (Quichindo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 350 au para 28). Il n’était pas déraisonnable pour la SPR de ne pas accepter les explications offertes par Belinda Kifungo et son frère quant au délai encouru dans les circonstances.

[25]           Quant à la prétention des demandeurs voulant qu’on leur avait demandé tant de papiers depuis le début de leur demande d’asile qu’ils ne savaient plus lesquels soumettre, je ne la trouve pas du tout convaincante. Pas plus, au demeurant, que l’affirmation de leur avocat qui croyait que l’audience porterait sur l’omission de l’agression sexuelle subie par Belinda dans le formulaire de demande d’asile original, et qu’il s’était préparé en conséquence. Les formulaires de CISR indiquent clairement que toutes les preuves corroborant les allégations avancées doivent être soumises à l’appui d’une demande d’asile.

[26]           Enfin, j’observe qu’un tribunal administratif peut fonder ses conclusions sur la rationalité et le sens commun et tirer des inférences négatives du fait qu’il n’existe aucune preuve documentaire au support d’une allégation, alors qu’on serait en droit de s’y attendre (Shahamati au para 2; Saliaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1247 au para 53). Compte tenu du profil du père des demandeurs dans le monde des affaires ainsi que du nombre important d’organismes rapportant les violations des droits fondamentaux au Congo, il était tout à fait loisible pour la SPR de conclure que, si elle s’était effectivement produite, la disparition du père de Belinda et Kevin Kifungo aurait été rapportée par un organisme quelconque ou, à tout le moins, par son employeur.

[27]           De même, il était également raisonnable pour la SPR de conclure que, si le père des demandeurs était victime de représailles pour avoir porté plainte de façon individuelle et privée, il était improbable qu’en revanche, la mère des demandeurs échappe à toute forme de représailles alors que, de son côté, elle continuait de dénoncer publiquement l’agression de sa fille au Congo.

[28]           Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour n'a pas pour mission d'apprécier de nouveau les éléments de preuve au dossier mais doit plutôt se limiter à rechercher si une conclusion a un caractère irrationnel ou arbitraire. Sous la norme de la décision raisonnable, il suffit que le processus et la décision respectent les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et la Cour ne doit pas substituer son opinion à celle du tribunal. Les arguments avancés par Belinda et Kevin Kifungo expriment simplement leur désaccord sur l’appréciation de la preuve effectuée par la SPR et invitent en fait la Cour à préférer leur évaluation et leur lecture à celle du tribunal. Or, ce n’est pas là le rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire. Les motifs de la décision de la SPR sur l’insuffisance de la preuve et le manque de crédibilité des demandeurs sont intelligibles, transparents et permettent de déterminer que la conclusion appartient aux issues acceptables. Il n’y a donc pas lieu pour la Cour d’intervenir.

[29]           En somme, je suis d’avis que la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant que Belinda Kifungo et son frère ne s’étaient pas déchargés de leur fardeau de preuve.

B.                 La SPR a-t-elle erré dans son appréciation de la crainte de persécution des demandeurs?

[30]           Belinda Kifungo et son frère soutiennent par ailleurs que la SPR n’a fait aucune distinction entre leur crainte de persécution et celle de leur mère. De plus, ils plaident que la SPR a par ailleurs erré en ne considérant pas la tentative d’agression sexuelle de Belinda et en ne prenant pas compte des Directives dans son analyse.

[31]           Je ne partage pas l’avis des demandeurs sur ces sujets.

[32]           Il ne fait pas de doute que les demandeurs d’asile ont l’obligation d’établir le fondement objectif et subjectif de leur crainte de persécution (Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593 aux para 119-120 et 148-151), et que l’absence d’une crainte objective est fatale à la demande. Dans les circonstances, je suis satisfait que la SPR n’a commis aucune erreur en analysant la crainte des demandeurs à la lumière du comportement de leur mère. En effet, l’analyse de la crainte de la mère allait au cœur du fondement objectif et subjectif de la crainte de persécution formulée par Belinda Kifungo et son frère. C’est ainsi à bon droit que la SPR a observé que la mère des demandeurs n’avait pas cru bon de quitter le Congo à l’instar du père, qu’elle faisait partie des proches du gouverneur du Bas-Congo et qu’elle continuait à s’impliquer publiquement dans le Caucus des femmes congolaises. Aucune preuve n’indiquait par ailleurs qu’elle avait été la cible de menaces ou d’intimidation.

[33]           Devant l’absence de preuves crédibles de représailles contre le père des demandeurs, doublée de ce comportement de leur mère qui ne laissait transpirer aucun risque à son endroit, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de conclure à l’inexistence d’une crainte objective de persécution pour Belinda Kifungo et son frère.

[34]           Quant au reproche fait à la SPR d’avoir omis de considérer la crainte de Belinda en tant que femme victime de violence et de faire expressément référence aux Directives dans sa décision, je ne décèle aucune erreur de la part de la SPR à cet égard. Belinda Kifungo n’a pas fui le Congo parce qu’elle craignait être victime de violence sexuelle; elle a plutôt quitté le pays pour des vacances familiales avec sa mère et son frère et sa sœur. Le fondement de la demande d’asile de Belinda Kifungo et de son frère est la crainte de représailles par ricochet, en raison de la détention alléguée de leur père. En aucun temps la violence sexuelle dont a pu être victime Belinda Kifungo n’a-t-elle été à la source de sa demande d’asile. Dans ces circonstances, la SPR n’avait donc tout simplement pas à recourir aux Directives dans sa décision.

[35]           Cette Cour a établi que les Directives n’ont à être considérées par la SPR que dans les situations appropriées (Higbogun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 445 au para 57). C’est le cas, par exemple, des demandeurs d’asile qui allèguent être victimes de violence en raison de leur sexe (Khon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 143 au para 20). Or, dans le cas présent, l’agression qu’aurait subie Belinda, bien que malheureuse, ne constitue pas le fondement de sa demande d’asile. Les Directives n’étaient donc aucunement pertinentes dans un tel contexte, et on ne peut pas reprocher à la SPR de les avoir ignorées.

IV.             Conclusion

[36]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de Belinda et Kevin Kifungo est rejetée. La décision de la SPR refusant leur demande d’asile est transparente et intelligible, et ses conclusions sur le défaut des demandeurs de prouver le fondement de leurs allégations et d’établir une crainte objective de persécution au Congo appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. De plus, en aucun temps la SPR n’a-t-elle manqué à ses obligations au niveau de l’application des Directives.

[37]           Les parties n’ont pas soulevé de question grave d’intérêt général à certifier dans leurs représentations et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens;

2.      Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3859-15

INTITULÉ :

BELINDA KIFUNGO, KEVIN KIFUNGO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 février 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 30 MAI 2016

COMPARUTIONS :

Me Aristide Koudiatou

Pour les demandeurs

Me Andrea Shanin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aristide Koudiatou

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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