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Date : 20160530


Dossier : IMM-3457-15

Référence : 2016 CF 602

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2016

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

UBAH IBRAHIM OMAR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Ubah Ibrahim Omar, la demanderesse en l’espèce, sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) d’annuler une décision précédente de demande d’asile en faveur de la demanderesse. La demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). La présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour les motifs qui suivent.

[2]               Essentiellement, la demanderesse a réussi à obtenir de la protection en vertu de l’article 96 de la LIPR après avoir fourni à la SPR une version des événements qui s’est avérée être une fabrication, complète ou à tout le moins matérielle. Les événements impliquant la demanderesse qui ont commencé en 1995, dans ce qu’elle allègue être son pays d’origine, la Somalie, ne peuvent pas s’être déroulés puisqu’elle a admis depuis qu’elle résidait aux États-Unis entre 1995 et 2009. De plus, pendant son séjour aux États-Unis, elle a été reconnue coupable d’une infraction pour laquelle elle a reçu une sentence de 81 mois d’emprisonnement, une condamnation qui n’a pas été divulguée aux autorités canadiennes lorsqu’elle est arrivée au Canada en 2009 et qu’elle a cherché à obtenir le statut de réfugié. Par conséquent, le défendeur allègue que la demanderesse n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, conformément à l’article 98 de la LIPR, puisque l’infraction commise aux États-Unis relève de l’alinéa 1F de la Convention relative au statut des réfugiés.

I.                   Les faits

[3]               La demanderesse, qui allègue être née le 1er janvier 1982, est arrivée au Canada pendant l’année 2009. Selon son Formulaire de renseignements personnels (FRP) du 27 juillet 2009, elle serait arrivée à Winnipeg en mai 2009. Jusqu’à un certain moment en mai 2009, elle a, selon ce FRP, résidé à Nairobi, au Kenya. Elle a pris un vol à partir de Nairobi, en passant par Londres, en Angleterre et est arrivée à Toronto le 26 mai 2009; elle s’est ensuite déplacée en voiture vers Winnipeg où elle est arrivée le 28 mai 2009. Dans sa déclaration solennelle aux agents d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) du 14 mai 2014, la demanderesse, une fois confrontée au fait que ses empreintes digitales indiquent qu’elle a résidé aux États-Unis, qu’elle est arrivée au Canada le 25 mai 2009 et qu’elle a traversé la frontière en voiture. Comme vous pourrez le constater, il a été difficile de confirmer certains faits au sujet de la demanderesse sur plusieurs autres enjeux.

[4]               Le FRP fournit un récit de ce qui a incité la demanderesse à quitter son pays d’origine, la Somalie, et à demander le statut de réfugié dans notre pays. Je mettrai l’accent sur la portion du récit qui commence en 1996. Avant cette année-là, il semble que cela était difficile pour les membres de son clan, mais que la situation se soit aggravée de façon importante à compter de 1996.

[5]               La demanderesse mentionne des milices terrorisant sa famille, et plus précisément un souvenir de la façon dont son cousin, un bébé à ce moment, pleurait lorsque son oncle s’est fait tirer à plusieurs reprises dans l’estomac. La demanderesse mentionne qu’elle a étudié à l’école élémentaire d’un village de Somalie jusqu’en 1999.

[6]               En 1999, les parents de la demanderesse ont décidé de s’enfuir et se sont retrouvés dans des villages à plus de 160,93 km. Elle mentionne [traduction] « qu’après trois jours de marche, nous sommes arrivés à Dhobley ». La peur, dit-elle, était constante. Ils devaient se sauver dans la brousse pendant plusieurs jours lorsque les camps où ils se trouvaient faisaient l’objet d’attaques. Selon son FRP, la demanderesse et sa famille sont restées à Dhobley jusqu’en 2004. À ce moment, ils sont retournés dans leur village d’origine pour constater que la ville était maintenant sous le contrôle des tribunaux islamiques. La demanderesse allègue s’être mariée le 15 octobre 2004. Deux enfants sont nés de cette union, un en août 2005 et l’autre en mai 2007.

[7]               Comme l’a mentionné la demanderesse, un événement des plus tragiques s’est produit en janvier 2007. Voici ce qui est indiqué au paragraphe 9 de son récit :

[traduction] En janvier 2007, j’ai vécu la plus grande tragédie dans ma famille. J’étais enceinte de cinq mois de mon deuxième enfant, Ednan. Notre maison a fait l’objet d’une perquisition par des milices des tribunaux islamiques. J’étais terrifiée et cela était horrible. Mon mari a été battu et ils l’ont amené avec eux. Plus tard, il a été tué et nous l’avons enterré. Je ne pouvais tolérer la situation. J’étais enceinte et j’avais un autre jeune enfant.

[8]               La décision de quitter la Somalie a été prise en janvier 2009 puisque la situation dans la ville, selon la demanderesse, empirait. Ils sont donc retournés à Dhobley où la demanderesse a rencontré un autre homme qu’elle a épousé en secret malgré le désaccord de sa famille. La demanderesse mentionne alors que son mari a été enlevé par la milice Al-Shabaab qui, selon la demanderesse, « me cherchait ». S’ils m’avaient trouvé, ils m’auraient tué. Puisque j’avais trop peur, j’ai décidé de m’enfuir de Dhobley en y laissant ma famille. Je me suis donc enfuie vers le Kenya en février 2009, avant qu’ils ne reviennent. »

[9]               Ce qui est remarquable au sujet de cette histoire, autre que de présenter la demanderesse de façon extrêmement sympathique, une victime innocente ayant survécu à des circonstances difficiles extraordinaires, est que cela n’est s’est pas produit. La demanderesse a reconnu aux autorités en 2014, une fois qu’elle a été confrontée à des renseignements provenant des États-Unis, qu’elle a habité aux États-Unis entre 1995 et 2009.

[10]           C’est le 14 mai 2014 que la demanderesse a été interrogée par des agents de l’ASFC, plusieurs années après avoir réussi à obtenir le statut de réfugié dans notre pays. Dans sa déclaration solennelle, elle atteste être née le 1er janvier 1982. Au début, elle a nié avoir vécu aux États-Unis de 1995 à 2009. Cependant, une fois qu’elle a appris que ses empreintes digitales avaient été envoyées aux États-Unis, elle a reconnu y avoir vécu. Elle a également reconnu avoir été condamnée pour voies de fait après un incident survenu en 1998. Si sa date de naissance est réellement le 1er janvier 1982, cela signifie qu’elle est arrivée en Amérique du Nord lorsqu’elle avait 13 ans et qu’elle a été condamnée à 18 ans pour un crime commis alors qu’elle avait 16 ans.

[11]           Lorsqu’on lui a demandé son vrai nom lors de l’entrevue avec l’ASFC, elle aurait répondu « Laila Mohamed » et sa véritable date de naissance était inscrite comme étant le 1er janvier 1974, et non le 1er janvier 1982 comme elle l’avait indiqué dans son FRP, de même que dans sa demande d’asile au Canada. À la fin de sa déclaration solennelle, la demanderesse aurait dit que [traduction] « [p]our être honnête, mon vrai nom est Ubah Omar. J’ai utilisé le nom Laila Mohamed pour aller aux États-Unis. Ma tante a dit que j’étais sa fille. » La question de son âge n’a toutefois pas été réglée.

[12]           Le témoignage de la demanderesse devant la SPR n’a pas permis d’éclaircir la situation alors que le gouvernement tente d’annuler le statut de réfugié. La demanderesse a répondu aux questions de son avocat, mais l’histoire demeure nébuleuse. Il y avait confusion, par exemple, au sujet du moment où la demanderesse est allée au Kenya pour la première fois. À une question de son avocat, elle a répondu  « 1990 » (page 20 de la transcription). La demanderesse aurait été âgée de huit ans en 1990. Toutefois, juste quelques pages plus loin (page 28), après avoir indiqué à l’avocat que la demanderesse habitait à Nairobi, on lui a demandé quel âge elle avait lorsqu’elle a quitté le Kenya. La réponse a été [traduction] « [e]nviron 20. Cela fait longtemps. Je ne suis pas certaine. » En réalité, il y a deux possibilités. Afin d’être âgée de 20 ans lorsqu’elle a quitté le Kenya en 1995, la demanderesse doit être née en 1974 ou en 1975. L’autre option, s’il est vrai qu’elle est née en 1982, serait que la demanderesse soit restée 12 ans au Kenya afin d’en être partie à l’âge de 20 ans. Cela signifie que, selon ce récit, elle aurait quitté le Kenya en 2002, ce qui est impossible puisqu’elle était incarcérée au Minnesota à partir de l’an 2000.

[13]           Cette difficulté n’a pas échappé à l’avocat de la demanderesse. Probablement parce que l’avocat s’est souvenu que la demanderesse s’était supposément rendue au Kenya pour la première fois en 1990 et qu’elle allègue être née en 1982, l’avocat a posé la question suivante à la page 28 : [traduction] « Donc, vous êtes restée au Kenya environ 12 ans? » La réponse était simplement [traduction] « Nous avons toujours vécu dans un camp. »

[14]            La demanderesse semble en remettre à la page 25 de la transcription lorsqu’elle répond à une question au sujet de son âge lorsqu’elle était à Dhobley en disant [traduction] « [e]nviron huit ou neuf ans. Cela était environ au même moment où nous avons quitté la Somalie. » Cela suggère qu’elle soir née en 1982. Le récit n’a pas été éclairci lorsque, quelques pages plus loin (page 31 de la transcription), des questions ont été posées au sujet de l’aide que la demanderesse aurait reçue afin de quitter Nairobi pour se rendre en Amérique du Nord en 1995. Il est possible de lire aux lignes 15 à 19 de la page 31 : [traduction]

Q :       Il est mentionné ici, « elle a pris contact avec un agent appelé Chet (phonétique), un homme à la peau foncée. » Est-ce que cela est réellement arrivé?

R :       Avant de venir en compagnie de ma tante, je planifiais partir par moi-même et c’est à ce moment qu’elle recherchait un agent pour moi.

En 1995, la demanderesse aurait été âgée de 13 ans si elle est née en 1982, mais de 21 ans si elle est née en 1974. Il est difficile d’imaginer qu’une personne de 13 ans serait à la recherche d’un agent et qu’elle planifierait de partir seule pour se rendre en Amérique. Cela serait plus plausible si elle était âgée de 20 ans.

[15]           Ces dates sont de nouveau mentionnées au bas de la page 32, ainsi qu’au haut de la page 33 de la transcription. Premièrement, il y a la partie du témoignage où la demanderesse allègue avoir reçu 4 000 $ US de son oncle afin de lui permettre de se rendre aux États-Unis. La demanderesse affirme n’avoir utilisé qu’une partie de cet argent pour ses déplacements et d’avoir fait parvenir le restant à sa famille. Cet énoncé semble avoir surpris l’avocat qui a cherché à éclaircir sa compréhension du fait que la demanderesse n’était pas en contact avec sa mère à ce moment. La demanderesse a répliqué qu’elle obtenait de l’information au sujet de sa mère lorsqu’elle se trouvait dans un camp de réfugiés. Par conséquent, l’avocat a demandé où l’argent pouvait être envoyé si sa famille n’avait pas une adresse stable et qu’elle ne savait pas où sa famille se trouvait. La demanderesse a répondu de la façon suivante : [traduction]

R.        Il y avait des personnes qui partaient du camp pour se rendre à Doblay [sic] afin d’apporter de la nourriture aux personnes en difficulté et je leur demandais tout simplement de retrouver les membres de ma famille.

Q :       Je vois. Étaient-ils à Doblay [sic]?

R :       Oui, puisque Doblay [sic] et Kismayo sont très proches.

[16]           Cela est plutôt surprenant puisque dans son FRP, la demanderesse a prétendu que lorsqu’ils ont quitté Kismayo, ils se sont enfuis vers des villages situés à plus de 160,93 km. Elle dit ensuite [traduction« [q]u’après trois jours de marche, nous sommes arrivés à Dhobley. » Il ne faut pas oublier que la demanderesse affirme qu’elle avait 13 ans au moment où elle aurait pris les dispositions nécessaires pour envoyer l’argent, reçu de son oncle, à ses parents qui habitaient dans un camp de réfugiés. Cela a mené directement au dernier échange au sujet de l’âge et de la durée du séjour de la demanderesse au Kenya. [traduction]

Q :       Ok. En quelle année êtes-vous arrivée aux États-Unis?

R :       1999.

Q :       1999. Précédemment, vous avez mentionné 1995. Est-ce que cela était erroné?

R :       Désolée, je ne voulais pas dire 1999. 1995.

Q :       Ok. Mais vous êtes née en 1982. En 1995, vous auriez 13 ans et non 20 ans.

R :       Je suis arrivée grâce à un faux passeport. Ma tante m’a amené aux États-Unis en prétendant que j’étais sa fille, et sa fille existait vraiment. Sa fille avait 20 ans, donc j’ai utilisé cette information qui disait qu’elle avait 20 ans. Elle est née en 1975.

Q :       Est-ce qu’il s’agit de la fille qui est morte à la suite d’une maladie?

R :       Oui.

Q :       Donc, vous n’êtes pas restée en Somalie pendant 12 ans avant votre arrivée, mais vous étiez au Kenya pendant cinq ans, est-ce exact?

R :       Oui.

[17]           Comme il est démontré, les calculs ne fonctionnent pas. Il n’a jamais été éclairci quel âge la demanderesse avait lorsqu’elle est arrivée aux États-Unis en 1995, mais le bon sens dicte qu’il y a une différence importante entre une jeune fille de 13 ans (si elle est née en 1982) et une jeune femme de 20 ou 21 ans (si elle est née en 1974). De plus, l’envoi d’argent à un camp de réfugiés où ses parents résident n’a jamais été expliqué. De même, venir aux États-Unis par elle-même en provenance du Kenya, à l’aide d’un agent, à l’âge de 13 ans est remarquable. De nouveau, le bon sens dicte qu’il s’agit d’une entreprise qui est très importante pour une jeune fille de 13 ans.

[18]           Il y a également la question du permis de travail américain. Lors de l’audience de révocation du 14 novembre 2014 devant la SPR, la demanderesse a été questionnée par l’avocat du ministre. La demanderesse a mentionné qu’elle avait un « statut juridique » aux États-Unis entre 1995 et 1998, lorsqu’elle a été accusée pour le crime qui lui a valu un d’emprisonnement d’une durée de 81 mois. Elle a expliqué qu’elle avait un « permis de travail » et une « carte verte » (transcription, page 7). Évidemment, obtenir une « carte verte », en 1995, est logique si vous êtes née en 1974, mais beaucoup moins si vous êtes née en 1982.

[19]           Ensuite, il y a la condamnation prononcée contre la demanderesse dans l’État du Minnesota. Une altercation a eu lieu en juillet 1998 entre la demanderesse et une autre femme somalienne. Les conséquences de cette altercation sont que l’autre femme somalienne a subi sept coupures au visage. Deux des coupures dans la joue étaient profondes et une paupière de cette victime a également été coupée. Le policier qui a interrogé la victime a également remarqué une coupure sous son lobe d’oreille gauche.

[20]           Il y avait apparemment des témoins de cet incident et des policiers les ont interrogés. Un des deux témoins a indiqué que la demanderesse a utilisé une « lame circulaire », laquelle avait la forme d’un crochet.

[21]           La demanderesse avait une version des événements qui était, selon le commissaire de la SPR, très « épurée ». Entre autres, la demanderesse a nié avoir utilisé un couteau pendant l’altercation.

[22]           À la fin, selon l’information versée dans les dossiers conservés aux États-Unis (antécédents criminels du Minnesota), la demanderesse a été reconnue coupable de l’infraction plus sérieuse de voies de fait au premier degré, un crime assorti d’une peine d’emprisonnement maximale de 20 ans selon la législation de l’État du Minnesota. Selon les éléments de preuve, l’infraction se lit comme suit :

[traduction] Quiconque attaque une autre personne et lui inflige des lésions corporelles importantes peut être condamné à une peine d’emprisonnement d’un maximum de 20 ans ou au paiement d’une amende de 30 000 $, ou les deux.

[23]           Puisqu’il s’agissait de sa première infraction, la demanderesse a été condamnée à 81 mois de prison, une sentence imposée le 7 avril 2000. Selon le dossier, la demanderesse a purgé près de quatre ans de sa sentence en détention, avant d’être libérée le 19 février 2004. Sa peine a expiré le 15 mai 2006.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[24]           Le 26 juin 2015, la soi-disant « demande d’annulation » conformément à l’article 109 de la LIPR a fait l’objet d’une décision. La SPR a conclu que le tribunal précédent n’était pas au courant du temps passé aux États-Unis par la demanderesse, de sa véritable identité ni de son dossier criminel. Le tribunal était de l’opinion que les faits omis ou faussement représentés étaient essentiels.

[25]           De plus, le tribunal estimait que l’infraction commise et pour laquelle la demanderesse a été condamnée au Minnesota constitue un crime grave de droit commun à l’extérieur du pays. En tirant cette conclusion, cela fait correspondre l’infraction commise aux États-Unis avec les articles 267 et 268 du Code criminel du Canada. Ces infractions sont passibles d’une peine d’emprisonnement de 10 ans et de 14 ans; recevoir une sentence de 81 mois d’emprisonnement pour une offense qui est punissable au Canada par un emprisonnement de 14 ans était, selon l’avis du tribunal, en fait un crime grave.

[26]           Selon l’avis du tribunal, le tribunal précédent aurait conclu que la demanderesse a commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du Canada.

[27]           Puisqu’une personne jugée coupable d’avoir commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du pays d’accueil ne peut pas être considérée comme un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger, le tribunal a refusé d’examiner s’il y avait eu d’autres éléments de preuve suffisants devant le premier tribunal pour justifier l’asile (paragraphe 109(2) de la LIPR).

III.             Analyse

[28]           La demanderesse organise une contestation de la décision de la SPR sur plusieurs aspects.

Justice naturelle

[29]           Premièrement, après l’audience devant la SPR en l’espèce (décision rendue le 26 janvier 2015), il a été découvert que l’audience devant la SPR ayant mené à l’octroi du statut de réfugié à la demanderesse (13 janvier 2011) n’avait pas été enregistrée. La demanderesse a tenté de tirer avantage de cette omission. Elle s’est appuyée sur l’affaire Toussaint c. Citoyenneté et Immigration, 2011 CF 216 pour la proposition selon laquelle l’incapacité à fournir la transcription peut constituer un manquement à la justice naturelle si la cour de révision est incapable de traiter adéquatement les questions soulevées.

[30]           Il ne s’agit pas d’une nouvelle proposition. La question a été réglée péremptoirement par la Cour suprême du Canada dans Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793 [Syndicat canadien de la fonction publique]. La Cour avance donc la proposition suivante, au paragraphe 83 :

Comme je l’ai dit, en l’absence d’un droit à l’enregistrement d’une audition accordé par la loi, les droits que possède une partie eu égard à la justice naturelle ne seront violés que si la cour a un dossier inadéquat qui ne lui permet pas de fonder sa décision.

[31]           L’audience pour faire annuler une décision porte sur les fausses déclarations ou la dissimulation de faits importants. Dans le présent cas, ces faits sont liés à la véritable identité de la demanderesse, son dossier criminel et, évidemment, son temps passé aux États-Unis. La question est donc de savoir si l’identité, le dossier criminel et le temps passé aux États-Unis et non en Somalie ont été présentés lors de la première rencontre avec la SPR. Si ces renseignements ont été présentés, il n’y a aucune fausse déclaration ou dissimulation de faits importants.

[32]           Puisqu’il n’y a aucun enregistrement ni aucune transcription des procédures ayant mené à la décision du 13 janvier 2011, la demanderesse prétend qu’il ne peut pas être établi que les faits au sujet de son identité, de sa présence aux États-Unis et de son dossier criminel ont été dissimulés. Cet argument ne peut être retenu.

[33]           Dans la présente affaire, nous avons deux séries de faits diamétralement opposés qui sont incompatibles. D’une part, le dossier dont disposait la SPR la première fois décrit les circonstances très difficiles dans lesquelles la demanderesse allègue s’être trouvée en Somalie et au Kenya entre 1996 et 2009. Clairement ces circonstances ont été présentées au premier tribunal de la SPR; elles sont incluses dans la décision rendue le 13 janvier 2011, concluant  [traduction] « qu’il y a un risque sérieux de persécution si vous retournez en Somalie et j’accepte votre demande en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ». De toute évidence, deux paragraphes dans la décision qui ont mené à la conclusion de la SPR sont les deux principales caractéristiques des événements qui se sont déroulés pendant la période où, en réalité, la demanderesse se trouvait aux États-Unis :

[34]           Je reproduis ces deux paragraphes aux fins de clarté : [traduction]

En 1999, votre famille s’est enfuie à Dhobley situé à plus de 160,93 km et a vécu dans un camp sans travail, école ni sécurité appropriée. Vous y êtes restée jusqu’en 2004, moment où vous êtes retournée à Kismayo et vous vous y êtes mariée. Votre premier mari et vous avez eu deux garçons. En 2007, alors que vous étiez enceinte de l’un de vos garçons, votre mari a été tué par la milice.

Vos parents, vos enfants et vous êtes retournés à Dhobley en 2009, moment où vous avez rencontré et marié votre deuxième mari. Il a été enlevé par Al-Shabaab peu après et après votre arrivée au Canada, vous avez appris qu’il avait été tué. Vous vous êtes enfuie au Kenya et vos amis et vos proches vous ont aidé à entrer au Canada. Vous pensez que si vous retournez en Somalie en tant que femme issue d’un clan minoritaire sans protection, vous serez attaquée ou tuée.

[35]           La demanderesse suggère que le raisonnement du tribunal actuel, à l’égard du fait que son temps passé aux États-Unis, sa véritable identité et son dossier criminel n’ont pas été portés à l’attention du tribunal précédent, tient uniquement si ces faits avaient inévitablement été mentionnés dans les motifs du tribunal pour accorder le statut de réfugié, si la demanderesse les avait mentionnés dans sa demande initiale. J’ai des doutes que cela constitue un critère en soi. Cela semble nécessiter un niveau de certitude au-delà même du doute raisonnable, une inévitabilité incontestablement jumelée à une absence totale de doute, s’approchant de la certitude métaphysique de Descartes. En assumant de façon purement hypothétique que le doute devrait favoriser la demanderesse, je n’ai aucun doute que l’identité, le dossier criminel et surtout le temps passé aux États-Unis auraient été pris en compte et mentionnés. Cela est tel puisque les deux versions sont irrévocablement opposées. Une personne ne peut pas souffrir en Somalie, et que ces faits soient consignés précisément dans le jugement de la SPR, et être aux États-Unis au même moment. Si les allées et venues de la demanderesse pendant cette période avaient été mentionnées à la SPR, il est impossible qu’elles n’aient pas été notées de façon à ce que la SPR puisse examiner la question en profondeur. Nous ne parlons pas ici de petits écarts progressifs. Il s’agit d’exposés sur une période de 15 ans qui sont impossibles à concilier. Il n’est pas nécessaire que la transcription devant le premier tribunal de la SPR indique qu’une série de faits complètement différents n’a pas été présentée. Il n’est pas hautement improbable que l’épisode aux États-Unis n’ait jamais été mentionné devant le premier tribunal de la SPR, cela est impossible. Il s’ensuit que les droits à la justice naturelle en raison de l’absence de transcription n’ont pas été enfreints puisque la Cour possède un dossier adéquat sur lequel fonder sa décision à savoir s’il y aurait dû avoir une annulation de la demande d’asile.

Annulation de la décision

[36]           Deuxièmement, la demanderesse s’élève contre la décision d’accorder la demande en vertu de l’article 109 de la LIPR. Une telle décision est examinée selon la norme de la décision raisonnable, comme le sont la majorité des questions de nos jours. Dans l’affaire Frias c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 753, mon collègue, le juge Luc Martineau a écrit :

9          La norme de contrôle qui s’applique à la décision du Tribunal relative à l’annulation du statut de réfugié est celle de la décision raisonnable. Il en est de même de la question de savoir si une personne est visée ou non par la clause 1Fb) de la Convention…

Je partage cette opinion qui est appuyée par les autorités.

[37]           La demande d’annulation est présentée conformément à l’article 109 de la LIPR qui se lit comme suit :

109 (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

109 (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.

[38]           Pour avoir gain de cause, la demanderesse devra réussir à convaincre la Cour que la décision faisant l’objet du contrôle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. À l’égard du paragraphe 109(1), la SPR doit être convaincue que la fausse déclaration ou la dissimulation touchait des faits importants, que ces faits touchent une question pertinente et que la décision à annuler a été rendue à la suite d’une fausse déclaration ou d’une dissimulation directe ou indirecte des faits.

[39]           Il est difficile de conclure que cette série de faits n’est pas importante puisque la demanderesse a raconté une histoire très sympathique qui n’est tout simplement pas arrivée; il s’agit d’une invention. L’endroit où se trouvait la demanderesse ainsi que ce qu’elle a enduré sont des questions pertinentes dans les affaires de protection des réfugiés. Connaissant les véritables circonstances de la demanderesse lorsqu’elle a présentée sa demande d’asile en 2009, je suis d’avis qu’il est parfaitement raisonnable pour le deuxième tribunal de la SPR de conclure que la décision aurait été différente. Il ne revient pas à la Cour de substituer sa perception des faits dans la mesure où la décision appartient aux issues possibles acceptables.

[40]           La demanderesse soutient, en effet, que la décision aurait été la même la deuxième fois en raison de son sexe et de sa nationalité; invoquant donc le paragraphe 109(2). En d’autres mots, il serait suffisant d’établir qu’elle est Somalienne pour que la protection des réfugiés lui soit accordée. Cette proposition très audacieuse n’est appuyée par aucune jurisprudence.

[41]           Quoi qu’il en soit, si toutes les circonstances avaient été présentées au premier tribunal de la SPR, la demanderesse aurait été confrontée à la possibilité qu’il soit déterminé qu’elle n’avait pas qualité de réfugié au sens de l’article 98 de la LIPR. Il se lit comme suit :

98 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98 A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

[42]           L’alinéa 1Fb) est pertinent en l’espèce et se lit comme suit :

F Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

F The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

[...]

[...]

[43]           Le deuxième tribunal de la SPR a conclu que l’infraction pour laquelle la demanderesse a été reconnue coupable et condamnée dans l’État du Minnesota s’inscrit exactement dans les limites de l’alinéa 1Fb). Utiliser un couteau aussi coupant qu’un rasoir, conformément à la version livrée par l’un des témoins à la police, et lacérer profondément le visage de la victime est une infraction punissable par un emprisonnement de 14 ans si elle est commise au Canada. L’article 268 du Code criminel décrit l’infraction de la façon suivante :

268 (1) Commet des voies de fait graves quiconque blesse, mutile ou défigure le plaignant ou met sa vie en danger.

268 (1) Every one commits an aggravated assault who wounds, maims, disfigures or endangers the life of the complainant.

[...]

[...]

[44]           La demanderesse semble présenter deux arguments au sujet de l’infraction commise aux États-Unis. Premièrement, elle a utilisé sa version épurée de l’agression pour suggérer que l’infraction qu’elle a commise n’était pas aussi grave que le suggère la lecture de la disposition relative à cette infraction. Deuxièmement, elle allègue qu’elle ne comprenait pas bien l’infraction pour laquelle elle a été condamnée et pour laquelle elle a inscrit un plaidoyer de culpabilité.

[45]           Aucune valeur ne peut être accordée à l’argument que le plaidoyer de culpabilité est tel qu’il ne permet aucune résolution de la contestation de la gravité de l’infraction. Un plaidoyer de culpabilité est la reconnaissance qu’une personne a commis le crime dont elle est accusée. Les éléments essentiels de l’infraction sont reconnus officiellement; en l’espèce, la demanderesse concède qu’elle a été reconnue coupable [traduction] « d’agression au deuxième degré à l’aide d’une arme dangereuse » et « d’agression au premier degré avec lésions corporelles importantes ». La plus grave des deux infractions, punissable d’une peine d’emprisonnement de 20 ans, nécessite que l’agression ait infligé des lésions corporelles importantes. Quant à [traduction] « l’agression au deuxième degré à l’aide d’une arme dangereuse », c’est l’utilisation d’une arme dangereuse infligeant des lésions corporelles importantes qui est interdite. Qu’importe si la demanderesse a plaidé coupable pour ces infractions ou qu’elle a été trouvée coupable, il demeure qu’elle a causé des lésions corporelles. Il ne sert à rien d’en discuter puisque, dans son esprit, la demanderesse ne jugeait pas que les lésions corporelles étaient importantes. En fait, il était raisonnable pour le deuxième tribunal de la SPR de conclure que les lésions corporelles étaient importantes à la lumière des rapports de police des entrevues avec les témoins.

[46]           La version des événements offerte par la demanderesse n’est tout simplement pas cohérente avec les plaidoyers de culpabilité qui ont été inscrits. Elle a reconnu de la façon la plus officielle qu’elle a infligé des lésions corporelles importantes et graves. De toute évidence, avec des pénalités maximales aussi élevées que celles fournies par la loi du Minnesota, ces infractions sont jugées être des infractions objectivement graves. Le fait qu’une peine d’emprisonnement de 81 mois a été imposée à la demanderesse à sa première infraction tendrait à indiquer que l’infraction telle que commise était également subjectivement grave.

[47]           Dans les circonstances de l’espèce, la présomption selon laquelle un crime punissable au Canada par une peine d’emprisonnement de 10 ans est un crime grave (Febles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 RCS 431 [Febles]) n’a pas été réfutée. Comme l’indique la Cour au paragraphe 62 de Febles, « … la règle des dix ans ne devrait pas être appliquée machinalement, sans tenir compte du contexte ou de manière injuste ». Toutefois, en l’espèce, cela est tout sauf sans contexte ou injuste. Ce n’est pas seulement que l’infraction est punissable dans ce pays par une peine de 14 ans d’emprisonnement, mais qu’une peine d’emprisonnement importante a été imposée dans les circonstances. En acceptant les éléments de preuve trouvés dans les rapports de police au Minnesota, qui sont parfaitement raisonnables, il est évident que l’infraction commise comporte une part de méchanceté qui la place dans la catégorie des crimes graves.

[48]           Quant à la question soulevée par la demanderesse au sujet du manque d’interprétation dans les procédures judiciaires au Minnesota, il n’y a aucun élément de preuve pour appuyer cette prétention. Quoi qu’il en soit, il n’est pas surprenant que la SPR ait conclu qu’il est très improbable qu’un plaidoyer de culpabilité et l’imposition d’une peine d’emprisonnement importante soient survenus sans que l’accusée, la demanderesse, soit apte à comprendre. Dans le cadre de l’enquête policière, le rapport indique qu’ils ont recouru aux services d’interprètes pour s’assurer que le suspect comprenait bien les questions, de même que le processus (mise en garde Miranda). Il est raisonnable de conclure qu’il est très improbable que la Cour dans l’État du Minnesota n’ait pas pris les mesures pour s’assurer que la demanderesse comprenne pleinement le processus alors que les policiers ont pris de telles mesures.

[49]           Compte tenu des conclusions raisonnables au sujet de l’application du paragraphe 98 de la LIPR, il n’était pas nécessaire que la SPR envisage un examen plus approfondi du paragraphe 109(2) de la LIPR (Aleman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 710). Personne n’atteint le paragraphe 109(2) si la personne ne peut pas alléguer être un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger. Ceci est le cas par le fonctionnement de l’article 98 de la LIPR. La considération à savoir s’il y a suffisamment d’éléments de preuve au moment de la décision initiale pour justifier la demande d’asile de protection des réfugiés ne se pose tout simplement pas. Il n’y avait aucun besoin d’examiner si le fait d’être une femme somalienne est suffisant pour se voir accorder le statut de réfugié puisque la demanderesse a été disqualifiée par l’application de l’article 98.

[50]           Je dois ajouter que, si la question avait été débattue par l’avocat, j’aurais été tenté de conclure que la détermination qu’un crime grave de droit commun est suffisante pour satisfaire les exigences du paragraphe 109(1). Par définition, et par l’application de l’article 98, le fait qu’un tel crime n’ait pas été divulgué constitue un fait important relativement à une question pertinente : la demanderesse ne peut pas être une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. Comme il a été clairement constaté, il ne peut pas y avoir d’autres éléments de preuve suffisants au moment de la première décision puisqu’il n’y aurait pas dû y avoir une première décision. Mais encore plus important, la demanderesse aurait été disqualifiée par l’application de l’article 98. Cette disqualification, en soi, se traduirait par la dissimulation de faits importants, sans devoir aller plus loin. Toutefois, l’argument complet n’a pas été présenté à la Cour et je me retiens de formuler une conclusion définitive.

Erreur dans la décision de la SPR

[51]           La demanderesse affirme que la SPR était dans l’erreur de citer au paragraphe 16 de la décision que [traduction] « la demanderesse a témoigné lors de l’audience qu’elle a utilisé un pseudonyme lors de son entrée au Canada et qu’elle a fait une fausse déclaration au sujet de ses allées et venues et de sa criminalité aux États-Unis », puisque la demanderesse, la défenderesse dans les procédures d’annulation devant la SPR, n’a pas témoigné à l’effet qu’elle aurait utilisé un pseudonyme.

[52]           Dans les présentes procédures, le défendeur concède que la demanderesse n’a pas témoigné au sujet de l’utilisation d’un pseudonyme, puisque la demanderesse affirme que son vrai nom est Ubah Ibrahim Omar. L’erreur, ou la mauvaise compréhension, est compréhensible. Après avoir utilisé le nom Laila Mohamed pendant plus de 13 ans aux États-Unis, la demanderesse aurait utilisé le nom Omar lorsqu’elle est arrivée au Canada. Même dans la déclaration solennelle faite aux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada le 14 mai 2014, la demanderesse s’est présentée en utilisant le nom Ubah Omar, avec une date de naissance le 1er janvier 1982, mais elle est également connue sous le nom de Laila Mohamed, avec une date de naissance le 1er janvier 1974. La déclaration solennelle crée de la confusion puisqu’elle se présente en tant que Ubah Ibrahim Omar et nie avoir vécu aux États-Unis jusqu’à ce qu’elle soit informée que ses empreintes digitales révèlent l’utilisation d’un nom différent. Lorsqu’on lui a demandé son vrai nom, la demanderesse a répondu « Laila Mohamed », sa véritable date de naissance étant le 1er janvier 1974. Voici donc la dernière question et la réponse :

[traduction] Q.        D’où provient le nom que vous utilisez maintenant?

R.        C’est juste un nom somalien. Pour être honnête, mon vrai nom est Ubah Omar. J’ai utilisé le nom Laila Mohamed pour aller aux États-Unis. Ma tante a dit que j’étais sa fille.

Il n’est pas vraiment surprenant que Laila Mohamed, avec son dossier criminel, ait choisi de traverser la frontière entre les États-Unis et le Manitoba en utilisant un autre nom. Ce qui est le pseudonyme et ce qui ne l’est pas demeure toujours un mystère. De même, la demanderesse a allégué devant la SPR être née en 1982, mais il est improbable que cela soit vrai selon l’ensemble de son témoignage. 1974 serait plus crédible. Toutefois, il est exagéré de dire que la demanderesse a déclaré avoir utilisé un pseudonyme. La transcription de l’audience devant la SPR ne confirme pas un témoignage en ce sens. Nous savons seulement que deux noms ont été utilisés par cette personne.

[53]           Toutefois, comme les deux paragraphes précédents le démontrent, l’erreur reconnue est sans conséquence. Cela ne change rien, ou très peu, à la dissimulation et aux fausses déclarations faites par la demanderesse au moment où elle demandé le statut de réfugié au Canada. Les fausses déclarations au sujet de son passé, incluant les drames dont elle aurait été victime en Somalie et sa condamnation au Minnesota, sont évidemment beaucoup plus importantes.

[54]           La demanderesse affirme que la réelle possibilité d’une incidence sur le résultat devrait être le critère pour déceler les erreurs de droit de même que les erreurs de fait. Même si cela pourrait être le critère, ce qui est contesté par le défendeur comme pouvant être le critère approprié et sur lequel je n’émets aucune opinion, il est clair que le critère proposé ne peut pas être satisfait compte tenu des faits en l’espèce. S’il est vrai que la demanderesse n’a pas témoigné avoir utilisé un pseudonyme, il reste qu’elle a fait de fausses déclarations au sujet de faits beaucoup plus importants ayant une valeur probante importante. Il est également vrai que cette demanderesse a utilisé différents noms et différentes dates de naissance. Ensuite, il y a la pure invention de plus de 13 ans de sa vie (de 1995 à 2009). Il n’y a rien de significatif qui peut être conclu de l’erreur au sujet du témoignage de la demanderesse et il n’y a aucune réelle possibilité que le résultat ait été ou puisse avoir été touché.

IV.             Question de portée générale

[55]           L’avocat de la demanderesse a suggéré qu’il pourrait y avoir des questions de portée générale plus graves qui découleraient de cette affaire (article 74 de la LIPR). Une est à savoir si l’obligation d’équité procédurale a été compromise puisqu’un enregistrement ou une transcription de la première décision de la SPR où le statut de réfugié a été accordé n’est pas disponible.

[56]           Il n’y a aucun droit prévu pour l’accès à un enregistrement ou à une transcription. Il s’ensuit qu’il y a violation de l’obligation d’équité procédurale uniquement si la Cour ne peut statuer sur la demande de contrôle en l’absence de la transcription (Syndicat canadien de la fonction publique, précité). En l’espèce, je suis convaincu sans l’ombre d’un doute qu’il est impossible que la demanderesse ait pu témoigné devant le premier tribunal de la SPR qu’elle a non seulement été victime de drames en Somalie entre 1996 et 2009, mais qu’elle vivait aux États-Unis à ce moment, même dans une prison américaine pendant près de quatre ans. Le conflit entre les deux séries d’événements est entier et irrémédiable. Le tribunal de la SPR aurait été appelé à expliquer pourquoi une version est privilégiée plutôt que l’autre. Il est évident que la véritable version, celle impliquant une résidence aux États-Unis, n’a jamais été présentée à la SPR. Il s’ensuit qu’il n’y a aucune autre question de portée générale considérant les faits de l’espèce.

[57]           L’autre question proposée touche l’erreur faite par la SPR au sujet du témoignage de la demanderesse ayant admis qu’elle a utilisé un pseudonyme. Il est suggéré que la question soit si le critère est qu’il y ait une véritable possibilité que l’erreur ait eu une incidence sur le résultat ou que le résultat est raisonnable en absence d’erreur. Comme j’ai conclu, même si le critère privilégié par la demanderesse est appliqué aux faits en l’espèce, il ne fait aucun doute que l’erreur était sans conséquence et qu’il n’y avait aucune réelle possibilité que cela ait eu une incidence sur le résultat.

[58]           En l’espèce, ces deux questions n’ont jamais été soulevées puisque les faits en l’espèce ne nécessitaient pas une réponse. La loi est claire à savoir qu’une transcription est obligatoire uniquement si elle est requise par la loi. Ce qui intéressait la demanderesse était de savoir si le récit véritable de la période de 1995 à 2009 a été présenté au premier tribunal de la SPR. Pour les motifs énoncés, il est impossible que ce récit ait été présenté au tribunal et que notre Cour ait été en mesure de statuer sur la demande sans avoir une transcription démontrant que la question n’a jamais été soulevée devant le premier tribunal de la SPR. Dans les circonstances particulières de cette affaire, la question proposée ne transcende pas les intérêts des parties (Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96). Il ne s’agit pas d’une question grave de portée générale.

[59]           Pour ce qui est de la deuxième question proposée, cette question que la demanderesse suggère être la question à certifier n’a jamais été soulevée. Il n’y avait aucun besoin de prendre une décision relativement à un critère puisqu’il était clair que même le critère le plus avantageux pour la demanderesse ne pouvait pas être satisfait. Cette question proposée ne pourrait pas être décisive dans l’appel (Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21). Comme l’a souligné la Cour d’appel, « la certification d’une question ne doit pas servir de renvoi à notre Cour », ce qui est la raison pour laquelle la question doit avoir été réglée par la Cour fédérale avant qu’elle puisse être certifiée. Notre Cour n’a pas émis d’avis sur le critère approprié. Cela n’était pas nécessaire.

[60]           Par conséquent, cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question grave de portée générale.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3457-15

 

INTITULÉ :

UBAH IBRAHIM OMAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

David Matas

Pour la demanderesse

 

Nalini Reddy

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le défendeur

 

 

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