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Date : 20160617


Dossier : IMM-5162-15

Référence : 2016 CF 678

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2016

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

EVGENIYA KHARLAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS 

I.                   Introduction

[1]               La Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté un appel interjeté par Evgeniya Kharlan à l’encontre du refus de l’agent d’immigration de délivrer un visa de résident permanent à son père, Eduard Margulyan. M. Margulyan a été jugé interdit de territoire au Canada pour des raisons médicales au motif qu’il risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé canadiens en application de l’alinéa 38(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Mme Kharlan, en tant que répondante de la demande de son père, a demandé un contrôle judiciaire de la décision de la SAI.

[2]               Mme Kharlan ne conteste pas la conclusion de la SAI selon laquelle la décision de l’agent d’immigration était valide en droit. Elle accepte que son père soit interdit de territoire au Canada pour des raisons médicales. Toutefois, elle dit que la SAI n’a pas tenu compte de la preuve que l’état de santé de M. Margulyan n’est pas grave, et fait valoir que l’examen des facteurs d’ordre humanitaire était déraisonnable.

[3]               Malgré les observations pertinentes de l’avocat de Mme Kharlan, je suis convaincu que les conclusions de la SAI étaient raisonnables et étayées par la preuve. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.                Contexte

[4]               Mme Kharlan est une citoyenne canadienne. En 2008, elle a déposé une demande de parrainage de ses parents pour qu’ils immigrent au Canada en vertu des dispositions sur le parrainage au titre de la catégorie du regroupement familial du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). La mère et le père de Mme Kharlan sont âgés de 75 et 79 ans respectivement, et ils sont tous deux des citoyens d’Israël.

[5]               Conformément à l’alinéa 38(1)c) de la LIPR, un étranger est interdit de territoire au Canada pour motifs sanitaires si son état de santé risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. L’article 1 du Règlement définit un « fardeau excessif » comme une charge dont le coût prévisible dépasse la moyenne, par habitant au Canada, des dépenses pour les services de santé sur une période de cinq années consécutives ou, s’il y a lieu de croire que des dépenses importantes devront probablement être faites après cette période, sur une période d’au plus dix années consécutives. Un « fardeau excessif » se dit aussi de toute charge qui viendrait allonger les listes d’attente actuelles et qui augmenterait le taux de mortalité au Canada.

[6]               C’est l’agent d’immigration, en se fondant sur l’avis d’un médecin désigné par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), qui détermine si un demandeur est interdit de territoire au Canada pour des raisons médicales. En l’espèce, la preuve médicale a établi que M. Margulyan souffre d’une hépatite C chronique, et qu’il a reçu un diagnostic de « cirrhose : une maladie chronique du foie ».

[7]               Après avoir été informé qu’il pouvait être interdit de territoire au Canada pour des raisons médicales, M. Margulyan a fourni au ministre un rapport de sa médecin, la Dre Iris Dotan, daté du 14 octobre 2012. Dans son rapport, la Dre Dotan a confirmé que M. Margulyan souffrait d’hépatite C chronique; qu’il était en bon état clinique; qu’aucun traitement médical n’était recommandé; que le risque de carcinome hépatocellulaire était [traduction] « faible, mais existant »; et que sa fibrose [traduction] « progressait lentement ».

[8]               Le médecin désigné par le ministre, le Dr Réjean Paradis, a préparé un rapport le 17 avril 2012, dans lequel il fait référence à l’opinion de Dre Dotan et tire les conclusions suivantes :

Bien que l’état de M. Morgan soit resté relativement stable, son pronostic demeure dans l’ensemble réservé pour les 4 à 5 prochaines années. Il a actuellement besoin et continuera d’avoir besoin d’un suivi médical rigoureux pour s’assurer que la maladie ne progresse pas. Des analyses en laboratoire et des examens de radiologie devront être effectués et il devra finalement subir des hospitalisations répétées dans une unité de soins spécialisés dans les maladies du foie si son état de santé se dégrade.

[9]               Le Dr Paradis a conclu que [traduction] « le demandeur demeure interdit de territoire (M05) en raison du fardeau excessif qu’il représente pour les services de santé ».

[10]           Mme Kharlan a interjeté appel de la décision de l’agent d’immigration auprès de la SAI. Conformément à l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, la SAI peut accueillir un appel si la décision d’un agent d’immigration est erronée en droit ou si une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire est justifiée dans les circonstances.

[11]           À l’appui de son appel, Mme Kharlan a présenté les documents suivants à la SAI : (i) trois rapports de la Dre Dotan (celui décrit ci-dessus et deux rapports mis à jour); (ii) le rapport du Dr Paradis décrit ci-dessus; (iii) un rapport médical, daté du 4 juin 2015, de la Dre Yulia Ron, une spécialiste en gastro-entérologie au centre médical de Tel-Aviv; et (iv) un rapport préparé par Frances A. Marinic-Jaffer, une étudiante en droit qui a donné son avis sur les coûts prévus des soins de santé pour M. Margulyan au Canada.

III.             La décision faisant l’objet du contrôle

[12]           La SAI a confirmé que la décision de l’agent d’immigration était fondée en droit. La SAI était convaincue que le médecin désigné par le ministre avait examiné tous les documents soumis par M. Margulyan. La SAI a jugé que le rapport de Mme Marinic-Jafferd avait peu de valeur probante du fait qu’elle n’était pas une professionnelle de la médecine qualifiée. La SAI a noté que l’offre de la famille de payer les frais médicaux excessifs était impossible à appliquer.

[13]           La SAI a également conclu que, mis à part le principe fondamental du groupement familial, il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales dans les circonstances.

IV.             Les questions en litige

[14]           Mme Kharlan ne conteste pas la conclusion de la SAI selon laquelle la décision de l’agent d’immigration était valide en droit. Elle accepte que son père soit interdit de territoire au Canada pour des raisons médicales. Toutefois, elle dit que la SAI n’a pas tenu compte de la preuve que l’état de santé de M. Margulyan n’est pas grave. Elle fait également valoir que l’examen par la SAI des facteurs d’ordre humanitaire était déraisonnable.

[15]           À titre préliminaire, Mme Kharlan s’oppose au fait que le ministre s’est fié à un affidavit établi par le Dr Brian Dobie le 18 avril 2016, au motif qu’il constitue une nouvelle preuve qui n’a pas été présentée à l’agent d’immigration ou à la SAI.

V.                Analyse

A.                L’affidavit du Dr Dobie est-il admissible en l’espèce?

[16]           Le Dr Dobie est un médecin spécialiste principal employé par le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration au sein de la Direction de la santé migratoire à Ottawa. Selon l’avocat du ministre, le but de l’affidavit du Dr Dobie était de confirmer les conclusions du Dr Paradis, de résumer quelques-uns des éléments de preuve documentaire dont était saisie la SAI et, surtout, de fournir une mise à jour sur les développements récents dans le traitement de l’hépatite chronique C. On estime qu’une nouvelle génération d’antiviraux à action directe guérit 95 % des cas. Cependant, le coût des nouveaux antiviraux est élevé : plus de 80 000 $ par patient. Les antiviraux qui étaient disponibles à l’époque où le Dr Paradis a donné son opinion étaient chers, mais un peu moins chers que la nouvelle génération de médicaments.

[17]           En règle générale, le dossier de la preuve soumis à la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait le tribunal administratif (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19 [Association des universités et collèges]).

[18]           Le but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions, et non pas de trancher, par un procès de novo, des questions qui n’ont pas été examinées de façon adéquate quant à la preuve devant le tribunal ou la cour de première instance (Association des universités et collèges, au paragraphe 19, citant les arrêts Gitxan Treaty Society c. Hospital Employees’ Union, [2000] 1 CF 135 (CAF), aux pages 144 et 145; Kallies c. Canada, 2001 CAF 376, au paragraphe 3; Bekker c. Canada, 2004 CAF 186, au paragraphe 11). Comme la Cour d’appel fédérale l’a décidé au paragraphe 20 de l’arrêt Association des universités et collèges :

Le principe général interdisant à notre Cour d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire souffre quelques exceptions reconnues et la liste des exceptions n’est sans doute pas exhaustive. Ces exceptions ne jouent que dans les situations dans lesquelles l’admission, par notre Cour, d’éléments de preuve n’est pas incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif [...]

[19]           La Cour d’appel a reconnu trois exceptions au principe général interdisant l’admission de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire : (i) un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire; (ii) un affidavit qui est nécessaire pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif; (iii) un affidavit qui fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée.

[20]           À moins d’avoir été soumis uniquement à titre d’information générale, le témoignage du Dr Dobie concernant les récentes percées dans le développement de médicaments antiviraux ne fait pas partie des exceptions à l’interdiction générale d’accepter de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Dans la mesure où le Dr Dobie confirme ou résume la preuve qui était devant la SAI, il convient mieux que la preuve soit soumise par l’avocat. Dans tous les cas, le témoignage du Dr Dobie est en grande partie non pertinent. Il est incontestable qu’il est coûteux de traiter l’hépatite C chronique, ou que le traitement de cette maladie chez un patient constitue un fardeau excessif pour le système de santé canadien selon la définition du Règlement. L’affidavit du Dr Dobie est par conséquent inadmissible en l’espèce.

B.                 L’examen par la SAI des facteurs d’ordre humanitaire était-il raisonnable?

[21]           Les décisions de la SAI relatives à l’interdiction de territoire du demandeur pour des raisons de santé sont sujettes à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Aleksic c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1285, au paragraphe 18). La Cour interviendra uniquement si la décision de la SAI n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[22]           Mme Kharlan fait valoir que l’examen par la SAI des facteurs d’ordre humanitaire était déraisonnable pour deux raisons : elle a abordé les facteurs d’ordre humanitaire de façon segmentée, plutôt que de les prendre dans leur ensemble; et elle a appliqué à tort un critère élevé à la suffisance des motifs d’ordre humanitaire en se fondant sur l’hypothèse erronée que les problèmes médicaux de M. Margulyan sont graves.

[23]           Mme Kharlan se fonde sur la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]. Ce jugement a été rendu après la décision de la SAI, mais la Cour est tenue d’appliquer la loi telle qu’elle existe aujourd’hui (Gechuashvili c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 365, au paragraphe 16).

[24]           L’arrêt Kanthasamy portait sur le paragraphe 25(1) de la LIPR, lequel permet au ministre d’octroyer la résidence permanente lorsqu’il estime que « des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ». La Cour suprême a conclu au paragraphe 60 que les circonstances justifiant la prise de mesures varieront selon les faits et le contexte de chaque dossier, mais que l’agent appelé à se prononcer sur existence de considérations d’ordre humanitaire « doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance » et décider si, compte tenu de l’objectif humanitaire du paragraphe 25(1) de la LIPR, la « preuve considérée dans son ensemble justifiait une dispense » (souligné dans l’original).

[25]           Mme Kharlan dit que l’arrêt Kanthasamy a modifié le critère que la SAI doit appliquer. Le ministre répond que la décision de la Cour suprême se limite à l’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. En tout état de cause, le ministre soutient que la décision de la SAI est conforme à la norme exposée dans Chirwa c. Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration), (1970), 4 A.I.A. 338 (Comm. d’appel de l’immigration), à la page 350 [Chirwa]. Le ministre fait remarquer que la SAI a appliqué le critère issu de la décision Chirwa pendant des décennies, et que la décision a été citée avec approbation dans l’arrêt Kanthasamy (aux paragraphes 13, 30 et 31).

[26]           À mon avis, l’arrêt Kanthasamy n’a pas fondamentalement changé la nature de l’évaluation qui doit être menée par la SAI. L’alinéa 67(1)c) de la LIPR prévoit que la SAI peut accueillir un appel si les motifs d’ordre humanitaire sont suffisants pour justifier une mesure spéciale « à la lumière de toutes les circonstances de l’espèce ». La disposition prévoit donc déjà une évaluation holistique de toutes les considérations d’ordre humanitaire. Avant l’arrêt Kanthasamy, il était toujours loisible à un demandeur de faire valoir que la décision de la SAI était déraisonnable du fait que les facteurs d’ordre humanitaire étaient pris en considération de façon isolée et non dans leur ensemble.

[27]           La critique formulée par Mme Kharlan est essentiellement que la SAI a omis d’indiquer explicitement qu’elle avait examiné les facteurs d’ordre humanitaire dans leur ensemble. Elle ne conteste pas l’analyse et les conclusions de la SAI quant à chacun des facteurs.

[28]           Je suis convaincu que la SAI a porté son attention sur tous les facteurs d’ordre humanitaire pertinents conformément à la décision Chirwa. Ceux-ci comprenaient l’établissement de Mme Kharlan au Canada, ses liens étroits avec ses parents, la situation des membres de sa famille au Canada, l’absence de toute dépendance financière entre Mme Kharlan et ses parents, l’intérêt supérieur des enfants de Mme Kharlan, la nature de la relation entre ses parents et ses enfants, et l’objectif de la LIPR de réunir des familles. La SAI a noté que les ressortissants israéliens n’avaient pas besoin de visa pour se rendre au Canada. En effet, les parents de Mme Kharlan se rendent au Canada chaque année pendant environ deux mois. La SAI a fait remarquer qu’ils pouvaient rester plus longtemps, mais qu’ils avaient choisi de ne pas le faire par le passé.

[29]           Je ne suis pas convaincu que la SAI a omis de tenir compte de l’ensemble des facteurs d’ordre humanitaire avancés par Mme Kharlan. Même si l’approche de la SAI (principalement son utilisation de rubriques distinctes) a pu donner l’impression d’une analyse segmentée, il est irréaliste de penser qu’un examen plus ouvertement holistique de la preuve aurait donné un résultat différent. Les facteurs d’ordre humanitaire avancés par Mme Kharlan ne sont pas, en tout état de cause, particulièrement convaincants.

[30]           À la rubrique « Gravité de l’obstacle juridique », la SAI a noté que M. Margulyan avait de longs antécédents de maladie hépatique, qu’il avait été infecté par l’hépatite C en 2002 à la suite d’une transfusion sanguine, et que les coûts associés à son état de santé étaient potentiellement importants. Pour cette raison, la SAI a jugé que l’appelant devait atteindre un [traduction] « degré élevé de motifs d’ordre humanitaire » pour avoir droit à des mesures spéciales aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

[31]           Selon le ministre, cette approche est systématiquement appliquée par la SAI, et est définie dans l’arrêt Jugpall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] DSAI 600, aux paragraphes 23 et 24. Conformément à cette norme, les motifs d’ordre humanitaire doivent être proportionnés à l’obstacle à l’admissibilité qui doit être surmonté. Mme Kharlan ne critique pas le fait que la SAI s’est fiée à ce critère. Elle fait plutôt valoir que la SAI a déraisonnablement appliqué le [traduction] « degré élevé » lors de l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire en s’appuyant sur son [traduction] « hypothèse erronée à propos de l’état de santé de son père ».

[32]           Cette affirmation est problématique parce que les rapports de la Dre Dotan et de la Dre Yulia Ron éclairent très peu sur les besoins à long terme de M. Margulyan en matière de soins de santé. Les déclarations selon lesquelles [traduction] « il n’est pas candidat à une transplantation du foie » et [traduction] « aucun traitement médical n’est actuellement requis » n’abordent pas ses besoins en matière de soins de santé sur une période de cinq à dix ans, soit la période pertinente pour l’évaluation conformément au Règlement. La Dre Dotan a évalué le risque de carcinome hépatocellulaire chez M. Margulyan à [traduction] « faible, mais existant », et a évalué que sa fibrose [traduction]  « progressait lentement ». Toutefois, cela ne porte pas atteinte à la conclusion du Dr Paradis selon laquelle le pronostic global de M. Margulyan demeure [traduction] « réservé ». Le Dr Paradis a noté que M. Margulyan continuera d’avoir besoin d’un suivi médical rigoureux pour s’assurer que la maladie ne progresse pas et qu’il devra finalement subir des hospitalisations répétées dans une unité de soins spécialisés si son état de santé continue de se dégrader.

[33]           Je ne peux pas reprocher à la SAI sa décision d’accorder peu de valeur probante au rapport de Mme Marinic-Jaffer, une étudiante en droit qui a donné son opinion sur les coûts qu’engendrerait le traitement médical de M. Margulyan au Canada. La SAI a raisonnablement conclu qu’elle n’était pas une professionnelle de la santé. Mme Kharlan a fait valoir que Mme Marinic-Jaffer exprimait un point de vue économique plutôt que médical. Cependant, son rapport était fondé sur l’hypothèse que M. Margulyan ne nécessiterait qu’une surveillance, une hypothèse qui n’a pas été étayée par la preuve médicale.

[34]           Enfin, une lettre d’intention qui confirme l’intention qu’a une personne de ne pas être un fardeau pour le régime public n’est pas exécutoire au Canada (Ma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 131, au paragraphe 26, citant l’arrêt Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 271, au paragraphe 46). Il était donc raisonnable pour la SAI d’accorder peu d’importance à l’offre faite par la famille de M. Margulyan.

VI.             Conclusion

[35]           Pour les motifs qui précèdent, je suis convaincu que les conclusions de la SAI étaient raisonnables et étayées par la preuve. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

VII.          Question à certifier

[36]           Mme Kharlan a proposé la certification des deux questions aux fins d’appel conformément à l’alinéa 74d) de la LIPR. La première concerne la norme de contrôle applicable au choix qu’a fait la SAI du critère juridique pour l’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. La seconde consiste à déterminer si la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy exige de la SAI qu’elle mène son évaluation des motifs d’ordre humanitaire d’une manière holistique.

[37]           La Cour peut certifier une question que si elle est permet de trancher l’appel; transcende les intérêts des parties au litige; vise des sujets très importants ou d’application générale; et découle de l’affaire elle-même (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 10 à 12; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, inf. pour d’autres motifs 2015 CSC 61; Liyanagamage c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] ACF no 1637, 176 NR 4).

[38]           Mme Kharlan ne s’oppose pas à la proposition voulant que les motifs d’ordre humanitaire soient proportionnés à l’obstacle à l’admissibilité qui doit être surmonté. Elle fait plutôt valoir que la SAI a appliqué à tort le [traduction] « degré élevé » lors de l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire en s’appuyant sur son [traduction] « hypothèse erronée à propos de l’état de santé de son père ». Il s’agit clairement d’une question de fait et de droit qui commande l’application de la norme de la décision raisonnable.

[39]           En ce qui concerne la seconde question proposée, j’ai conclu que la SAI est tenue de procéder à une évaluation holistique des facteurs d’ordre humanitaire avancés par un demandeur en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. L’arrêt Kanthasamy n’a pas changé la nature de l’analyse que la SAI doit faire à cet égard. Par conséquent, je refuse de certifier la seconde question.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5162-15

 

INTITULÉ :

EVGENIYA KHARLAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Dan Miller

 

Pour la demanderesse

 

Kristina Dragaitis

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dan Miller

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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