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Date : 20160614


Dossier : T-790-16

Référence : 2016 CF 658

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2016

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

MICHAEL ARNOLD CACHAGEE

demandeur

et

MARILYNE DOYLE (NÉE GAGNON), EN SA QUALITÉ DE PRÉSIDENTE D’ÉLECTION; PATRICIA TANGIE, EN SA QUALITÉ DE PRÉSIDENTE D’ÉLECTION ADJOINTE; STEPHANIE SCOTT, À TITRE DE DIRECTRICE DU SCRUTIN POUR LA PREMIÈRE NATION DES CRIS DE CHAPLEAU; JOHN DOE, À TITRE DE MEMBRE DU COMITÉ D’APPEL; JOHN DOE, À TITRE DE MEMBRE DU COMITÉ D’APPEL DE LA PREMIÈRE NATION DES CRIS DE CHAPLEAU;

CHEF KEITH CORSTON, CHEF DE LA PREMIÈRE NATION DES CRIS DE CHAPLEAU;

LA CHAPLEAU CREE FIRST NATION (PREMIÈRE NATION DES CRIS DE CHAPLEAU)

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               M. Michael Arnold Cachagee (M. Cachagee) demande une injonction interlocutoire pour annuler le processus de nomination et l’élection de la Première Nation des Cris de Chapleau, prévue le 10 juin 2016, jusqu’à l’audition de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. Ma compétence dans cette affaire se limite à déterminer si j’accorde l’injonction interlocutoire.

[2]               M. Cachagee prétend que sa nomination était adéquate en tant que candidat à l’élection prévue de la Première Nation des Cris de Chapleau. Selon lui, il a été dûment mis en candidature pour l’un des deux postes de « conseiller sur la réserve » le 9 avril 2016 lors d’une réunion de nomination dûment convoquée. Lors de cette réunion, la présidente d’élection et la directrice du scrutin ont soulevé la possibilité que M. Cachagee ne satisfasse pas à l’obligation de résidence. Cependant, aucune décision d’inadmissibilité n’a été rendue. Il prétend que toute contestation de sa nomination aurait dû avoir eu lieu et avoir été réglée lors de cette réunion. Mais les événements ne se sont pas déroulés ainsi.

[3]               Le 13 avril 2016, M. Cachagee a reçu un avis l’informant que sa nomination avait été rejetée parce qu’il ne satisfaisait pas à l’obligation de résidence conformément au code d’élection de la Première Nation des Cris de Chapleau. Il a déposé un appel le 18 avril 2016. Cet appel a été rejeté le 25 avril. M. Cachagee prétend qu’il a demandé, sans les recevoir, le nom des membres du comité d’appel. De plus, il prétend que le comité d’appel a reçu des documents concernant son état de résidence auxquels il n’a pas pu avoir accès. Pour reprendre le langage de son avocat, M. Cachagee considère que la procédure d’appel équivalait à un tribunal de l’Inquisition.

[4]               Le nom de M. Cachagee n’apparaît pas sur les bulletins de vote qui ont été distribués le 27 avril aux membres habilités à voter de la Première Nation des Cris de Chapleau. Parmi les membres, on compte 372 électeurs hors réserve et 49 électeurs dans la réserve. Le scrutin par anticipation s’est déroulé le 4 juin 2016.

[5]               Étant donné que le processus de nomination a déjà eu lieu, je n’ai aucune compétence pour accorder une injonction interlocutoire relativement à cette procédure. À l’heure actuelle, la seule mesure de redressement possible dont je dispose consiste à accorder à M. Cachagee sa demande d’injonction pour annuler la tenue de l’élection. Je remarque, cependant, qu’il convient de considérer les questions ayant trait au processus de nomination pour examiner la demande d’injonction dont je suis saisi.

[6]               M. Cachagee doit répondre au critère en trois étapes, comme le décrit la décision RJR-MacDonald inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, et d’autres décisions, critère qui est plutôt bien établi en common law et en droit autochtone au Canada aujourd’hui. Essentiellement, selon le critère en trois étapes, M. Cachagee doit démontrer la gravité de l’affaire, qu’il subira un préjudice irréparable s’il n’obtient pas gain de cause et que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi de l’injonction.

[7]               En l’espèce, je suis convaincu que M. Cachagee soulève une question sérieuse à juger. À tout le moins, si l’on écarte pour l’instant le motif du rejet de la nomination, le fait d’être nommé candidat à la sortie d’une réunion de nomination pour ensuite apprendre quatre ou cinq jours plus tard le rejet de sa candidature constitue une question importante à juger. Il en va de même pour la question de savoir si on peut avoir droit de connaître la constitution du comité d’appel et de connaître le calendrier des délibérations, les participants à ces délibérations et si les informations supplémentaires dont ce comité dispose peuvent ne pas être divulguées à M. Cachagee.

[8]               Pour ce qui est du préjudice irréparable, il faut que le tort causé à M. Cachagee soit irréparable. Si la jurisprudence diverge quant aux mesures de redressement dont disposerait M. Cachagee en pareilles circonstances, je ne suis pas convaincu que le préjudice causé à M. Cachagee est irréparable à ce stade-ci ni dans le futur. À cet égard, j’aimerais citer et adopter la méthode énoncée dans la décision Gopher c. Première nation de Saulteaux, 2005 CF 481, [2005] ACF no 599, citée par l’avocat des défendeurs.

[9]               Je suis d’avis que M. Cachagee continue d’avoir le droit de contester la tenue de cette élection. Je suis d’avis qu’un tribunal pleinement informé de tous les facteurs aurait la compétence de déterminer la légalité de l’élection en l’espèce et de concevoir une mesure de redressement appropriée s’il concluait à l’illégalité du processus électoral, peu importe le stade, possiblement le processus de nomination. C’est parce que je suis de cet avis que je ne peux conclure à un préjudice irréparable envers M. Cachagee.

[10]           Étant donné que le critère à trois étapes est conjoint, il ne m’est pas nécessaire d’examiner la prépondérance des inconvénients et, normalement, je n’aurais pas à le faire si j’avais conclu que l’un des volets du critère n’était pas satisfait. Cependant, dans les présentes circonstances, je considère important que M. Cachagee et les défendeurs saisissent bien mes préoccupations à l’égard de la prépondérance des inconvénients. Comme on dit, en langage familier, « le mal est déjà fait ». Les bulletins de vote ont été transmis le 27 avril et certains ont été remplis. De même, le vote par anticipation a déjà eu lieu. Le scrutin est déjà en cours et la tenue de l’élection le 10 juin prochain ne sera que le troisième et dernier stade du scrutin. Il serait erroné, à mon avis, d’octroyer une injonction au stade actuel des choses. La prépondérance des inconvénients me fait pencher pour la tenue de l’élection prévue le 10 juin pour permettre le déroulement des activités de la Première Nation des Cris de Chapleau. Les mesures de redressement que M. Cachagee chercherait à obtenir concernant les résultats de cette élection, quelles qu’elles soient, n’affectent en rien le jugement que je rends aujourd’hui.

[11]           Pour résumer, bien que je considère qu’il y a une affaire sérieuse à juger, et même plusieurs, je ne suis pas convaincu que M. Cachagee a établi qu’il y a eu un préjudice irréparable ni que la prépondérance des inconvénients permet d’accorder l’injonction demandée.

[12]           J’examine à présent la question des dépens. Bien que la question doive être examinée plus à fond par la Cour lors d’un contrôle judiciaire, j’ai eu l’occasion d’entendre les plaidoiries de M. Cachagee et de la Première Nation des Cris de Chapleau et j’ai lu les déclarations sous serment. Bien que ces éléments de preuve seront soumis à un contre-interrogatoire lors d’une audition à venir, il m’en reste une impression des événements qui se sont déroulés lors du processus de nomination et ultérieurement. Les défendeurs maintiennent que les dépens doivent être à la charge de M. Cachagee puisqu’il est débouté et aussi en raison de la multitude des défendeurs qu’il a nommés dans sa plaidoirie. M. Cachagee refuse d’accepter les dépens en partie parce que, selon lui, il a été forcé d’intenter une action contre bon nombre de personnes étant donné qu’il ne pouvait pas déterminer l’identité des membres du comité d’appel. Vu ces circonstances, je ne suis pas d’avis que la requête n’aurait pas dû être présentée et je ne suis pas d’avis que cette requête est frivole et vexatoire. Par conséquent, je n’adjuge pas les dépens.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que cette demande d’injonction interlocutoire, dossier numéro T-790-16, soit rejetée sans dépens.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-790-16

 

INTITULÉ :

MICHAEL ARNOLD CACHAGEE c. MARILYNE DOYLE (NÉE GAGNON), EN SA QUALITÉ DE PRÉSIDENTE D’ÉLECTION; PATRICIA TANGIE, EN SA QUALITÉ DE PRÉSIDENTE D’ÉLECTION ADJOINTE; STEPHANIE SCOTT, À TITRE DE DIRECTRICE DU SCRUTIN POUR LA PREMIÈRE NATION DES CRIS DE CHAPLEAU;

JOHN DOE, À TITRE DE MEMBRE DU COMITÉ D’APPEL; JOHN DOE, À TITRE DE MEMBRE DU COMITÉ D’APPEL DE LA PREMIÈRE NATION DES CRIS DE CHAPLEAU; CHEF KEITH CORSTON, CHEF DE LA PREMIÈRE NATION DES CRIS DE CHAPLEAU;

LA CHAPLEAU CREE FIRST NATION (PREMIÈRE NATION DES CRIS DE CHAPLEAU)

LIEU DE L’AUDIENCE :

(TENUE PAR VOIE DE TÉLÉCONFÉRENCE) :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juin 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Eric Hovius

 

Pour le demandeur

Cathy Guirguis

 

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

AB Law Professional Corporation

Cambridge (Ontario)

 

Pour le demandeur

Olthuis Kleer Townshend, s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour les défendeurs

 

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