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Date : 20160609


Dossier : T-656-14

Référence : 2016 CF 643

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2016

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

RUSSELL J. GORDON

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Russell Gordon demande le contrôle judiciaire d’une décision d’une déléguée du ministre d’annuler une partie, mais pas la totalité, de l’intérêt qu’il devait en vertu de la Loi sur la taxe d’accise.

[2]               L’intérêt couru en litige résulte d’une erreur commise par M. Gordon et une entreprise associée, Coastal Collision, quant à savoir qui d’entre eux devait assumer la responsabilité de percevoir et de verser la TPS/TVH applicable sur la vente de véhicules qu’ils vendaient en association. En s’en remettant aux conseils de chacun de leurs comptables, M. Gordon et Coastal Collision ont mené leurs activités en croyant à tort qu’il incombait à Coastal Collision de verser les taxes. En conséquence, une nouvelle cotisation a été établie pour M. Gordon, qui s’est vu imputer de l’intérêt sur les versements de TPS/TVH qui étaient, selon la cotisation, dus par celui-ci.

[3]               M. Gordon a alors présenté une demande au ministre pour que l’intérêt résultant de sa nouvelle cotisation soit annulé. M. Gordon a fait valoir qu’il était injuste de lui imposer de l’intérêt sur les paiements de TPS/TVH qui étaient en la possession de l’Agence du revenu du Canada (« ARC »), considérant que ceux-ci avaient été versés en entier et à temps, mais par la mauvaise partie.

[4]               La déléguée du ministre n’a toutefois pas souscrit à cet argument. Elle a conclu qu’elle ne pouvait accorder à M. Gordon l’allègement total qu’il recherchait, puisque les lignes directrices pertinentes de l’ARC ne lui permettaient que d’examiner la possibilité d’annuler la partie de l’intérêt dû dépassant 4 % de la valeur de la taxe n’ayant pas été dûment perçue. Par conséquent, la déléguée du ministre n’a accordé à M. Gordon qu’un allègement partiel.

[5]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la déléguée du ministre avait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en concluant qu’elle ne pouvait qu’examiner la possibilité d’annuler une partie de l’intérêt dû par M. Gordon. La demande de contrôle judiciaire de M. Gordon sera donc accueillie.

I.                   Contexte

[6]               Dès 2008, M. Gordon commence à faire l’achat et l’importation de plusieurs véhicules à l’aide du permis de concessionnaire de Coastal Collision, un concessionnaire d’automobiles de la région. M. Gordon remettait les véhicules à neuf, qui étaient ensuite vendus par le concessionnaire de Coastal Collision.

[7]               Dans le cadre de cet arrangement, M. Gordon et Coastal Collision ont chacun consulté leurs comptables sur la question de savoir qui d’entre eux assumait la responsabilité de percevoir et de verser la TPS/TVH applicable sur la vente de ces véhicules. Les comptables des deux parties ont donné la même réponse, soit qu’il incombait à Coastal Collision de payer la TPS/TVH. En conséquence, du 1er janvier 2008 au 30 juin 2010, Coastal Collision a perçu et versé la TPS/TVH sur tous les véhicules qu’elle vendait en association avec M. Gordon.

[8]               En 2010, M. Gordon fait l’objet d’une vérification par l’ARC, qui conclut qu’il incombait plutôt à M. Gordon, et non pas à Coastal Collision, de verser la TPS/TVH applicable sur la vente de ces véhicules. Une nouvelle cotisation est donc établie à l’égard de M. Gordon en avril 2011 pour la somme de 46 650,84 $.

[9]               Le 27 octobre 2011, les paiements de TPS/TVH que Coastal Collision avait versés lui sont remboursés. L’entreprise émet ensuite un chèque du même montant à M. Gordon le jour suivant. M. Gordon effectue un paiement partiel de la TPS/TVH qu’il doit le jour même, et verse le reste trois jours plus tard, soit le 31 octobre 2011.

II.                Demande d’allègement de M. Gordon

[10]           En décembre 2012, M. Gordon présente au ministre une demande d’annulation de l’intérêt qu’il doit à la suite de la nouvelle cotisation lui ayant été émise, le tout conformément au paragraphe 281.1(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E.-15. Cette demande d’allègement est rejetée le 17 juillet 2013.

[11]           M. Gordon présente une deuxième demande d’allègement en novembre 2013. Dans cette demande, M. Gordon réclame que le ministre annule tout l’intérêt qu’il doit, à l’exception de la partie de l’intérêt accumulé du 27 au 31 octobre 2011, puisqu’il s’agissait de l’unique période pendant laquelle la taxe due n’était pas en la possession de l’ARC.

[12]           M. Gordon soutient que sa demande d’allègement devrait être accordée considérant que l’intérêt s’était accumulé à la suite d’une « opération sans effet fiscal ». L’expression « opération sans effet fiscal » est définie dans le Mémorandum sur la TPS/TVH 16.3.1 : Réduction des pénalités et des intérêts dans les cas d’opérations sans effet fiscal [ligne directrice 16.3.1] comme étant une opération dans laquelle un fournisseur fait défaut de percevoir et de verser la TPS/TVH auprès d’une partie elle-même inscrite aux fins de la TPS/TVH qui aurait eu droit à un crédit de taxe sur les intrants intégral eu égard à l’opération, ou une opération dans laquelle la TPS/TVH est perçue et versée par la mauvaise entité au sein d’un groupe étroitement lié d’entités qui exercent des activités commerciales ou entre des personnes associées.

[13]           Le 12 février 2014, une déléguée du ministre juge que la situation de M. Gordon se qualifie d’opération sans effet fiscal. Elle établit en outre que, conformément à la ligne directrice 16.3.1, la partie de l’intérêt dû par M. Gordon qui dépasse 4 % de la valeur de la taxe n’ayant pas été dûment perçue devait être annulée. Elle conclut toutefois qu’elle ne peut annuler tout l’intérêt dû par M. Gordon, comme il en avait fait la demande, puisque [traduction] « les règles s’appliquant aux opérations sans effet fiscal ne permettent pas ni ne prévoient » qu’elle puisse annuler la partie de l’intérêt dû par M. Gordon qui est inférieure à 4 % de la valeur de la taxe n’ayant pas été dûment perçue.

III.             Le régime législatif et les lignes directrices pertinentes

[14]           Le paragraphe 280(1) de la Loi sur la taxe d’accise impose une responsabilité eu égard aux pénalités et à l’intérêt sur les montants dus au receveur général conformément à la Loi. Le paragraphe 281.1(1) de la Loi accorde cependant au ministre et à son délégué un vaste pouvoir discrétionnaire d’annuler l’intérêt dû par un contribuable, ou d’y renoncer : Guerra c. Canada Agence du revenu, 2009 CF 459, au paragraphe 17, 348 F.T.R. 1.

[15]           Toutefois, la Loi est muette quant à la manière selon laquelle le ministre devrait prendre cette décision, de même qu’à l’égard des critères appropriés qu’il devrait appliquer pour en venir à celle-ci. Par conséquent, l’ARC a élaboré des lignes directrices pour aider le ministre lors de son examen d’une demande d’allègement présentée par un contribuable.

[16]           La première de ces lignes directrices s’intitule Mémorandum sur la TPS/TVH 16.3 : Annulation ou renonciation - Pénalités et/ou intérêts [ligne directrice 16.3], laquelle fournit des directives générales pour toutes les demandes au titre du paragraphe 281.1(1).

[17]           Il convient de noter que la ligne directrice 16.3 prévoit les circonstances dans lesquelles le ministre peut annuler l’intérêt dû par un contribuable, ou y renoncer. Parmi ces circonstances, citons notamment lorsque :

1.                  l’intérêt couru découle de circonstances exceptionnelles indépendantes de la volonté de la personne;

2.                  l’intérêt dû découle principalement des mesures prises par l’ARC; ou

3.                  le contribuable a démontré son incapacité de payer les montants qu’il doit, et l’annulation de l’intérêt dû, ou la renonciation à l’égard de celui-ci, facilitera le recouvrement.

[18]           La deuxième ligne directrice pertinente est la ligne directrice 16.3.1, qui prévoit des directives supplémentaires lorsqu’une demande d’allègement est présentée à l’égard de l’intérêt s’étant accumulé en raison d’une opération sans effet fiscal.

[19]           En plus de définir l’expression « opération sans effet fiscal », la ligne directrice 16.3.1 décrit également les critères à respecter pour que le ministre examine la possibilité d’annuler l’intérêt dû par un contribuable, ou d’y renoncer :

1.                  une opération sans effet fiscal doit s’être produite;

2.                  la personne ne doit pas avoir fait l’objet d’une cotisation antérieure pour la même erreur et elle doit avoir un dossier satisfaisant en matière d’observation volontaire de la Loi;

3.                  la personne doit avoir remédié à la situation afin de s’assurer de sa conformité à l’avenir; et

4.                  la personne ne doit pas avoir été négligente dans l’exécution de ses affaires.

[20]           Lorsque le ministre décide qu’un allègement est justifié, la ligne directrice 16.3.1 énonce que le ministre examinera la possibilité d’annuler la partie de l’intérêt dû, ou d’y renoncer, qui dépasse 4 % de la valeur de la taxe n’ayant pas été dûment perçue. L’objet de la présente affaire porte sur cette disposition.

IV.             Analyse

[21]           M. Gordon conteste la décision de la déléguée du ministre pour le motif qu’il était injuste de lui imposer des intérêts sur des paiements de TPS/TVH qui étaient déjà en la possession de l’ARC. En conséquence, il affirme que la déléguée du ministre a erré en refusant de lui accorder l’allègement complet qu’il avait demandé, à savoir l’annulation de tout l’intérêt qu’il devait, moins l’intérêt sur trois jours, période pendant laquelle l’argent n’était pas entre les mains de l’ARC.

[22]           Le défendeur soutient que M. Gordon n’a pas relevé d’erreur susceptible de révision dans la décision visée par le contrôle et, de surcroît, que la décision est raisonnable. La déléguée du ministre a tenu compte de tous les facteurs pertinents et a accordé à M. Gordon l’allègement approprié dans les circonstances, conformément à la ligne directrice 16.3.1.

[23]           Lors de l’audience, j’ai soulevé la question de savoir si la ligne directrice 16.3.1 entrave l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la déléguée du ministre en la restreignant à n’examiner que la possibilité d’annuler la partie de l’intérêt dû par M. Gordon qui dépasse 4 % de la valeur de la taxe n’ayant pas été dûment perçue. Les parties ont ensuite été invitées à présenter leurs observations sur cette question.

[24]           J’estime qu’il s’agit là de la question déterminante de la présente demande. Ainsi, il est inutile pour moi de déterminer si la décision visée par le contrôle est raisonnable.

A.                La norme de contrôle applicable

[25]           Il existe une certaine confusion quant à la norme de contrôle appropriée à appliquer en matière d’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

[26]           Traditionnellement, une telle entrave était susceptible de révision en se fondant sur la norme de la décision correcte : Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, au paragraphe 33, 366 N.R. 301.

[27]           Par contre, la Cour d’appel fédérale a récemment adopté la position selon laquelle, suivant l’arrêt Dunsmuir, une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire devrait faire l’objet d’une révision selon la norme de la décision raisonnable puisqu’il s’agit d’un type d’erreur de fond. La Cour d’appel fédérale a toutefois veillé à préciser qu’une décision qui découle d’une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire est toujours en dehors du cadre des issues possibles acceptables, et est en soi déraisonnable : Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 FCA 299, aux paragraphes 23 à 25, 425 N.R. 341.

[28]           En l’espèce, il suffit de déclarer que l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire est une erreur susceptible de révision en vertu de l’une ou l’autre des normes de contrôle, et l’issue sera la même, soit l’annulation de la décision : JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, aux paragraphes 71 à 73, 450 N.R. 91; voir aussi Stemijon Investments, précité, au paragraphe 23. Autrement dit, si la déléguée du ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la décision qu’elle a prise devrait être annulée, quelle que soit la norme de contrôle appliquée.

B.                 La déléguée du ministre a-t-elle entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?

[29]           Même si un décideur peut prendre en compte des lignes directrices administratives et, en effet, fonder ses décisions sur celles-ci, il entravera l’exercice de son pouvoir discrétionnaire s’il considère qu’une ligne directrice est contraignante : Première Nation Waycobah c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 191, au paragraphe 28, 421 N.R. 193. Les lignes directrices administratives n’ont pas force de loi. En conséquence, on ne peut s’appuyer sur celles-ci d’une manière telle qu’elles limitent le pouvoir discrétionnaire d’un décideur qui lui est conféré par la loi : Stemijon Investments, précité, au paragraphe 60.

[30]           Après examen des motifs de la déléguée du ministre, il est évident qu’elle croyait être liée par la ligne directrice 16.3.1 eu égard au montant de l’allègement qu’elle pouvait envisager d’accorder à M. Gordon. La déléguée du ministre avait conclu qu’en présence d’une opération sans effet fiscal, [traduction] « l’ARC limitera la partie de l’intérêt dû dépassant 4 % de la TPS/TVH n’ayant pas été dûment perçue ». Elle a également conclu que les [traduction] « règles s’appliquant aux opérations sans effet fiscal ne permettent pas ni ne prévoient » [non souligné dans l’original] qu’elle puisse accorder l’allègement précis demandé par M. Gordon.

[31]           L’avocat du défendeur a reconnu qu’il n’existe aucun fondement législatif au soutien de la conclusion de la déléguée du ministre selon laquelle elle était limitée à examiner la possibilité d’annuler uniquement la partie de l’intérêt dû par M. Gordon qui dépassait 4 % de la valeur de la taxe n’ayant pas été dûment versée. De surcroît, l’avocat a convenu que le pouvoir discrétionnaire accordé par le paragraphe 281.1(1) est suffisamment large pour permettre au ministre, s’il avait conclu qu’il était approprié d’agir ainsi, d’accorder à M. Gordon l’intégralité de l’allègement qu’il avait demandé.

[32]           Ainsi, la déléguée du ministre a, de toute évidence, fondé sa décision de limiter le montant de l’allègement qu’elle pouvait accorder à M. Gordon uniquement sur la ligne directrice 16.3.1 ou, comme elle l’a énoncé, sur les [traduction] « règles s’appliquant aux opérations sans effet fiscal ». Ce faisant, la déléguée a entravé l’exercice du pouvoir discrétionnaire lui étant conféré par le paragraphe 281.1(1) de la Loi. Il s’agit d’une erreur susceptible de révision.

[33]           Le défendeur affirme que la déléguée du ministre n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire puisque l’allègement que prévoit la ligne directrice 16.3.1, à savoir l’annulation de la partie de l’intérêt dû qui dépasse 4 % de la taxe n’ayant pas été dûment perçue, ou la renonciation à celle-ci, ne s’applique que dans l’éventualité où le contribuable ne peut établir un autre fondement à l’allègement, outre que l’existence d’une opération sans effet fiscal, telles que les situations prévues dans la ligne directrice 16.3. Le défendeur fait valoir que la ligne directrice 16.3.1 ne doit pas être considérée comme limitant le montant de l’allègement que le ministre peut envisager d’accorder pour les opérations sans effet fiscal, puisque le ministre peut toujours décider d’accorder un autre allègement si le contribuable est en mesure de démontrer des circonstances supplémentaires qui le justifieraient.

[34]           Je n’accepte pas cet argument pour plusieurs raisons.

[35]           D’abord, bien que cet argument pourrait établir que la ligne directrice 16.3.1 n’empêche pas le ministre d’examiner la possibilité d’accorder un allègement supplémentaire en présence d’autres motifs au soutien de celui-ci, à l’exclusion de l’existence d’une opération sans effet fiscal, il ne traite pas des situations comme celle en l’espèce où l’unique fondement à la demande d’allègement est le fait que l’intérêt dû par le contribuable s’est accumulé en raison d’une opération sans effet fiscal. En effet, si tel était le cas, l’argument du défendeur suggère que le ministre est limité à n’examiner que la possibilité d’accorder l’allègement prévu à la ligne directrice 16.3.1, et qu’il ne pourrait envisager d’annuler tout montant supplémentaire d’intérêt outre la partie qui dépasse 4 % de la taxe n’ayant pas été dûment perçue, ou d’y renoncer.

[36]           Non seulement cette position ne s’appuie sur aucun fondement législatif, mais elle va également à l’encontre de la jurisprudence de notre Cour, qui affirme que le ministre ne peut appliquer une règle uniforme pour tous les contribuables, mais qu’il doit plutôt examiner chaque demande d’allègement à titre individuel et sur la base de ses propres mérites : Guerra, précité, au paragraphe 26; Kaiser c. Ministre du Revenu national (1995), 93 F.T.R 66, au paragraphe 11, [1995] F.C.J. no 349.

[37]           En l’espèce, la déléguée du ministre n’a pas pris en considération les circonstances propres à M. Gordon, notamment son historique en matière d’observation de la Loi, le fait que la TPS/TVH avait été versée rapidement, d’abord par Coastal Collision, puis par M. Gordon, et que l’erreur ne résultait pas de la négligence de M. Gordon, mais plutôt du fait qu’il s’était fié aux conseils professionnels qu’il avait reçus. Tous ces facteurs auraient pu mener la déléguée du ministre à accorder à M. Gordon le montant complet d’allègement qu’il avait demandé si seulement elle s’y était attardée. Elle a plutôt conclu que la ligne directrice 16.3.1 ne lui permettait que d’examiner la possibilité d’annuler la partie de l’intérêt dû qui dépasse 4 % de la valeur de la taxe n’ayant pas été dûment perçue.

[38]           En dernier lieu, je ne peux souscrire à l’argument du défendeur puisqu’il sous-entend que le ministre ou son délégué ne peut envisager d’accorder un allègement à un contribuable qu’en s’appuyant sur les motifs prévus aux lignes directrices pertinentes.

[39]           Une fois de plus, il n’existe aucun fondement législatif au soutien d’une telle limitation du pouvoir discrétionnaire du ministre. Le paragraphe 281.1(1) accorde au ministre un pouvoir discrétionnaire absolu d’accorder aux contribuables un allègement de l’intérêt dû en vertu de la Loi, sans aucune restriction quant aux circonstances dans lesquelles le ministre peut accorder cet allègement ou quant au montant dudit allègement. L’établissement de divers critères dans les lignes directrices 16.3 et 16.3.1 relativement au moment lors duquel le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire ne change rien à cela. Ainsi, contrairement à ce que soutient le défendeur, il est inexact de dire que la ligne directrice 16.3 et la ligne directrice 16.3.1 épuisent toutes les circonstances dans lesquelles le ministre peut envisager d’accorder un allègement à un contribuable.

[40]           Cela ne signifie pas que le ministre ne peut pas avoir recours aux lignes directrices administratives lorsqu’il décide d’accorder ou non un allègement en vertu du paragraphe 281.1(1). Il est, en effet, clairement bénéfique que le ministre prenne en compte ces lignes directrices dans sa décision, puisqu’elles assurent la cohérence, l’équité et la transparence du processus décisionnel : Guerra, précité, aux paragraphes 18 et 19.

[41]           Toutefois, les lignes directrices administratives ne sont pas la loi. Elles ne revêtent qu’un caractère indicatif, et, en conséquence, on ne peut s’appuyer sur celles-ci d’une manière telle qu’elles limitent le pouvoir discrétionnaire que la loi confère au ministre.

[42]           En l’espèce, la déléguée du ministre a considéré que sa décision était liée par la ligne directrice 16.3.1, en concluant qu’elle ne pouvait accorder à M. Gordon l’allègement qu’il demandait puisque les [traduction] « règles s’appliquant aux opérations sans effet fiscal ne permettent pas ni ne prévoient » qu’elle puisse agir ainsi. La déléguée du ministre a plutôt conclu qu’elle devait se limiter à examiner uniquement la possibilité d’annuler la partie de l’intérêt de M. Gordon qui dépassait 4 % de la valeur de la taxe n’ayant pas été dûment perçue. Ainsi, la déléguée du ministre a entravé l’exercice du pouvoir lui étant conféré par le paragraphe 281.1(1) de la Loi. En conséquence, la décision de la déléguée du ministre sera annulée.

V.                Conclusion

[43]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de M. Gordon est accueillie. La décision de la déléguée du ministre est annulée, et l’affaire doit être renvoyée au ministre pour qu’un nouvel examen soit mené conformément aux présents motifs.

 


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire. La décision de la déléguée du ministre est annulée, et l’affaire est renvoyée au ministre pour qu’un nouvel examen soit mené conformément aux présents motifs.

« Anne L. Mactavish »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-656-14

 

INTITULÉ :

RUSSELL J. GORDON c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Russell J. Gordon

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Caitlin Ward

Heidi Collicutt

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Pour le défendeur

 

 

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