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Date : 20160628


Dossier : IMM-5429-15

Référence : 2016 CF 728

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

SVITLANA KIVALO ET IVAN KIVALO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs, Svitlana Kivalo et son fils, sollicitent le contrôle judiciaire, aux termes de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) le 16 novembre 2015, qui a rejeté leur appel à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) et confirmait qu’ils n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]               Les demandeurs ont présenté une demande d’asile au motif que Mme Kivalo craignait de subir des violences de la part de son ancien conjoint de fait, Igor. La SAR a jugé que le compte rendu que Mme Kivalo a fait au sujet de la relation qu’elle entretenait avec Igor n’était pas crédible à la lumière de l’ensemble de la preuve et que son retard à demander l’asile nuisait à sa crédibilité. La SAR a également souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle Mme Kivalo manquait généralement de crédibilité, une conclusion qui s’étendait à toutes les parties de son témoignage.

[3]               Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas suffisamment évalué la preuve et qu’elle s’est contentée de s’en remettre à l’analyse microscopique faite par la SPR, d’où les conclusions déraisonnables en matière de crédibilité, et que la preuve dans son ensemble soutient le récit de Mme Kivalo selon lequel elle avait été maltraitée par Igor.

[4]               La demande est rejetée pour les motifs qui suivent. La SAR a procédé à une évaluation indépendante de la preuve comme cela est exigé et a tiré des conclusions raisonnables quant à la crédibilité. Il était raisonnable pour la SAR de s’en remettre aux conclusions de la SPR en matière de crédibilité sur les questions en litige pour lesquelles la SPR avait eu l’avantage d’entendre le témoignage et les explications des demandeurs.

I.                   Contexte

[5]               Les demandeurs sont des citoyens de l’Ukraine. Ils sont arrivés au Canada en juin 2014 en possession de visas valides, lesquels ont été prorogés et ont finalement expiré le 3 avril 2015. Ils ont demandé l’asile en mars 2015.

[6]               La demande des demandeurs repose sur la crainte et le préjudice de violence familiale par l’ancien conjoint de fait de Mme Kivalo, Igor. Mme Kivalo raconte qu’elle a rencontré Igor peu de temps après le décès de son mari en 2006. Elle s’est mariée avec Igor à l’église dans l’année qui a suivi le décès de son mari. Elle explique qu’il est mal vu d’entretenir une nouvelle relation si rapidement et que le mariage n’a jamais été enregistré auprès de l’État.

[7]               Mme Kivalo affirme qu’Igor est devenu violent en 2008 et relate des agressions physiques et sexuelles.

[8]               En juin 2014, Mme Kivalo a quitté l’Ukraine avec son plus jeune fils. Ses enfants adolescents sont restés en Ukraine avec sa sœur. Les demandeurs sont arrivés au Canada en possession de visas temporaires qui ont ensuite été renouvelés pour faciliter leur départ du Canada. Ils ont ensuite demandé l’asile en mars 2015, affirmant qu’Igor avait menacé Mme Kivalo et agressé sa sœur en février 2015.

La décision de la SPR

[9]               La SPR a conclu que Mme Kivalo n’était pas une témoin crédible en raison de plusieurs omissions et des incohérences dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), qui ne sont pas raisonnablement expliquées; de l’absence de preuve convaincante en ce qui concerne sa relation avec Igor; et, du retard à demander l’asile, à savoir juste avant que son visa temporaire expire.

[10]           La SPR a conclu que les documents fournis par Mme Kivalo pour corroborer sa demande d’asile ne suffisaient pas à surmonter les problèmes de crédibilité. La SPR a souligné ce qui suit :

  • Le certificat de résidence indique qu’Igor cohabite avec Mme Kivalo, mais n’établit pas sa relation avec elle ou qu’il était violent.
  • Les livrets médicaux étaient rédigés à la main et l’identité de l’auteur n’a pas pu être vérifiée. Dans le rapport médical de Mme Kivalo sur les blessures subies en Ukraine, il n’y avait que les renseignements qu’elle avait fournis. De plus, elle n’était pas crédible. Le rapport médical de sa sœur ne fournissait aucun renseignement au sujet d’Igor.
  • Il n’y a pas eu de rapport de police à la suite des mesures prises par la police et ces dernières n’étaient pas suffisamment détaillées. La SPR a rejeté l’explication de Mme Kivalo selon laquelle elle pensait qu’il suffisait de dire qu’Igor la battait et qu’elle n’était pas obligée de fournir des détails.

[11]           La SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les documents fournis étaient faux ou frauduleux et elle ne leur a accordé aucun poids.

[12]           La SPR a noté les éléments essentiels de l’évaluation de la crédibilité, y compris les omissions, les incohérences et les imprécisions, et a conclu que Mme Kivalo manquait généralement de crédibilité, une conclusion qui s’étendait à toutes les parties de son témoignage.

II.                La décision faisant l’objet du contrôle

[13]           La SAR a mentionné qu’elle suivrait la décision de la Cour fédérale dans Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, [2014] 4 RCF 811 [Huruglica CF], et qu’elle effectuerait une évaluation indépendante de la preuve, faisant preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR concernant la crédibilité des demandeurs, ainsi que d’autres questions pour lesquelles la SPR jouissait d’un avantage particulier pour tirer ses conclusions.

[14]           La SAR a remis en question la crédibilité de la relation alléguée entre Mme Kivalo et Igor, car aucun document n’a été fourni pour établir l’existence de cette relation. La SAR a conclu que, bien qu’Igor et Mme Kivalo ne fussent pas légalement mariés, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur relation soit mentionnée sur le certificat de résidence.

[15]           La SAR était également d’accord avec la SPR pour dire qu’il n’était pas crédible que Mme Kivalo ait omis son conjoint de fait de ses demandes de visas canadiens, y compris les demandes de prorogation. Mme Kivalo avait vécu avec Igor, alors son conjoint de fait, pendant plusieurs années et, bien que le mariage n’ait pas été enregistré, la demande de visa exige que toutes les unions de fait soient répertoriées.

[16]           La SAR a conclu que le manque de documentation concernant le mariage à l’église et les années de cohabitation était déterminant.

[17]           En ce qui concerne le témoignage et le manque de connaissance de Mme Kivalo concernant l’utilisation par Igor de son nom patrimonial, ce qui d’après la SPR constituait un fondement pour tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité, la SAR a également conclu que cela indiquait que la description qu’elle a donnée de sa relation avec Igor et les mauvais traitements qu’il lui a infligés n’était pas crédible.

[18]           La SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Kivalo n’avait pas entretenu la relation qu’elle avait allégué avoir avec lui.

[19]           La SAR ne partageait pas la conclusion de SPR selon laquelle les documents médicaux étaient frauduleux. Toutefois, en supposant que les documents médicaux étaient authentiques, la SAR a conclu qu’ils n’établissaient pas et ne corroboraient pas qu’Igor était responsable des blessures de Mme Kivalo, notant que c’était Mme Kivalo qui avait dit au personnel médical qu’Igor était à l’origine de ses blessures. En ce qui concerne les blessures de sa sœur, la SAR a noté que le document ne mentionnait pas qui était l’auteur des blessures. C’est Mme Kivalo qui a déclaré qu’Igor avait causé les blessures; or, elle n’était pas crédible.

[20]           La SAR partage les conclusions de la SPR quant aux mesures prises par la police. La SAR a noté que la demande l’intervention de la police faite en septembre 2012 n’était pas suffisamment détaillée et que l’explication fournie par Mme Kivalo n’était pas crédible. La SAR a également conclu que l’absence de rapports de police pour étayer les enquêtes et les mesures prises était révélatrice. Compte tenu des conclusions quant à la crédibilité, la SAR n’a accordé aucun poids aux documents de la police comme preuve qu’Igor était le responsable des maltraitances ou que les événements s’étaient déroulés comme Mme Kivalo l’avait décrit.

[21]           La SAR a également souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle le retard de Mme Kivalo à demander l’asile ne démontrait pas une crainte subjective de sa situation en Ukraine. Elle a uniquement présenté une demande d’asile lorsqu’elle a été confrontée à une expulsion du Canada.

III.             Les questions en litige

[22]           La seule question en litige est de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[23]           Les demandeurs font valoir que la SPR a commis une erreur dans son appréciation de la preuve et qu’elle s’en est remise aux conclusions de la SPR concernant la crédibilité des demandeurs.

IV.             La norme de contrôle

[24]           La SAR doit instruire un appel de la décision de la SPR. La Cour procède à un contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[25]           Dans le récent arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 103, [2016] ACF no 313 (QL) [Huruglica CAF], la juge Gauthier a levé l’incertitude concernant la norme de contrôle que doit appliquer la SAR. Celle-ci doit s’acquitter de son rôle de tribunal d’appel et appliquer la norme de la décision correcte lorsqu’elle examine une décision de la SPR.

[26]           Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité méritent le respect, mais l’arrêt Huruglica CAF n’impose pas une seule norme de contrôle. La juge Gauthier a décrit plusieurs scénarios aux paragraphes 69 à 73, qui soulignent les situations où la SAR doit faire preuve de déférence envers la décision de la SPR et, subsidiairement, où la SAR doit faire preuve de prudence en substituant sa décision.

[27]           La juge Gauthier a mentionné, au paragraphe 70, la question à savoir s’il y a lieu de faire preuve de respect envers la décision de la SPR : « Dans chaque cas, la SAR doit rechercher si la SPR a joui d’un véritable avantage et si, le cas échéant, elle peut néanmoins rendre une décision définitive relativement à une demande d’asile. » La juge Gauthier a ajouté ce qui suit au paragraphe 74 : « La SAR devrait avoir la possibilité d’établir sa propre jurisprudence à ce sujet; il n’est donc pas nécessaire que je lui donne des précisions sur le degré de déférence commandé par chaque affaire. »

[28]           En l’espèce, la SAR n’a pas bénéficié des enseignements de la Cour d’appel fédérale et a été guidée par la décision de la Cour dans la décision Huruglica CF. Cependant, l’exigence d’une évaluation indépendante de la preuve confirmée par la Cour d’appel a été établie dans la décision de la Cour fédérale. La SAR a indiqué qu’elle procéderait à une évaluation indépendante et qu’elle ferait preuve de retenue à l’égard des conclusions tirées par la SPR sur la crédibilité lorsque la SPR a joui d’un avantage.

[29]           Les décisions de la SAR sur des questions de fait, y compris la crédibilité, et sur des questions mixtes de faits et de droit sont également examinées selon la norme de la décision raisonnable.

[30]           La norme de la raisonnabilité porte sur « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi que sur « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). La Cour ne réévaluera pas la preuve et ne changera pas la décision.

V.                Les arguments des demandeurs

[31]           Les demandeurs font valoir qu’il y avait suffisamment de preuves crédibles pour étayer leurs allégations et que la SAR s’en est remise à l’analyse microscopique effectuée par la SPR et n’a pas estimé que cumulativement, la preuve soutenait le récit de Mme Kivalo selon lequel elle avait été maltraitée par Igor. En particulier, la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve corroborants, y compris le livret médical, en raison de ses conclusions sur la crédibilité et a commis une erreur en concluant que le retard de Mme Kivalo à demander l’asile démontrait l’absence de crainte subjective.

[32]           Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en concluant que le témoignage de Mme Kivalo n’était pas crédible puisqu’elle n’a pas considéré les documents médicaux comme des éléments de preuves corroborants pertinents. Les demandeurs attirent l’attention sur les notations relatives aux blessures de Mme Kivalo qui étaient contemporaines à son récit de violence, y compris plusieurs avortements qu’Igor l’a forcée à subir.

[33]           Les demandeurs ajoutent que la SAR a déraisonnablement rejeté la preuve de la police qui corrobore que Mme Kivalo avait porté plainte auprès de la police pour violences de la part d’Igor.

[34]           Les demandeurs font valoir que la SAR aurait dû évaluer et examiner les documents corroborants avant de tirer ses conclusions relatives à la crédibilité, au lieu de se contenter de s’en remettre à la SPR. Les documents corroborants ne peuvent pas être écartés en raison de préoccupations quant à la crédibilité d’un demandeur (Tshibola Kabongo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 313, [2012] ACF no 367 (QL) [Kabongo]).

[35]           Les demandeurs font valoir qu’il était déraisonnable de tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité du fait qu’Igor était inscrit comme cohabitant plutôt que comme conjoint de fait sur le certificat de résidence étant donné que les unions de fait ne sont pas acceptées en Ukraine. En outre, si le certificat de résidence a été remis, ce n’est pas pour établir la relation, mais seulement pour indiquer qu’Igor vivait dans sa maison.

[36]           Les demandeurs font également valoir que leur retard à demander l’asile ne démontrait pas l’absence de crainte subjective. Ils étaient légalement au Canada. Leurs visas avaient été prorogés jusqu’au mois de mars 2015 et ils ne couraient pas le risque d’être renvoyés en Ukraine à ce moment-là.

VI.             Les arguments du défendeur

[37]           Le défendeur soutient que la SAR a procédé à une évaluation indépendante de la preuve et que la décision ultérieure de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica CAF ne change pas le caractère raisonnable de son analyse.

[38]           Le défendeur fait remarquer que la SAR a retenu plusieurs conclusions de la SPR, en particulier sur les questions pour lesquelles la SPR jouissait d’un avantage, y compris les omissions et les incohérences dans le témoignage de Mme Kivalo devant la SPR et le rejet par la SPR de ses explications. La SAR a également procédé à une évaluation indépendante de la preuve documentaire et est parvenue aux mêmes conclusions que la SPR, à l’exception de l’authenticité du livret médical.

[39]           Le défendeur fait remarquer que la SAR a reconnu que les unions de fait n’étaient pas reconnues en Ukraine, mais a raisonnablement conclu qu’Igor n’aurait pas été inscrit comme cohabitant si Mme Kivalo et Igor s’étaient mariés à l’église et s’ils avaient vécu ensemble pendant plus de cinq ans. Le défendeur fait remarquer que Mme Kivalo ne s’est pas abstenue de nommer son conjoint de fait actuel dans sa dernière demande de visa de visiteur.

[40]           Le défendeur conteste l’argument des demandeurs selon lequel, cumulativement, les éléments de preuve ne soutiennent que la conclusion que les blessures de Mme Kivalo avaient été causées par Igor. Si la SAR n’a pas estimé que le livret médical était frauduleux, il était loisible à la SAR de conclure que les documents médicaux ne confirmaient pas qu’Igor était responsable des blessures de Mme Kivalo ou de celles de sa sœur, étant donné qu’elle avait signalé ses blessures au personnel médical et que le document de sa sœur ne donnait pas le nom de la personne qui avait causé les blessures.

[41]           Le défendeur soutient que la SAR n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte du livret médical ou des rapports de police qui ont été déposés comme éléments de preuve corroborants. Le défendeur fait la distinction avec la décision Kabongo; dans cette affaire, la SPR n’avait accordé aucun poids à un mandat d’arrêt qui corroborait les renseignements qui avaient été fournis par le demandeur. Un rapport médical ne corrobore pas nécessairement les allégations du demandeur dans la mesure où le rapport dépend de la crédibilité et de la fiabilité des renseignements que le demandeur a fournis au professionnel de la santé.

[42]           Le défendeur ajoute que la SAR était en droit de prendre en compte le retard des demandeurs à demander le statut de réfugié, ainsi que d’autres facteurs. La SAR a raisonnablement conclu que Mme Kivalo n’avait pas démontré de crainte subjective quant à sa situation en Ukraine, ce qui nuit à sa crédibilité.

VII.          La décision est-elle raisonnable?

[43]           La SAR a procédé à une évaluation indépendante de la preuve au dossier et a retenu plusieurs conclusions de la SPR quant à la crédibilité. Comme je l’ai mentionné précédemment, la SPR a jugé que le témoignage de Mme Kivalo était incohérent, que plusieurs de ses récits étaient invraisemblables, et que plusieurs omissions dans son formulaire Fondement de la demande d’asile et ses explications étaient déraisonnables. La SAR a raisonnablement conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité ou d’autres conclusions, à l’exception de sa conclusion selon laquelle les documents médicaux pouvaient être frauduleux.

[44]           Je ne suis pas d’accord pour dire que la SAR s’est contentée de s’en remettre à l’analyse de la SPR; la SAR a procédé à une évaluation indépendante de tous les éléments de preuve et a fait preuve de déférence à l’égard de la SPR quand il le fallait, compte tenu de l’avantage dont la SPR a joui en entendant le témoignage des demandeurs, les réponses aux questions et les explications.

[45]           Mme Kivalo a fait valoir que les dossiers médicaux de ses blessures, combinés à la preuve de l’intervention de la police, qui ne pouvait faire suite qu’à ses plaintes de violences infligées par Igor, ainsi que son autre preuve, conduisent à la seule conclusion qu’elle a subi les mauvais traitements conjugaux qu’elle a relatés. Cependant, la SAR a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes ou crédibles du mariage de Mme Kivalo avec Igor ou de leur union de fait.

[46]           S’il était impossible pour Mme Kivalo d’inscrire Igor comme partenaire de fait sur son certificat de résidence, le certificat de résidence ne permettait toujours pas d’établir une quelconque relation entre elle et Igor. Comme l’ont indiqué la SPR et la SAR, le certificat a été remis à la fille adolescente de Mme Kivalo et précisait que celle-ci en avait fait la demande. La SAR n’a pas commis d’erreur en remettant en question le certificat de résidence.

[47]           En ce qui concerne l’argument des demandeurs que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve médicale compte tenu de ses doutes quant à la crédibilité et qu’elle aurait dû examiner les éléments de preuve corroborants avant de se prononcer sur la crédibilité des demandeurs, je suis d’accord avec le défendeur qu’on peut établir une distinction avec la décision Kabongo.

[48]           Dans la décision Kabongo, le juge Rennie a conclu que la SPR avait commis une erreur en omettant de tenir compte du fait que le témoignage du demandeur était corroboré par un mandat d’arrestation. Le juge Rennie a conclu ce qui suit : « Or, en ce qui concerne la crédibilité du témoignage livré par le demandeur, le mandat en question était d’une grande pertinence. La Commission ne saurait mettre en doute la crédibilité d’un témoignage sans tenir compte des preuves corroborantes, puis écarter les éléments de preuve produits par le demandeur, en se fondant sur la conclusion à laquelle elle est parvenue quant à sa crédibilité. »

[49]           En l’espèce, la SAR a conclu que Mme Kivalo n’était pas crédible avant de conclure que son livret médical qui faisait état de ses blessures et mentionnait Igor comme étant l’auteur des violences n’était pas crédible. La SAR n’a pas omis de tenir compte du livret médical. Cependant, le fait que le livret médical stipulait que ses blessures (ou certaines de ses blessures) avaient été causées par Igor ne constitue pas un élément de preuve indépendant, contrairement à un mandat d’arrestation. La déclaration faite par Mme Kivalo au personnel médical, à savoir que ses blessures avaient été causées par Igor, ne peut pas corroborer ses autres récits, que la SAR a pris en compte et jugés non crédibles, selon lesquels Igor était à l’origine de ses blessures. La SAR a tiré de nombreuses conclusions défavorables au sujet de la crédibilité de Mme Kivalo et son récit discrédité ne peut pas servir de fondement à la réhabilitation de sa crédibilité.

[50]           Comme le défendeur l’a fait remarquer, la jurisprudence précise que le récit des événements au personnel médical ne rend pas ces événements plus crédibles et que le rapport médical qui en résulte ne peut pas confirmer les allégations de violence. Par exemple, l’arrêt Rokni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 182 (QL), 53 ACWS (3d) 371 (C.F. 1re inst.), et l’arrêt Danailov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1019 (QL), 44 ACWS (3d) 766 (C.F. 1re inst.), la Cour a fait remarquer que le témoignage d’opinion n’est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais.

[51]           De même, la SAR a raisonnablement accordé peu de poids aux mesures prises par la police à la suite des plaintes de Mme Kivalo. Les documents, qui ne sont pas des rapports de police, étaient insuffisants pour établir qu’Igor était l’auteur des violences ou que les événements s’étaient produits comme elle le prétendait.

[52]           La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant que le retard de Mme Kivalo à demander l’asile démontrait une absence de crainte subjective.

[53]           Le juge Zinn a donné un résumé utile du droit en ce qui concerne le retard à demander l’asile dans la décision Gurung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1097, [2010] ACF no 1368 (QL), notant au paragraphe 21 que si un retard à présenter une demande peut constituer un facteur pertinent, un tel retard ne peut automatiquement justifier une conclusion d’absence de crainte subjective. Les circonstances et les explications du retard doivent être prises en considération. Aux paragraphes 22 et 23, le juge Zinn a invoqué la jurisprudence qui a établi le principe selon lequel le fait de posséder un statut temporaire au Canada, et donc de ne pas être susceptible d’être renvoyé sur-le-champ, ne constitue pas un motif suffisant pour expliquer le retard à présenter une demande d’asile, mais il a conclu que les circonstances du statut temporaire doivent être prises en compte pour déterminer si cela démontre une absence de crainte subjective.

[54]           En l’espèce, la SAR a tenu compte de l’explication de Mme Kivalo relativement à son retard à demander l’asile et a conclu qu’elle n’était pas raisonnable. Mme Kivalo était venue au Canada munie d’un visa temporaire qui a été prorogé au moins deux fois, la dernière fois, c’était pour lui permettre de retourner en Ukraine à une date donnée comme cela était prévu. Mme Kivalo n’a mentionné Igor dans aucune de ses demandes de visa ou demandes de prorogation. Ce n’est que lorsqu’elle a été confrontée à l’obligation de quitter le Canada qu’elle a présenté une demande d’asile dans laquelle Igor était cité comme conjoint de fait et auteur de violences.

[55]           En ce qui concerne l’argument des demandeurs, à savoir que cumulativement, il y avait des éléments de preuve suffisants pour soutenir le récit de Mme Kivalo selon lequel elle avait été maltraitée par Igor, je ne suis pas d’accord pour dire que la SAR n’a pas réussi à évaluer correctement la crédibilité de Mme Kivalo dans le contexte de l’ensemble de la preuve. La SAR a tiré de nombreuses conclusions en matière de crédibilité, notamment en ce qui concerne le fait que Mme Kivalo n’a pas nommé Igor dans les demandes de visa, son ignorance du nom patrimonial d’Igor, l’absence de documentation établissant une relation avec Igor et son retard à demander la protection des réfugiés. Aucune de ces conclusions ne portait sur une preuve établissant qu’elle entretenait une relation avec Igor ou que ses blessures avaient été causées par Igor.

[56]           Alors que les demandeurs font valoir qu’il n’y avait pas d’autre conclusion raisonnable, la SAR est raisonnablement parvenue à une conclusion différente. La SAR s’en est également remise à la SPR, en se fondant sur son évaluation du témoignage de Mme Kivalo et de la preuve documentaire, laquelle est allée jusqu’à conclure qu’elle était généralement peu crédible, et ce, dans tous les aspects de sa demande.

[57]           La jurisprudence dans le cadre des contrôles judiciaires des décisions de la SPR et des décisions des autres tribunaux qui ont entendu le témoignage et évalué la crédibilité d’un demandeur orientent la Cour pour qu’elle fasse preuve d’une grande retenue à l’égard de ces conclusions (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, au paragraphe 4, 160 NR 315 (CAF)); Lin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13, [2008] ACF no 1329 (QL); Fatih c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 857, au paragraphe 65, [2012] ACF no 924 (QL)). Je ne vois aucune raison d’adopter une approche différente à l’égard des conclusions sur la crédibilité qui ont été confirmées par la SAR suite à son évaluation indépendante de la preuve qui figure au dossier ou à l’égard du fait que la SAR s’en est remise à l’évaluation faite par la SPR.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5429-15

 

INTITULÉ :

SVITLANA KIVALO ET IVAN KIVALO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Steven Beiles

 

Pour les demandeurs

SVITLANA KIVALO ET IVAN KIVALO

 

Neeta Logsetty

Pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Steven Beiles

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

SVITLANA KIVALO ET IVAN KIVALO

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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