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Date : 20160628


Dossier : IMM-5609-15

Référence : 2016 CF 729

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

RABIA BEGUM

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               Cette Cour a, à plusieurs reprises, conclu qu’il était raisonnable pour la Section de l’immigration [SI] d’arriver à la conclusion que le MQM et/ou le MQM-A étaient des organisations terroristes, au sens de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] (NK c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1377 au para 80 [NK]; Naeem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1069 [Naeem]; Mohiuddin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 51 [Mohiuddin]). De faire de la promotion pour attirer de nouveaux adhérents, ou de faire du recrutement pour une telle organisation, en soi-même, rend une personne complice des activités d’une telle organisation.

[34]      Comme cela fut énoncé dans la décision Catal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1517, au paragraphe 8, le critère de complicité est la participation personnelle et consciente avec une intention commune partagée par l'organisation, dans l'une ou l'autre des situations suivantes :

A. s'il s'agit d'une organisation aux fins limitées et brutales, l'appartenance à cette organisation rend la personne complice de ses crimes;

B. s'il s'agit d'une organisation dont la perpétration de crimes est accessoire à la poursuite d'un autre objectif, fondamental, la complicité est déterminée par une analyse des faits, au cas par cas, compte tenu des facteurs suivants adoptés par le juge Hughes dans la décision Bedoya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1092 :

1. La nature de l'organisation

2. La méthode de recrutement

3. Le poste ou le grade au sein de l'organisation

4. La période de temps passée dans l'organisation

5. La possibilité de quitter l'organisation

6. La connaissance des atrocités commises par l'organisation.

(Comme spécifié par le juge Leonard S. Mandamin dans Qureshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 7 [Qureshi])

II.                Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR à l’encontre d’une décision de la SI de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié portant sur la validité d’un Rapport d’interdiction de territoire, rédigé en conformité avec le paragraphe 44(1) de la LIPR.

III.             Faits

[3]               La demanderesse, Rabia Begum (70 ans), est citoyenne du Pakistan.

[4]               La demanderesse témoigne dans son affidavit qu’après la séparation du MQM et du MQM-A, elle est devenue membre du MQM-A en 1992. Alors qu’elle appuyait cette organisation, elle aurait principalement fait du travail de charité pour les femmes. En 2006, elle aurait reçu des menaces pour sa sécurité par des membres du MQM-H si elle n’arrêtait pas son implication auprès du MQM. En janvier 2013, la demanderesse aurait été poignardée par des membres du MQM-H. Suite à cette agression, elle a perdu l’usage d’un rein. Le 14 septembre 2014, la demanderesse est arrivée au Canada et a fait une demande d’asile. En janvier 2015, un rapport sous l’article 44 de la LIPR a été rédigé à l’encontre de la demanderesse, dans lequel il est déterminé que la demanderesse est interdite de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Suite à ce rapport, le ministre a déféré l’affaire à la SI; et, dans une décision datée du 26 novembre 2015, la SI a également déterminé que la demanderesse est interdite de territoire.

IV.             Décision contestée

[5]               La SI a, afin de déterminer si la demanderesse était interdite de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, appliqué la norme des « motifs raisonnables de croire », comme mentionnée à l’article 33 de la LIPR.

[6]               La SI a procédé à une analyse en deux étapes afin de déterminer si la demanderesse était membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’actes de terrorisme, soit le MQM et le MQM-A. À la première étape, la SI a déterminé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que la demanderesse était membre du MQM et/ou du MQM-A. La SI, en s’appuyant sur la preuve au dossier, a conclu que la demanderesse, en plus d’être impliquée dans des œuvres de charité, était impliquée politiquement avec ces organisations puisqu’elle avait fait du porte-à-porte et avait fait la promotion de la plateforme électorale du MQM. De plus, une lettre signée par un représentant du MQM, datée de novembre 2014, indique que la demanderesse est un membre permanent du MQM et y travaillait depuis 1992. Au surplus, la demanderesse, dans sa demande d’asile, s’est elle-même identifiée comme étant une employée senior pour le MQM de janvier 1992 à septembre 2014, sans toutefois faire une distinction entre le MQM et le MQM-A. Conséquemment, la SI a déterminé que la demanderesse était membre tant du MQM que du MQM-A.

[7]               Deuxièmement, la SI a déterminé, en s’appuyant sur la définition d’acte de terrorisme dans Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 RCS 3, 2002 CSC 1 [Suresh], qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le MQM et/ou le MQM-A étaient impliqués dans des actes de terrorisme, et ce, même si le MQM ne fait pas partie des entités terroristes inscrites, au sens de la Loi antiterroriste, LC 2001, c 41. En somme, la SI a conclu que la demanderesse est inadmissible au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

V.                Points en litige

[8]               La Cour est d’avis que les questions en litige sont :

1.      La SI a-t-elle raisonnablement conclu que la demanderesse était membre du MQM?

2.      La SI a-t-elle raisonnablement conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le MQM et le MQM-A sont, ont été ou seront les auteurs d’actes de terrorisme?

VI.             Position des parties

[9]               La demanderesse est d’avis que la SI a erré en concluant qu’elle était membre du MQM. Elle soumet ne pas avoir été active dans les activités politiques du MQM et ne s’être livrée qu’à du travail de charité. Elle n’a jamais prêté serment au MQM ou accompli les tâches requises pour devenir membre. Au surplus, c’est suite à la scission du MQM que la demanderesse est devenue membre du MQM-A. Quant à la deuxième question, la demanderesse soutient que la SI a erré dans son évaluation des actes commis par le MQM, le MQM-A et le MQM-H. Ainsi, la preuve documentaire ne permet pas de départager quelle faction du MQM a réellement commis les actes de terrorisme reprochés. Le MQM-A n’est pas sur la liste des organisations terroristes aux États-Unis. La SI aurait donc erré en ne distinguant pas les différentes factions du MQM, ainsi qu’en omettant d’énoncer quels actes commis spécifiquement par le MQM-A entreraient dans la définition d’acte de terrorisme au sens de l’arrêt Suresh, ci-dessus.

[10]           De son côté, le défendeur soumet que la SI a raisonnablement conclu que la demanderesse était membre du MQM; et, que le MQM est une organisation terroriste au sens des alinéas 34(1)c) et 34(1)f) de la LIPR. Premièrement, il était raisonnable pour la SI de conclure que la demanderesse était membre du MQM. Tout d’abord, la preuve au dossier démontre que la demanderesse a déclaré, de son propre aveu, être membre du MQM-A. De plus, la définition de membre, au sens de l’alinéa 34(1)f) doit être interprétée au sens large (Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 RCF 297 [Chiau]) – le fait de ne pas avoir prêté serment n’est pas déterminant en soi (Qureshi, ci-dessus). Deuxièmement, il était raisonnable pour la SI de conclure que le MQM est une organisation terroriste. D’abord, la preuve au dossier n’appuie pas la prétention de la demanderesse qu’elle était exclusivement membre du MQM-A. La SI n’avait pas à faire une distinction entre les activités du MQM et du MQM-A (Qureshi, ci-dessus aux para 28-29). De plus, la SI, en s’appuyant sur la définition du terrorisme énoncée dans l’arrêt Suresh, ci-dessus au para 98, a raisonnablement conclu, à l’aide de preuve documentaire objective, que le MQM avait commis des actes de terrorisme. Au surplus, cette Cour a déjà conclu dans plusieurs décisions qu’il était raisonnable pour la SI de conclure que le MQM est une organisation terroriste au sens de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR (voir, par exemple, Memon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 610; Jilani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 758). Finalement, il n’est pas pertinent que le MQM ne soit pas sur les listes d’organisations terroristes aux États-Unis et au Royaume-Uni.

VII.          Analyse

[11]           Les conclusions de la SI, que la demanderesse est membre du MQM et/ou du MQM-A et que le MQM et le MQM-A sont des organisations pour lesquelles il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles sont et ont été les auteurs d’actes de terrorisme, doivent être analysées selon la norme de la décision raisonnable (Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 [Kanagendren]).

[12]           La demanderesse soutient qu’il n’était pas raisonnable pour la SI de conclure que la demanderesse était membre du MQM, en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, puisque cette dernière n’a fait qu’aider des gens dans le besoin au Pakistan et n’était pas active dans les activités politiques du MQM.

[13]           Il importe de rappeler que la norme applicable afin de déterminer si la demanderesse était membre du MQM est celle du « motif raisonnable de croire » (voir l’article 33 de la LIPR; Kanagendren, ci-dessus). L’objet de l’alinéa 34(1)f) portant sur des considérations de sécurité nationale (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2013] 2 RCS 559, 2013 CSC 36 aux para 76 et 78), l’appartenance à une organisation doit être définie de façon large (Kanagendren, ci-dessus au para 27; Nassereddine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 85 au para 49). Ainsi, le mot « membre » à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR ne nécessite pas une adhésion effective ou formelle à l’organisation (Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 RCF 642, confirmé par Chiau, ci-dessus au para 57). Dans ses soumissions, la demanderesse soutient qu’elle ne devrait pas être considérée comme membre du MQM puisqu’elle n’a pas démontré un niveau d’engagement correspondant à ce que le MQM s’attend de ses membres et qu’elle n’était pas membre à part entière, n’ayant pas prêté serment pour devenir membre. Cependant, tant dans son formulaire de demande d’asile [FDA] que lors de son entrevue avec un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC], la demanderesse a volontairement admis être une employée « senior » du MQM, qu’elle participait aux activités politiques du MQM en faisant du porte-à-porte, en distribuant des tracts ainsi qu’en encourageant les gens à aller voter lors de périodes électorales. Il était donc raisonnable, au regard de la preuve au dossier, pour la SI d’arriver à la conclusion à laquelle elle est arrivée.

[14]           Subsidiairement, la demanderesse soutient que la SI a erré en concluant que le MQM est une organisation ayant commis des actes de terrorisme. Ainsi, la SI aurait erré puisque cette dernière n’a pas fait de distinction entre les actes commis par le MQM, le MQM-H et le MQM-A qui satisferaient la définition de terrorisme énoncée dans l’arrêt Suresh, ci-dessus. Néanmoins, comme il a été énoncé par le défendeur, la preuve au dossier démontre que la demanderesse a admis être impliquée tant dans le MQM que dans le MQM-A. Il n’était donc pas nécessaire pour la SI de faire une distinction entre les actes commis par le MQM et le MQM-A.

[15]           Au surplus, il ressort des motifs de la décision que la SI a étudié la preuve documentaire objective; et, en s’appuyant sur ces documents, elle est arrivée à la conclusion que tant le MQM que le MQM-A se sont livrés à des actes de terrorisme, comme définis dans l’arrêt Suresh, ci-dessus. En l’espèce, étant donné que la demanderesse a admis dans son FDA ainsi que lors de son entrevue avec l’agent de l’ASFC avoir été impliquée dans les activités du MQM et du MQM-A, il n’était pas nécessaire pour la SI d’énoncer dans ses motifs quelles activités terroristes étaient attribuées à laquelle des organisations. Un décideur administratif n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif de son raisonnement qui a mené à sa conclusion finale (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62 au para 16; Union internationale des employés des services, local no 333 c Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 RCS 382, p 391). La Cour souscrit également à l’argument du défendeur, qui soutient que cette Cour a, à plusieurs reprises, conclu qu’il était raisonnable pour la SI d’arriver à la conclusion que le MQM et/ou le MQM-A étaient des organisations terroristes, au sens de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR (NK, ci-dessus au para 80; Naeem, ci-dessus; Mohiuddin, ci-dessus). De plus, cette Cour a reconnu que le simple fait qu’une organisation ne soit pas sur la liste des entités terroristes, au sens de la Loi antiterroriste, bien que pertinent, n’est pas en soi suffisant pour arriver à la conclusion que cette entité n’est pas une organisation terroriste au sens de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR (Anteer v Canada (Citizenship and Immigration), 2016 FC 232 aux para 43-47).

VIII.       Conclusion

[16]           La Cour conclut que la décision de la Section de l’immigration est raisonnable. Conséquemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5609-15

 

INTITULÉ :

RABIA BEGUM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Claude Whalen

 

Pour la partie demanderesse

 

Simone Truong

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Claude Whalen

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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