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Date : 20160624


Dossier : IMM-5413-15

Référence : 2016 CF 721

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2016

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

KUMARASRI SIVAPATHAM MANCHUSASHINY PONNUTHURAI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Les demandeurs, Kumarasri Sivapatham et Manchusashiny Ponnuthurai, ont présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAI a rejeté l’appel que M. Sivapatham avait interjeté contre le refus, par un agent des visas, de sa demande de parrainage de son épouse, Mme Ponnuthurai, pour qu’elle immigre au Canada. La SAI a conclu que le mariage des demandeurs n’était pas authentique, et qu’il avait été contracté principalement à des fins d’immigration.

[2]               J’ai conclu, pour les motifs suivants, que la décision de la SAI était déraisonnable en ce qui concerne son appréciation de la preuve. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

II.                Faits

[3]               M. Sivapatham est un résident permanent du Canada.

[4]               Mme Ponnuthurai est une citoyenne de l’Australie.

[5]               Les demandeurs se sont rencontrés en personne pour la première fois en août 2011. Ils se sont fiancés et ont emménagé ensemble en septembre 2011. Les demandeurs se sont mariés le 15 novembre 2011. Il s’agit du premier mariage de M. Sivapatham et du troisième pour Mme Ponnuthurai.

[6]               Le 7 mars 2013, Mme Ponnuthurai a demandé la résidence permanente à titre de conjointe parrainée de M. Sivapatham.

[7]               Un agent des visas a rejeté la demande de parrainage à titre de conjoint, concluant que le mariage n’était pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège selon la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27. M. Sivapatham a interjeté appel de cette décision devant la SAI.

III.             Décision de la SAI

[8]               Quelques jours avant l’audience de la SAI, le défendeur a demandé à ajouter un motif de refus à l’appel, alléguant que Mme Ponnuthurai est interdite de territoire au Canada pour avoir indûment dépassé le délai de son visa de résident temporaire.

[9]               L’audience de la SAI a eu lieu le 18 septembre 2015. Au moment de l’audience, Mme Ponnuthurai était enceinte de huit mois d’un enfant issu du mariage.

[10]           Par une décision datée du 4 novembre 2015, la SAI a rejeté l’appel.

IV.             Question en litige

[11]           En l’espèce, la question déterminante à trancher est de savoir si la SAI a traité de façon raisonnable la preuve du but et de l’authenticité du mariage des demandeurs.

V.                Analyse

[12]           L’appréciation de la preuve par la SAI est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 57 et 58 [Khosa]). Il convient de faire preuve de retenue à l’égard de la SAI en raison de son expertise et de son rôle particulier de juge des faits (Khosa, au paragraphe 25). Les Cours ne modifieront pas les conclusions de fait de la SAI à moins qu’elles ne soient « tirée[s] de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [elle] dispose » (Khosa, au paragraphe 72 ; Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F-7, à l’alinéa 18.1(4)d)).

[13]           La Cour doit se demander si la décision respecte la norme de la décision raisonnable en s’assurant qu’elle est justifiée, transparente et intelligible, et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[14]           La SAI est censée avoir examiné tous les éléments de preuve dont elle disposait, mais elle n’a pas à faire référence à chaque élément de preuve dans sa décision (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF), au paragraphe 1). Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de la SAI est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que la SAI a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] » (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 (CF 1re inst.), au paragraphe 17).

[15]           Les demandeurs soutiennent que la commissaire de la SAI n’a pas tenu compte d’éléments de preuve probants de l’authenticité de leur mariage ni du fait qu’ils vivent ensemble en tant que famille et ont une relation affectueuse et stable. Les demandeurs affirment que leurs témoignages étaient en grande partie cohérents, mais que la SAI s’est concentrée sur des détails mineurs et des conclusions fondées sur des hypothèses quant à la vraisemblance.

[16]           La SAI a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles, car leurs témoignages étaient vagues, incohérents et contradictoires. La SAI avait des doutes quant à l’élément de preuve concernant le moment à partir duquel la relation s’est nouée et la façon dont elle a évolué. Ni M. Sivapatham ni Mme Ponnuthurai ne pouvait préciser, de manière cohérente, quand et comment s’était déroulée leur première rencontre en personne, et il n’y avait pas de preuve documentaire pour corroborer ou clarifier leurs déclarations contradictoires à ce sujet.

[17]           Les demandeurs reconnaissent que leur preuve était incohérente en ce qui concerne leur première conversation sur Skype, mais ils soutiennent qu’il s’agit d’un détail mineur parce que la conversation a eu lieu il y a quatre ans et qu’ils ont communiqué à de nombreuses reprises ensuite via Facebook, sur Skype et par téléphone.

[18]           La SAI s’est dite préoccupée par le fait que les demandeurs ne s’étaient jamais rencontrés en personne au moment de la demande en mariage, d’autant plus que celui-ci n’avait pas été arrangé. Il s’agissait clairement d’un problème pour la SAI, car Mme Ponnuthurai avait déjà divorcé deux fois, et la commissaire s’attendait à ce qu’elle soit [traduction] « beaucoup plus prudente » pour ne pas avoir à divorcer une troisième fois. La SAI a aussi exprimé des réserves quant à la vraisemblance en raison de la vitesse à laquelle les demandeurs se sont mariés et des événements qui ont suivi le mariage. Même si elle a accepté le fait que la cérémonie avait eu lieu en novembre 2013, elle a conclu que le mariage avait probablement été contracté pour faciliter l’immigration de Mme Ponnuthurai au Canada.

[19]           Dans l’arrêt Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 122, la Cour a expliqué que la SAI doit faire attention de ne pas se reporter à sa propre compréhension du comportement d’un demandeur pour apprécier l’authenticité du mariage, surtout lorsqu’un enfant est né du mariage :

[6]        Lorsque la Commission se penche sur l’authenticité d’un mariage en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, elle doit faire preuve d’une grande prudence parce que les conséquences d’une erreur seraient catastrophiques pour la famille. Cela s’avère particulièrement évident lorsque la famille compte un enfant né de la relation. La tâche de la Commission n’est pas aisée, car il peut être difficile d’évaluer l’authenticité des relations personnelles de l’extérieur. Des comportements qui peuvent sembler suspects de prime abord peuvent avoir une explication ou une interprétation simple. […]

[9]        Dans son évaluation du mariage en cause, la Commission a signalé qu’il faudrait disposer de « solides contre-preuves » pour faire contrepoids à l’importance de la naissance de l’enfant. Le problème avec la décision de la Commission, c’est que son appréciation de ces « solides contre-preuves » visait dans une large mesure des questions insignifiantes, peu concluantes ou dépourvues de pertinence, tout en ignorant une preuve considérable qui contredisait sa conclusion.

[20]           En l’espèce, la SAI a souligné qu’elle avait tenu compte de la grossesse de Mme Ponnuthurai, mais que celle-ci ne dissipait pas les préoccupations quant au but et à l’authenticité du mariage. Toutefois, comme dans l’arrêt Gill, une grande partie des « solides contre-preuves » sur lesquelles s’est fondée la SAI se rapportent à des questions non pertinentes ou non concluantes.

[21]           La SAI n’a pas cru les demandeurs parce que Mme Ponnuthurai avait accepté d’épouser M. Sivapatham quelques mois seulement après avoir fait sa connaissance, alors qu’elle était toujours mariée avec son second époux. Cependant, la preuve documentaire montre que Mme Ponnuthurai a demandé le divorce bien avant la demande en mariage, et il n’est pas surprenant que les demandeurs se soient mariés peu de temps après que le divorce eut finalement été prononcé.

[22]           La SAI a également tiré une conclusion défavorable quant au fait que Mme Ponnuthurai ait accepté d’épouser M. Sivapatham sans jamais l’avoir rencontré en personne. Selon la SAI, on s’attendrait à ce que Mme Ponnuthurai, ayant divorcé deux fois déjà, soit plus prudente avant d’épouser M. Sivapatham. Il s’agit d’un fondement déraisonnable sur lequel se baser pour miner la crédibilité des demandeurs.

[23]           Enfin, la SAI n’a pas envisagé pourquoi Mme Ponnuthurai voudrait épouser M. Sivapatham. Elle a conclu que la situation familiale de Mme Ponnuthurai en Australie [traduction] « n’était pas très différente » de celle au Canada. Elle a également conclu qu’il existe des similitudes entre l’Australie et le Canada. Il est impossible de concilier ces conclusions avec celle selon laquelle le mariage a été contracté pour accorder à Mme Ponnuthurai un avantage ou un privilège au Canada.

[24]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la décision de la SAI est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAI différemment constitué pour nouvel examen sur le fond.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAI différemment constitué pour un nouvel examen sur le fond et aucune question n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5413-15

 

INTITULÉ :

KUMARASRI SIVAPATHAM, MANCHUSASHINY PONNUTHURAI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge McDonald

 

DATE :

LE 24 JUIN 2016

 

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia

 

Pour les demandeurs

 

David Cranton

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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