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Date : 20160704


Dossier : IMM-3158-15

Référence : 2016 CF 725

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2016

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

CHUNMEI LUO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Mme Chunmei Luo a présenté une demande d’asile au Canada fondée sur sa crainte d’être persécutée en Chine en tant qu’adepte du Falun Gong. Elle affirme que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) a effectué une descente à la maison où elle rencontrait ses coreligionnaires. Elle affirme qu’elle a pris la fuite et qu’elle s’est cachée chez son cousin. Pendant ce temps, son mari a organisé sa fuite vers les États-Unis et le Canada.

[2]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de Mme Luo parce qu’elle n’était pas étayée par une preuve crédible. En particulier, il a conclu que certains éléments de la preuve documentaire déposés par Mme Luo n’étaient pas fiables et que certains éléments du témoignage de Mme Luo au sujet de la descente policière à son domicile et de son voyage au Canada n’étaient pas crédibles. Enfin, il a conclu que Mme Luo n’était pas une véritable adepte du Falun Gong et qu’il n’y avait pas un minimum de fondement à sa demande.

[3]               Mme Luo soutient que la décision de la Commission était déraisonnable parce que ses conclusions ne sont pas fondées sur une évaluation juste de la preuve. Elle me demande que la décision de la Commission soit annulée et qu’un autre tribunal réexamine sa demande d’asile.

[4]               Je suis d’accord avec Mme Luo. La décision de la Commission était déraisonnable. Par conséquent, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

[5]               La seule question en litige était de savoir si la décision de la Commission était déraisonnable.

II.                Décision de la Commission

[6]               La Commission a mis en doute l’authenticité de certains éléments de preuve documentaires présentés par Mme Luo. Mme Luo a déposé une citation à comparaître de la police au soutien de son argument selon lequel le BSP était à sa recherche. La Commission a conclu que la provenance de ce document était suspecte. Mme Luo a déclaré qu’un ami le lui avait envoyé à son nom. Toutefois, le nom de son ami n’apparaissait pas sur l’enveloppe. Le nom d’une autre personne s’y trouvait et Mme Luo ne pouvait expliquer pourquoi il en était ainsi. En outre, la Commission a conclu qu’il était peu probable que les autorités aient délivré une simple citation à comparaître dans les circonstances, et ce, étant donné l’ampleur de l’inquiétude des autorités chinoises au sujet du Falun Gong. De plus, la citation à comparaître n’identifie pas l’adresse à laquelle Mme Luo devait se présenter. Compte tenu du grand nombre de documents frauduleux délivrés en Chine, la Commission a conclu qu’elle ne pouvait pas fonder sa décision sur cette citation à comparaître.

[7]               La Commission a également mis en doute l’authenticité du certificat de résidence (hukou) de Mme Luo. Elle a noté que le hukou était en piètre état et que sa provenance était incertaine.

[8]               Au sujet de la présumée descente effectuée par le BSP, la Commission a fait part de ses préoccupations au sujet du témoignage de Mme Luo dans lequel elle racontait que le responsable de son groupe de Falun Gong était au courant de la descente avant que des vigies alertent le groupe de la présence des agents du BSP. La Commission a douté que ce soit le cas et a conclu que Mme Luo avait livré un faux témoignage au sujet de la descente policière.

[9]               En ce qui concerne le voyage de la demanderesse aux États-Unis et au Canada, la Commission a souligné que Mme Luo avait obtenu un visa pour se rendre aux États-Unis plus d’un an avant la prétendue descente du BSP. La Commission a demandé à la demanderesse pourquoi elle n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis. Selon la Commission, son omission de le faire traduisait une absence de crainte subjective de persécution en Chine.

[10]           Enfin, la Commission a conclu que la connaissance du Falun Gong que possédait Mme Luo était d’ordre théorique et non pratique, ce qui était insuffisant pour établir qu’elle était une véritable adepte du Falun Gong. Selon la Commission, les éléments de preuve de Mme Luo présentés au soutien de sa présumée pratique du Falun Gong au Canada ne sont qu’une tentative de donner du poids à sa demande d’asile sans fondement.

III.             La décision de la Commission était-elle déraisonnable ?

[11]           Le ministre soutient que la décision de la Commission était raisonnable. Selon lui, cette dernière avait des motifs valables pour contester la preuve documentaire, pour se questionner quant à savoir pourquoi Mme Luo n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis et pour mettre en doute le fait que la demanderesse soit une adepte authentique du Falun Gong. Par conséquent, la Commission a conclu de façon raisonnable que la demande de Mme Luo n’avait pas un minimum de fondement.

[12]           Je ne suis pas d’accord.

[13]           Bien que la Commission ait pu avoir des motifs valables de s’interroger sur la provenance des documents de Mme Luo, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour mettre en doute leur authenticité. La citation à comparaître était signée par un juge et portait deux cachets officiels. La Commission ne disposait d’aucun élément de preuve permettant d’établir que l’absence d’une adresse à laquelle se présenter signifiait que le document était invalide. De plus, bien que la Commission ait conclu qu’il était peu probable qu’une citation à comparaître ait été délivrée dans les circonstances, la preuve documentaire révélait que les pratiques policières dans ce domaine n’étaient pas uniformes. La Commission n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve.

[14]           Il en va de même en ce qui concerne les conclusions de la Commission au sujet du hukou de Mme Luo. La preuve a révélé que la qualité de ce document varie considérablement. La Commission n’était saisie d’aucune preuve selon laquelle le hukou était effectivement trafiqué ou fabriqué.

[15]           Quant à la prétendue pratique du Falun Gong de Mme Luo, je note qu’elle a témoigné au sujet de sa connaissance du Falun Gong. Cependant, la Commission a conclu que sa connaissance ne prouvait pas sa foi sincère en cette discipline. À l’audience, la Commission avait effectivement dissuadé Mme Luo de témoigner au sujet de sa croyance dans les principes du Falun Gong. De plus, elle a témoigné au sujet de ses nombreuses participations à des activités relatives au Falun Gong au Canada et le maintien de son étude du Falun Gong après son arrivée. La Commission n’a pas contesté le témoignage de la demanderesse en ce qui concerne cette question.

[16]           Par conséquent, à mon avis, la conclusion de la Commission selon laquelle la demande Mme Luo n’était pas fondée sur la preuve et n’avait pas un minimum de fondement était déraisonnable à la lumière de ce dont elle disposait.

IV.             Conclusions et dispositif

[17]           La conclusion principale de la Commission n’était pas étayée par la preuve. Par conséquent, sa conclusion ne constitue pas une issue pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Elle était déraisonnable. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner qu’un autre tribunal de la Commission réexamine la demande de Mme Luo. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

2.      Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« James W. O’Reilly »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3158-15

 

INTITULÉ :

CHUNMEI LUO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge O’Reilly

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Lev Abramovich

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Lorne McLenaghan

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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