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Date : 20160628


Dossier : IMM-5780-15

Référence : 2016 CF 731

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

ARIUNAA DEMBEREL ET ENKHJIN ANKHBAYAR

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demanderesses, Ariunaa Demberel, et sa fille adolescente, Enkhjin Ankhbayar, demandent le contrôle judiciaire, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR), datée du 1er décembre 2015, par laquelle cette dernière a rejeté l’appel contre la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) et conclu que demanderesse ne sont ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

[2]               Les demanderesses ont déposé une demande d’asile, car la demanderesse principale, Mme Demberel, affirme avoir été victime de violence conjugale de la part de son ex-mari, avec qui elle n’avait eu aucun contact depuis plus de quatorze ans, jusqu’à ce qu’il ait prétendument recommencé à la maltraiter. La SAR a souscrit aux nombreuses conclusions de la SPR quant à la crédibilité et a conclu que Mme Demberel n’était pas crédible en raison d’incohérences, de l’absence de détails, d’omissions, ainsi que de l’invraisemblance des principales allégations.

[3]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Historique

[4]               Les demanderesses, des citoyennes de la Mongolie, sont arrivées au Canada le 16 juillet 2014 munies de visas de touriste. Elles ont demandé l’asile aux environs du 8 septembre 2014, en raison d’allégations de mauvais traitements de la part de l’ex-mari de Mme Demberel.

[5]               Cette dernière affirme qu’elle s’est mariée en 1997 et que son mari était vite devenu violent. Lorsque le père de Mme Demberel a réalisé que les demanderesses subissaient de mauvais traitements, il les a ramenées chez lui. Mme Demberel a résidé six mois en Allemagne en 2001 pour y poursuivre ses études. En 2003, elle a déménagé au Royaume-Uni pour poursuivre ses études et y a vécu jusqu’en 2009. Sa fille est demeurée en Mongolie avec ses parents. Mme Demberel a déclaré que son père s’était arrangé faire annuler son mariage en 2007, bien que, dans son témoignage, il n’était pas clair que cela avait bel et bien eu lieu. En 2009, elle est retournée chez ses parents en Mongolie, où elle a trouvé un emploi.

[6]               Mme Demberel allègue qu’en 2014, après avoir rencontré son ex-mari par hasard, ce dernier a recommencé à la maltraiter. Elle déclare avoir été menacée, séquestrée, agressée et violée par son ex-mari du 30 janvier au 11 juin 2014. Mme Demberel déclare avoir, entre autres, été séquestrée chez son ex-mari du 15 avril au 11 juin 2014. Elle allègue que le 9 juin 2014, alors qu’elle était encore captive, son ex-mari s’est mis en colère et l’a agressée, car il avait appris que le petit ami de Mme Demberel avait fait un rapport à la police. Son ex-mari a lancé une bouilloire remplie d’eau bouillante sur leur fille lorsque cette dernière avait tenté d’intervenir. Mme Demberel prétend qu’elle et sa fille se sont enfuies après avoir été autorisées par le garde du corps de son ex-mari à se rendre à l’hôpital pour soigner les brûlures de sa fille. Mme Demberel déclare que son petit ami s’était ensuite arrangé pour obtenir des visas canadiens.

Décision de la SPR

[7]               La SPR a conclu que le récit de Mme Demberel n’était pas crédible. Les allégations de Mme Demberel étaient, entre autres, incohérentes avec les déclarations qu’elle avait faites dans sa demande de visa et dans les documents fournis à l’appui de cette demande.

[8]               La SPR a tiré de nombreuses conclusions défavorables quant à la crédibilité, et elle a conclu que les allégations de séquestration par l’ex-mari n’avaient pas été établies. Par exemple, la SPR a noté que la signature de Mme Demberel sur la demande de visa, datée du 6 juin 2014, était incohérente avec son témoignage selon lequel elle était captive à cette date. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), elle a indiqué que son petit ami avait rempli les demandes de visa. Toutefois, quand on lui a signalé cette incohérence, elle a répondu qu’elle avait réussi à s’échapper durant une heure et demie pour présenter elle-même la demande de visa. La SPR a rejeté l’explication, soulignant qu’elle était incohérente avec son formulaire FDA et l’affidavit de son petit ami.

[9]               La SPR a relevé des incohérences dans les explications de Mme Demberel au sujet : de la façon dont son petit ami s’y est pris pour fournir le détail des renseignements personnels requis pour les visas et pour obtenir le passeport de la demanderesse mineure ; et des relevés d’emploi qui mentionnaient que Mme Demberel était en congé pour une période différente à celle mentionnée et que les versements d’impôt ont été déduits de son salaire durant la période où elle aurait été captive.

[10]           La SPR a conclu que, compte tenu des renseignements fournis, les allégations de Mme Demberel n’étaient pas cohérentes selon la prépondérance des probabilités. En ce qui concerne l’allégation la plus sérieuse, la SPR a conclu qu’il était peu probable que l’ex-mari de Mme Demberel, décrit comme un homme riche et puissant, n’avait pas tenté de retrouver et de maltraiter les demanderesses avant 2014, comme il avait prétendument décidé de le faire. La SPR a précisé que la demanderesse mineure a résidé en Mongolie depuis sa naissance. La SPR a également fait remarquer qu’en 2009, Mme Demberel était retournée en Mongolie, où elle avait résidé et travaillé, et qu’elle s’était déplacée librement sans avoir de contacts avec son ex-mari.

[11]           En ce qui concerne la preuve documentaire des demanderesses, la SPR a conclu que la preuve médicale n’établissait pas les allégations mentionnées dans le formulaire FDA ; les blessures des demanderesses n’étaient pas décrites et les trois jours que Mme Demberel avait passés à l’hôpital étaient à sa propre demande. Les photographies des blessures fournies par les demanderesses ne montraient pas que l’ex-mari de Mme Demberel en était la cause. La SPR a également conclu que l’affidavit déposé après l’audience par un conseiller d’accueil du Centre national contre la violence (National Centre Against Violence (NCAV)), en Mongolie, semble avoir été produit afin d’appuyer la preuve des demanderesses. De plus, la SPR a conclu que le rapport de police indiquait qu’il n’y avait aucune preuve contre l’ex-mari de Mme Demberel. La SPR a également fait observer que le rapport psychologique, qui a été accepté par la SPR après l’audience, était fondé sur les déclarations des demanderesses.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[12]           La SAR a confirmé la décision de la SPR et a conclu que les demanderesses ne sont ni des réfugiées au sens de la Convention, ni des personnes à protéger.

[13]           Les demanderesses ont présenté de nouveaux éléments de preuve en appel à la SAR : un affidavit non assermenté du petit ami de Mme Demberel, daté de mai 2015, et un affidavit assermenté de l’ancien employeur de cette dernière, daté du 4 juin 2015.

[14]           La SAR a conclu que les nouveaux éléments de preuve ne satisfaisaient pas aux critères prévus par la Loi. Les demanderesses n’ont pas précisé quels renseignements mentionnés dans les affidavits n’étaient pas disponibles au moment de l’audience ni pourquoi ils n’étaient pas raisonnablement disponibles. De plus, il n’y a aucune preuve que ces affidavits ne pouvaient pas être présentés devant la SPR.

[15]           En raison d’un certain flottement dans la jurisprudence à ce moment-là au sujet de l’application des facteurs, énoncés dans l’arrêt Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 C.A.F. 385, 289 D.L.R. (4th) 675 [Raza], en ce qui concerne l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve, prévue par le paragraphe 110(4) de la Loi, la SAR a également examiné la question de savoir si le rejet de la nouvelle preuve nuirait à un appel fondé sur les faits.

[16]           La SAR a mis en doute la crédibilité de ces deux documents. L’affidavit de l’employeur est imprimé sur du papier ordinaire, contrairement à un document antérieur du même employeur, et la SAR s’est demandé s’il avait été correctement assermenté. Le petit ami de Mme Demberel n’est pas un témoin impartial et son affidavit tentait d’étayer les éléments de preuve que la SPR avait jugés non crédibles. L’affidavit fournit aussi de nouveaux renseignements qui auraient été pertinents devant la SPR.

[17]           La SAR a conclu qu’en raison de la faible valeur probante des documents, leur rejet n’entraverait pas un appel en bonne et due forme fondé sur les faits.

[18]           En ce qui concerne la décision de la SPR, la SAR a noté qu’elle pouvait accepter les conclusions de la SPR sur la crédibilité, soulignant que la SPR jouit d’un avantage particulier et est la mieux placée pour tirer des conclusions quant à la crédibilité, car les demanderesses ont comparu devant la SPR, où elles ont témoigné. La SAR a ajouté qu’elle a aussi procédé à sa propre évaluation de la crédibilité des demanderesses en s’appuyant sur l’examen du dossier.

[19]           La SAR n’a pas accepté l’argument des demanderesses, selon lequel la SPR a commis une erreur en concluant qu’il était invraisemblable que Mme Demberel soit maltraitée par son ex-mari, après quatorze ans sans contact. La SAR a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une conclusion quant à l’invraisemblance ; la SPR avait plutôt conclu qu’il était improbable que son ex-mari ait poursuivi les demanderesses dans toute la Mongolie, comme elles l’ont allégué.

[20]           Suite à sa propre appréciation de la preuve, la SAR a souscrit aux conclusions défavorables de la SPR, en faisant remarquer que cette dernière a eu raison de douter de la crédibilité du récit de Mme Demberel parce que plusieurs faits pertinents ont été soulevés pour la première fois durant son témoignage lorsqu’elle a répondu aux incohérences relevées par le ministre.

[21]           La SAR a fait remarquer que les demanderesses [traduction] « ont subi à un genre de traumatisme, comme le montrent le rapport psychologique et leur présence au NCAV », mais elle a conclu que la cause du traumatisme n’est pas établie par une preuve fiable et crédible. La SAR a conclu, suite à sa propre appréciation de la preuve, qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et objectifs permettant de conclure que les demanderesses sont des réfugiées au sens de la Convention ou des personnes à protéger.

III.             Questions en litige

[22]           Les demanderesses font valoir que la décision de la SAR n’est pas raisonnable parce que :

  • La SAR a commis une erreur en rejetant les nouveaux éléments de preuve ;
  • La SAR a commis une erreur en ne reconnaissant pas que la conclusion clé de la SPR avait trait à l’invraisemblance, ce qui n’est pas raisonnable parce qu’elle est fondée sur des hypothèses ; 
  • La décision de la SAR est inintelligible, car cette dernière a admis que les demanderesses avaient subi un traumatisme au vu de la preuve, ce qui corrobore le récit de violence de Mme Demberel, et ce qui aurait dû être pris en compte dans l’évaluation de la crainte fondée de persécution des demanderesses. 

IV.             Norme de contrôle

[23]           La SAR a procédé à un appel de la décision de la SPR. La Cour procède maintenant à un contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[24]           Dans le récent arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Huruglica, 2016 C.A.F. 93, [2016] A.C.F. no 313 (QL) [Huruglica C.A.F.], au paragraphe 103, la juge Gauthier a précisé que la SAR doit remplir son rôle de tribunal d’appel et appliquer la norme de la décision correcte lorsqu’elle examine les décisions de la SPR.

[25]           Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité méritent le respect, mais la juge Gauthier a décrit plusieurs scénarios aux paragraphes 69 à 74, qui soulignent les situations où la SAR doit faire preuve de déférence envers la décision de la SPR et, subsidiairement, où la SAR doit faire preuve de prudence en substituant sa décision, car, avec le temps, elle élaborera sa propre jurisprudence.

[26]           La juge Gauthier a mentionné, au paragraphe 70, la question à savoir s’il y a lieu de faire preuve de respect envers la décision de la SPR : « Dans chaque cas, la SAR doit rechercher si la SPR a joui d’un véritable avantage et si, le cas échéant, elle peut néanmoins rendre une décision définitive relativement à une demande d’asile. »

[27]           Comme convenu par les parties, bien que la décision de la SAR ait précédé l’arrêt Huruglica C.A.F., cette dernière a l’obligation de procéder à sa propre appréciation de la preuve conformément aux directives de la Cour fédérale, appliquées par la SAR. De plus, la norme de contrôle n’est pas déterminante dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[28]           La Cour examine la décision de la SAR sur des questions de fait, y compris la crédibilité, et sur des questions mixtes de faits et de droit selon la norme de la décision raisonnable. Cela comprend les conclusions concernant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Singh, 2016 C.A.F. 96, [2016] A.C.F. no 315 (QL), [Singh C.A.F.], au paragraphe 29).

[29]           La norme de la décision raisonnable se concentre sur « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et tient compte de « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 C.S.C. 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

V.                La SAR n’a pas commis d’erreur en rejetant les nouveaux éléments de preuve

[30]           La SAR a examiné les nouveaux éléments de preuve et a raisonnablement conclu qu’ils n’étaient pas admissibles.

[31]           L’arrêt Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 C.F. 1022, [2015] 3 R.C.F. 587, invoqué par les demanderesses, n’a pas entériné l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve, malgré les critères prévus par la Loi. Par ailleurs, dans l’arrêt Singh C.A.F., la Cour d’appel fédérale a établi que les critères prévus par la Loi offraient clairement une approche restrictive à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve, et la SAR n’a d’autres choix que de tenir compte de ces critères.

[32]           L’analyse de la SAR était compatible avec Singh C.A.F., qui prévoit que les nouveaux éléments de preuve doivent satisfaire aux critères du paragraphe 110(4) de la Loi et que « la SAR aura toujours le loisir d’appliquer les exigences du paragraphe 110(4) avec plus ou moins de souplesse selon les circonstances propres à chaque affaire » (au paragraphe 64).

[33]           La SAR s’est d’abord concentrée sur les critères prévus au paragraphe 110(4) et a raisonnablement conclu que les demanderesses n’avaient pas expliqué de manière raisonnable la raison pour laquelle les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas disponibles à l’audience de la SPR ou ce qui aurait empêché les demanderesses de les présenter.

[34]           Après avoir rejeté la preuve, en raison des critères prévus par la Loi, la SAR s’est penchée sur les deux affidavits pour conclure qu’ils n’étaient pas crédibles, et elle a fourni les motifs de cette conclusion.

VI.             La SAR n’a pas commis d’erreur en respectant les conclusions de la SPR quant à la crédibilité ou à la vraisemblance

[35]           Les demanderesses soutiennent que la SAR a commis une erreur en ne reconnaissant pas le caractère erroné de la conclusion quant à l’invraisemblance, qui était fondée sur des hypothèses. Je ne suis pas d’accord.

[36]           La SAR a conclu que la SPR n’avait tiré aucune conclusion quant à l’invraisemblance. La SAR a noté que la SPR avait conclu que la principale allégation, selon laquelle l’ex-mari de Mme Demberel avait poursuivi les demanderesses dans toute la Mongolie, était invraisemblable. La SAR a estimé que cette conclusion était raisonnablement fondée sur l’appréciation de la preuve.

[37]           La conclusion de la SPR, selon laquelle l’ex-mari de Mme Demberel, décrit comme un homme riche et puissant, avait les moyens et amplement la possibilité de retrouver les demanderesses bien avant 2014 et s’il avait réellement l’intention de recommencer à les maltraiter, est étayée par la preuve. Mme Demberel a vécu à l’étranger, à savoir au Royaume-Uni et en Allemagne, pendant de nombreuses années, alors que sa fille a résidé en Mongolie sans incident. Mme Demberel est retournée en Mongolie et y a résidé de 2009 à 2014, également sans incident, et elle s’y est déplacée librement.

[38]           Cette conclusion est fondée sur des probabilités raisonnables. La SPR aurait pu qualifier cette conclusion d’invraisemblable, mais elle a plutôt considéré le récit comme étant à la fois improbable et hautement improbable. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une conclusion raisonnable fondée sur la preuve.

[39]           Lorsque la SPR a conclu qu’il était improbable, voire invraisemblable, advenant qu’une telle conclusion ait été tirée, que l’ex-mari de Mme Demberel ait recommencé à la maltraiter après plus de quatorze ans sans contact, il ne s’agissait pas d’un raisonnement conjectural.

[40]           Dans l’arrêt Aguilar Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 C.F. 1155, [2012] A.C.F. no 1252 (QL) [Aguilar Zacarias], la juge Gleason a examiné la jurisprudence au sujet de la vraisemblance et de la crédibilité et a noté :

11.       Ainsi, la Commission peut conclure qu’une affirmation est invraisemblable si cette affirmation est dénuée de sens à la lumière de la preuve déposée ou si (pour emprunter la formule utilisée par le juge Muldoon dans la décision Valtchev) « les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ». De plus, la Cour a déjà statué que la Commission doit invoquer « des éléments de preuve fiables et vérifiables au regard desquels la vraisemblance des témoignages des demandeurs pourraient être appréciés » [sic], sinon la conclusion au sujet de l’invraisemblance pourrait n’être que « de la spéculation non fondée » (voir la décision Gjelaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 37 (CanLII), [2010] ACF no 31, au paragraphe 4 ; voir également la décision Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 694 (CanLII), [2012] ACF no 885 (la décision Cao), au paragraphe 20).

[41]           La SAR a raisonnablement respecté la conclusion de la SPR fondée sur l’avantage qu’a cette dernière d’entendre le témoignage et d’apprécier elle-même la preuve. La SAR a convenu que les allégations de séquestration de Mme Demberel par son ex-mari, de présumée poursuite des demanderesses par celui-ci et de reprise des mauvais traitements si les demanderesses devaient retourner en Mongolie n’avaient pas de sens, car il existe des contradictions et des incohérences dans les allégations de mauvais traitements et le témoignage.

[42]           À mon avis, la question de savoir si la SPR a tiré une conclusion relative à la vraisemblance ou une conclusion quant à la crédibilité ne change rien à l’affaire, puisque cette dernière porte sur la crédibilité de Mme Demberel, qui, selon la SAR, a fait l’objet d’un examen approfondi par la SPR qui a déterminé que la demanderesse principale n’était pas crédible. La SAR a tiré la même conclusion après avoir fait sa propre appréciation. La conclusion était raisonnable et fondée sur la preuve.

VII.          La décision de la SAR est raisonnable, car elle est intelligible, transparente et justifiée

[43]           Dans les observations orales, les demanderesses soutiennent que la SAR a commis une erreur dans son appréciation de la preuve documentaire, particulièrement en ce qui concerne le rapport psychologique et l’affidavit du conseiller à l’accueil du NCAV.

[44]           Les demanderesses soutiennent également que la SAR doit faire sa propre appréciation de la preuve qui corrobore le récit de violence, car aucun autre élément de preuve n’explique le traumatisme qu’elles ont subi. Les demanderesses soutiennent aussi que la SAR a commis une erreur en ne tirant pas, de sa propre appréciation, une conclusion qui appuie leur crainte fondée de persécution. Je ne suis pas d’accord.

[45]           Les demanderesses soutiennent que la conclusion de la SAR n’est pas intelligible et que la décision de cette dernière est déraisonnable, surtout en raison du paragraphe 83 de cette décision. Le paragraphe en question suit la conclusion de la SAR qui a souscrit aux nombreuses conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité. La SAR a noté que les demanderesses avaient subi un certain traumatisme [traduction] « comme le montrent le rapport psychologique et leur présence au NCAV ». La SAR a ensuite ajouté que la cause du traumatisme n’est pas établie par une preuve fiable et crédible. Sur la foi de sa propre appréciation de l’ensemble des éléments de preuve, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR, selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et objectifs pour appuyer les demandes d’asile des demanderesses.

[46]           La conclusion de la SAR en ce qui concerne les deux documents est claire, intelligible et raisonnable. La SAR était en droit d’accepter le fait que les demanderesses avaient subi un genre de traumatisme sans toutefois accepter que la cause de ce traumatisme était la présumée violence de la part de l’ex-mari de Mme Demberel. Le rapport psychologique et l’affidavit du conseiller du NCAV sont fondés sur le récit de Mme Demberel, que la SPR et la SAR ont raisonnablement jugés ne pas être crédibles.

[47]           La jurisprudence précise que le récit des événements à un psychologue ou à un psychiatre ne le rend pas plus crédible, et qu’un rapport d’expert ne peut confirmer des allégations de violence. Par exemple, dans les arrêts Rokni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 182 (QL), 53 A.C.W.S. (3d) 371 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 16, et Danailov c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1019 (QL), 44 A.C.W.S. (3d) 766 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 2, la Cour a fait remarquer que de tels rapports ne sauraient pallier les lacunes du témoignage d’un demandeur d’asile, et qu’un témoignage d’opinion n’est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il est fondé sont crédibles. La même remarque a été faite par le juge Phelan dans l’arrêt Saha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 C.F. 304, 176 A.C.W.S. (3d) 499, au paragraphe 16 :

La SPR a le pouvoir discrétionnaire d’écarter la preuve psychologique lorsque le docteur ne fait que reprendre ce que le patient lui a dit quant aux motifs expliquant son stress, et qu’il en tire ensuite une conclusion médicale selon laquelle le patient souffre de stress en raison de ces motifs.

[48]           Dans l’arrêt Czesak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 C.F. 1149, 235 A.C.W.S. (3d) 1054, aux paragraphes 37 à 40, le juge Annis a soulevé des préoccupations au sujet des rapports psychologiques, qui se posent en défenseurs sous le couvert d’une opinion « de nature à trancher des questions importantes en litige devant la Cour ». Le juge Annis a conclu que dans de tels cas, peu de poids devrait être accordé aux rapports s’il n’y a pas une façon d’évaluer l’opinion.

[49]           De la même façon, dans l’arrêt Egbesola c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 C.F. 204, [2016] A.C.F. no 204 [Egbesola], le juge Zinn a examiné les arguments selon lesquels le rapport psychologique n’avait pas été pris en compte. Le juge Zinn a fait observer, au paragraphe 12 :

12.       Tels que présentés par le défendeur, les « faits » sur lesquels se fonde le rapport sont ceux qui ont été rapportés au Dr Devins par la demanderesse principale, et ne sont donc pas des faits jusqu’à ce que le tribunal les juge comme tels. Ce qui peut raisonnablement ressortir du rapport, c’est que la demanderesse principale souffre d’un trouble de stress post-traumatique, et qu’elle doit suivre un traitement médical pour cela.

[50]           Comme dans Egbesola, tout ce qui ressort des deux documents est que les demanderesses ont subi un traumatisme. La SAR n’a pas omis de faire sa propre appréciation de cette preuve, mais était manifestement bien au fait de la jurisprudence précitée. La SAR a conclu de façon claire et intelligible que, malgré des éléments de preuve corroborant le traumatisme subi par les demanderesses, la cause de ce traumatisme n’était pas établie par une preuve fiable et crédible.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Aucune question n’est certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5780-15

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

ARIUNAA DEMBEREL ET ENKHJIN ANKHBAYAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 juin 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

La juge Kane

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Ram Sankaran

POUR LES DEMANDERESSES

ARIUNAA DEMBEREL ET ENKHJIN ANKHBAYAR

 

Galina Bining

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ram Sankaran

Avocat

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDERESSES

ARIUNAA DEMBEREL ET ENKHJIN ANKHBAYAR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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