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Date : 20160623


Dossier : IMM-3148-15

Référence : 2016 CF 709

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

YACIN DJAMA ALI

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (maintenant appelé le ministre de l’Immigration, des réfugiés et de la Citoyenneté) (le ministre), sollicite le contrôle judiciaire en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi) à l’encontre d’une décision rendue le 1er juin 2015, dans laquelle la Section d’appel des réfugiés (SAR) a infirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (SPR) pour statuer que le défendeur, Yacin Djama Ali, est un réfugié au sens de la Convention.

[2]               La question en litige porte sur l’identité de M. Ali et il s’agit, plus précisément, de savoir s’il est citoyen de la Somalie ou de Djibouti, afin d’évaluer la situation dans le pays et de déterminer s’il serait exposé à un risque de persécution à son retour.

[3]               La SPR a conclu qu’il était fort probable que M. Ali ait demandé et obtenu la citoyenneté djiboutienne du fait que son père était né à Djibouti et qu’il avait déclaré avoir obtenu et utilisé un passeport djiboutien. Selon la SPR, les explications du défendeur au sujet de sa citoyenneté et de son passeport ne concordaient pas. Elle a estimé que le défendeur est un citoyen de Djibouti et qu’il n’est exposé à aucun risque dans ce pays.

[4]               En appel devant la SAR, M. Ali a présenté un affidavit de son père. Ce dernier déclare que ni M. Ali ni lui-même ne sont citoyens de Djibouti. La SAR a accepté l’affidavit comme nouvel élément de preuve et lui a accordé beaucoup de poids, concluant que la SPR avait commis une erreur en estimant que M. Ali était un citoyen de Djibouti. La SAR est arrivée à la conclusion que ce dernier était un citoyen de la Somalie et d’aucun autre pays, et qu’il y serait exposé à un risque de persécution en raison de son appartenance à un clan minoritaire.

[5]               Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, le ministre soutient que la SAR a commis une erreur dans son application de la norme de contrôle et du paragraphe 110(4) de la Loi, qui concerne les nouveaux éléments de preuve. Il soutient qu’elle a également commis une erreur en n’évaluant pas de manière indépendante l’ensemble de la preuve et en ne s’en remettant pas aux conclusions de faits et de crédibilité tirées par la SPR.

[6]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR était raisonnable. La SAR a raisonnablement accepté le nouvel élément de preuve, a procédé à une évaluation indépendante suffisamment approfondie de l’ensemble de la preuve et a conclu que la SPR avait commis une erreur. La SAR a donc substitué sa décision à celle de la SPR, comme le prévoit l’alinéa 111(1)b) de la Loi. La demande est rejetée.

I.                   Contexte

[7]               Le défendeur, M. Ali, prétend être un citoyen de la Somalie, mais il n’y a jamais vécu. Il est né aux Émirats arabes unis (ÉAU), sans toutefois avoir droit à la citoyenneté de ce pays, où il ne peut retourner en raison d’allégations faites contre lui par son employeur. Par contre, M. Ali détenait un passeport djiboutien qu’il a utilisé à de nombreuses reprises. Il a affirmé que ce n’est qu’après son arrivée au Canada qu’il a constaté que son passeport n’était pas authentique. Il a aussi affirmé ne pas savoir qu’il était nécessaire de détenir la citoyenneté d’un pays pour en obtenir un passeport.

[8]               M. Ali prétend qu’il serait pris pour cible par le groupe terroriste Al Shabaab en Somalie et qu’il ne serait pas protégé parce qu’il est membre d’un clan minoritaire, les Tumal.

[9]               M. Ali s’est rendu aux États-Unis à partir des ÉAU le 16 mars 2014 avec un visa américain et son passeport djiboutien. Il n’a pas demandé l’asile aux États-Unis. Il affirme qu’il a traversé la frontière canadienne à pied à Buffalo sans se faire prendre et qu’il a ensuite pris un taxi jusqu’à la maison d’un parent à Toronto, le 9 avril 2014. Il a présenté une demande d’asile le 1er mai 2014.

[10]           M. Ali a utilisé son passeport djiboutien pour sa demande de visa américain, à son arrivée aux États-Unis et pour quatre demandes de visa pour le Royaume-Uni présentées antérieurement. À son arrivée au Canada, il était également en possession d’une carte d’identité de résident des ÉAU, qui indiquait qu’il était citoyen de Djibouti.

[11]           En ce qui concerne sa citoyenneté et celle de ses parents, il affirme que son père est né à Djibouti, mais qu’il détient la citoyenneté somalienne. S’il avait eu droit à la citoyenneté djiboutienne, il l’aurait perdue en obtenant la citoyenneté somalienne. Il affirme également que sa mère est née aux ÉAU, mais qu’elle est citoyenne somalienne.

[12]           Comme éléments de preuve, la SPR a pris en considération le passeport somalien délivré à M. Ali en 1978, le passeport somalien de sa mère, le contrat de mariage de ses parents, où il est indiqué qu’ils sont tous deux des ressortissants de la Somalie, et le dossier médical de M. Ali, portant sur la période de 1991 à 1992, qui fait état de la nationalité somalienne de ce dernier.

[13]           Cependant, la SPR a conclu, en se fondant sur son analyse de la preuve documentaire relative à la loi djiboutienne, que M. Ali et son père auraient pu obtenir la citoyenneté djiboutienne.

[14]           La SPR a conclu qu’il était très probable que M. Ali ait demandé et obtenu la citoyenneté djiboutienne en 2004, du fait que son père était né à Djibouti. Elle a fait remarquer que M. Ali s’était présenté lui-même comme citoyen de Djibouti auprès des autorités nationales de divers pays, qui l’avaient considéré comme tel.

[15]           La SPR a accordé plus de poids aux affirmations initiales de M. Ali, selon lesquelles ce dernier croyait que son passeport djiboutien était authentique, qu’à sa rétractation après avoir présenté une demande d’asile. La SPR a noté que le témoignage de M. Ali était incohérent et peu fiable. Elle a tout de même conclu qu’il était probable que M. Ali croyait être un citoyen de Djibouti et qu’il n’a changé d’avis qu’après son arrivée au Canada.

[16]           La SPR a examiné le risque auquel M. Ali serait exposé à Djibouti et a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[17]           La SAR a infirmé la conclusion de la SPR et a estimé que M. Ali était un citoyen de la Somalie et qu’il serait exposé à un risque dans ce pays.

[18]           M. Ali a présenté un affidavit de son père daté du 26 février 2015 comme nouvel élément de preuve devant la SAR. Dans l’affidavit, son père déclare ce qui suit :

  • Il n’est pas citoyen de Djibouti parce qu’il n’a pas de certificat de naissance et que les autorités djiboutiennes n’ont pas accepté ses documents.
  • Son fils, M. Ali, n’est ni un citoyen de Djibouti ni un citoyen français.
  • Son récent passeport somalien a été volé.
  • Il avait acheté un passeport djiboutien pour M. Ali et le lui avait remis.
  • Il avait envoyé auparavant une lettre ou un affidavit disant la même chose qui n’a pas été reçu par son fils, M. Ali.

[19]           La SAR a noté les exigences du paragraphe 110(4) et les facteurs établis dans l’arrêt Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, 289 DLR (4 th) 675 (Raza). La SAR a conclu que l’affidavit n’était pas un nouvel élément de preuve parce qu’il répondait aux questions posées à M. Ali au cours de l’audience de la SPR.

[20]           La SAR a déclaré qu’elle se conformerait aux directives énoncées dans la décision Huruglica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 799, [2014] 4 RCF 811 (Huruglica CF), et procéderait à une évaluation indépendante de la conclusion de la SPR relativement à la question de savoir si M. Ali est un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger, mais qu’elle s’en remettrait à la SPR pour ce qui est de la crédibilité et des questions sur lesquelles celle-ci disposait d’un avantage pour tirer ses conclusions.

[21]           La SAR a conclu que le certificat de naissance de M. Ali (où il est indiqué que ses parents sont somaliens), le certificat de mariage de ses parents (où il est indiqué que ses parents sont somaliens) et son dossier médical étudiant pour les années 1991 à 2004 (où il est indiqué qu’il est somalien) corroboraient les déclarations du père dans son affidavit.

[22]           La SAR a conclu que la SPR n’avait pas accordé suffisamment de poids à la preuve documentaire selon laquelle les parents de M. Ali sont somaliens et M. Ali l’est également.

[23]           Compte tenu de la preuve objective concernant la situation dans le pays et l’affidavit de M. Ali indiquant qu’il était membre d’un clan minoritaire et serait exposé à des risques à son retour en Somalie, la SAR a conclu que M. Ali était un réfugié au sens de la Convention. La SAR a annulé la décision de la SPR et y a substitué sa décision.

III.             Questions en litige

[24]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève trois questions connexes :

  • la question de savoir si la SAR a employé la norme de contrôle applicable à l’appel de la décision de la SPR ;
  • la question de savoir si la SAR a commis une erreur en admettant les nouveaux éléments de preuve ;
  • la question de savoir si la SAR a commis une erreur en analysant la preuve au dossier et en ne s’en remettant pas aux conclusions de faits et de crédibilité tirées par la SPR.

IV.             Norme de contrôle

[25]           Il incombe à la SAR de procéder à un appel de la décision de la SPR. La Cour procède à un contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[26]           Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 103, [2016] ACF no 313 (QL) (Huruglica CAF), la juge Gauthier a levé l’incertitude concernant la norme de contrôle que doit appliquer la SAR. Celle-ci doit s’acquitter de son rôle de tribunal d’appel et appliquer la norme de la décision correcte lorsqu’elle examine une décision de la SPR.

[27]           Toutefois, comme les parties en conviennent, bien que la décision de la SAR ait précédé la décision Huruglica CAF, la Cour d’appel a confirmé l’obligation de procéder à une évaluation indépendante de la preuve établie dans la décision de la Cour fédérale.

[28]           Comme nous le verrons plus loin, le degré de retenue dont la SAR peut faire preuve par rapport à la SPR relativement à la crédibilité et à d’autres conclusions de faits est susceptible de varier selon le dossier, et la jurisprudence évoluera.

[29]           La Cour examine la décision de la SAR sur des questions de fait et sur des questions mixtes de faits et de droit selon la norme de la décision raisonnable. Cela comprend les conclusions concernant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Singh, 2016 C.A.F. 96, [2016] A.C.F. no 315 (QL), [Singh C.A.F.], au paragraphe 29).

[30]           Le caractère raisonnable de la décision « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). La Cour ne soupèsera pas de nouveau la preuve et ne rendra pas une autre décision.

V.                La SAR a-t-elle appliqué la norme de contrôle appropriée dans son appel ?

[31]           Le ministre reconnaît que la SAR n’avait pas pu prendre connaissance de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Huruglica CAF au moment de son appel, mais soutient que, indépendamment de la question de savoir si la SAR a appliqué la norme de la décision raisonnable ou une autre norme, elle n’a pas effectué l’évaluation indépendante de la preuve exigée d’elle.

[32]           La SAR a déclaré qu’elle procéderait à une évaluation indépendante en conformité avec la décision Huruglica CF et qu’elle s’en remettrait à la SPR en ce qui concerne les conclusions de faits et de crédibilité pour lesquelles la SPR avait un avantage. Le ministre soutient qu’elle ne l’a pas fait.

[33]           Le défendeur, M. Ali, soutient que la SAR s’est acquittée de son rôle de tribunal d’appel tel que prévu par la Cour d’appel fédérale. Après appréciation de la preuve au dossier et du nouvel élément de preuve, la SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur de fait et l’a corrigée.

Le choix de la norme de contrôle de la SAR était raisonnable

[34]           Peu importe si la SAR a choisi la norme de la décision correcte ou une autre norme, toujours est-il que son approche était raisonnable. Elle a procédé à une évaluation indépendante de la preuve, comme il est prévu dans Huruglica CAF.

[35]            Huruglica CAF n’impose pas une seule norme de contrôle pour les questions de crédibilité ou de preuve orale. La juge Gauthier a décrit plusieurs scénarios aux paragraphes 69 à 74 afin de mettre en évidence les situations pour lesquelles la SAR doit faire preuve de prudence avant de substituer sa décision et, parallèlement, celles où elle devrait envisager de s’en remettre à la SPR. La juge Gauthier n’a pas énoncé de critères précis, faisant observer, au paragraphe 74, que la SAR devrait avoir la possibilité d’établir sa propre jurisprudence.

[36]           Au paragraphe 70, en ce qui a trait à la question à savoir s’il y a lieu de faire preuve de respect envers la décision de la SPR, la juge Gauthier a fait observer : « Dans chaque cas, la SAR doit rechercher si la SPR a joui d’un véritable avantage et si, le cas échéant, elle peut néanmoins rendre une décision définitive relativement à une demande d’asile. »

[37]           En l’espèce, la SAR ne s’en est pas remis aux conclusions de faits et de crédibilité tirées par la SPR. Comme il est mentionné plus loin, cette approche était raisonnable.

VI.             La SPR a-t-elle commis une erreur en acceptant l’affidavit comme nouvel élément de preuve ?

[38]           Le ministre soutient que la SAR a commis une erreur dans son application du paragraphe 110(4) concernant l’admission de nouveaux éléments de preuve et dans son application des facteurs énoncés dans l’arrêt Raza précité. Le ministre soutient que l’affidavit ne satisfaisait pas aux critères prévus par la loi et ne se conformait pas aux indications énoncées dans l’arrêt Raza.

[39]           La SPR a accepté la preuve de citoyenneté somalienne du père de M. Ali et n’a pas conclu que son père était un citoyen de Djibouti. Le ministre soutient que l’affidavit confirmant sa citoyenneté somalienne n’était donc pas pertinent et qu’il était sans conséquence. La SPR a conclu que M. Ali pouvait obtenir la citoyenneté djiboutienne et l’avait probablement obtenue du fait que son père était né à Djibouti et non pas du fait qu’il en était citoyen.

[40]           Le ministre soutient également que la SAR n’a pas examiné convenablement la question de savoir si l’affidavit était crédible, surtout compte tenu du fait que le père de M. Ali avait déjà fourni un faux passeport à M. Ali, ce qu’il n’avait révélé à son fils qu’après que celui-ci fut arrivé au Canada.

[41]           M. Ali soutient que la conclusion centrale et déterminante de la SPR était qu’il avait droit à la citoyenneté djiboutienne et qu’il l’avait effectivement obtenue du fait que son père était né à Djibouti. L’affidavit du père atteste que ni M. Ali ni son père ne sont des citoyens de Djibouti. M. Ali admet que la SAR a conclu avec raison que le nouvel élément de preuve n’était pas accessible au moment de la décision de la SPR. La SAR a accepté son explication selon laquelle les renseignements avaient déjà été envoyés, mais n’avaient pas été reçus. M. Ali soutient que la Cour devrait faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation et de l’application par la SAR des critères énumérés au paragraphe 110(4) de la Loi (Singh CAF, au paragraphe 29).

La SAR n’a pas commis d’erreur en acceptant le nouvel élément de preuve

[42]           Le paragraphe 110(4) de la Loi prévoit ce qui suit :

110. (4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[Non souligné dans l’original.]

[43]           Dans l’arrêt Singh CAF, le juge de Montigny a souligné que la SAR ne peut faire abstraction des critères énoncés au paragraphe 110(4) et que les facteurs énumérés dans l’arrêt Raza, à savoir la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, continuent de s’appliquer lorsque la SAR doit décider si oui ou non elle admettra de nouveaux éléments de preuve, tout en pouvant être adaptés en ce qui concerne le caractère substantiel (voir les paragraphes 47 à 49).

[44]           Le juge de Montigny a déclaré ce qui suit au paragraphe 49 : « Non seulement les exigences mentionnées dans l’arrêt Raza vont-elles de soi et ont-elles largement été appliquées par les tribunaux dans une foule de contextes juridiques, mais il y a au surplus de très bonnes raisons qui expliquent pourquoi le législateur préconiserait une approche restrictive quant à l’admissibilité de nouvelles preuves en appel. »

[45]           Bien que le juge de Montigny ait reconnu qu’une approche restrictive quant à l’admissibilité de nouvelles preuves soit voulue et justifiée, il a également fait remarquer, au paragraphe 64, que la SAR a la possibilité d’appliquer les critères pertinents selon les circonstances entourant chaque cas : « Il va sans dire que la SAR aura toujours le loisir d’appliquer les exigences du paragraphe 110(4) avec plus ou moins de souplesse selon les circonstances propres à chaque affaire. »

[46]            En l’espèce, la SAR a fait preuve de souplesse dans son application des critères prévus dans l’arrêt Raza. La SAR a conclu que l’élément de preuve n’aurait pu raisonnablement être fourni plus tôt. Ne voyant aucune raison de ne pas croire le père de M. Ali, elle a accepté son explication selon laquelle il aurait transmis cette information à son fils auparavant, mais que celle-ci ne s’était pas rendue au Kenya. La SAR a également jugé que cet élément de preuve était pertinent et essentiel pour déterminer si M. Ali était un citoyen somalien.

[47]           En ce qui concerne l’argument du ministre selon lequel l’affidavit ne contredit aucune des conclusions de la SPR puisque cette dernière a reconnu la citoyenneté somalienne du père de M. Ali, il convient de signaler que la conclusion de la SPR n’était ni claire ni précise. La SPR a plutôt conclu que M. Ali est un citoyen de Djibouti du fait que son père est né dans ce pays et qu’il a lui-même utilisé un passeport djiboutien. Or, l’affidavit réfute clairement cette conclusion, indiquant que le père de M. Ali n’est pas djiboutien et que M. Ali ne l’est pas non plus.

[48]           Le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve ni de statuer à nouveau sur l’admissibilité du nouvel élément de preuve, mais de décider si les conclusions de la SAR sont raisonnables. La Cour n’arriverait pas nécessairement à la même conclusion concernant le nouvel élément de preuve compte tenu du manque de renseignements sur les efforts déployés par M. Ali pour obtenir le premier affidavit, sur la manière et le moment où ce dernier avait été envoyé par le père de M. Ali, sur la raison pour laquelle une copie de l’original n’avait pas été envoyée de nouveau et sur la question de savoir si M. Ali avait informé la SPR que cet élément de preuve serait fourni et qu’il était en route. Cependant, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur cette question.

[49]           La SAR a accepté l’explication de M. Ali en ce qui a trait à son incapacité de fournir cet élément de preuve plus tôt et elle a reconnu que les renseignements contenus dans l’affidavit étaient crédibles. La SAR a conclu que l’élément de preuve satisfaisait aux critères prévus par la Loi et qu’il était conforme aux indications données dans l’arrêt Raza. Cette décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve évaluée par la SAR.

VII.          La SAR a-t-elle commis une erreur en analysant la preuve au dossier et en ne s’en remettant pas aux conclusions de faits et de crédibilité tirées par la SPR ?

[50]           Le ministre soutient que la SAR n’a pas effectué une analyse approfondie et indépendante de l’ensemble de la preuve au dossier comme elle l’aurait dû et a passé sous silence ou omis de prendre en considération les parties essentielles. La SAR ne s’en est pas remis aux conclusions de la SPR, dont celles relatives à la crédibilité, même si cette dernière s’était entretenue avec M. Ali et avait effectué une évaluation détaillée de la preuve au dossier.

[51]           Le ministre signale plusieurs conclusions de la SPR qui n’ont tout simplement pas été prises en compte par la SAR. Par exemple, il n’a pas été question du fait que M. Ali avait utilisé son passeport djiboutien pour obtenir des visas, le renouvellement de ce passeport, sa carte de résidence aux ÉAU et d’autres documents qui lui attribuaient la nationalité djiboutienne. En outre, M. Ali a déclaré que l’ami de son père qui travaillait pour le gouvernement djiboutien l’avait aidé à obtenir le passeport, mais cela n’explique pas pourquoi le passeport de M. Ali a été délivré pour la première fois ÉAU en 2004 et renouvelé en 2009. La SAR a également omis d’examiner les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité de M. Ali pour ce qui est du moment où, selon lui, il aurait découvert que son passeport n’était pas authentique.

[52]           Selon M. Ali, la SAR n’a à faire preuve de retenue envers aucune des conclusions de faits de la SPR étant donné l’erreur que celle-ci a commise au sujet de sa citoyenneté. La Cour d’appel fédérale a fait remarquer dans l’affaire Huruglica CAF que la SAR devrait avoir la possibilité d’établir sa propre jurisprudence sur le degré de retenue dont elle devrait faire preuve.

[53]           M. Ali soutient que la SPR n’a joui d’aucun avantage par rapport à la SAR dans l’évaluation de sa citoyenneté. La SAR a pu évaluer aussi bien qu’elle les documents étrangers ainsi que les lois djiboutiennes et somaliennes.

[54]           M. Ali ajoute qu’une fois que la SAR avait conclu que la SPR avait commis une erreur en concluant qu’il était un citoyen de Djibouti, elle était tenue d’évaluer le risque objectif indépendamment de toute conclusion défavorable quant à la crédibilité (Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444 (QL), 99 NR 168 (CAF)).

La SAR n’a pas commis d’erreur dans son analyse de la preuve au dossier

[55]           La SAR a déclaré que, en se fondant sur la décision Huruglica CF, elle s’en remettrait à la SPR sur les questions de crédibilité et sur celles où la SPR jouissait d’un avantage pour tirer ses conclusions. Il s’agissait d’une approche raisonnable.

[56]           Bien qu’il n’y ait aucune mention précise à ce sujet dans la décision de la SAR, il ressort implicitement que celle-ci a conclu qu’elle n’avait à faire preuve d’aucune retenue à l’égard des conclusions de fait de la SPR. La SPR n’a pas joui d’un avantage par rapport à la SAR dans son analyse du cartable national de documentation, qui décrit les lois et les traditions en matière de citoyenneté en Somalie et à Djibouti. Selon l’évaluation qu’elle a faite, et qui tenait compte des nouveaux éléments de preuve, la SAR a tiré une conclusion différente.

[57]           L’analyse de la preuve au dossier faite par la SAR semble superficielle en comparaison de celle qui a été effectuée par la SPR. Cependant, une fois que la SAR a accepté le nouvel élément de preuve établissant que M. Ali n’était pas un citoyen de Djibouti, la preuve et l’évaluation du dossier au regard de cette preuve n’étaient plus les mêmes.

[58]           Comme M. Ali le fait remarquer, même si sa crédibilité avait été remise en question, la preuve admise par la SAR a confirmé qu’il était Somalien et que la SAR devait évaluer objectivement les risques auxquels il serait exposé à son retour en Somalie.

[59]           La SAR a fait ce que la Loi permet et exige. Elle a conclu que la SPR avait commis une erreur et qu’elle pouvait corriger l’erreur pour y substituer la décision qui aurait dû être rendue en vertu de l’alinéa 111(1)b) de la Loi.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3148-15

 

INTITULÉ :

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c YACIN DJAMA ALI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS

La juge Kane

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Teresa Ramnarine

POUR LE DEMANDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

Benjamin Liston

 

POUR LE DÉFENDEUR

YACIN DJAMA ALI

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

Benjamin Liston

Avocat

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

YACIN DJAMA ALI

 

 

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