Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160610


Dossier : T-87-16

Référence : 2016 CF 649

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2016

EN PRÉSENCE DE : monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

RICHARD TUDOR PRICE

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le procureur général du Canada [procureur général] a présenté une requête en vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106 (« les Règles »), visant à radier la déclaration déposée par Richard Tudor Price, sans autorisation de la modifier. Le procureur général affirme que notre Cour n’a pas compétence pour statuer sur la déclaration de M. Tudor Price et que sa déclaration est frivole et vexatoire, ou qu’elle constitue autrement un abus de procédure.

[2]               Pour les motifs suivants, j’ai conclu que la procédure de règlement des griefs énoncée dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, article 2 (« LRTFP »), constitue la seule tribune par laquelle M. Tudor Price peut demander des mesures de réparation pour le mauvais traitement qu’il aurait subi aux mains de ses superviseurs et de son employeur. Il convient donc de radier la déclaration dans son intégralité, sans autorisation de la modifier (Bron v. Canada (Attorney General), 2010 ONCA 71 [Bron]).

II.                Contexte

[3]               M. Tudor Price est un ancien fonctionnaire fédéral. Il a commencé à travailler à Agriculture et Agroalimentaire Canada [AAC] en 1982 et il a occupé divers postes de direction au cours de sa carrière. Il veut obtenir des dommages et des frais résultant de son présumé mauvais traitement par des gestionnaires principaux à AAC.

[4]               En juillet 2010, M. Tudor Price a été informé qu’il avait reçu, pour l’année 2009-2010, la cote de rendement « Atteint- ». Les cotes de rendement servent à calculer le montant de la prime de rendement versé à un employé. Pour les employés qui sont près de la retraite, une cote de rendement peut également avoir une incidence sur le montant de leurs prestations de retraite.

[5]               M. Tudor Price s’est plaint de sa cote de rendement auprès de sa directrice générale intérimaire de la Division des services au groupe de la direction, Direction générale des ressources humaines, puis auprès de la sous-ministre adjointe (« SMA »), Ressources humaines. M. Tudor Price affirmait qu’en novembre 2010, lui et la SMA, Ressources humaines, avaient verbalement convenu que sa cote de rendement pour 2009-2010 passerait à « Atteint », qu’il recevrait la même cote de rendement pour 2010-2011 à condition de recevoir des évaluations du rendement positives et que, en retour, il démissionnerait de la fonction publique le 30 juin 2011. La SMA, Ressources humaines, a nié avoir accepté ces conditions.

[6]               M. Tudor Price a pris sa retraite d’AAC à la fin de juin 2011. Le 2 août 2011, il a été informé que sa cote de rendement pour sa dernière année de service était « Atteint- ». Cette cote a donné lieu à une prime de rendement inférieure de 4 760 $ au montant qu’il aurait reçu s’il avait obtenu la cote « Atteint », et elle a également eu des répercussions sur ses prestations de retraite.

[7]               Le 5 août 2011, M. Tudor Price a officiellement déposé un grief dans lequel il demandait que sa cote de rendement passe à « Atteint ».

[8]               En novembre 2011, un groupe de fonctionnaires d’AAC se sont réunis pour discuter du grief de M. Tudor Price. Ils ont préparé un document intitulé « Rendement au travail de l’auteur du grief – explication », qui a été remis à la SMA, Ressources humaines, le 14 décembre 2011. Le document n’a pas été remis à M. Tudor Price avant l’audition du grief.

[9]               Le 24 février 2012, la SMA, Direction générale des ressources humaines, a refusé le grief de M. Tudor Price dans une [traduction] « décision rendue au dernier palier de la procédure de grief ».

[10]           M. Tudor Price a ensuite renvoyé son grief à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (« la Commission »). En mai 2013, la Commission a conclu que sa déclaration n’était pas arbitrable en vertu de la LRTFP (Tudor Price c. Administrateur général (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2013 CRTFP 57). La Commission a refusé le grief de M. Tudor Price et elle a rejeté les allégations selon lesquelles son traitement par les représentants d’AAC constituait de la mauvaise foi ou des mesures disciplinaires déguisées :

[48] J’en conclus que l’argument de mauvaise foi du fonctionnaire est fondé sur une série d’hypothèses qu’il a émises, dont aucune n’a été démontrée à l’aide de preuves convaincantes, et qu’il lui manquait la crédibilité nécessaire pour inclure le grief dans le champ d’application de l’article 209 de la Loi.

[...]

[52] Ce qui s’est dégagé de ce cas n’était pas que le travail des membres de la haute direction était motivé par de la mauvaise foi ou un désir de punir ou d’imposer des mesures disciplinaires à l’employé pour un motif autre que son rendement. Il s’agissait plutôt de l’effort collectif du Comité qui était spécifiquement chargé d’examiner et d’approuver les évaluations de rendement d’un groupe de cadres supérieurs avant d’attribuer des notes de rendement à chacun d’eux, sous réserve de l’approbation de la sous-ministre.

[11]           M. Tudor Price a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Le 31 mars 2014, la juge Gleason a convenu que la Commission n’avait pas compétence pour statuer sur la déclaration de M. Tudor Price et elle a rejeté sa demande de contrôle judiciaire.

[12]           À la lumière de la décision de la Cour, M. Tudor Price a présenté une demande de contrôle judiciaire de la « décision rendue au dernier palier de la procédure de grief » par la SMA, Ressources humaines. Le 1er juin 2015, la juge Heneghan a accueilli la demande aux motifs de l’équité procédurale. Elle a trouvé que le décideur s’était appuyé à tort sur des documents et matériels qui n’avaient pas été divulgués à M. Tudor Price (Price c. Canada (Procureur général), 2015 CF 696).

[13]           Le 12 février 2016, M. Tudor Price a été informé que la révision de son grief avait donné lieu à une décision favorable. Sa cote de rendement pour la période d’évaluation 2010-2011 est passée à « Atteint », et sa paie tout comme ses prestations de retraite ont été rajustées en conséquence.

[14]           En dépit de son succès apparent, le 7 mars 2016, M. Tudor Price a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision d’accueillir son grief. M. Tudor Price affirme que le décideur de dernier palier ne s’était pas penché sur les allégations de mauvaise foi et d’atteinte à sa réputation; il n’avait pas examiné l’allégation selon laquelle sa démission était invalide du fait qu’elle avait été induite par la tromperie; il avait refusé de façon déraisonnable d’accueillir une modification du grief pour inclure des allégations supplémentaires; il avait fourni des motifs inadéquats et il n’avait pas pris en compte des mesures de réparation comme des dommages pour l’atteinte à la réputation et la réinsertion. M. Tudor Price demande à la Cour de renvoyer l’affaire à AAC en vue d’une audition de novo complète qui tienne compte de toutes ses allégations et des mesures de réparation proposées. Il demande également que sa demande de contrôle judiciaire soit transformée en action pour qu’il puisse avoir la possibilité de demander des dommages de la Cour pour abus de pouvoir, faute dans l’exercice d’une charge publique et autres délits reprochés aux fonctionnaires d’AAC. La demande de contrôle judiciaire est actuellement en instance devant la Cour (dossier no T-400-16).

[15]           Le 15 janvier 2016, M Tudor Price a déposé une déclaration à la présente action, dans laquelle il allègue que [traduction] « les actes des fonctionnaires d’AAC dans le traitement de son grief de 2011 constituent une faute dans l’exercice d’une charge publique ».

[16]           Le 12 février 2016, le procureur général a présenté une requête en radiation de la déclaration de M. Tudor Price en vertu des alinéas 221a), c) et f) des Règles, dispositions qui permettent à la Cour, en tout temps, d’ordonner la radiation d’un acte de procédure au motif qu’il : a) ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable; c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire; f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

III.             Questions en litige

[17]           La requête que le procureur général a présentée en vue de faire radier la déclaration de M. Tudor Price soulève deux questions.

A.           La déclaration devrait-elle être radiée pour absence de compétence?

B.            La déclaration devrait-elle être radiée parce qu’elle est frivole ou vexatoire ou qu’elle constitue autrement un abus de procédure?

IV.             Analyse

[18]           Une requête en radiation en vertu de l’article 221 sera accueillie seulement s’il est évident et manifeste que la déclaration ne révèle pas une demande raisonnable (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, [1990] 1 WDCP (2d) 523 (CSC)). Dans les causes où les points n’ont pas été entièrement réglés par la jurisprudence, la Cour devrait hésiter à trancher une requête en radiation pour absence de compétence, étant donné que les questions complexes d’interprétation de la loi sont mieux débattues à l’instruction (Committee for Monetary and Economic Reform (“COMER”) c. Canada, 2016 CF 147, au paragraphe 68).

A.                La déclaration devrait-elle être radiée pour absence de compétence?

[19]           Le procureur général affirme que les prétentions alléguées dans la déclaration de M. Tudor Price sont entièrement liées à son emploi et ne peuvent être poursuivies qu’au moyen d’un grief conformément à la LRTFP. M. Tudor Price répond qu’il n’était plus un employé d’AAC au moment de l’allégation de faute dans l’exercice d’une charge publique et que, par conséquent, la LRTPF ne dépossède pas la Cour de sa compétence. Il maintient également que les allégations de malice et de corruption dépassent la portée de la procédure de règlement des griefs.

[20]           Les différends liés à l’emploi peuvent être matière à grief en application du paragraphe 208(1) de la LRTPF, qui est libellé comme suit :

208 (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi, [...]

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

 

208. (1) Subject to subsections (2) to (7), an employee is entitled to present an individual grievance if he or she feels aggrieved

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

(i) a provision of a statute or regulation, or of a direction or other instrument made or issued by the employer, that deals with terms and conditions of employment, [...]

(b) as a result of any occurrence or matter affecting his or her terms and conditions of employment.

[21]           Le procureur général affirme que les plaintes de M. Tudor Price sont liées au sous-alinéa 208(1)a)(i) et à l’alinéa 208(1)b) de la LRTPF parce qu’elles portent sur l’application des politiques d’évaluation du rendement de l’employeur et de la procédure de règlement des griefs. Elles traitent également des conditions d’emploi de M. Tudor Price.

[22]           Citant l’arrêt Bron au paragraphe 33, le procureur général avance que l’article 236 de la LRTPF [traduction] « dépossède explicitement » la Cour de sa compétence pour statuer sur des demandes pouvant faire l’objet d’un grief en vertu de l’article 208 de la LRTPF. L’article 236 de la LRTPF est libellé comme suit :

236 (1) Le droit de recours du fonctionnaire par voie de grief relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi remplace ses droits d’action en justice relativement aux faits — actions ou omissions — à l’origine du différend.

(2) Le paragraphe (1) s’applique que le fonctionnaire se prévale ou non de son droit de présenter un grief et qu’il soit possible ou non de soumettre le grief à l’arbitrage. [...]

236. (1) The right of an employee to seek redress by way of grievance for any dispute relating to his or her terms or conditions of employment is in lieu of any right of action that the employee may have in relation to any act or omission giving rise to the dispute.

(2) Subsection (1) applies whether or not the employee avails himself or herself of the right to present a grievance in any particular case and whether or not the grievance could be referred to adjudication.[...]

 

[23]           Le paragraphe 206(2) de la LRTPF vise le droit d’un ancien fonctionnaire d’invoquer la procédure de règlement des griefs et est libellé comme suit :

(2) Les dispositions de la présente partie relatives aux griefs s’appliquent par ailleurs aux anciens fonctionnaires en ce qui concerne :

a) les mesures disciplinaires portant suspension, ou les licenciements, visés aux alinéas 12(1)c), d) ou e) de la Loi sur la gestion des finances publiques; [...]

 

206. (2) Every reference in this Part to an “employee” includes a former employee for the purposes of any provisions of this Part respecting grievances with respect to

(a) any disciplinary action resulting in suspension, or any termination of employment, under paragraph 12(1)(c), (d) or (e) of the Financial Administration Act.[...]

[24]           M. Tudor Price affirme qu’il ne craint pas « les mesures disciplinaires portant suspension, ou les licenciements ». Il soumet qu’il ne dispose pas de la procédure de règlement des griefs puisqu’il ne fait pas partie de la définition d’« ancien fonctionnaire » de la LRTPF.

[25]           Le procureur général admet que, de prime abord, la définition de « fonctionnaire » du paragraphe 206(2) semble limiter le droit d’anciens fonctionnaires aux griefs liés à leur suspension ou à leur licenciement. Cependant, le procureur général décrit le paragraphe 206(2) comme étant une disposition habilitante plutôt que limitative, tout en affirmant que la jurisprudence appuie une interprétation large du droit de l’ancien fonctionnaire de déposer un grief en vertu de l’article 208 de la LRTPF. Le procureur général prétend que la question déterminante n’est pas de savoir si l’intéressé travaillait toujours au moment où le différend est survenu, mais bien si l’affaire porte sur l’emploi de l’intéressé.

[26]           La Cour d’appel fédérale a jugé que le paragraphe 90(1) de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, prédécesseur du paragraphe 208(1) de la LRTPF actuelle, doit être interprété de façon à inclure toute personne qui « se sent lésée à titre d’employé » (La Reine c. Lavoie (1977), [1978] 1 CF 778 au paragraphe 10, [1977] 2 ACWS 81 (Fed CA) [Lavoie]). Bien que l’arrêt Lavoie porte sur une allégation de licenciement disciplinaire, la Cour a interprété la décision comme si elle visait à protéger le droit d’anciens fonctionnaires de formuler un grief lorsque « les faits à l’origine du grief se sont produits au cours de l’emploi de l’intéressé » (Salie c. Canada (Procureur général), 2013 CF 122, au paragraphe 61 [Salie]).

[27]           Dans la décision Salie, la juge Mactavish a passé en revue la jurisprudence qui régit la question du droit d’un ancien fonctionnaire au grief, y compris la décision Glowinski c. Canada (Procureur général) (1977), [1978] 2 CF 307 (CAF), au paragraphe 8; IPFPC c. Solliciteur général, [1979] CRTFPC n  6 (Cardinal), au paragraphe 28; Hunt c. Conseil du Trésor (Transports Canada), [1997] CRTFPC no 84, au paragraphe 6; et Glowinski c. Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 78. La juge Mactavish a conclu que le différend dans chaque cas faisait suite « au renvoi de l’intéressé alors qu’il était en stage (dans un cas, pour d’éventuelles raisons disciplinaires) ou à des problèmes qui avaient surgi alors que l’intéressé travaillait toujours au sein de la fonction publique. ». Elle a observé qu’« [a]ucune de ces affaires ne portait sur un litige qui avait surgi longtemps après que l’intéressé avait cessé d’être un employé du gouvernement » (au paragraphe 59).

[28]           Le différend dans la décision Salie portait sur le versement erroné et redondant par l’employeur d’une indemnité de départ à un employé, somme qu’il a tenté de récupérer environ deux ans après que l’employé a quitté la fonction publique. Dans ces circonstances, la juge Mactavish avait conclu que M. Salie ne pouvait se prévaloir de la procédure de règlement des griefs parce qu’il n’avait pas été « lésé à titre d’employé ». Elle a donc accepté la compétence pour juger de l’affaire.

[29]           L’avocate du procureur général, dans son rôle de fonctionnaire de la Cour, a également cité l’arrêt Martell v. AG of Canada & Ors., 2016 PECA 8 [Martel], un arrêt récent de la Cour d’appel de l’Île-du-Prince-Édouard. L’affaire portait sur une ancienne employée de la Gendarmerie Royale du Canada [GRC] qui avait intenté un recours en dommages-intérêts découlant d’un harcèlement qui se serait produit pendant qu’elle travaillait à la GRC et après sa démission également. Le procureur général avait présenté une requête préliminaire tendant au rejet de l’instance. La Cour d’appel estimait, à l’instar du juge des requêtes, que les déclarations concernant la période d’emploi visée par une convention collective devaient être radiées pour absence de compétence. La Cour d’appel a conclu ce qui suit au paragraphe 22 :

[traduction] Le juge des requêtes a conclu que la LRTPF et la convention collective constituent un mode de résolution des différends complet et exclusif. Je suis d’accord. Un employé ne peut échapper aux dispositions de la LRTPF ou à la convention collective en démissionnant et en intentant une poursuite en justice.

[30]           Cependant, l’appel a été accueilli relativement à l’ordonnance du juge des requêtes de radier les déclarations à l’égard des allégations portant sur les actes qui s’étaient produits après la démission de l’employée en question. La Cour d’appel a mentionné ce qui suit au paragraphe 37 :

[traduction] Les déclarations concernant l’abus, les menaces et le harcèlement qui se sont produits bien après la rupture du lien d’emploi ne peuvent être considérés comme des questions dont le caractère essentiel du différend est issu des conditions d’emploi de l’appelante avec la GRC. Autrement dit, les déclarations de l’appelante au sujet des événements qui se sont produits après sa démission ne sont pas exclusivement l’objet des négociations collectives, et la LRTPF ou la convention collective ne prévoit pas de mesures de réparation pour ces déclarations.

[31]           À mon avis, le cas d’espèce se distingue de la décision Salie et de l’arrêt Martell. Les plaintes soulevées par M. Tudor Price en l’espèce sont clairement ancrées dans son lien d’emploi avec AAC. Elles portent sur des questions qui ont surgi pendant qu’il travaillait à la fonction publique, y compris les circonstances qui ont précipité son départ à la retraite d’AAC, sa cote de rendement finale et la manière dont les hauts fonctionnaires d’AAC ont traité son grief. M. Tudor Price est par conséquent « lésé à titre d’employé ».

[32]           Le fait que M. Tudor Price s’est prévalu lui-même de la procédure de règlement des griefs est révélateur. Il allègue au paragraphe 36 de sa déclaration que les [traduction] « agissements des fonctionnaires d’AAF dans le traitement de son grief en 2011 constituent une faute dans l’exercice d’une charge publique » [non en italique dans l’original]. Sa réclamation en dommages-intérêts est inextricablement liée au grief initial, qu’il a déposé pendant qu’il travaillait encore à AAC.

[33]           Les allégations pures et simples de mauvaise foi, de malice et de corruption de M. Tudor Price n’excluent pas ses réclamations de la procédure de règlement des griefs (voir, p. ex., Tipple c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 158).

[34]           Je conclus que la procédure de règlement des griefs qui se trouve dans la LRTFP fournit la seule tribune par laquelle M. Tudor Price peut demander la mesure de réparation pour le mauvais traitement qu’il aurait subi aux mains de ses superviseurs et de son employeur. Il convient donc de radier la déclaration dans son intégralité, sans autorisation de la modifier (Bron). Il n’a pas encore été établi si AAC avait convenablement traité ou non toutes les allégations et mesures de réparation avancées par M. Tudor Price; cette question sera examinée dans sa demande en contrôle judiciaire concurrente (dossier no T-400-16).

B.                 La déclaration devrait-elle être radiée parce qu’elle est frivole ou vexatoire ou qu’elle constitue autrement un abus de procédure?

[35]           À la lumière de ma décision concernant l’absence de compétence de la Cour au sujet de la déclaration de M. Tudor Price, il est nécessaire de décider si la déclaration est également scandaleuse, frivole ou vexatoire en contravention de l’alinéa 221(1)c) ou si elle constitue un abus de procédure en contravention de l’alinéa 221(1)f). Je noterais simplement que les mesures de réparation demandées au paragraphe 45 (perte de revenu, rémunération à risque et prestations de retraite) ont déjà été accordées par l’entremise de la procédure de règlement des griefs.

[36]           De même, la mesure de réparation demandée au paragraphe 46 (coûts associés au litige de M. Tudor Price avec AAC depuis août 2011) a été jugée par la Cour et d’autres instances : la juge Gleason a refusé d’accorder les dépens associés à la demande de contrôle judiciaire de M. Tudor Price; la juge Heneghan a accordé des dépens associés à la demande de contrôle judiciaire à l’égard de la première décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs; le décideur dans la deuxième décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs a refusé d’accorder des dépens. M. Tudor Price a demandé un contrôle judiciaire de cette décision, et les dépens associés à cette procédure seront donc pris en compte dans ce contexte.

[37]           La seule mesure de réparation demandée par M. Tudor Price dans la présente action se trouve au paragraphe 47 de sa déclaration, dans lequel il réclame des dommages généraux, spéciaux et majorés, ainsi que le montant des intérêts, pour atteinte à sa réputation et souffrance morale. L’allégation de faute dans l’exercice d’une charge publique n’a pas été abordée lors de la révision de son grief. Encore une fois, la question à savoir si le décideur aurait dû prendre en compte cet aspect de sa déclaration sera examinée dans le contexte de la demande de contrôle judiciaire de cette décision.

V.                Dépens

[38]           Le procureur général demande des dépens et il a présenté un projet de mémoire de frais s’élevant à 1 680,00 $ (excluant les débours). M. Tudor Price s’est représenté lui-même dans cette cause. Les questions étaient assez complexes pour un plaideur profane, et ses observations étaient bien réfléchies. Vu l’ensemble des circonstances, j’exerce ma discrétion d’adjuger un montant forfaitaire au procureur général pour la somme de 1 000,00 $, y compris les débours et les intérêts.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.      la déclaration soit radiée, sans autorisation de la modifier;

2.      une somme forfaitaire de 1 000,00 $, y compris les débours et les intérêts, soit adjugée au procureur général.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-87-16

 

INTITULÉ :

RICHARD TUDOR PRICE c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 mai 2016

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Richard Tudor Price

Pour son propre compte

 

Pour le demandeur

 

Zoe Oxaal

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.