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Date : 20160704


Dossier : IMM-2639-15

Référence : 2016 CF 741

Montréal (Québec), le 4 juillet 2016

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

MAMADOU SALIOU DIALLO

ALIAS MOHAMED SANOH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] datée du 24 avril 2015 maintenant l’ordonnance provisoire ex parte de confidentialité et de mise au rôle (amendée) rendue par un autre commissaire de la SPR le 28 novembre 2014 [l’Ordonnance] et rejetant sa demande d’asile.

[2]               La présente affaire soulève des questions liées au rejet de la demande d’asile du demandeur, au processus ayant mené à l’émission de l’Ordonnance, à la constitution du dossier certifié devant notre Cour et à la décision de maintenir ou non la confidentialité de certains documents par notre Cour.

[3]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire du demandeur et ordonne le maintien de la confidentialité de certains documents.

II.                Certains faits pertinents

[4]               Le 11 septembre 2011, le demandeur arrive au Canada, muni d’un passeport guinéen et d’un visa de résident temporaire canadien [VRT] émis sous le nom de Mohamed Sanoh. Il est détenu à l’aéroport dès son arrivée et, interrogé par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC], admet que son passeport est frauduleux, allègue être plutôt Mamadou Saliou Diallo, citoyen de la Guinée, et présente alors une demande d’asile sous ce dernier nom.

[5]               Le demandeur base sa demande d’asile sur sa crainte de persécution en raison de ses activités politiques en Guinée au sein de l’Union des forces démocratiques de la Guinée [UFDG].

[6]               Il demeure détenu jusqu’au 20 octobre 2011 et les commissaires chargés de revoir sa détention réfèrent alors à lui sous le nom de Mamadou Saliou Diallo.

[7]               Suite à la demande d’asile du demandeur devant la SPR, le ministre de la Sécurité publique et la Protection civile [Ministre] obtient un rapport de l’ASFC [le Rapport] confirmant notamment que des passeports authentiques, mais frauduleux, ont été émis en Guinée et exposant des techniques d’enquête de l’ASFC. Soucieux de protéger des informations contenues dans ce Rapport, le Ministre initie des procédures auprès de la SPR et de notre Cour afin d’en assurer la confidentialité.

[8]                Le 28 novembre 2014, à l’issue de ces procédures, conduites ex parte et auxquelles le demandeur n’a donc pas participé, la SPR émet l’Ordonnance. La SPR reconnait que le Rapport contient clairement des informations qui permettent d’identifier les personnes visées par l’enquête et qu’il dévoile les méthodes et techniques d’enquête de l’ASFC, de même que les recherches et analyses auxquelles l’ASFC a procédé.

[9]               L’Ordonnance prévoit la confidentialité du Rapport et celle d’un affidavit d’un analyste du renseignement [l’Affidavit] déposé pour soutenir la demande de confidentialité, de même que certaines mesures quant à l’utilisation, la divulgation, la reproduction et la destruction du Rapport. L’Ordonnance prévoit en outre que ni le demandeur ni son conseil ne peuvent accéder, consulter ou obtenir une copie non caviardée de l’Affidavit joint à la demande ex parte du Ministre telle qu’elle se trouve au dossier de la SPR, que si le Ministre entend déposer le Rapport au soutien de son intervention dans la demande d’asile, ce sera lui qui transmettra les documents au demandeur et qu’il n’aura alors pas à transmettre une copie non caviardée de l’Affidavit.

[10]           L’Ordonnance prévoit qu’elle demeure en vigueur et continue d’avoir effet tant et aussi longtemps qu’elle n’a pas été annulée ou amendée par une autre ordonnance rendue dans le cadre de la compétence de la SPR.

[11]           Finalement, l’Ordonnance prévoit que le demandeur aura sept (7) jours pour faire parvenir au greffe de la SPR et au Ministre sa réponse.

[12]           Le 21 janvier 2015, le Ministre dépose un Avis d’intervention dans le dossier du demandeur pour atteinte à l’intégrité du programme d’asile canadien et il demande qu’une ordonnance permanente soit rendue pour remplacer l’Ordonnance.

[13]           Le 21 janvier 2015, le Ministre transmet donc au demandeur l’Ordonnance en vue de l’audience de la SPR prévue le 10 février suivant. Tel que le prévoit l’Ordonnance, le Ministre transmet alors aussi au demandeur les documents groupés sous la cote M-8.

[14]           Malgré l’opportunité qui lui est offerte, le demandeur ne répond pas à l’Ordonnance, ni à l’Avis d’intervention du Ministre, et le 10 février 2015, la SPR entend le dossier.

[15]           En dépit du fait qu’il n’a pas répondu, le demandeur s’oppose alors au processus ex parte ayant mené à l’Ordonnance. Il ne s’oppose pas au maintien confidentiel dudit Rapport, mais soutient plutôt que le processus ex parte suivi par le Ministre et le fait que le Ministre lui ait transmis les documents de la SPR démontrent que cette dernière est partiale, et que ceci a eu un effet sur l’évaluation de la crédibilité du demandeur. Le demandeur ne soulève alors aucun argument en lien avec l’Affidavit.

[16]           Le 16 février 2015, ayant reçu la permission appropriée de la SPR, le demandeur lui soumet des représentations additionnelles dans lesquelles il traite de la question de l’intervention du Ministre et du processus ex parte ayant mené à l’émission de l’Ordonnance.

III.             La décision de la SPR

[17]           Le 24 avril 2015, la SPR rend sa décision. Alors que les parties reçoivent une version intégrale, une copie caviardée est versée au dossier de la SPR, compte tenu du caractère confidentiel de certaines informations.

[18]           Ainsi, dans sa décision, la SPR examine d’abord le contexte particulier lié à la procédure suivie pour protéger le Rapport, conclut qu’il n’y a pas de crainte raisonnable de partialité dans le processus ex parte, refuse la demande du Ministre de rendre une ordonnance de confidentialité permanente et maintient plutôt l’Ordonnance.

[19]           Pour évaluer s’il y a crainte de partialité, la SPR s’appuie sur le test énoncé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c l’Office national de l’énergie, 1978 1 RCS 369, et examine donc « À quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique? Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, (le décideur), consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? ». Elle conclut qu’il n’y a pas de crainte raisonnable de partialité vu les modalités mises en place par la SPR et considérant notamment que le demandeur a eu l’occasion de répondre.

[20]           La SPR examine ensuite les allégations du demandeur en lien avec sa demande d’asile. Elle considère qu’il a le fardeau d’établir sa véritable identité et note qu’au moment de sa demande d’asile, il n’avait aucun autre document que le passeport frauduleux. Elle souligne que le demandeur a subséquemment obtenu d’autres documents, portant le nom de Diallo, soit un passeport de la Guinée émis en 2007, un permis de conduire, une carte d’identité nationale, une carte du parti UFDG, deux diplômes, une carte d’étudiant et une carte d’électeur.

[21]           La SPR analyse les cinq (5) premiers documents de la liste précitée, note les anomalies liées d’une part aux documents eux-mêmes et d’autre part à la façon dont le demandeur allègue les avoir obtenus de la Guinée, et souligne les incohérences dans le témoignage du demandeur. Essentiellement, la SPR considère le témoignage du demandeur laborieux et parsemé d’hésitations et ses réponses trop vagues pour constituer des explications qui règlent clairement les anomalies soulevées. Elle conclut que le demandeur semble s’en tenir à un scénario proposé par « l’intermédiaire » et qu’il n’est pas crédible.

[22]           La SPR conclut que le demandeur n’a pas rencontré le fardeau qui lui est imposé d’établir son identité et conclut que sa demande d’asile est manifestement infondée en vertu de l’article 107.1 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

IV.             La mise sous scellé par la Cour

[23]           Le 5 juin 2015, le demandeur dépose une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SPR sur la demande d’asile. De plus, et afin de se conformer à l’Ordonnance, le demandeur dépose le 26 juin 2015 un dossier de requête demandant à la Cour d’ordonner la non-publication et la confidentialité des documents déjà soumis à l’Ordonnance de confidentialité dans le dossier du demandeur, d’entendre le dossier à huis clos et d’ordonner la non-publication des informations confidentielles dans les décisions de la Cour dans ce dossier. La Cour ordonne la mise sous scellé de tous les dossiers liés au Rapport afin d’en protéger la confidentialité.

[24]           La Cour autorise la demande de révision judiciaire du demandeur, et la SPR transmet donc le dossier certifié du tribunal [DCT] aux parties et à la Cour.

[25]           Cependant, le DCT transmis au demandeur est considérablement amputé et ce dernier ne reçoit donc pas tous les documents qu’il devrait recevoir. Les parties confirment cependant avoir échangé entre elles en amont de l’audience devant cette Cour afin de pallier cet état de fait. Le demandeur ne s’est pas opposé, n’a pas demandé d’ajournement en lien avec cette situation et tant à l’audience que lors de la téléconférence subséquente, il s’est déclaré satisfait d’avoir en mains les documents nécessaires.

[26]            Par ailleurs, toujours à l’audience devant notre Cour, l’avocate du demandeur déclare apprendre alors que la SPR et la Cour avaient bénéficié d’une version non caviardée de l’Affidavit déposé au soutien de la demande de confidentialité devant la SPR alors que le demandeur n’a obtenu qu’une version caviardée.

V.                Questions en litige

[27]           Les parties soulèvent les questions suivantes:

A.                L’évaluation de la crédibilité du demandeur par la SPR est-elle raisonnable?

B.                 La SPR a-t-elle manqué aux principes de justice naturelle dans le traitement du dossier du demandeur en tenant une audience ex parte avant de prononcer l’Ordonnance et en ne transmettant pas au demandeur la version non caviardée de l’Affidavit?

C.                 Des documents ou informations doivent-ils être protégés et si oui, lesquels?

VI.             Position du demandeur

[28]           Le demandeur soutient que (1) la SPR a rendu une décision déraisonnable dans son évaluation de sa crédibilité, (2) les principes de justice naturelle n’ont pas été respectés dans le traitement de son dossier puisque (a) le processus ex parte suivi par la SPR et ayant mené à l’Ordonnance a teinté l’évaluation de la crédibilité du demandeur par la SPR et (b) la preuve soumise par le Ministre différait de la preuve soumise au demandeur devant la SPR et devant cette Cour puisque le demandeur a appris devant la Cour qu’une version non caviardée de l’Affidavit a été divulguée à la SPR et à la Cour alors que lui n’en a jamais reçu et (3) l’Ordonnance devrait être limitée aux seules informations pouvant permettre d’identifier d’autres demandeurs.

[29]           Le demandeur soumet que les allégations liées à l’évaluation de sa crédibilité doivent être revues sous la norme de la décision raisonnable.

[30]           À cet égard, il soumet que (1) son témoignage est crédible puisque tous les faits qu’il allègue sont corroborés par la preuve de l’ASFC, particulièrement, qu’il a frauduleusement obtenu un document authentique, (2) la SPR a déterminé que son passeport de 2007 n’est pas authentique sans explication, (3) la SPR a retenu que sa carte d’identité n’était pas crédible en s’attardant à des détails et (4) la SPR a rejeté l’authenticité de son diplôme en sociologie parce qu’il ignorait la population de Fria.

[31]           Il soumet que les allégations liées au non-respect des principes de justice naturelle doivent être revues sous la norme de la décision correcte. Il soumet à cet égard (1) qu’il y a crainte raisonnable de partialité puisque la SPR et le défendeur ont eu des échanges sans que le demandeur n’y participe, (2) que son identité avait déjà été établie dans le cadre des révisions de sa détention et que le dépôt du Rapport et d’un rapport américain déclassifié sur la Guinée ne servent qu’à jeter un doute en faveur du Ministre, (3) que le processus ex parte n’aurait pas dû être accepté par la SPR, (4) que la SPR avait l’obligation de lui transmettre la décision ex parte dès qu’elle a été rendue, (5) que la décision aurait dû être transmise par la SPR et non par le Ministre, (6) que les délais n’étaient pas suffisants pour répondre et (7) que la situation démontre que la SPR n’est pas transparente et a agi de façon à privilégier la position du Ministre.

[32]           Finalement, en lien avec l’Affidavit, le demandeur soutient que les dispositions sur la confidentialité prévues à la LIPR ne sont pas prévues pour permettre le dépôt de documents sans que la personne concernée ne puisse y avoir accès. Essentiellement, le demandeur soutient avoir ignoré que l’Affidavit était disponible à la SPR dans sa version intégrale, tandis qu’il lui a été transmis dans sa version caviardée et qu’il aurait dû être déposé de façon identique devant le décideur et le demandeur.

[33]           À cet égard, il soutient (1) qu’il a le droit de connaître la preuve produite contre lui et qu’il a le droit d’y répondre, (2) que l’ordonnance de notre Cour du 29 septembre 2014 ne prévoyait pas que le défendeur présente une version différente des documents au demandeur et à la SPR, (3) que la SPR s’est permise d’avoir des communications avec le défendeur sans qu’elles ne soient transmises au demandeur et a refusé de répondre aux questions du demandeur, préférant laisser le Ministre répondre et (4) que la SPR a ainsi violé les principes de justice fondamentale et que ses violations n’ont pas permis au demandeur de faire état de ses objections, de présenter ses arguments et ont entrainé un bris, voir un abus de confiance envers le tribunal qui se devait d’être impartial.

[34]           Le demandeur soumet qu’il est contraire aux règles de droit les plus élémentaires qu’il n’ait pas obtenu la totalité du dossier alors que le juge et le défendeur ont obtenu cette copie directement du tribunal, et ce, nonobstant le fait qu’il ait ou non subi un préjudice. Le demandeur soumet également que l’Affidavit devrait être caviardé de la même façon pour le demandeur que pour le tribunal.

[35]           Le demandeur demande maintenant à la Cour d’ordonner qu’une version caviardée de plusieurs pages du DCT (les pages 300, 304, 305, 309, 321 à 323, 325 à 327, 420, 433 à 435, 437 à 439, 494 à 496, 498 à 500, 525, 538 à 540, 542 à 544 et 594) soit mise au dossier public de la Cour de sorte que seules les informations pouvant identifier d’autres demandeurs soient caviardées et que toutes les autres pages devraient être mises au dossier public de la Cour.

VII.          Position du défendeur

[36]           Le défendeur se déclare d’accord avec les normes de contrôle proposées par le demandeur.

[37]           Le défendeur soumet que les conclusions de la SPR sont raisonnables. De plus, il soumet (1) qu’il incombe au demandeur de présenter des documents acceptables pour établir son identité, que la SPR est libre de rejeter sa demande d’asile s’il ne réussit pas à établir son identité selon la prépondérance de la preuve, ce qu’il n’a pas fait, (2) que le demandeur a déposé son permis de conduire pour établir son identité, lequel contenait plusieurs indices de contrefaçon, (3) que la carte d’identité soumise par le demandeur contenait également plusieurs anomalies, dont une altération du sexe de F à M, (4) que le demandeur hésitait longuement avant de répondre aux questions de la SPR au sujet de faits dont il devrait avoir une connaissance personnelle, (5) que la carte de membre de l’UFDG déposée par le demandeur comportait également des anomalies et (6) que compte tenu des anomalies accumulées sur plus d’un document, la conclusion de la SPR que le demandeur n’est pas crédible est justifiée.

[38]           Le défendeur soumet qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale. À cet égard il soumet (1) que la juge Bédard de notre Cour a confirmé que le Ministre pouvait procéder ex parte devant la SPR dans le cadre d’un processus à deux temps où les demandeurs concernés auraient l’occasion de se faire entendre avant que la demande du Ministre ne soit tranchée de façon finale, (2) que le Ministre a fait cette demande et que le 28 novembre 2014, la SPR a émis l’Ordonnance, dans laquelle il est prévu que le demandeur a l’occasion de présenter ses arguments avant que la SPR ne rende une décision finale à l’égard de la confidentialité du document, (3) que le demandeur a eu l’occasion de faire valoir ses arguments et de contester la procédure suivie, mais qu’il ne s’en ait pas prévalu, ni n’a demandé de prolongation de délai à la SPR pour ce faire, (4) que la SPR a néanmoins permis au demandeur de soumettre des représentations orales lors de l’audience et de soumettre des représentations écrites additionnelles à cet égard après l’audience, (5) que le Ministre a respecté les délais applicables et qu’il n’était pas tenu d’aviser le demandeur de son intention d’intervenir plus tôt, (6) que la SPR a fourni des motifs suffisants pour justifier le rejet des arguments présentés par le demandeur, notamment les paragraphes 7 à 15 des motifs de la décision de la SPR et (7) que l’argument du demandeur à l’effet que la commissaire démontrait que son indépendance était compromise relève de la spéculation.

[39]           Dans ses représentations additionnelles en lien avec l’Affidavit, le défendeur soumet (1) que le demandeur n’a subi aucun préjudice du fait qu’il a reçu une version caviardée de l’Affidavit, (2) qu’il n’a fait aucune démarche pour obtenir les documents qui lui manquaient et (3) qu’il soulève des points qu’il n’a jamais soulevés devant la SPR en expliquant que son défaut de se plaindre en temps utile relève du fait qu’il croyait que la SPR détenait la même version des documents que lui.

[40]           Le défendeur soumet de plus que les documents transmis au demandeur signalaient qu’il recevait une version caviardée de l’Affidavit et dirige la Cour au paragraphe 23 de l’Ordonnance qui confirme cette affirmation.

[41]           Le défendeur soumet que le demandeur n’a subi aucun préjudice du fait qu’il ait reçu une version caviardée de l’Affidavit puisque cet Affidavit a seulement servi à établir qu’une ordonnance de confidentialité était requise pour protéger le Rapport et ne contenait aucun élément pertinent à la demande d’asile du demandeur. Le défendeur soumet (1) qu’une partie qui constate un manquement à l’équité procédurale ne peut rester silencieuse et attendre le contrôle judiciaire avant de se plaindre, (2) qu’en l’instance le demandeur soulève des points qu’il n’a jamais soulevés devant la SPR et (3) que l’Affidavit déposé devant la SPR n’a pas été invoqué contre le demandeur, mais a simplement servi à démontrer pourquoi une ordonnance de confidentialité était requise et ne contient aucun renseignement pertinent à la demande d’asile du demandeur.

[42]           Le défendeur demande à la Cour d’ordonner que les documents visés par l’Ordonnance demeurent confidentiels.

VIII.       Norme de contrôle

[43]           La Cour est d’accord avec les parties que la décision de la SPR quant à la crédibilité doit être revue selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] au para 53; Khachatourian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 182 au para 29) tandis que les questions de justice naturelle et d’équité procédurale doivent être revues sous la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa] au para 43).

IX.             Analyse

A.                Évaluation de la crédibilité

[44]           La SPR a examiné les documents et a eu le bénéfice du témoignage du demandeur. Il ne revient pas à cette Cour de réévaluer la preuve soumise à la SPR, ni de remplacer sa propre appréciation de la preuve à celle de la SPR. Au surplus, l’appréciation de la crédibilité est une question de fait pour laquelle cette Cour doit faire preuve de déférence envers la SPR (Dunsmuir, au para 47; Khosa, au para 59).

[45]           En l’instance, la Cour est satisfaite que les inférences que la SPR a tirées et les conclusions auxquelles elle en est arrivée sont soutenues par les éléments du dossier et par le témoignage du demandeur dont la transcription révèle qu’il était effectivement laborieux et vague. Compte tenu du dossier, la décision de la SPR appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », est justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir, au para 47) et le demandeur n’a pas convaincu la Cour de la nécessité d’intervenir.

[46]           Au surplus, rien n’indique que les commissaires chargés de la révision de détention du demandeur aient, simplement en référant au demandeur par le nom qu’il leur a donné, confirmé qu’il s’agissait là de sa véritable identité.

B.                 Équité procédurale et justice naturelle

(1)               Traitement du dossier du demandeur devant la SPR

[47]           La Cour est sensible aux allégations du demandeur en lien avec les principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

[48]           Cependant, la Cour note que (1) le demandeur n’a pas répondu en temps opportun à l’Ordonnance, mais que la SPR lui a néanmoins accordé la possibilité de répondre a postiori, et qu’il ne s’est alors pas opposé à l’Ordonnance, (2) la Cour, sous la plume de la juge Bédard, a reconnu la possibilité pour la SPR de procéder de façon ex parte dans le cadre d’une procédure en deux temps, ce qui a été fait, (3) la demande pour l’Ordonnance et la demande d’asile ont été entendues par des commissaires différents et que la crainte de partialité n’est donc pas justifiée, (4) la SPR pouvait ordonner que le Ministre transmette l’Ordonnance au demandeur, puisque cette transmission dépendait de la décision du Ministre d’utiliser ou non le Rapport, (5) l’Affidavit n’était pas lié à la demande d’asile du demandeur, mais soutenait la demande en confidentialité du Rapport et (6) l’Ordonnance mentionne spécifiquement que la SPR a une version différente de l’Affidavit que celle, caviardée, transmise au demandeur et à son conseil et que seule la version caviardée de l’Affidavit sera transmise au demandeur. Ainsi, le demandeur ne peut avoir appris ce fait devant notre Cour.

[49]           Au surplus, il importe de placer dans leur contexte les manquements invoqués par le demandeur, tous liés au Rapport et à la procédure suivie pour en assurer la confidentialité et en limiter la divulgation afin notamment de protéger les techniques d’enquête de l’ASFC.

[50]           En l’instance, le demandeur lui-même a, le 12 septembre 2011, admis avoir obtenu et utilisé un passeport frauduleux, mais authentique, émis sous une fausse identité et d’avoir ainsi obtenu un VRT pour entrer au Canada sous cette fausse identité. Le Rapport confirme ce que le demandeur a lui-même admis.

[51]           Les propos de la Cour d’appel fédérale dans la décision Uniboard Surfaces Inc. c Kronotex Fussboden GmbH et Co KG, 2006 CAF 398 [Uniboard] réitérés dans Pasco Pla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 560 paraissent utiles. Ainsi, l’objectif de l’obligation d’équité procédurale « consiste essentiellement à s’assurer qu’une partie a réellement la possibilité, dans un contexte donné, de faire valoir son point de vue complètement et équitablement » (Uniboard, au para 7). La Cour d’appel fédérale avance la proposition suivante « dans un contexte donné, même s’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale ou manquement à une exigence de la loi, la cour peut quand même décider de refuser d’accorder la réparation demandée si elle estime que ce manquement ne tire pas à conséquence, est sans importance ou est purement formel » (Uniboard, au para 24).

[52]           En l’espèce, la Cour est satisfaite que la situation factuelle frauduleuse dénoncée par le Rapport ait été admise par le demandeur lui-même dès son interception à l’aéroport. La fraude en lien avec le passeport que le demandeur a utilisé pour entrer au Canada a été d’abord dévoilée et reconnue par le demandeur lui-même et les allégations liées aux considérations procédurales destinées à la protection du Rapport qui confirme cet état de fait semblent donc, pour reprendre les propos de la Cour d’appel fédérale, sans conséquence.

(2)               L’Affidavit

[53]           La Cour note que « si l’agent se fonde sur des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés par le demandeur, ce dernier doit avoir la possibilité de répondre à ces éléments de preuve. Il s’agit là de l’obligation minimale en matière d’équité procédurale » (Level c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 227 [Level] au para 19). « Si l’agent d’exécution se fonde sur des éléments de preuve extrinsèques, il est forcément assujetti à l’obligation d’agir avec équité » (Level, au para 20).

[54]           Cependant, la Cour est satisfaite que la SPR ne s’est pas fondée sur l’Affidavit pour évaluer la demande d’asile du demandeur, mais que cet Affidavit n’a servi qu’à soutenir la demande de confidentialité du Rapport. Ainsi, puisque la SPR n’a pas fondé sa décision sur la preuve extrinsèque apportée par le Ministre, il n’y a pas eu de bris d’équité procédurale.

[55]           Au surplus, tel que mentionné plus haut, selon le texte même de l’Ordonnance transmise au demandeur, ce dernier devait, ou aurait dû savoir, que la SPR avait une version non caviardée de l’Affidavit alors que lui n’en avait qu’une version caviardée. Or le demandeur n’a pas soulevé cet argument devant la SPR, et ne l’a soulevé devant notre Cour qu’une fois à l’audience.

C.                 Confidentialité des documents

[56]           La Cour est satisfaite que les circonstances justifient le maintien de l’Ordonnance prononcée par la SPR afin de protéger la confidentialité du Rapport et de l’Affidavit. La Cour est consciente qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle, mais justifiée afin de protéger les informations qui permettent d’identifier les personnes visées par l’enquête et d’empêcher le dévoilement des méthodes et techniques d’enquête de l’AFSC, de même que les recherches et analyses auxquelles elle a procédé. Les effets bénéfiques de l’Ordonnance l’emportent sur ses effets préjudiciables vu l’intérêt important en jeu, la nature des documents et les renseignements sensibles qui s’y trouvent (Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 au para 53).

D.                Questions certifiées

[57]           Le défendeur s’oppose à la certification des quatre (4) questions suivantes que le demandeur a soumises à la Cour.

  1. La LIPR permet-elle à la SPR de procéder de façon ex parte à la demande du Ministre pour une procédure intérimaire dans une demande d’asile?
  2. La LIPR permet-elle à la Cour fédérale de procéder de façon ex parte et de rendre une ordonnance intérimaire dans le cadre d’une demande d’asile en cours?
  3. La SPR peut-elle ne pas transmettre une décision intérimaire rendue dans le dossier du demandeur et la transmettre uniquement au Ministre?

4.      La LIPR permet-elle au Ministre de soumettre des documents au tribunal sans les transmettre au demandeur dans le cadre de sa demande d’asile, sans enfreindre les règles d’équité procédurales de la Charte?

[58]           La Cour est d’avis qu’aucune des questions proposées ne répond aux critères énoncés dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage, [1994] ACF no 1637 au para 4. Plus particulièrement, la Cour souscrit à la position du défendeur que répondre aux questions ne réglerait pas définitivement le litige.

X.                Conclusion

[59]           Conséquemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée.

2.         les documents visés par l’ordonnance de confidentialité de la CISR datée du 28 novembre 2014 demeurent confidentiels.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2639-15

INTITULÉ :

MAMADOU SALIOU DIALLO ALIAS MOHAMED SANOH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 février 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 4 juillet 2016

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

pour le demandeur

Suzanne Trudel

Sébastien Da Sylva

Sonia Bédard

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur general du Canada

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

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