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Date : 20160705


Dossier : IMM-4955-15

Référence : 2016 CF 751

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

MEHRNOUSH RAMEZANPOUR

demanderesse

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision rendue le 4 septembre 2015 (la décision), par laquelle un agent des visas (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse à titre de travailleuse qualifiée. La demanderesse soutient que la décision est à la fois déraisonnable et inéquitable, mais comme j’estime que ce n’est pas le cas, cette dernière doit être maintenue.

II.                Contexte

[2]               La demanderesse est une citoyenne de l’Iran, âgée de 41 ans. Le 11 février 2013, elle a présenté une demande de résidence permanente à titre de travailleuse qualifiée selon le groupe de base 6322, soit celui des « Cuisiniers/cuisinières », de la Classification nationale des professions (CNP).

[3]               Dans sa demande, la demanderesse prétendait avoir obtenu de l’expérience pertinente en travaillant pendant plus de dix ans dans divers établissements en Iran, dont le plus récent étant l’hôtel Kaveh International (le Kaveh) de 2008 à 2013. Elle a également déposé des documents pour montrer que, en date du 12 septembre 2012, elle avait une possibilité d’emploi comme cuisinière au Country Inns & Suites (Country Inns) à Oakville, en Ontario. La lettre d’emploi du Country Inns était signée par un certain M. Harry Patel.

[4]               Le 8 juin 2015, la demanderesse a reçu une lettre relative à l’équité procédurale (la LEP) émanant de l’agent qui avait examiné sa demande, dans laquelle celui-ci déclarait qu’il avait de bonnes raisons de croire qu’elle avait fait de fausses déclarations et qu’elle n’avait pas travaillé comme cuisinière. L’agent lui a demandé une lettre de recommandation plus récente, ainsi que d’autres documents.

[5]               Dans les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) relatives à sa demande, antérieures à la LEP, plusieurs agents ont fait part de préoccupations et d’incohérences. Par exemple, le 30 mars 2015, un agent a tenté de vérifier si elle avait bien occupé un emploi au Kaveh. Toutefois, les coordonnées fournies étaient celles d’une entreprise complètement différente. Un employé de cette l’entreprise a informé l’agent que celle-ci était à cette adresse depuis septembre 2013 et qu’avant cela il s’y trouvait un hôtel, mais que celui-ci ne s’appelait pas Kaveh.

[6]               Un autre agent de contrôle qui a participé à l’enquête a souligné que M. Patel, l’éventuel employeur de la demanderesse au Canada, avait signé les lettres d’emploi pour deux autres demandes de résidence permanente. Ces lettres étaient également datées de septembre 2012 et avaient un format et un libellé semblables, mais elles se rapportaient à des offres d’emploi pour un autre employeur : le Quality Inn Airport West à Mississauga, en Ontario.

[7]               Ce même agent a ensuite tenté à plusieurs reprises de communiquer avec M. Patel au Quality Inn Airport West et au Country Inns, sans succès. L’agent a fini par obtenir l’adresse courriel de Kevin Slean, le directeur général du Country Inns, mais ni M. Patel ni M. Slean n’ont répondu à ses courriels et messages téléphoniques.

[8]               La demanderesse a répondu à la LEP le 6 août 2015. Dans sa réponse, elle a expliqué que les directeurs du Kaveh et du Country Inns avaient changé au cours du traitement de sa demande.

[9]               En même temps que sa réponse à la LEP, la demanderesse a déposé d’autres documents, dont les suivants :

  1. Une lettre d’emploi de M. Slean, du Country Inns, presque identique à celle de M. Patel, datée du 2 juillet 2015 ;
  2. Une lettre datée du 15 juillet 2015 sur papier à en-tête du Kaveh écrite par son nouveau directeur, indiquant qu’il était entré en fonction en 2014 ;
  3. Une lettre datée du 16 juillet 2015, qui n’était pas sur papier à en-tête du Kaveh, écrite par le présumé directeur de cet hôtel de 2008 à 2013, soit la période pertinente en l’espèce, et indiquant que la demanderesse y avait travaillé ;
  4. Des traductions de contrats d’une durée déterminée, tous signés le 24 juillet 2015 (c’est-à-dire après leur échéance), se rapportant aux trois dernières années d’emploi au Kaveh ;
  5. Des documents relatifs aux emplois occupés en Iran après présentation de sa demande.

III.             Décision

[10]           L’agent a d’abord noté que les demandeurs de résidence permanente à titre de travailleurs qualifiés sont évalués en fonction des critères énoncés au paragraphe 76(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), c’est-à-dire l’âge, les études, la compétence dans les langues officielles du Canada, l’expérience, l’exercice d’un emploi réservé et la capacité d’adaptation, mais que la demanderesse a demandé à être évaluée en fonction de la CNP 6322. L’agent a ensuite attribué des points à chacun de ces critères, accordant à la demanderesse un total de 36 points sur une possibilité de 100, ce qui est loin du minimum de 67 points requis pour obtenir le statut de résident permanent. Il convient de noter que l’agent n’a accordé aucun point aux critères de l’expérience, de l’emploi réservé et de la capacité d’adaptation.

[11]           En ce qui concerne l’expérience et l’emploi réservé, l’agent n’était pas convaincu, après avoir examiné les documents présentés, que la demanderesse avait travaillé comme cuisinière ni qu’elle avait l’expérience professionnelle requise. L’agent a également fait observer que l’expérience de travail et l’offre d’emploi n’avaient pu être vérifiées. L’agent a noté que les préoccupations au sujet de l’expérience de travail ont été exprimées dans la LEP du 8 juin 2015, mais que la réponse de la demanderesse ne les a pas dissipées. Il n’était donc pas convaincu que la demanderesse avait l’expérience de travail requise pour exercer les fonctions associées à l’offre d’emploi au Canada, ni qu’elle serait susceptible d’accepter et d’occuper cet emploi.

[12]           Dans les notes du SMGC, qui appuient les motifs (voir Rezaeiazar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 C.F. 761, au paragraphe 58), l’agent a ajouté les observations suivantes :

  1. L’adresse et le numéro de téléphone fournis pour le Kaveh sont ceux d’une autre entreprise, et le dernier occupant, en 2013, n’était pas le Kaveh ;
  2. Il n’a été possible de joindre ni M. Patel ni M. Slean par téléphone ou par courriel pour vérifier si un emploi avait été proposé à la demanderesse au Country Inns. La nouvelle lettre d’emploi envoyée par M. Slean et celle signée par M. Patel n’ont pas le même en-tête, mais elles ont la même présentation, la même police de caractère et les mêmes erreurs typographiques, et elles sont, de façon générale, de qualité inférieure aux normes habituelles d’une chaîne hôtelière canadienne reconnue. D’autres incohérences ont été relevées au sujet des documents d’emploi de la demanderesse, y compris en ce qui concerne les signatures et les numéros de téléphone. L’agent a également demandé pourquoi M. Slean enverrait une nouvelle lettre à la demanderesse, plutôt que de simplement répondre aux divers appels ou courriels des agents ;
  3. D’autres lettres de recommandation d’anciens employeurs incluses dans la réponse à la LEP étaient en anglais, ce qui est inhabituel en Iran, et elles ne présentaient aucun nouveau renseignement ou élément de preuve corroborant les antécédents professionnels de la demanderesse. Par exemple, les contrats de travail fournis avaient été signés après avoir pris fin, et les originaux non traduits n’avaient pas été fournis.

[13]           L’agent n’était donc pas convaincu que la demanderesse satisfaisait aux critères d’obtention de la résidence permanente à titre de travailleuse qualifiée, et il a rejeté la demande.

IV.             Questions en litige

[14]           La demanderesse allègue que l’agent a commis quatre erreurs dans l’examen de ses observations :

  1. L’agent a tenu compte de motifs non pertinents fondés sur des hypothèses et des préjugés ;
  2. L’agent n’a pas tenu compte de la preuve présentée par la demanderesse relativement à l’expérience de travail, à l’exercice d’un emploi réservé et à la capacité d’adaptation ;
  3. L’agent n’était pas habilité à contester ou à mettre en doute la validité de l’emploi offert à la demanderesse au Canada ;
  4. L’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne donnant pas la possibilité à la demanderesse de comprendre que sa crédibilité était remise en question et de répondre à cette préoccupation.

V.                Norme de contrôle

[15]           Les questions d’équité procédurale qui découlent de la décision d’un agent des visas sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Virhia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 C.F. 410, au paragraphe 11). La question de savoir si l’agent a omis d’informer adéquatement la demanderesse des préoccupations quant à sa crédibilité doit donc être examinée sans retenue.

[16]           Par ailleurs, les questions relatives à la décision d’un agent des visas quant à l’admissibilité d’un demandeur sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Al Hussain c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 C.F. 636, au paragraphe 12). Il s’agit d’une norme fondée sur la retenue, et si cet examen est une solution rationnelle et acceptable qui est justifiable, transparente et intelligible, la Cour ne devrait pas intervenir (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 C.S.C. 9, au paragraphe 47).

VI.             Analyse

A.                L’agent a-t-il commis une erreur en n’informant pas la demanderesse de ses préoccupations quant à la crédibilité de la preuve documentaire ?

[17]           La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en fondant sa décision sur des préoccupations quant à la crédibilité qui n’étaient pas mentionnées dans la LEP. Elle allègue que l’agent était tenu de l’informer de toutes ses préoccupations quant à la validité de ses documents et à la crédibilité de ses observations. Elle fait valoir que la LEP ne mentionne pas que la véracité de son emploi réservé était en cause ni que l’authenticité de ses documents était mise en doute. Tout au plus, il est dit dans la LEP qu’un agent avait [traduction] « des raisons de croire » que la demanderesse avait fait [traduction] « de fausses déclarations » et qu’elle n’avait pas justifié de son expérience de travail comme cuisinière.

[18]           Le juge Gascon a récemment résumé la jurisprudence relative aux lettres d’équité procédurale dans le contexte d’une demande de résidence permanente dans l’arrêt Wijayansinghe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 C.F. 811 [Wijayansinghe] :

[28]      Je reconnais que l’obligation d’équité procédurale comprend l’obligation d’informer adéquatement le demandeur des éléments de preuve retenus contre ce dernier ainsi que celle de lui donner l’occasion de connaître les réserves exprimées par l’agent des visas et d’y répondre, ce qui implique nécessairement que le demandeur doit avoir eu une réelle possibilité de présenter les divers types de preuves intéressant son cas et d’obtenir qu’ils soient évalués pleinement et équitablement (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 28). Dans le cadre d’une demande de visa, l’obligation d’agir équitablement ne requiert cependant pas que l’agent des visas informe le demandeur des préoccupations découlant directement des exigences législatives ou règlementaires et qu’il donne au demandeur l’occasion de le convaincre d’en faire abstraction (Prasad c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), [1996] ACF no 453, au paragraphe 7, 34 Imm LR (2d) (CFPI)).

[29]      La Cour a précisé, au fil de l’évolution de la jurisprudence, que l’obligation d’équité procédurale s’applique aux préoccupations touchant la crédibilité ainsi que la véracité et l’authenticité des documents plutôt qu’au caractère suffisant de la preuve. L’agent des visas n’est pas tenu de fournir au demandeur l’occasion de dissiper ses préoccupations lorsque les documents présentés à l’appui de la demande sont incomplets, obscurs ou insuffisants de sorte qu’ils ne permettent pas de convaincre l’agent que le demandeur se conforme à toutes les exigences qui découlent du Règlement (Hamza c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2013 CF 264 (CanLII), aux paragraphes 24 et 25 [Hamza] ; Gharialia, aux paragraphes 16 et 17 ; Sharma, au paragraphe 8 ; Veryamani c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2010 CF 1268 (CanLII), aux paragraphes 34 à 36 [Veryamani]).

[19]           À la lumière de cette jurisprudence, je ne crois pas qu’il y ait eu un manquement à l’équité procédurale. Premièrement, la notion que les observations de la demanderesse n’étaient pas crédibles est implicite dans la déclaration de l’agent selon laquelle elle aurait fait de fausses déclarations. Si les observations avaient été crédibles, l’agent n’aurait pas affirmé que la demanderesse avait fait de fausses déclarations dans sa demande d’asile ; cette dernière aurait été une représentation crédible de sa situation. Le libellé de la LEP montrait convenablement les préoccupations des agents pour ce qui est de la crédibilité et permettait à la demanderesse de savoir ce dont ceux-ci avaient besoin pour conclure qu’elle n’avait pas fait de fausses déclarations.

[20]           Deuxièmement, comme il ressort clairement des autres observations de la demanderesse, présentées en réponse à la LEP, l’avocat de celle-ci était bien au fait des préoccupations mentionnées dans les notes du SMGC. À ce titre, on ne peut pas affirmer que la demanderesse n’était pas au courant de ce qui lui était reproché, comme le juge Gascon l’a fait remarquer dans Wijayansinghe.

[21]           Troisièmement, comme je l’ai déjà mentionné, un agent n’est pas dans l’obligation de donner à un demandeur la possibilité de dissiper ses doutes lorsque la preuve documentaire est insuffisante ou imprécise. La demanderesse a déposé des documents, tant avant qu’après avoir reçu la LEP, que l’agent a jugés insuffisants. L’agent n’était pas tenu de modifier la LEP pour la rendre plus explicite ou détaillée qu’elle ne l’était. Le processus entourant a LEP était aussi tout à fait équitable ; ainsi, une prorogation a été accordée lorsque la demanderesse n’avait pas déposé les documents à temps.

B.                 L’agent a-t-il tenu compte de motifs non pertinents ?

[22]           La demanderesse soutient que l’agent a fondé sa décision sur des hypothèses révélant un manque de sensibilité sur le plan culturel, faisant ainsi intervenir des considérations non pertinentes et des éléments de preuve extrinsèques dans l’analyse. La demanderesse insiste en particulier sur le fait qu’il est sous-entendu, dans les notes du SMGC, qu’on ne permettrait pas à des femmes en Iran d’exercer le métier de cuisinières. Bien que l’agent qui a rendu la décision ait déclaré explicitement que cette notion avait été réfutée, la demanderesse a néanmoins fait valoir que ces [traduction] « préjugés et hypothèses révélant un manque de sensibilité sur le plan culturel avaient, de toute évidence, influé sur la façon de penser de l’agent » (mémoire supplémentaire des faits et des arguments, à la page 7). La demanderesse soutient plus précisément que les idées préconçues de l’agent quant à la société iranienne ont mené à des soupçons au sujet du fait que les lettres de recommandation étaient rédigées en anglais. Comme il n’y a aucune preuve permettant de penser que les gestionnaires en Iran ne seraient pas en mesure de rédiger une lettre de recommandation en anglais, l’agent s’est livré à des conjectures ou s’est appuyé sur une preuve extrinsèque. Quoi qu’il en soit, il s’agissait d’une erreur déraisonnable.

[23]           Le défendeur soutient que rien n’indique que l’agent ait fondé sa décision sur des préjugés ou des hypothèses ; comme il ressort des notes du SMGC, l’agent qui s’est demandé si les femmes pouvaient cuisiner de façon professionnelle en Iran n’était pas l’agent qui a rendu la décision. De plus, il n’y a rien de déraisonnable à tenir compte du fait qu’une lettre de recommandation a été rédigée en anglais, alors que la langue officielle en Iran est le persan. La Cour a déjà noté que les agents en poste à l’étranger ont une bonne connaissance de la culture et de la situation dans les régions où ils sont en fonction, et qu’ils peuvent se fonder sur cette connaissance pour rendre une décision (voir, par exemple, He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 C.F. 33, au paragraphe 31 ; Uppal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 C.F. 445, au paragraphe 35).

[24]           Je conviens avec le défendeur que l’agent n’a pas commis d’erreur sur ce point. Comme il ressort des notes du SMGC, c’est un autre agent qui a soulevé la question de savoir si une femme pouvait travailler comme cuisinière en Iran. L’agent qui a rendu la décision, en fin de compte, a porté son attention sur d’autres questions et a fait observer que ni lui, ni le premier agent ne mettaient en doute le fait qu’une femme puisse travailler comme cuisinière. Bien qu’à l’audience la demanderesse ait laissé entendre que des éléments de preuve extrinsèques ont été utilisés par les agents dans leur examen du dossier sur ce point, il n’y a tout simplement rien qui laisse croire que cela ait été le cas.

[25]           En ce qui concerne les lettres en anglais, les agents des visas sont autorisés à tirer des conclusions fondées sur leur connaissance d’une certaine culture, et les doutes de l’agent au sujet de la langue dans laquelle les lettres de recommandation avaient été rédigées étaient renforcés par les doutes entretenus au sujet d’un grand nombre d’autres aspects des observations de la demanderesse et des documents déposés. Il n’y a rien de déraisonnable à prendre note de cette préoccupation, particulièrement à la lumière des autres réserves formulées.

[26]           La demanderesse a soutenu que la jurisprudence permet seulement aux agents de se fonder sur des [traduction] « connaissances locales » ; et étant donné que les agents en l’espèce étaient en fonction à Ankara et non en Iran, où les pratiques culturelles sont très différentes de celles de la Turquie, elle a fait valoir que ces connaissances ne s’appliquent pas. Je conclus qu’il s’agit là d’une interprétation trop étroite de la jurisprudence. Le principe fondamental est que les agents des visas en fonction à l’étranger acquièrent une connaissance des régions avec lesquelles ils interagissent. Le bureau d’Ankara, en l’espèce, est chargé d’évaluer les demandes de visa émanant de demandeurs résidant en Iran, de sorte que les responsables des visas en viennent à connaître l’Iran simplement du fait qu’ils traitent un grand nombre de dossiers de cette région.

C.                 L’agent a-t-il omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents ?

[27]           L’agent n’a accordé aucun point à la demanderesse pour trois critères : l’expérience, l’exercice d’un emploi réservé et la capacité d’adaptation. L’agent n’a toutefois pas expliqué pourquoi il lui avait accordé si peu de points pour la capacité d’adaptation. La demanderesse soutient qu’il s’agit d’une erreur susceptible de contrôle, en particulier selon l’alinéa 83(1)d) du Règlement, qui oblige les agents à attribuer des points lorsqu’un membre de la famille est un citoyen ou résident permanent du Canada, le frère de la demanderesse étant un citoyen canadien.

[28]           La demanderesse soutient également que l’agent a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable suite à son incapacité de communiquer avec son ancien employeur en Iran. Les entreprises sont formées et dissoutes régulièrement, et la demanderesse ne devrait pas en être pénalisée. La demanderesse soutient qu’elle a fourni de nombreux éléments de preuve, dont des lettres de recommandation, son contrat de travail et son affidavit, lesquels n’ont pas été pris en compte par l’agent.

[29]           Je suis d’accord avec la demanderesse, et le défendeur le concède, que l’agent a commis une erreur en ne lui accordant aucun point pour la capacité d’adaptation étant donné le statut de son frère au Canada. Cependant, comme il est indiqué dans la décision, on ne peut accorder qu’un maximum de 10 points à la capacité d’adaptation, et la demanderesse n’a obtenu qu’un total de 36 points. Même si la demanderesse avait obtenu les 10 points pour la capacité d’adaptation, il lui manquerait tout de même 21 points pour atteindre les 67 points requis. La Cour a statué à maintes reprises qu’il était inutile de renvoyer une affaire pour nouvel examen si, même après rectification d’une erreur, la demande serait tout de même rejetée (Persaud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 C.F. 206, au paragraphe 40 ; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Patel, 2002 C.A.F. 55, au paragraphe 6).

[30]           En ce qui concerne l’évaluation de l’expérience de travail de la demanderesse, je conclus qu’il était raisonnable pour l’agent de n’accorder aucun point à la demanderesse pour ce critère. L’agent est en droit d’évaluer et d’apprécier la preuve comme il l’entend, et il n’appartient pas à la Cour d’intervenir et de réévaluer la preuve comme la demanderesse le souhaiterait. L’agent avait plusieurs raisons de conclure que les lettres d’emploi et les contrats soumis par la demanderesse étaient insuffisants. Par exemple, il y avait des renseignements incohérents et flous quant au statut du Kaveh, y compris la lettre indiquant que la demanderesse y avait travaillé jusqu’en novembre 2013, alors que le locataire actuel des lieux y a emménagé en septembre 2013 et que l’occupant précédent n’était pas le Kaveh.

[31]           De plus, la demanderesse a fourni la traduction des contrats de travail, apparemment pour la période de 2012 à 2014, mais non les originaux. Il était par conséquent loisible à l’agent d’accorder peu de poids aux contrats et à d’autres lettres de recommandation.

[32]           Enfin, même si l’agent avait accordé les 15 points maximums pour l’expérience et les 10 points maximums pour la capacité d’adaptation, il manquerait encore 6 des 67 points exigés. Comme je l’ai déjà fait remarquer, une erreur sur ce point ne serait pas suffisante pour justifier le renvoi de la présente demande pour nouvelle décision.

D.                L’agent a-t-il commis une erreur en tenant compte de l’emploi de la demanderesse au Canada ?

[33]           La demanderesse fait valoir qu’il est de la responsabilité d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) de statuer sur la validité du poste au Canada. L’agent des visas est uniquement chargé d’évaluer les compétences de la demanderesse et les qualités requises pour le poste. Par conséquent, la demanderesse soutient qu’il était déraisonnable, de la part de l’agent, de tenter de contacter son éventuel employeur au Country Inns & Suites et de tirer une conclusion défavorable après avoir échoué à sa tentative une première fois. Selon la demanderesse, une fois qu’EDSC a confirmé la validité du poste, l’agent des visas ne peut qu’accepter cette évaluation.

[34]           Le défendeur signale toutefois, avec raison, qu’il est loisible à un agent des visas d’évaluer l’authenticité d’une offre d’un éventuel employeur, conformément à l’arrêt Bondoc c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 C.F. 842, au paragraphe 18 (« [il] entre dans le pouvoir d’un agent des visas d’évaluer l’authenticité d’une offre d’emploi, et il n’est pas tenu de déférer à la manière dont l’agent de RHDSC a évalué la validité de l’offre d’emploi »). L’agent n’a pas commis d’erreur en tentant de vérifier l’éventuel emploi ni en tenant compte de l’absence de communication directe de la part de M. Slean et de M. Patel dans l’examen final.

VII.          Conclusion

[35]           En fin de compte, c’est à la demanderesse qu’il incombait de présenter à l’agent des visas une demande complète, convaincante et sans ambiguïté (Obeta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 C.F. 1542, au paragraphe 25), ce que la demanderesse n’a pas fait. À la lumière de ce qui précède, je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[36]           À l’audience, la demanderesse a fait valoir que deux questions devraient être certifiées :

  1. Lorsque l’agent envoie une LEP qui fait état de préoccupations quant à l’authenticité de la preuve, et que, dans cette lettre, l’agent exige que la demanderesse soumette certains documents et prenne d’autres mesures, est-il raisonnable d’exiger de telles actions de la part de la demanderesse alors qu’elles sont indépendantes de la volonté cette dernière ? ;
  2. Lorsque, dans le cadre d’une demande à titre de TQF, un agent commet une erreur en ce qui concerne la capacité d’adaptation et que le défendeur reconnaît l’erreur, la Cour saisie du contrôle judiciaire peut-elle aller plus loin et évaluer la note de passage pour voir si, compte tenu de l’erreur commise, le résultat aurait été différent ?

[37]           Le défendeur conteste les deux questions proposées, car ni l’une ni l’autre n’est : a) de portée générale et b) sans réponse dans la jurisprudence existante. Je conviens que les questions proposées ne transcendent pas les intérêts de la demanderesse et n’abordent pas des points graves de portée générale auxquels la jurisprudence existante n’a pas déjà répondu.

[38]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée ;

2.      Aucune question n’est certifiée ;

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4955-15

 

INTITULÉ :

MEHRNOUSH RAMEZANPOUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS

Le juge Diner

DATE DES MOTIFS :

Le 5 juillet 2016

COMPARUTIONS :

Mehran Youssefi

POUR LA DEMANDERESSE

Nora Dorcin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mehran Youssefi

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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