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Date : 20160705


Dossier : T-1637-14

Référence : 2016 CF 743

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

MALIKA HADDAD

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] d'une décision de la juge de la citoyenneté datée du 19 juin 2014 [la décision] refusant la demande de citoyenneté de la demanderesse parce qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté [la Loi]. La demanderesse cherche à obtenir l’annulation de cette décision et le renvoi de son dossier devant un autre juge de la citoyenneté pour un réexamen.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.                Les faits

[3]               La demanderesse, Mme Malika Haddad, est citoyenne du Maroc. Elle est venue au Canada en 2006 afin de rejoindre son mari, un citoyen canadien, et a obtenu sa résidence permanente le 4 novembre 2006.

[4]               Le 19 décembre 2009, la demanderesse a déposé une demande de citoyenneté auprès de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC).

[5]               Dans sa demande initiale, elle a déclaré des absences de 44 jours au total et 1096 jours de présence physique au Canada.

[6]               Après le dépôt de sa demande initiale, la demanderesse a consulté un avocat et s’est rendu compte d’une erreur dans le calcul de ses jours de résidence. Elle a avisé CIC de son erreur et a fourni une nouvelle liste d’absences. Selon cette liste, la demanderesse accumulait 828 jours de présence au Canada.

[7]               En décembre 2013, la demanderesse a obtenu un résultat de 100% à l’examen de citoyenneté.

[8]               Le 12 mars 2014, elle a été convoquée à une entrevue avec la juge de citoyenneté.

[9]               En début d’audience, la juge de la citoyenneté a reconnu que la demanderesse avait commis une erreur de bonne foi dans le calcul de ses jours de résidence, mais lui a expliqué que la décision relative à la résidence dépendait du nombre de jours passés au Canada.

[10]           La juge de la citoyenneté a néanmoins invité la demanderesse à lui fournir des documents supplémentaires afin d’appuyer ses liens avec le Canada et lui a dressé une liste de documents à transmettre au tribunal.

[11]           Le 12 mai 2014, la juge de la citoyenneté a refusé la demande de citoyenneté de la demanderesse.

III.             Décision contestée

[12]           La juge de citoyenneté a d’abord noté que la demanderesse était de bonne foi et avait soumis des preuves sur ses liens avec la communauté, des témoignages de ses liens sociaux, en plus de preuves actives et passives de résidence. Elle a aussi constaté que la demanderesse avait largement bénéficié du fait d’être mariée avec un citoyen canadien qui vit et travaille à l’étranger puisque celle-ci peut l’accompagner sans l’inquiétude de perdre son statut de résidente permanente. Elle a toutefois souligné que cet avantage ne s’appliquait pas à la Loi dans le contexte de l’obtention de la citoyenneté canadienne.

[13]           La juge de la citoyenneté a donc choisi d’appliquer le test du calcul strict du nombre de jours de présence physique au Canada de l’affaire Re Pourghasemi, [1993] 62 FTR 122 (CF) [Pourghasemi]. Elle a souligné que la demanderesse s’était absentée pour 312 jours pendant la période de référence et qu’elle avait accumulé 828 jours de présence physique au Canada. Comme ce nombre représentait 267 jours de moins que le minimum prescrit de 1095 jours de présence, la demanderesse ne remplissait pas les critères de résidence pour obtenir la citoyenneté canadienne.

IV.             Cadre législatif

[14]           Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l’espèce :

5 (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5 (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

 

a) en fait la demande;

 

(a) makes application for citizenship;

 

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

 

(b) is eighteen years of age or over;

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante:

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

V.                Questions en litige

[15]           La Cour doit en premier lieu déterminer si la juge de la citoyenneté a créé une attente légitime envers la demanderesse en lui disant qu’elle appliquerait les critères énoncés dans les arrêts Re Koo et Re Papagiordakis pour évaluer la demande de citoyenneté et, si c’est le cas, si la juge de la citoyenneté a manqué à son devoir d’équité procédurale en appliquant le test de l’affaire Re Pourghasemi.

[16]           S’il n’existe aucune attente légitime, la Cour doit déterminer si la décision de la juge de la citoyenneté était raisonnable.

VI.             Analyse

[17]           Il n’est pas contesté que les questions d’équité procédurale doivent être révisées selon la norme de la décision correcte (Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24 au para 79), tandis que la question de l’application des critères de résidence doit être révisée sous la norme de la décision raisonnable (Haddad c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 977 aux paras 16-17).

[18]           La jurisprudence de cette Cour a établi qu’un juge de la citoyenneté peut choisir d’utiliser, à sa discrétion, un des trois tests disponibles afin de déterminer si un demandeur répond aux exigences de résidence en vertu de la Loi. Le premier test a été développé dans Pourghasemi et implique un strict calcul des jours de présence physique au Canada, qui doivent totaliser 1095 jours dans les quatre années précédant la demande de citoyenneté. Le deuxième test, connu comme le test de Re Papadogiorgakis, est basé sur la décision de l’honorable juge Thurlow dans Re : Papadogiorgakis, [1978] 2 FC 208 (FCTD). Ce test reconnaît qu’une personne peut continuer de résider au Canada malgré une absence temporaire pour autant qu’elle conserve un fort attachement au Canada. Le troisième test est un test qualitatif plus généreux et définit la résidence comme l’endroit où une personne a centralisé son mode de vie : Re : Koo, 1992 CanLII 2417 (FC), [1993] 1 FC 286 (FCTD) [Koo].

[19]           Dans la présente affaire, la demanderesse soutient que la juge de la citoyenneté lui a indiqué qu’elle pouvait s’attendre à une décision positive si elle pouvait lui transmettre de la preuve documentaire démontrant la présence de liens de résidence suffisants. Dans les circonstances, comme il avait déjà été établi que la demanderesse ne possédait pas le nombre de jours requis pour satisfaire au test de Pourghasemi, cette déclaration de la juge doit être comprise comme une promesse de conclure qu’elle rencontrerait un des tests moins onéreux qui n’exigeaient pas 1095 jours de présence physique au Canada. Se fondant sur cette interprétation de la preuve, la demanderesse avance que la juge de la citoyenneté a créé une attente légitime que sa demande serait approuvée, ce qu’elle n’a pas respecté en appliquant le test de résidence strict.

[20]           Les principes de la doctrine de l’attente légitime ont probablement été le mieux résumés dans l’affaire Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), 2013 CSC 36, dans laquelle la Cour suprême a adopté un passage du texte de Brown et Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada:

[TRADUCTION] La caractéristique qui distingue une attente légitime réside dans le fait que celle-ci découle de la conduite du décideur ou d’un autre acteur compétent. Une attente légitime peut donc découler d’une pratique officielle ou d’une assurance voulant que certaines procédures soient suivies dans le cadre du processus décisionnel, ou qu’il soit possible de prévoir une décision favorable. De même, l’existence des règles de procédure de nature administrative ou d’une procédure que l’organisme a adoptée de son plein gré dans un cas particulier, peut donner ouverture à une attente légitime que cette procédure sera suivie. Certes, la pratique ou la conduite qui auraient suscité une attente raisonnable doivent être claires, nettes et explicites.

D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), Toronto : Canvasback, 1998, §7:1710 (mis à jour en août 2012)

[21]           Deux critères pertinents sont soulignés dans l’extrait précédent. Premièrement, une attente légitime peut être tirée d’une assurance « qu’il soit possible de prévoir une décision favorable ». Deuxièmement, la pratique ou la conduite ayant suscité une attente raisonnable doivent être « claires, nettes et explicites ».

[22]           La demanderesse se rapporte à la décision de cette Cour dans Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 846 [Qin]. Dans cette affaire, l’honorable juge Diner a conclu que le juge de la citoyenneté avait créé une attente légitime quant à l’approbation de la demande de citoyenneté de la demanderesse, basé sur le paragraphe suivant de la décision :

[11]      Il ressort de la preuve au dossier que le juge Babcock a avisé la demanderesse à l’audience, en présence de l’avocat de celle-ci, que, s’il concluait qu’elle avait effectivement été au Canada pendant 938 jours, il rendrait une décision favorable.

[23]           En indiquant explicitement que la demanderesse recevrait une décision favorable si la preuve démontrait qu’elle avait été présente physiquement au Canada pendant 938 jours, le juge de la citoyenneté avait donné une assurance qu’il était possible de prévoir une décision favorable. Cependant, Qin se distingue de la présente affaire par deux points.

[24]           D’abord, il existe une ambiguïté considérable dans la déclaration de la juge de la citoyenneté telle que rapportée dans l’affidavit de la demanderesse. La description qu’elle en fait ne concorde pas avec les notes de la juge. La juge de citoyenneté a demandé à la demanderesse de fournir des pièces additionnelles sur un formulaire imprimé, qui indiquait :

Afin de poursuivre le traitement de votre demande de citoyenneté canadienne, d’autres renseignements ou documents sont requis [note imprimée] :

[…]

5. Autres pièces pour appuyer vos liens avec le Canada. [note manuscrite]

[25]           La requête explicite de la juge n’était donc pas « de l’aider à approuver le dossier en lui fournissant de [sic] preuves qui pourraient permettre de soutenir la présence de liens de résidence suffisants ». Il s’agissait plutôt d’une requête d’informations additionnelles « pour appuyer vos liens avec le Canada» « afin de poursuivre le traitement de votre demande de citoyenneté canadienne».

[26]           Deuxièmement, même si l’on acceptait de façon non équivoque la version de la demanderesse, je ne crois pas que la déclaration de la juge de la citoyenneté puisse être assimilée à une assurance claire, nette et explicite que la demanderesse pouvait s’attendre à une décision favorable. Dans Qin, l’assurance claire, nette et explicite était de prendre une décision favorable si la preuve documentaire démontrait que le nombre de jours de présence physique était celui déclaré par la demanderesse.

[27]           Selon la description qu’en fait la demanderesse, l’assurance de la juge de citoyenneté avait ici pour but de l’aider à trouver un moyen d’approuver la demande, ce qui n’est pas la même chose que de promettre un résultat positif. Il ne s’agit pas d’une indication claire, nette et explicite sur la façon dont la demande sera traitée et décidée.

[28]           Aider une personne à trouver un moyen pour approuver une décision sur la base d’informations soumises est, au mieux, une assurance implicite et plus équivoque que la promesse d’un résultat fondée sur la démonstration d’un nombre fixe de jours de résidence comme dans Qin.

[29]           De plus, il existe plusieurs décisions de cette Cour qui indiquent que les juges de la citoyenneté bénéficient d’une discrétion considérable pour exiger des informations et documents additionnels de la part de demandeurs qui ne satisfont pas aux critères du test strict dans Pourghasemi. Par exemple, dans Boland c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 376, le juge de Montigny, alors un juge de la Cour fédérale, faisait face à une situation similaire, où le demandeur avait été absent du Canada pendant 477 jours et ne rencontrait donc pas les critères du test dans Pourghasemi. L’honorable juge a néanmoins conclu, au paragraphe 24 de sa décision :

[24]      Le simple fait qu’au cours d’une entrevue, un juge de la citoyenneté puisse poser à un demandeur des questions qui l’amènent à croire que l’un des critères qualitatifs est appliqué ne fait pas en sorte que sa décision finale est erronée s'il choisit finalement d’appliquer un critère quantitatif. La juge de la citoyenneté peut fort bien avoir choisi en l'espèce d’écarter le critère strict de la présence physique et d’appliquer un autre critère si elle était convaincue que la preuve démontrait l’attachement du demandeur au Canada ou encore qu’il avait centralisé son mode d’existence au Canada. Il était toutefois loisible à la juge de la citoyenneté en l’espèce d’opter en dernière analyse pour l’un ou l’autre des trois critères présentement utilisés pour évaluer la résidence.

[30]           Les décisions El Chmoury c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1250, Donohue c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 394, Arwas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 575 et Adibnazari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 251 vont également dans le même sens.

VII.          Conclusion

[31]           Ainsi, cette demande doit être rejetée, puisqu’il ne semble pas que la juge de citoyenneté ait donné une assurance quelconque à la demanderesse d’une issue favorable ni que cette assurance ait été claire, nette et explicite.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Peter Annis »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1637-14

INTITULÉ :

MALIKA HADDAD c. MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Julius H. Grey

Me Cornelia H. Zvezdin

 

pour LA DEMANDERESSE

 

Me Sherry Rafia Far

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grey Casgrain S.E.N.C.

Montréal (Québec)

 

pour LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

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