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Date : 20160705


Dossiers : IMM-3874-15

IMM-3872-15

IMM-3873-15

Référence : 2016 CF 755

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

SHAQE BERISHA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

Dossier : IMM-3872-15

SHAQE BERISHA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

Dossier : IMM-3873-15

ENTRE :

SHAQE BERISHA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi). Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de trois décisions connexes :

  1. Un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi (le rapport), daté du 16 février 2015 et rendu par un agent d’exécution de la Loi (l’agent) des bureaux intérieurs de l’Agence des services frontaliers du Canada ;
  2. Une décision de renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi (le renvoi) rendue le 27 février 2015 par un délégué du ministre (le délégué) à l’Agence des services frontaliers du Canada ;
  3. Une mesure d’expulsion (la mesure) datée du 7 août 2015 et délivrée par un commissaire (le commissaire) de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

[2]               Les trois affaires, initialement déposées séparément, ont été réunies dans le présent contrôle judiciaire.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est né au Kosovo en 1976 et il est arrivé au Canada en tant que réfugié le 31 octobre 2005. Le 16 mars 2011, le demandeur a présenté une demande de citoyenneté canadienne.

[4]               Le 13 juin 2012, le demandeur a été accusé d’agression sexuelle en vertu de l’article 271 du Code criminel, LRC 1985, ch. C-46. L’agression sexuelle est un acte criminel punissable par voie de mise en accusation et, conformément au paragraphe 22(1) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, ch. C-29, en vigueur à l’époque pertinente, « nul ne peut recevoir la citoyenneté […] ni prêter le serment de citoyenneté […] tant qu’il est inculpé pour une infraction […] ou pour un acte criminel prévu par […] une […] loi fédérale ».

[5]               Le 11 mars 2013, le demandeur a subi son examen de citoyenneté. À cette époque, il avait signé un formulaire dans lequel il déclarait qu’il ne lui était pas interdit de prêter le serment de citoyenneté. Le 16 mai 2013, il a comparu devant un juge de la citoyenneté et il a signé un autre formulaire dans lequel il déclarait encore une fois qu’il ne lui était pas interdit de prêter le serment.

[6]               Le 17 septembre 2013, le jour même auquel le procès du demandeur pour agression sexuelle a été fixé (et ajourné), le demandeur a prêté serment et a obtenu un certificat de citoyenneté. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) n’a eu vent de l’accusation portée contre le demandeur qu’après la cérémonie de citoyenneté.

[7]               Le 11 octobre 2013, le demandeur a été déclaré coupable d’agression sexuelle.

[8]               Le 7 novembre 2013, le demandeur a reçu une lettre du greffier de la citoyenneté canadienne. Le greffier avait décidé d’annuler son certificat de citoyenneté étant donné que le demandeur [traduction] « avait été accusé d’un acte criminel et qu’il lui [était] interdit de prêter le serment ». Le demandeur n’a pas contesté cette décision.

[9]               Le 4 juillet 2014, le demandeur a été condamné à trois ans d’emprisonnement.

[10]           Le 5 février 2015, le demandeur a reçu une lettre de l’agent l’informant que le rapport d’interdiction de territoire pourrait être prononcé contre lui en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi pour des motifs de grande criminalité (au sens de l’alinéa 36(1)a) de la Loi). La lettre invitait le demandeur à déposer des arguments en réponse à cette lettre, ce qu’il a fait.

[11]           L’agent a rendu son rapport le 16 février 2015, concluant que le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 36(1)a) pour les motifs suivants :

SHAQE BERISHA

–    N’EST PAS UN CITOYEN CANADIEN

–    EST DEVENU UN RÉSIDENT PERMANENT LE 31OCT2005

–    A ÉTÉ DÉCLARÉ COUPABLE LE 11OCT2013 À MOOSE JAW (SASKATCHEWAN) D’AGRESSION SEXUELLE SELON L’ARTICLE 271 DU CODE CRIMINEL DU CANADA

–    A ÉTÉ CONDAMNÉ LE 04JUL2014 À TROIS ANS DE PRISON

–    L’AGRESSION SEXUELLE EST UN ACTE CRIMINEL PUNISSABLE PAR UN EMPRISONNEMENT DE MAXIMAL DE DIX ANS

(Dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 16 du dossier IMM-3874-15)

[12]           L’agent a également rédigé une lettre de renvoi pour accompagner le rapport. Cette lettre fournit plus de détails au sujet de la situation et des observations du demandeur. Dans cette lettre, l’agent a recommandé que le dossier soit renvoyé pour enquête et qu’une mesure d’expulsion soit rendue contre le demandeur :

[traduction]

Il s’agit de la seule déclaration de culpabilité prononcée contre M. Berisha. Toutefois, le crime de nature violente, commis sur une longue période, aura des répercussions importantes pour la victime. Les agissements de M. Berisha nous montrent également qu’il est indigne de confiance, car il a fait de fausses déclarations dans ses documents de citoyenneté en ne déclarant pas, à de nombreuses reprises, les accusations en instance qui pesaient contre lui. M. Berisha n’aura aucun droit d’appel. Cependant, il est un réfugié au sens de la Convention et si une mesure d’expulsion est rendue contre lui, l’ASFC exige toujours une attestation de danger avant de renvoyer le sujet du Canada.

(DCT, à la page 10)

[13]           L’agent a également fait remarquer qu’il avait été informé que le demandeur n’était pas un citoyen canadien.

[14]           Le 27 février 2015, le délégué du ministre a renvoyé le rapport à la Section de l’immigration pour enquête. Dans le renvoi, le délégué a accepté les recommandations de l’agent telles qu’énoncées dans le rapport et la lettre de renvoi.

[15]           Le 7 août 2015, après enquête, le commissaire a rendu la mesure. Dans ses motifs prononcés de vive voix à l’audience, le commissaire a conclu que le demandeur n’était pas un citoyen canadien, qu’il avait été déclaré coupable d’agression sexuelle en vertu de l’article 271 du Code criminel et qu’il était donc interdit de territoire. Puis, le commissaire a conclu qu’il était nécessaire de rendre une mesure d’expulsion.

II.                Questions en litige

[16]           Le demandeur soulève trois questions :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur en produisant le rapport alors que le demandeur avait un certificat de citoyenneté au moment de sa déclaration de culpabilité ?
  2. L’agent ou le délégué a-t-il commis une erreur en omettant de fournir des motifs adéquats ?
  3. L’agent ou le délégué a-t-il commis une erreur en omettant de donner au demandeur la possibilité de présenter des observations ?

III.             Analyse

A.                Norme de contrôle

[17]           Il est question de savoir si, en fin de compte, l’agent aurait dû rendre le rapport. La réponse à cette question repose sur une conclusion de fait : le demandeur était-il citoyen au moment de la déclaration de culpabilité ? À ce titre, cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Faci c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 693, au paragraphe 17). La Cour n’interviendra pas si la décision considérée comme un tout est justifiée, transparente, intelligible et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47) (Dunsmuir).

[18]           De même, il est question de savoir si l’agent (en rendant le rapport) ou le délégué (en délivrant la mesure d’expulsion) ont fourni des motifs suffisants au soutien de leur décision. Cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses » Union c Terre-Neuve-et — Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 11) (Newfoundland Nurses). Le caractère adéquat des motifs n’est pas une norme de contrôle en soi. Il doit plutôt être examiné « en corrélation avec le résultat » et compte tenu du fait que « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables. »(Newfoundland Nurses, aux paragraphes 14 à 16).

[19]           Enfin, il est question de savoir si le demandeur avait disposé d’un délai suffisant afin de déposer des arguments devant l’agent ou le délégué. Il s’agit d’une question d’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Finta c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1127, au paragraphe 30) (Finta)).

B.                 L’agent a-t-il commis une erreur en rendant le rapport ?

[20]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en rendant le rapport puisque, au moment de la déclaration de culpabilité, M. Berisha avait obtenu un certificat de citoyenneté. Ce n’est qu’après la déclaration de culpabilité que le certificat de citoyenneté lui a été retiré. Comme la Loi ne prévoit pas qu’un citoyen puisse faire l’objet d’un rapport en vertu du paragraphe 44(1) que la lettre du greffier n’indique pas que l’annulation aurait un effet rétroactif, le demandeur soutient qu’il ne peut pas faire l’objet d’un rapport d’interdiction de territoire, d’un renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi ou d’une mesure d’expulsion. De plus, le demandeur a expliqué à l’audience qu’une interprétation de cette disposition ne pouvait conduire qu’à une seule conclusion : seul le statut du demandeur au moment de la déclaration de culpabilité importe. Si le législateur avait voulu inclure dans cette disposition les citoyens qui perdent ultérieurement leur citoyenneté, il l’aurait explicitement énoncé.

[21]           Le défendeur reconnaît que le demandeur avait obtenu le certificat de citoyenneté avant sa déclaration de culpabilité, mais il soutient qu’il était sans effet au moment de sa déclaration de culpabilité parce qu’il n’avait pas satisfait aux exigences de la Loi au moment de la réception du certificat. Le certificat de citoyenneté a été délivré le 17 septembre 2013. À ce moment-là, le demandeur avait déclaré, à tort, qu’il n’était pas interdit de prêter le serment. En réalité, il lui était interdit de prêter le serment en raison de la décision du 13 juin 2012. Par conséquent, le demandeur n’a jamais été un citoyen et la conclusion de l’agent selon laquelle il était un résident permanent et qu’il pouvait faire l’objet d’une interdiction de territoire était tout à fait raisonnable.

[22]           Je conviens avec le défendeur que l’agent n’a pas commis d’erreur en rendant le rapport. Le libellé de l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la citoyenneté est clair. Nul ne peut recevoir la citoyenneté ni prêter le serment de citoyenneté s’il a été reconnu coupable d’un acte criminel :

22 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, nul ne peut recevoir la citoyenneté au titre des paragraphes 5(1), (2) ou (4) ou 11(1) ni prêter le serment de citoyenneté :

b) tant qu’il est inculpé pour une infraction prévue aux paragraphes 21.1(1) ou 29.2(1) ou (2) ou pour un acte criminel prévu par les paragraphes 29(2) ou (3) ou par une autre loi fédérale, autre qu’une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions, et ce, jusqu’à la date d’épuisement des voies de recours ;

[23]           De plus, le paragraphe 12(3) de la Loi sur la citoyenneté prévoit ce qui suit :

12 (3) Le certificat délivré en application du présent article ne prend effet qu’en tant que l’intéressé s’est conformé aux dispositions de la présente loi et aux règlements régissant la prestation du serment de citoyenneté.

[24]           En d’autres termes, s’il est délivré sans que le titulaire ne se soit conformé aux exigences de la Loi sur la citoyenneté, le certificat n’est pas valide. Par conséquent, ce dernier ne lui a jamais conféré un statut quelconque. Comme l’a fait remarquer le juge Russell dans la décision Afzal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1028, au paragraphe 25, « Le paragraphe 12(3) établit un fondement législatif pour l’annulation d’un certificat délivré par erreur. Un certificat, même s’il a été délivré, n’a aucun effet si les conditions préalables à la citoyenneté n’ont pas été remplies ».

[25]           L’une des conditions préalables est décrite à l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, à savoir : le titulaire du certificat ne peut prêter le serment de citoyenneté tout en étant accusé d’un acte criminel comme une agression sexuelle aux termes de l’article 271 du Code. Le demandeur était accusé d’un tel acte à l’époque où il a prêté le serment de citoyenneté pour recevoir son certificat de citoyenneté. Il n’avait donc pas rempli l’une des conditions préalables à la citoyenneté. En effet, la preuve au dossier de CIC indique que le demandeur n’a jamais été considéré comme détenteur de la citoyenneté canadienne. En réponse aux demandes de renseignements faites par l’agent, CIC a répondu que [traduction] « au regard des renseignements fournis, nous avons fouillé nos dossiers et conclu que rien n’indiquait qu’un certificat de naturalisation ou de citoyenneté avait été délivré au nom du demandeur ». (DCT, à la page 018).

[26]           Je ne vois aucune erreur dans la décision de l’agent de rendre le rapport au moment où il l’a fait. Le certificat de citoyenneté du demandeur était sans effet et, par conséquent, il était un résident permanent au moment où le rapport a été rendu.

[27]           Le libellé de la Loi, au paragraphe 44(1) prévoit les limites suivantes :

44 (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

[Non souligné dans l’original.]

[28]           Le demandeur, qui n’était qu’un résident permanent au moment du rapport, tombe sous le coup de cette disposition en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi, dont les éléments pertinents sont soulignés ci-dessous :

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé ;

[29]           Selon le demandeur, ces dispositions obligent l’agent à examiner la situation du résident permanent ou de l’étranger seulement au moment précis de la déclaration de culpabilité. Je ne suis pas d’accord et je ne considère pas que le sens ordinaire de la Loi puisse permettre de comprendre autre chose que ce que l’agent, le délégué du ministre et le commissaire ont compris, c’est-à-dire que le demandeur était un résident permanent et non un citoyen au moment où chacune des décisions a été prise.

[30]           Le demandeur soutient qu’il avait obtenu sa citoyenneté depuis environ six semaines à l’automne 2013 et que la citoyenneté ne peut être rétroactivement révoquée. Encore une fois, je ne suis pas d’accord. Comme je l’ai déjà expliqué plus haut, à la lumière des dispositions pertinentes de la Loi sur la citoyenneté en vigueur à l’époque, le demandeur n’a jamais obtenu de citoyenneté, et ce, même s’il avait obtenu le certificat. Ce certificat a été obtenu au moyen de fausses déclarations. Même si ces fausses déclarations étaient innocentes comme le prétend le demandeur et même s’il avait mal compris les deux formulaires dans lesquels il a attesté qu’il n’y avait aucune accusation criminelle contre lui en instance (ce qu’il savait sans l’ombre d’un doute, sans parler de l’audience qui a été repoussée parce qu’elle entrait en conflit d’horaire avec la cérémonie de citoyenneté), une telle confusion ne ferait pas de lui un citoyen. Comme je l’ai dit plus haut, le certificat délivré n’a jamais pris effet parce que le demandeur n’a jamais respecté les exigences de la Loi relatives au serment. Et même si j’avais tort et qu’il avait eu la citoyenneté pendant six semaines, je ne suis pas d’accord pour dire qu’il faudrait alors examiner son statut seulement au moment de la déclaration de culpabilité. Cela ne concorde ni avec le sens ordinaire ni avec l’interprétation contextuelle de la Loi. De plus, le demandeur ne pouvait citer aucun précédent à l’appui de son interprétation de la législation.

C.                 L’agent ou le délégué du ministre a-t-il fourni des motifs adéquats ?

[31]           Le demandeur soutient que l’agent et le délégué (qui a accepté les motifs fournis par l’agent dans son rapport et la lettre de renvoi) ont omis de motiver adéquatement leurs décisions respectives. Selon le demandeur, ils se seraient contentés de fournir des énoncés de fait accompagnés d’une lettre vague et imprécise truffée d’énoncés généraux peu concluants sans trop de preuve à l’appui.

[32]           De plus, le demandeur soutient qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure qu’il n’était pas [traduction] « digne de foi » en raison de son historique en matière de citoyenneté, et que, en tout état de cause, la fiabilité n’était pas un facteur pertinent ou approprié dans l’évaluation de l’agent et du délégué. À ce titre, le demandeur soutient que les motifs sont insuffisants et qu’ils ne reposent sur aucune analyse cohérente et adéquate de la situation du demandeur.

[33]           Je conclus, au contraire, que le rapport fournit des motifs on ne peut plus suffisants. L’agent a énoncé le fondement factuel de sa décision de rédiger un rapport : le demandeur n’était pas un citoyen canadien et avait été déclaré coupable d’agression sexuelle, ce qui constitue un acte criminel. Ces faits à eux seuls étaient suffisants pour recommander le renvoi et servir de fondement pour les trois décisions. Ils étaient sans aucun doute suffisamment clairs pour que le demandeur y réponde au moment de l’enquête. Comme l’a fait observer le juge Zinn dans son analyse du caractère suffisant des motifs dans le contexte d’un rapport d’interdiction de territoire, « on doit fournir des motifs compte tenu de l’importance de la décision pour la personne devant être renvoyée. Toutefois, cela ne veut pas dire que les motifs qui sont donnés doivent être aussi détaillés que ceux qui sont exigés dans les instances judiciaires ou quasi judiciaires […] le critère est celui de savoir s’ils permettent à la personne touchée de comprendre pourquoi la décision a été prise et permettent à la cour de révision d’apprécier la validité de la décision. » (Iamkhong c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 1349, aux paragraphes 31 et 32 [Iamkhong] ; voir également la décision Richter c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 806, au paragraphe 18, conf. par 2009 CAF 73 [Richter]).

[34]           Je suis également en désaccord avec l’argument du demandeur selon lequel l’agent avait tiré, dans sa lettre de renvoi, des conclusions au sujet de l’histoire de sa demande de citoyenneté sans preuve suffisante, se fondant sur des motifs vagues. La lettre de renvoi donne une chronologie des interactions du demandeur avec deux agents d’immigration et les responsables de l’application de la loi et relève clairement de la preuve au regard de laquelle l’agent en arrive à sa décision. L’évaluation de l’agent selon laquelle le demandeur était indigne de confiance reposait sur le fait qu’il avait omis plus d’une fois de divulguer qu’il avait été accusé d’agression sexuelle alors qu’il était tenu de le faire.

[35]           Enfin, pour ce qui est de savoir si s’il était approprié de prendre en considération la « fiabilité » du demandeur, la jurisprudence indique que, malgré l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire très limité, l’agent et le délégué peuvent tenir compte d’autres facteurs (Cha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, au paragraphe 37). Dans Fabbiano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1219, par exemple, le juge O’Reilly a écrit ce qui suit :

Le rôle du délégué du ministre est d’examiner la preuve pertinente concernant son interdiction de territoire et d’exercer son pouvoir discrétionnaire en tenant compte des circonstances, notamment les considérations d’ordre humanitaire, le cas échéant (Faci c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 693 (CanLII), au paragraphe 31). Celles‑ci sont plus importantes dans les affaires intéressant des personnes qui, comme M. Fabbiano, sont des résidents permanents établis depuis longtemps au Canada. Selon les directives ministérielles, le délégué doit tenir compte de l’âge de l’intéressé, de la durée de sa résidence au Canada, de ses circonstances familiales, des conditions dans son pays d’origine, de son degré d’établissement au Canada, de ses antécédents criminels et de son attitude (voir Citoyenneté et Immigration Canada, « ENF 6 – Examen des rapports établis en vertu de la L44(1) » à 19.2).

[36]           En bref, je ne vois rien d’inapproprié dans les décisions de l’agent et du délégué qui ont examiné les antécédents du demandeur relativement à son défaut de se conformer aux exigences des autorités de l’immigration. Cela dit, même s’il advenait que l’examen de la fiabilité du demandeur ait été déraisonnable, je conclus que les commentaires de l’agent étaient manifestement des remarques incidentes superflues. Les conclusions déterminantes dans cette affaire ont trait au statut du demandeur à titre de résident permanent et à sa déclaration de culpabilité pour agression sexuelle. Ces conclusions ont été étayées de motifs suffisants pour le rapport, le renvoi et, enfin, la mesure.

D.                L’agent et le délégué ont-ils commis une erreur en ne donnant pas au demandeur la possibilité de déposer des observations ?

[37]           Le demandeur soutient qu’il n’a eu l’occasion ni d’expliquer les circonstances entourant l’obtention et la révocation de son certificat de citoyenneté et la révocation de ce dernier ni de résoudre les questions concernant sa fiabilité. Étant donné que ces questions étaient pertinentes pour l’agent, le demandeur aurait dû avoir la possibilité de présenter ses observations, oralement ou par écrit.

[38]           Les personnes qui tombent sous le coup de l’article 44 font l’objet d’un devoir d’équité procédurale. Cependant, comme en fait état la décision Huang c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2015 CF 28, au paragraphe 84, la jurisprudence établit un allégement de cette obligation dans le contexte des décisions prises en vertu des paragraphes 44(1) et 44(2). Une telle obligation confère deux droits : celui de présenter des observations (par écrit ou oralement) et celui d’obtenir une copie des rapports (voir aussi Richter, précitée, au paragraphe 18 ; Finta, au paragraphe 35 ; Iamkhong, au paragraphe 31).

[39]           En l’espèce, le demandeur a eu la possibilité de présenter ses observations avant que le rapport soit publié et il a reçu une copie des motifs de l’agent dans le but de se préparer pour l’audience sur l’interdiction de territoire. Le droit d’être informé des facteurs précis que l’agent ou que le délégué peut envisager n’existe pas, surtout lorsque le demandeur conteste certaines parties de l’évaluation en se fondant sur des renseignements qu’il avait déjà (Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1078, au paragraphe 19). En l’espèce, le demandeur savait que son certificat de citoyenneté avait été révoqué parce qu’il n’avait pas divulgué qu’il était en attente de son procès pour agression sexuelle. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai déjà souligné ci-dessus, les commentaires sur la fiabilité étaient superflus et l’équivalent de remarques incidentes.

IV.             Conclusion

[40]           Compte tenu de tout ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée ;

2.      Aucune question n’est certifiée ;

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM-3874-15 IMM-3872-15 IMM-3873-15

 

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 juin 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

Le juge Diner

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

R. M. Jacob Watters

POUR LE DEMANDEUR

M. Don Klaasen

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

R. M. Jacob Watters

Avocat

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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