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Date : 20160708


Dossier : IMM-7666-14

Référence : 2016 CF 785

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

CHUN JIE KUANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée à l’encontre d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) qui a confirmé une mesure d’expulsion prise en vertu d’une décision (la décision) de la Section de l’immigration (SI).

Le demandeur a été jugé interdit de territoire pour grande criminalité conformément à l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la LIPR), parce qu’il a été déclaré coupable d’une infraction en vertu du paragraphe 7(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, ch. 19.

[2]               Il est important de noter que la validité de la mesure d’expulsion n’était pas en litige devant la SAI. La seule question en litige devant la Cour relève de considérations humanitaires.

II.                Contexte

[3]               Le demandeur est citoyen chinois, résident permanent grâce au parrainage de son ex-épouse.

[4]               Le demandeur s’est séparé de son épouse deux mois après son arrivée au Canada sous prétexte apparemment qu’une blessure à ses orteils aurait dégoûté son épouse au point de mettre fin à leur union. Le couple a divorcé en février 2012.

[5]               Le demandeur a commencé à travailler en tant que cuisinier à une ferme qui s’est avérée être un lieu de culture de marijuana. Tout en sachant que cette activité était illégale, le demandeur a continué d’y travailler et il a été arrêté lors d’une descente de la GRC.

[6]               Il a été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour. Au moment où l’infraction a été commise, elle aurait pu donner lieu à une peine d’emprisonnement maximale de sept ans d’emprisonnement.

[7]               La SI a mené une enquête selon laquelle la seule question en litige était de savoir si la notion d’« emprisonnement » en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR comprenait le sursis.

[8]               N’ayant eu gain de cause sur cette question, le demandeur a interjeté appel à la SAI en se fondant exclusivement sur des considérations humanitaires. L’appel ne portait pas sur la validité juridique de la mesure d’expulsion, à savoir la question de la peine d’emprisonnement avec sursis.

[9]               La SAI a rejeté la demande CH de M. Kuang en juin 2015.

[10]           Par la suite, le demandeur a informé la Cour d’une décision en instance de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Tran, 2015 CAF 237, 392 DLR (4 th) 351 (Tran), qui traitait de la question de la peine d’emprisonnement avec sursis dans le contexte d’une « peine d’emprisonnement ». Les deux parties ont choisi de ne pas présenter d’autres observations sur les répercussions de la décision Tran.

[11]           Dans la décision de la SAI, qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, la question était de savoir s’il y avait suffisamment de considérations d’ordre humanitaire à la lumière des circonstances particulières entourant cette affaire pour justifier la prise de mesures spéciales.

[12]           Dans sa décision, la SAI a établi que les facteurs pertinents pour l’exercice de sa compétence étaient les suivants :

                     la gravité de l’infraction en cause ;

                     les remords du demandeur ;

                     la possibilité et le degré de réadaptation ;

                     la durée du séjour au Canada et le degré d’établissement ;

                     les membres de la famille du demandeur au Canada et les conséquences de la mesure de renvoi ;

                     l’intérêt supérieur de l’enfant (le cas échéant) ;

                     le soutien offert par la famille et la collectivité ;

                     l’importance des difficultés qu’occasionnerait le renvoi.

[13]           Dans la décision de la SAI, le tribunal a conclu que :

                     l’avocat du demandeur concède que les actions du demandeur sont très graves ;

                     le demandeur avait des remords et était sur la voie de la réadaptation, ce qui constitue un facteur favorable ;

                     le demandeur avait vraisemblablement contracté un mariage de convenance et l’emploi qu’il occupait ainsi que le paiement d’impôts de sa part constituaient un faible degré d’établissement ;

                     le demandeur n’avait aucune famille au Canada et son renvoi n’aurait donc aucune incidence importante ;

                     le couple n’avait pas d’enfants ;

                     bien que le demandeur invoque les difficultés qui découleraient du risque d’être répudié par sa famille, cela ne constituait pas une contrainte excessive.

[14]           La SAI a conclu que les facteurs négatifs l’emportaient sur les facteurs positifs. Compte tenu du crime commis, de la durée de la peine, du bref séjour au Canada et du faible degré d’établissement, un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi n’était pas justifié.

III.             Analyse

A.                Norme de contrôle

[15]           Il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard des tribunaux exerçant des fonctions hautement discrétionnaires. La question juridique de savoir si une peine d’emprisonnement avec sursis constitue une « peine d’emprisonnement » n’est pas devant la Cour, et celle-ci n’exercera pas son pouvoir discrétionnaire afin d’étendre la portée de la demande de contrôle judiciaire au-delà de la décision de la SAI.

[16]           Étant donné que la validité juridique de la décision de la SI n’est pas en cause, la question de fond est celle des considérations d’ordre humanitaires prises en compte dans la décision de la SAI. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339).

Dans la mesure où il y a une question d’équité procédurale relativement aux commentaires concernant le mariage du demandeur, cette question est assujettie à la norme de la décision correcte.

B.                 Validité de la mesure d’expulsion

[17]           Dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, la Cour suprême, tout en notant la portée du pouvoir dont dispose la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour examiner une question qui n’a pas été soulevée devant le tribunal au moment approprié, a statué que lorsqu’une question aurait pu être soulevée, mais qu’elle ne l’a pas été, ce pouvoir discrétionnaire ne devrait pas être exercé.

[18]           Il ressort du dossier que la seule question devant la SI était celle de décider si la peine d’emprisonnement avec sursis compte comme un emprisonnement. Or, le demandeur n’a pas interjeté appel de la décision pour ce motif et il n’a pas non plus déposé d’observations devant la SAI sur cette question.

[19]           Il ne conviendrait pas de permettre à présent au demandeur de solliciter le contrôle judiciaire pour un motif qu’il a essentiellement abandonné devant la SAI et sur lequel la SAI n’a rendu aucune décision. Le contrôle judiciaire a pour objet d’examiner la décision d’un tribunal, et non de se prononcer sur une affaire en première instance.

La Cour est consciente de l’arrêt Tran et, même si la décision Tran était infirmée, elle ne devrait pas entendre cette question, qui a été abandonnée.

C.                 Évaluation des considérations humanitaires (demande CH)

[20]           La SAI a examiné le critère juridique et les facteurs appropriés exposés dans Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1986), [1985] DSAI no 4 (IMM App BD) (Ribic). Elle a soupesé les facteurs pertinents. Laisser entendre que l’analyse aurait pu être plus exhaustive n’est rien d’autre qu’une stratégie « d’avocat de salon ». Le demandeur connaissait" les facteurs examinés et les motifs de la décision du tribunal.

[21]           Si la « retenue », c’est-à-dire le respect de la fonction du tribunal, signifie quelque chose, elle veut dire qu’il faut accepter le genre de pondération des facteurs qu’a effectué la SAI.

[22]           Il n’y a aucune raison d’infirmer la décision concernant la demande CH.

D.                Équité procédurale

[23]           Le demandeur soutient qu’en concluant que son mariage était de convenance, la SAI a manqué à l’équité procédurale parce qu’elle le l’avait pas avisé que la question serait tranchée.

[24]           Le demandeur fonde à tort son argument sur la décision Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 273, 406 FTR 139. Cette décision se distingue de l’espèce en ce sens que la question en litige dans cette affaire était que la demanderesse était interdite de territoire parce qu’elle avait fait une fausse déclaration concernant son état matrimonial.

[25]           En l’espèce, il n’y avait aucune conclusion quant à l’authenticité du mariage comme motif d’interdiction de territoire. Tout au plus, la situation matrimoniale constituait le contexte pris en compte pour savoir si le demandeur était marié et évaluer son degré d’établissement au Canada. La crédibilité n’était pas en cause dans la décision Ribic.

[26]           La conclusion pertinente était que le demandeur n’était plus marié et qu’il n’avait pas d’enfants.

[27]           Puisque rien ne dépendait de la remarque de la SAI, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale en l’espèce.

IV.             Conclusion

[28]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Michael L. Phelan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7666-14

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

CHUN JIE KUANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 mars 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Helen Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larlee Rosenberg

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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