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Date : 20160617


Dossier : T-1353-15

Référence : 2016 CF 686

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2016

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

DALLAS LEONARD RUDD

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               M. Dallas Leonard Rudd (M. Rudd) demande le contrôle judiciaire d’une décision du ministre des Transports (le ministre) datée du 14 juillet 2015 par laquelle le délégué du ministre a annulé l’habilitation de sécurité en matière de transport du demandeur en vertu de la politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport (la Politique).

[2]               M. Rudd est un mécanicien d’ascenseur et un amoureux de la moto de 63 ans qui travaille actuellement pour Fujitec Canada Inc. Un des clients de son employeur est l’aéroport international de Vancouver (l’aéroport). En 2008, M. Rudd était régulièrement envoyé pour effectuer des travaux de maintenance à l’aéroport, tâche pour laquelle il devait détenir une habilitation de sécurité du ministre. Après l’échéance de son habilitation de sécurité en 2013, M. Rudd a déposé une demande de renouvellement en janvier 2014.

[3]               Le 14 octobre 2014, le programme de filtrage de sécurité de Transport Canada a reçu un rapport de vérification des antécédents criminels (rapport VAC) de la Section du filtrage sécuritaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Le rapport VAC mentionnait des liens supposés de M. Rudd avec les Hell’s Angels et avec le club de motards Jesters Motorcycle Club (Jesters Club), et soulignait sa participation aux six derniers « rallyes-poker » organisés soit par les Hell’s Angels ou par le Jesters Club entre 2009 et 2013. Les parties reconnaissent que les Hell’s Angels sont une bande de motards criminalisée (BMC) alors que le Jesters Club ne l’est pas. Selon le rapport VAC, M. Rudd a été aperçu portant un t-shirt rouge « Gus Shop », un magasin dont le propriétaire est membre des Hell’s Angels, ainsi qu’une veste de cuir noire démontrant son appartenance au club de motocyclistes Shadow Motorcycle Club (Shadow Club). Une fois de plus, les parties conviennent que le Shadow Club n’est pas une BMC. Le rapport VAC mentionnait également que M. Rudd avait été aperçu à la résidence d’un des membres du Jesters Club. Ces événements et ces observations ont eu lieu alors que M. Rudd possédait son habilitation de sécurité en matière de transport.

[4]               Dans une lettre datée du 21 octobre 2014, Transport Canada a avisé M. Rudd que son habilitation de sécurité devait être révisée en raison de la réception de certains renseignements défavorables soulevant des préoccupations à l’égard de son aptitude à conserver son habilitation de sécurité. Dans cette lettre, Transport Canada mentionne ses préoccupations à l’égard des liens de M. Rudd avec les Hell’s Angels, le Jesters Club et le Shadow Club. Transport Canada a également avisé M. Rudd qu’un organisme consultatif du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport examinerait l’affaire compte tenu de tous les renseignements disponibles et pertinents et ferait une recommandation au ministre conformément à l’article I.4 de la Politique. Transport Canada encourageait de plus M. Rudd à fournir des renseignements additionnels qui permettraient de préciser les circonstances entourant ces liens, de même que toute autre information ou explication pertinente, y compris les circonstances atténuantes.

[5]                Le 3 novembre 2014, M. Rudd a répondu à Transport Canada par lettre. Il a expliqué que son t-shirt « Gus Shop » lui avait été donné après que des réparations majeures ayant entraîné des coûts importants avaient été effectuées sur sa moto par le seul magasin vendant les pièces nécessaires à la réparation. Il a également expliqué que depuis qu’il avait parlé à un agent de la GRC en mai 2013, il avait décidé de se distancier des groupes de motards mentionnés dans la lettre. Il a affirmé n’avoir eu aucun contact avec ces groupes depuis. Entre le 28 octobre 2014 et le 18 mars 2015, cinq collègues de M. Rudd ont écrit à Transport Canada pour le soutenir. Le 18 mars 2015, M. Rudd a écrit de nouveau à Transport Canada. Dans cette lettre, il a reconnu participer aux rallyes-poker, mais a insisté sur le fait qu’il y prenait part comme motocycliste et non comme membre des clubs de motards. M. Rudd a également admis s’être rendu à la résidence d’un membre du Jesters Club, mais il a expliqué qu’il s’y trouvait parce qu’il aidait un ami à transporter son chien malade chez un vétérinaire et qu’il n’était pas là à titre de membre du club. Pour ce qui est de la veste de cuir noire affichant son appartenance au Shadow Club, M. Rudd explique qu’il la portait seulement parce qu’il faisait partie de ce club et qu’on lui avait dit de la porter. Il a affirmé qu’il n’avait pas connaissance de l’implication du Shadow Club dans des crimes violents graves, mais qu’il avait néanmoins décidé d’arrêter de fréquenter ses membres après avoir discuté avec l’agent de la GRC en mai 2013. M. Rudd a ajouté qu’il n’était pas une personne violente, qu’il n’était pas associé à des actes criminels, qu’il valorisait son travail et qu’il était à deux ans de sa retraite. Je note ici que M. Rudd n’a aucun antécédent criminel.

II.                Décision contestée

[6]               Le 25 mars 2015, l’organe consultatif s’est réuni pour discuter du cas de M. Rudd et a fait une recommandation au ministre. L’organisme consultatif est composé du directeur agissant comme président et d’autres membres choisis par lui. L’organisme consultatif comprenait six membres votants, dont le directeur, et cinq membres non-votants. La recommandation faite par l’organisme consultatif au ministre s’intitulait [traduction] « Justification » et était signée des six membres votants. L’organisme consultatif recommandait l’annulation de l’habilitation de sécurité de M. Rudd en raison de son association avec des bandes de motards criminalisées, tel qu’il est expliqué dans le rapport VAC. Il soulignait que M. Rudd avait été aperçu à six reprises avec des membres de ces groupes alors qu’il possédait une habilitation de sécurité en matière de transport. L’organisme consultatif affirmait qu’après examen des renseignements au dossier, il avait des raisons de croire que, selon la prépondérance des probabilités, M. Rudd [traduction« était sujet ou pouvait être incité à commettre un acte ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile » et que les observations écrites de M. Rudd ne fournissaient suffisamment d’informations pour dissiper les préoccupations de l’organisme consultatif.

[7]                Le 14 juillet 2015, le délégué du ministre a accepté la recommandation de l’organisme consultatif et a annulé l’habilitation de sécurité de M. Rudd. Dans une lettre datée du 17 juillet 2015, Transports Canada a avisé M. Rudd de sa décision et des motifs qui y ont mené.

III.             Questions préliminaires

[8]               En réponse aux requêtes préliminaires présentées par le défendeur au début de l’audience sur la demande de contrôle judiciaire, j’ai accueilli sa demande de modification de l’intitulé de la cause pour y nommer le procureur général du Canada à titre de défendeur plutôt que le ministre. J’ai également radié les affidavits de Mike Funk, de Cornelis J. Van Zanten et de Jason Devine puisqu’ils n’ont pas été présentés à l’organisme consultatif ou au délégué du ministre. Je radie en outre les paragraphes 3, 5, 6, 8 et 15 de l’affidavit de M. Rudd puisqu’ils ne sont pas conformes aux exigences du paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS 98/106.

IV.             Questions en litige

[9]               M. Rudd prétend que le ministre n’a pas respecté les principes d’équité procédurale dans la procédure qu’il a adoptée pour annuler son habilitation de sécurité et que cette décision ne satisfait pas le critère de la décision raisonnable tel qu’il est énoncé dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir).

V.                Normes de contrôle

[10]           Il est acquis en matière jurisprudentielle que la décision d’annuler une habilitation de sécurité doit être examinée selon la norme de contrôle de la décision raisonnable (Rossi c. Canada (Procureur général), 2015 CF 961, [2015] ACF no 950, au paragraphe 19 [Rossi]; Clue c. Canada (Procureur général), 2011 CF 323, [2011] FCJ no 401, au paragraphe 14 [Clue]). Il faut par ailleurs faire preuve d’une grande déférence envers le pouvoir discrétionnaire du ministre d’annuler une habilitation de sécurité attribué par l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, LRC (1985), ch. A-2 (la Loi) [Shabbir c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1020, [2014] ACF no 1191; Dunsmuir, précité]. En appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour doit intervenir seulement si la décision du ministre n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

[11]           Les questions reliées à l’équité procédurale dans le contexte d’habilitation de sécurité doivent faire l’objet d’un contrôle en fonction de la norme de la décision correcte (Rossi, précité, au paragraphe 20, Weekes c. Canada (Procureur général), 2015 CF 853, [2015] ACF no 831, au paragraphe 9).

VI.             Dispositions pertinentes

[12]           L’alinéa 146(1)c) du Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, DORS/2011‑318, dispose qu’il est interdit de délivrer une carte d’identité de zone réglementée à une personne à moins qu’elle ne possède d’abord une habilitation de sécurité obtenue après une vérification approfondie de ses antécédents. Une habilitation de sécurité existante doit être révisée si des renseignements défavorables sont reçus à propos de la capacité d’une personne de conserver son habilitation de sécurité. En faisant la promotion de la sécurité de l’aviation civile, le ministre est investi du pouvoir discrétionnaire d’autoriser, de refuser, de suspendre ou d’annuler une habilitation de sécurité en vertu de l’article 4.8 de la Loi. En rendant sa décision, le ministre se fonde sur la politique qui interdit l’entrée non contrôlée dans une zone réglementée d’une personne qui, « selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ». Lorsque des préoccupations sont soulevées à l’égard de la capacité d’une personne à détenir une habilitation de sécurité, cette personne est invitée à présenter ses observations. Le directeur convie ensuite un organisme consultatif à examiner le dossier et à formuler une recommandation au ministre.

VII.          Analyse

A.                Le ministre a-t-il manqué à son devoir d’équité procédurale en décidant d’annuler l’habilitation de sécurité de M. Rudd?

[13]           M. Rudd allègue que le processus décisionnel du ministre ne satisfait pas aux exigences de l’équité procédurale puisqu’il n’a pas bénéficié d’une instruction équitable. Il soutient que parce que l’annulation de son habilitation de sécurité a des conséquences sur son moyen de subsistance, il est en droit de recevoir un degré élevé d’équité procédurale comprenant la tenue d’une audience (Meyler c. Canada (Procureur général), 2015 CF 357, [2015] ACF no 325, au paragraphe 26; Dimartino c. Canada (Ministre des Transports), 2005 CF 635, [2005] FCJ no 876). Il fait valoir que la conclusion du ministre se fonde sur son manque de crédibilité et qu’il aurait dû, pour cette raison, pouvoir bénéficier d’une occasion d’être entendu en personne.

[14]           Je ne suis pas d’accord. J’observe d’abord qu’il n’y a rien dans la décision du délégué du ministre qui démontre qu’il a fondé sa décision d’annuler l’habilitation de sécurité de M. Rudd sur le fait qu’il ne croyait pas les renseignements fournis par ce dernier. Dans les circonstances, le droit à l’équité procédurale de M. Rudd ne comprend pas le droit à une audience (Henri c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1141, [2014] ACF no 1266, au paragraphe 27; Rivet c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1175, [2007] FCJ no 1547, au paragraphe 25 [Rivet]).

[15]           De plus, dans le contexte de l’annulation d’une habilitation de sécurité, la règle générale est que le droit à l’équité procédurale « se limit[e] au droit de connaître les faits reprochés [...] et au droit de faire des représentations à l’égard de ces faits » (Rivet, précité, au paragraphe 25). En l’espèce, M. Rudd a reçu un avis immédiat des préoccupations de Transports Canada. Il a également été invité à déposer ses observations écrites, ce qu’il a fait, et l’organisme consultatif et le délégué du ministre en ont tenu compte. En fait, M. Rudd a fait parvenir deux lettres d’explications et cinq lettres de recommandation provenant de ses collègues et de ses superviseurs. Je suis d’avis que dans ces circonstances, le processus décisionnel respectait les exigences de l’équité procédurale.

B.                 La décision du ministre d’annuler l’habilitation de sécurité de M. Rudd est-elle déraisonnable?

[16]           Le demandeur soutient que la décision du ministre est déraisonnable, car : 1) elle n’est pas fondée sur des éléments de preuve; 2) elle n’est ni justifiée ni transparente; 3) elle va à l’encontre de la jurisprudence.

[17]           Premièrement, concernant la question de l’absence de fondement probatoire de la décision, M. Rudd fait valoir que l’inférence du ministre selon laquelle il y a des raisons d’être préoccupé par le jugement, l’honnêteté et la fiabilité du demandeur est non fondée. Il affirme qu’il n’y a aucun motif de croire qu’il pourrait être sujet ou être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. Certaines des observations de M. Rudd à cet égard sont étranges, c’est le moins qu’on puisse dire. Plutôt que de répondre à la question de savoir si le rallye-poker est organisé par les Hell’s Angels, l’avocat du demandeur soutient que même si des membres des Hell’s Angels étaient présents à ce rallye, ces membres font partie de la société et qu’il n’y a rien de différent entre participer à ce rallye-poker en particulier et s’asseoir à côté d’un membre des Hell’s Angels dans un [traduction] « tournoi de poker dans un casino local » et avoir une [traduction] « simple conversation » avec un membre des Hell’s Angels. De tels arguments minimisent injustement et même banalisent la menace sérieuse que posent les Hell’s Angels et d’autres BMC à la sécurité en générale et à la sécurité aéroportuaire en particulier. La participation à un rallye-poker dans lequel les Hell’s Angels sont impliqués, même de loin, est une source de sérieuses préoccupations. Dans le même esprit, M. Rudd prétend que sa participation à un rallye-poker organisé par le Jesters Club, dont certains membres sont associés aux Hell’s Angels, ne se distingue en rien d’un [traduction] « club de quilles » qui organise [traduction] « un tournoi pour ses membres ». Ces arguments, une fois de plus, banalisent la tâche très difficile du ministre et des cours qui doivent faire face à ces questions très sérieuses. Je rejette, avec toute la retenue judiciaire qui m’est attribuée, la tentative de banaliser la tâche très importante que le ministre a entreprise en l’espèce. La Cour ne réévaluera pas la preuve pour comparer la ressemblance d’un rallye-poker à un tournoi de quilles ou à un jeu de cartes.

[18]           M. Rudd soutient également que la décision du ministre n’est pas soutenue par la jurisprudence établie en vertu de l’article 4.8 de la Loi. Il prétend que le ministre doit établir qu’il entretenait un lien ou un rapport direct avec les Hell’s Angels ou avec d’autres membres d’organisations criminelles. Sur cette question, M. Rudd invoque des décisions de la Cour dans lesquelles les demandeurs avaient des liens ou des rapports directs avec des personnes impliquées dans des organisations criminelles (voir Fontaine c. Canada (Transports), 2007 CF 1160, [2007] FCJ no 1513 (QL), Kaczor c. Canada (Transport), 2015 CF 698, [2015] ACF no 681; Henri c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1141, [2014] ACF no 1266, Rossi, précité). Je ne suis pas d’accord. Toute affaire relative à la révocation ou au refus d’octroyer une habilitation de sécurité repose grandement sur les faits. Le ministre n’avait pas l’obligation de démontrer que M. Rudd était associé aux Hell’s Angels ou à toute autre organisation criminelle. Le rôle du ministre est plutôt d’établir s’il existe des motifs raisonnables de croire ou de soupçonner, selon la prépondérance des probabilités, que M. Rudd pourrait poser un risque à l’aviation civile canadienne (Singh Kailley c. Canada (Transport), 2016 CF 52, [2016] ACF no 72, au paragraphe 36)

[19]           Je me pencherai maintenant sur l’allégation de M. Rudd selon laquelle la décision du ministre ne satisfait pas les critères de la norme de la décision raisonnable. L’essence de cette allégation est que les motifs de la décision sont insuffisants. Je tiens à souligner ici que l’insuffisance des motifs en soi ne rend pas une décision déraisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62, au paragraphe 14 [Newfoundland Nurses’]). L’arrêt Newfoundland Nurses’ dispose qu’une cour de révision ne doit pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision, mais qu’elle peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat. En l’espèce, l’examen du dossier me pousse à accueillir la présente demande.

[20]           Je commencerai en soulignant que le rapport VAC de la GRC est présumé être exact. J’estime, après examen du dossier, que cette présomption n’a pas été renversée. Le rapport VAC établit l’implication de M. Rudd dans deux clubs motocyclistes qui ne sont pas des BMC, soit le Jesters Club et le Shadow Club. Il mentionne également les liens potentiels du demandeur avec les Hell’s Angels en raison de sa fréquentation du magasin « Gus’ repair shop » et de sa participation à six rallyes-poker entre 2009 et 2013. Le résumé de la discussion de l’organisme consultatif saisit également bien la plupart des faits qui lui ont été présentés, sauf un. En effet, il mentionne que les Hell’s Angels sont une BMC alors que le Shadow Club ne l’est pas, mais il ne fait aucune référence au statut du Jesters Club.

[21]           J’examinerai maintenant la justification de l’organisme consultatif, qui a été signée par tous les membres votants. Ce document, qui a abouti entre les mains du délégué du ministre, est entaché de plusieurs erreurs factuelles importantes. Tout d’abord, il indique que M. Rudd a eu de nombreuses et récentes [traduction] « associations avec la Bande de Motards Criminalisée ». Je ne peux m’empêcher de souligner l’utilisation de l’article défini [traduction] « la » avant les mots « Bande de Motards Criminalisée », écrits avec une majuscule initiale. Aucun nom propre de la sorte n’est utilisé dans le rapport VAC de la GRC pour désigner les clubs ou les bandes de motards, et cette terminologie n’a pas non plus été employée par l’organe consultatif lorsqu’il a siégé en assemblée plénière (avec les membres votants et non-votants). Une seconde erreur factuelle se trouve dans la justification de l’organisme consultatif. Le comité affirme que M. Rudd [traduction] « été aperçu à six reprises avec des membres de ces groupes ». Dans le contexte de la justification, « ces groupes » renvoient aux bandes de motards criminalisées, soit les Hell’s Angels et d’autres BMC. La seule BMC avec laquelle on aurait vu M. Rudd avoir une association potentielle est celle des Hell’s Angels. En aparté, je dis « potentielle », car on ne peut conclure que M. Rudd s’est associé aux Hell’s Angels par l’intermédiaire du rallye-poker que si on interprète de façon conjonctive plutôt que disjonctive le mot « ou », utilisé dans le rapport VAC de la GRC pour mentionner que le rallye-poker était organisé par les Hell’s Angels ou par le Jesters Club. Quoi qu’il en soit, il n’y a aucune preuve reliant M. Rudd à une bande connue comme étant la Bande de Motards Criminalisée ou à toute « autre BMC », conformément aux termes utilisés dans la justification. Ni la GRC ni l’organisme consultatif siégeant en assemblée plénière n’ont fait référence à d’autres BMC que les Hell’s Angels.

[22]           J’aborderai à présent la décision signée du délégué du ministre datée du 14 juillet 2015. Cette décision ne fait aucune référence à la Bande de Motards Criminalisée, mais mentionne à deux reprises à tort le Jesters Club comme étant une BMC. Après avoir fait ces deux références erronées, la décision fait état de la visite de M. Rudd à la maison d’un [traduction] « membre en règle » du Jesters Club. Cette observation fait référence à une visite, admise par M. Rudd, au cours de laquelle il a aidé à amener un chien chez un vétérinaire. Je souligne la référence par le délégué du ministre au lien personnel entre M. Rudd et le [traduction] « membre en règle » du Jesters Club. On peut comprendre cette référence, dans la mesure où elle est faite pour démontrer l’existence d’un lien clair entre M. Rudd et une BMC présumée. Le problème avec cette analyse, toutefois,  est que la preuve démontre que le Jesters Club n’est pas une BMC.

[23]           L’arrêt Newfoundland Nurses ne me permet pas de corriger la décision ou de substituer ma propre opinion à celle du ministre. Je peux seulement examiner le dossier afin d’évaluer le caractère raisonnable de la décision [Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 15]. En l’espèce, la justification de l’organisme consultatif et la décision du délégué du ministre ne sont pas intelligibles compte tenu de la trame factuelle qui leur était présentée. Le Jesters Club n’est pas une BMC et il n’y a pas de preuve de l’existence d’une organisation connue sous le nom de Bande de Motards Criminalisée. Rien dans le dossier ne démontre que ces malentendus ont été corrigés. Il m’est impossible de conclure que la décision du ministre aurait été la même en l’absence de ces erreurs factuelles.

VIII.       Conclusion

[24]           La décision du ministre d’annuler l’habilitation de sécurité de M. Rudd ne satisfait pas le critère de la norme de la décision raisonnable et ne fait pas partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Considérant le fait que les motifs ne concordent pas avec la preuve, ils ne sont pas justifiés, transparents et intelligibles. Par conséquent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire, j’annule la décision du ministre et je renvoie l’affaire au ministre pour réexamen. Les parties ont convenu d’établir les dépens à 2 000 $.

JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  L’intitulé est modifié de façon à y substituer le procureur général du Canada à titre de défendeur.

2.                  Les affidavits de Mike Funk, Cornelis J. Van Zanten et Jason Devine déposés dans la présente affaire sont radiés.

3.                  Les paragraphes 3, 5, 6, 8 et 15 de l’affidavit de M. Rudd déposé dans la présente affaire sont radiés.

4.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du ministre est annulée et l’affaire est renvoyée au ministre pour réexamen.

5.                  Des dépens de 2 000 $ sont adjugés au demandeur.

« B. Richard Bell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1353-15

 

INTITULÉ :

DALLAS LEONARD RUDD c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 mars 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Bennett Arsenault

Aaron Arsenault

 

Pour le demandeur

 

Michele Charles

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arsenault Aaron Lawyers

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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