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Date : 20160711


Dossier : T-1212-15

Référence : 2016 CF 789

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

AJWAD AMMAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

APRÈS avoir entendu la demande de contrôle judiciaire à Edmonton (Alberta), le lundi 7 juin 2016;

ET APRÈS avoir examiné les documents déposés et entendu les avocats des parties;

ET APRÈS avoir conclu que la demande doit être rejetée pour les motifs suivants :

[1]               Le demandeur, Ajwad Ammar, conteste une décision du délégué du défendeur datée du 23 juin 2015 confisquant la somme de 67 840,97 $ au profit de la Couronne.

[2]               Les faits ayant mené à la saisie de l’argent de M. Ammar ne sont pas contestés. Le 1er juin 2014, alors qu’il s’apprêtait à embarquer sur un vol à destination du Liban et faisant escale à Londres, M. Ammar a été confronté et questionné par les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] au sujet du montant d’argent qu’il possédait sur lui. Il a admis transporter sur lui 20 000 $, mais après une recherche plus approfondie des agents, 67 840,97 $ CAD ont été retrouvés sur sa personne.

[3]               Il n’est pas contesté que le défaut de M. Ammar de déclarer cette somme contrevient à l’article 12 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17 (la Loi). M. Ammar a été interrogé par l’ASFC à l’aéroport. Pendant l’interrogatoire, M. Ammar a expliqué qu’une partie de l’argent qu’il transportait appartenait à des tiers et était destiné à des œuvres de charité et à de la famille. Il a également déclaré que 15 000 $ lui avaient été versés par un ancien associé en affaires à titre de remboursement partiel d’un prêt. Les notes d’interrogatoire indiquent que M. Ammar n’a pas fourni d’explications plausibles pour la majorité de l’argent qu’il transportait; l’argent a donc été saisi en tant que produits présumés d’activités criminelles. L’officier de l’ASFC qui a effectué la saisie a indiqué les motifs suivants :

            [traduction]

–          Les devises n’ont pas été déclarées au départ.

–          Voyage avec un montant de devises dépassant le seuil de déclaration.

–          Voyage avec un montant de devises plus important que ses revenus annuels déclarés.

–          A tenté de se dissocier de plus de la moitié des devises en sa possession.

–          A déclaré que cet argent était destiné à de la famille et à des amis.

–          Voyage avec un montant qui rembourserait sa dette canadienne actuelle de 11 000 $.

–          A reçu un paiement comptant de 15 000 $ d’un ancien associé en affaires, Alex CARLETON, il y a cinq ou six jours à Lloydminster, pour procéder au transfert. M. CARLETON est venu en voiture de Moose Jaw, en Saskatchewan. Le point de rencontre à mi‑chemin n’a aucun sens. Des messages textes sur son téléphone indiquent que l’argent a été trouvé au fond d’un coffre-fort au bar Crushed Can Sports Lounge à Moose Jaw.

–          Vol vers Yanta, au Liban, un lieu à haut risque. Cette ville est située dans la plaine de Bekaa, longeant la frontière syrienne.

–          Ne semble pas perturbé par l’interrogatoire.

–          A admis que l’argent ne provenait pas de la banque.

–          A affirmé qu’il gardait cet argent à la maison, dans un tiroir ou sous le matelas.

–          L’argent était réparti dans ses poches et son bagage à main.

–          Les liasses étaient retenues par des élastiques, ce qui n’est pas usuel.

–          Une seule enveloppe contenant 2 500 $ provenait d’une banque.

–          N’a pas pu établir la provenance de l’argent.

–          A déclaré que son revenu annuel des deux dernières années se situait entre 20 000 $ et 30 000 $.

–          Incapable de prouver l’origine des devises.

–          Déclarations vagues et incohérentes au cours de l’interrogatoire.

–          Déclarations incohérentes relativement à ses projets de voyage.

–          Voyage seul.

–          Passeport délivré peu de temps avant le voyage.

–          Il a montré très peu d’émotions pendant l’interrogatoire.

–          Il a montré des émotions uniquement lorsqu’il a été question de la Syrie : il a alors élevé la voix et fait des gestes exagérés.

–          Il a déclaré que l’argent était destiné à des rénovations domiciliaires, alors qu’il serait en mesure de faire lui-même ce travail puisqu’il travaille actuellement dans le domaine de la construction.

–          Son cellulaire contient des images de précédents transferts d’argent allant de 6 000 à 18 000 euros.

–          Il ne se souvient pas de ces opérations financières.

–          Il n’a pas dit pourquoi il n’avait pas transféré l’argent.

–          Il a montré très peu d’émotions lorsqu’il a appris que l’argent serait saisi.

[4]               M. Ammar, avec l’aide de son avocat, a demandé une dispense ministérielle en vertu de l’alinéa 29(1)a) de la Loi. Cette disposition se lit comme suit :

29 (1) S’il décide qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), le ministre peut, aux conditions qu’il fixe :

a) soit restituer les espèces ou effets ou, sous réserve du paragraphe (2), la valeur de ceux-ci à la date où le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux est informé de la décision, sur réception de la pénalité réglementaire ou sans pénalité;

29 (1) If the Minister decides that subsection 12(1) was contravened, the Minister may, subject to the terms and conditions that the Minister may determine,

(a) decide that the currency or monetary instruments or, subject to subsection (2), an amount of money equal to their value on the day the Minister of Public Works and Government Services is informed of the decision, be returned, on payment of a penalty in the prescribed amount or without penalty;

[5]               À l’appui de sa demande de réparation, M. Ammar a déposé une déclaration non assermentée de sept pages affirmant que l’argent qu’il transportait n’était pas le produit d’activités criminelles. Il a soutenu que son argent personnel était destiné à sa famille au Liban. Il a également répété que l’argent qu’il transportait vers le Liban pour des tiers était destiné à de la famille et à des dons de bienfaisance.

[6]               Il a affirmé que tout l’argent provenait de sources légitimes. Il a soutenu que la somme de 30 660 $ correspondait à des produits d’investissement d’une entreprise familiale de courtage immobilier commercial, Ironwood Limited Partnership (Ironwood). Il a fourni des dossiers bancaires à l’appui de cette explication. Les 15 000 $ en argent comptant proviennent d’un prêt d’un ancien associé d’affaires, Alex Carleton, qui exploite une entreprise fondée sur la comptabilité de caisse. Dans sa déclaration, M. Ammar a abordé la question des produits d’activités criminelles qui se pose pour cet argent :

[traduction]

35.       À ma connaissance, les 15 000 $ qui m’ont été prêtés par Alex Carleton n’ont aucunement été obtenus par le biais d’activités criminelles. Pour autant que je sache, Alex a obtenu cet argent dans le cours normal de ses affaires.

36.       On peut joindre Alex au bar Crushed Can (306-684-1982). Il a d’ailleurs fourni une déclaration écrite confirmant ce prêt de 15 000 $. Si la véracité de cette transaction soulève quelque préoccupation que ce soit, j’invite la Direction des recours à communiquer avec Alex.

La lettre d’appui de M. Carleton confirme uniquement qu’il a prêté 15 000 $ en espèces à M. Ammar le 26 mai 2014 et qu’ils ont convenu d’un remboursement dans un an. Les espèces appartenant à des tiers sont attestées par une douzaine de déclarations non assermentées des propriétaires bénéficiaires, énonçant les raisons motivant l’envoi des fonds au Liban par l’intermédiaire de M. Ammar.

[7]               L’ASFC a remis en question la suffisance de la preuve fournie par M. Ammar. Le 30 octobre 2014, l’ASFC a demandé des dossiers d’impôt sur le revenu pour vérifier les produits d’investissement attribués à Ironwood. Elle a également recherché la preuve d’une source légitime pour plus de 46 000 $ d’espèces saisies. Elle a en outre avisé l’avocat que les déclarations des tiers [traduction] « ne constituent pas une preuve de la légitimité de la source des devises saisies ». En réponse, l’avocat de M. Ammar a demandé des précisions quant aux éléments requis pour prouver les déclarations des tierces parties. L’ASFC a répondu ce qui suit :

[traduction]

En réponse à vos commentaires, la preuve d’une source légitime des devises est la documentation prouvant la provenance initiale des devises saisies; par exemple, la preuve d’un emploi légitime accompagnée des opérations bancaires effectuées constituerait une preuve légitime de la source des devises. Un relevé bancaire ne peut constituer à lui seul une preuve de source légitime des devises, car il ne montre pas d’où proviennent ces devises.

Vous pouvez, dans les 30 jours suivant la date d’envoi de cette lettre, fournir tout renseignement ou document supplémentaires que vous croyez utile au processus décisionnel dans la présente affaire. Tous les renseignements envoyés par la poste doivent indiquer le numéro de dossier et être envoyés à l’adresse suivante : [...]

[8]               Dans sa réponse subséquente, l’avocat de M. Ammar a fourni certains dossiers bancaires montrant des dépôts périodiques d’Ironwood au compte de M. Ammar. Il a également indiqué que les renseignements fiscaux demandés pour l’année 2014 n’étaient pas encore prêts et a demandé une prolongation de délai de 30 jours afin de fournir plus d’éléments de preuve.

[9]               Le 9 décembre 2014, l’ASFC a répondu à l’avocat de M. Ammar, accusant réception des documents fournis jusque-là et demandant d’obtenir une copie de l’avis de cotisation de 2013 d’Ironwood. Dans cette lettre, l’ASFC également réitéré sa préoccupation quant au fait que les documents en sa possession n’indiquaient pas la source de l’argent saisi :

[traduction]

Comme nous l’avons déjà mentionné, la preuve d’une source légitime des devises est la documentation prouvant la provenance initiale des devises saisies; par exemple, la preuve d’un emploi légitime accompagnée des opérations bancaires effectuées constituerait une preuve légitime de la source des devises. Un relevé bancaire ne peut constituer à lui seul une preuve de source légitime des devises, car il ne montre pas d’où proviennent ces devises. De plus, il est impératif que nous puissions relier la documentation fournie aux devises saisies. La documentation que vous avez fournie ne satisfait pas ces exigences.

Vous pouvez, dans les 30 jours suivant la date d’envoi de cette lettre, fournir tout renseignement ou document supplémentaires que vous croyez utile au processus décisionnel dans la présente affaire. Tous les renseignements envoyés par la poste doivent indiquer le numéro de dossier et être envoyés à l’adresse suivante : [...]

[10]           Dans une lettre datée du 9 février 2015, l’avocat de M. Ammar a indiqué à l’ASFC qu’il pourrait bientôt envoyer les dossiers fiscaux d’Ironwood qu’elle avait demandés, et il a demandé que le délai soit prolongé une nouvelle fois jusqu’à la fin du mois d’avril. Cette prolongation a été accordée dans une lettre datée du 25 février 2015.

[11]           Pour des raisons qui ne sont pas expliquées dans le dossier dont je suis saisi, aucun autre document n’a été déposé au nom de M. Ammar en réponse aux préoccupations non réglées de l’ASFC.

[12]           Le 23 juin 2015, une agente principale des appels a préparé un résumé de l’affaire décrivant en détail la chaîne de communication entre l’agence et l’avocat de M. Ammar. Ce résumé se termine ainsi :

[traduction]

Le 9 février 2015, le représentant du plaignant a transmis un courriel demandant une prolongation de délai jusqu’à la fin du mois d’avril 2015.

Le 25 février 2015, un accusé de réception a été envoyé au représentant de M. Ammar, l’avisant que le dossier serait mis en suspens jusqu’au 30 avril 2015. Cette lettre l’avisait toutefois que si aucun autre renseignement n’était reçu à cette date, la décision serait rendue en fonction des renseignements déjà au dossier.

À ce jour, aucun autre renseignement n’a été reçu.

[13]           L’agente a conclu son rapport comme suit :

[traduction]

D’après les questions posées par l’agent de l’ASFC et les réponses fournies par le demandeur, l’agent a procédé à la saisie de 45 900 $CAN, d’une traite bancaire de 21 000 $CAN, de 600 $US (652,02 $CAN), de 135 € (200,09 $CAN), de 91 000 livres libanaises (63,70 $CAN) et de 85 Dirhams des Émirats arabes unis (25,16 $CAN) de niveau 4 comme produits soupçonnés de la criminalité, et aucune condition de mainlevée n’a été appliquée. Les motifs raisonnables de croire que les devises étaient des produits d’activités criminelles ont été énumérés dans la partie concernant le résumé de l’affaire et dans le rapport narratif de l’agent émetteur.

Dans sa lettre d’appel, le représentant du demandeur a fourni des documents relatifs aux devises, mais ceux-ci ne prouvaient toutefois pas que les devises provenaient de sources légitimes. De plus, la documentation demandée à l’appui de certaines devises n’a jamais été fournie.

Conformément à l’information consignée au dossier, je suis d’avis que le demandeur n’a pas été en mesure de dissiper le soupçon de l’agent émetteur quant au fait que les devises étaient des produits d’activités criminelles. C’est en tout cas ce qui ressort du fait que le demandeur n’a pas prouvé l’origine légitime des devises saisies.

Par conséquent, puisqu’aucun autre document n’a été fourni pour justifier l’origine des devises saisies, nous nous trouvons dans l’impossibilité d’établir une origine légitime pour les devises saisies.

Recommandation

Par conséquent, il y a eu contravention à la loi puisque le demandeur n’a pas déclaré comme il se doit les devises en sa possession et qu’il n’a pas fourni la preuve de l’origine légitime des devises saisies. Compte tenu de ce qui précède, je recommande que la saisie des devises en application de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes soit maintenue telle qu’elle a été notifiée.

En vertu du paragraphe 27(3), le ministre examinera les circonstances en l’espèce et prendra une décision relativement aux devises ou aux instruments monétaires saisis.

[14]           Par la suite, le délégué du ministre a rendu une décision énumérant toutes les circonstances de nature à soulever un doute raisonnable quant au fait que les montants saisis étaient des produits d’activités criminelles, et a déclaré que ces montants étaient confisqués. La lettre de décision traitait ainsi des éléments de preuve présentés au nom de M. Ammar :

[traduction]

Votre représentant a interjeté appel en votre nom de cette mesure d’exécution, sans toutefois fournir de motifs précis. Votre représentant a également transmis des documents quant aux devises, mais cette documentation ne prouvait pas que la source des devises était légitime, et ce, même après que le type de documentation requise lui ait été clairement expliqué.

Après examen de la documentation au dossier, il a été conclu que la saisie et la confiscation des 45 900 $CAN, de la traite bancaire de 21 000 $CAN, des 600 $US (652,02 $CAN), des 135 € (200,09 $CAN), des 91 000 livres libanaises (63,70 $CAN) et des 85 Dirhams des Émirats arabes unis (25,16 $CAN) étaient légitimes puisque vous n’avez pas déclaré posséder 10 000 $CAN ou plus en espèces avant d’entrer dans la zone de sécurité de l’aéroport. De plus, bien qu’il vous ait été demandé de fournir des preuves vérifiables de la source légitime des devises, vous n’avez pas fourni de documents satisfaisant les exigences précisées dans les lettres, c’est-à-dire des documents prouvant la source initiale des devises saisies par exemple une preuve d’emploi légitime accompagnée de transactions bancaires. Un relevé bancaire ne peut constituer à lui seul une preuve de source légitime des devises, car il ne montre pas d’où proviennent ces devises. De plus, les devises saisies doivent pouvoir être clairement reliées aux documents déposés. En outre, à l’égard de la déclaration de revenus de société en commandite d’Ironwood II, la copie de l’avis de cotisation reçu après la soumission à l’Agence du revenu du Canada n’a jamais été présentée. Par conséquent, les motifs raisonnables de croire que les espèces étaient des produits de la criminalité n’ont jamais été dissipés.

[15]           La principale plainte de M. Ammar est que le décideur a ignoré des éléments de preuve cruciaux. Il critique plus particulièrement l’absence de référence, dans la décision, à sa déclaration de 51 paragraphes ou aux documents qu’il a déposés pour corroborer ses dires. Il affirme que le décideur a ignoré ces éléments de preuve ou qu’il les a écartés sans explications. Il soutient que les éléments de preuve étaient pertinents et que le décideur avait l’obligation d’en tenir compte et d’expliquer pourquoi il ne les a pas retenus comme preuve de la légitimité des montants saisis. Il fait valoir que cette obligation ressort dans plusieurs décisions de la Cour d’appel fédérale, y compris l’arrêt Canada (Procureur général) c. Bellavance, 2005 CAF 87, [2005] ACF no 397, au paragraphe 7 :

A notre avis, le conseil arbitral a commis une première erreur en limitant son analyse à une seule des fautes reprochées au défendeur alors que plus d’un incident sont à la source du congédiement. Il a ignoré des éléments de preuve pertinents au dossier, notamment les preuves de manquements sérieux au Code de conduite et celle de la rupture du lien de confiance avec l’employeur. Il avait le droit, pour des motifs valables, d’écarter ces éléments de preuve après les avoir soupesés et appréciés, mais il ne pouvait les ignorer, surtout qu’ils se situaient au cœur même du débat sur la notion d’inconduite : voir Maki c. Commission de l’assurance-emploi du Canada, A-737-97, 11 juin 1998 (C.A.F.); Boucher c. Le Procureur général du Canada, A-727-96, 17 octobre 1996 (C.A.F.).

[16]           La proposition selon laquelle le décideur a ignoré la preuve en l’espèce n’est toutefois pas soutenue par le dossier. Les échanges entre l’ASFC et l’avocat de M. Ammar indiquent manifestement que la preuve déposée était insuffisante pour établir la source légitime des montants saisis. À plusieurs reprises, il a été demandé à M. Ammar de fournir des documents fiables sur cette question, ce qu’il n’a pas fait. Il est en effet inexplicable que des éléments de preuves plus approfondis et de meilleure qualité n’aient pas été déposés pour prouver la source légitime de l’argent prétendument fourni par des tiers.

[17]           Les lettres des tiers étaient manifestement insuffisantes et de meilleurs éléments de preuve auraient dû être facilement accessibles. L’avocat a demandé quel type de renseignements étaient exigés. Des directives lui ont été données; pourtant, il n’a fourni aucun autre élément de preuve. Le même problème s’est posé à l’égard de l’argent provenant d’Ironwood. L’avocat a sollicité et a obtenu plusieurs prolongations de délai afin de fournir la documentation relative à la cotisation, mais aucun élément n’a été produit après la prolongation arrivant à échéance le 30 avril 2015 et aucune autre prolongation n’a été demandée. Compte tenu de cette inaction, il n’était ni injuste ni déraisonnable de rendre une décision sur cette affaire.

[18]           Il ressort implicitement de l’importante correspondance au dossier que l’ASFC considérait que la simple déclaration disculpatoire de M. Ammar était insuffisante. Vu sa conduite suspecte et trompeuse, on ne peut dire que cette conclusion est déraisonnable. Les explications fournies par le demandeur à l’aéroport étaient vagues et, parfois, incohérentes et trompeuses. Par sa correspondance avec l’ASFC, son avocat savait bien que pour s’acquitter du fardeau de la preuve, l’ASFC avait besoin que l’information soit corroborée par une tierce partie fiable. La lettre du 9 décembre 2014 envoyée par l’ASFC à l’avocat indiquait explicitement : [traduction] « [l]a documentation que vous avez fournie ne satisfait pas [nos] exigences ». Il s’agit d’une indication claire que l’ASFC a tenu compte des éléments de preuve fournis par M. Ammar et qu’elle les a jugés insuffisants. Rien dans les déclarations du rapport résumé de l’ASFC n’indique que les documents déposés [traduction] « ne peuvent être retenus ». Il s’agissait simplement d’une façon informelle d’énoncer, une fois de plus, que des éléments de preuve plus concluants sur la légitimité des devises étaient nécessaires. Il n’était pas déraisonnable de la part de l’ASFC d’exiger des preuves plus probantes et il n’était pas non plus injuste qu’elle rende une décision lorsque M. Ammar et son avocat n’ont plus effectué aucun suivi.

[19]           Les circonstances en l’espèce correspondent à celles décrites dans l’extrait suivant de l’arrêt Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255, 169 ACWS (3d) 565 :

[49] Lorsque le ministre réclame de façon répétée une preuve de la légitimité de la provenance des devises saisies, comme il l’a fait en l’espèce, on est en droit de conclure qu’il s’est fondé sur les éléments de preuve fournis à cet égard par le demandeur pour prendre sa décision. La logique sous-jacente est inattaquable. Si l’on peut démontrer la légitimité de leur provenance, les devises ne peuvent être considérées comme des produits de la criminalité.

[50]      Si, en revanche, le ministre n’est pas convaincu de la légitimité de la provenance des devises saisies, il ne s’ensuit pas que les fonds sont des produits de la criminalité, mais simplement que le ministre n’est pas convaincu qu’il ne s’agit pas de produits de la criminalité. La distinction est importante parce qu’elle porte directement sur la nature de la décision que le ministre est appelé à prendre en vertu de l’article 29 qui, comme nous l’avons déjà signalé, vise une demande d’annulation de la confiscation. La question à trancher n’est pas celle de savoir si le ministre peut démontrer qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que les fonds saisis sont des produits de la criminalité, mais uniquement celle de savoir si le demandeur est en mesure de convaincre le ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation en lui démontrant que les fonds saisis ne sont pas des produits de la criminalité. Sans exclure la possibilité de convaincre par d’autres moyens le ministre à cet égard, la démarche qui s’impose consiste à démontrer la légitimité de la provenance des fonds. C’est bien ce que le ministre a réclamé en l’espèce et, vu l’incapacité de M. Sellathurai de lui faire cette démonstration, le ministre avait le droit de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation.

Norme de preuve

[51]      On en arrive à la question qui a été débattue à fond devant nous. À quelle norme de preuve le demandeur doit-il satisfaire pour convaincre le ministre que les fonds saisis ne sont pas des produits de la criminalité? À mon avis, pour y répondre, il faut d’abord répondre à la question de la norme de contrôle. La norme de contrôle qui s’applique à la décision du ministre prévue à l’article 29 est celle de la décision raisonnable. Il s’ensuit que, si la conclusion du ministre au sujet de la légitimité de la provenance des fonds est, vu l’ensemble de la preuve dont il disposait, raisonnable, sa décision n’est pas susceptible de contrôle judiciaire. Dans le même ordre d’idées, si la conclusion du ministre n’est pas raisonnable, sa décision est susceptible de contrôle et la Cour doit intervenir. Il n’est ni nécessaire ni utile de tenter de définir à l’avance la nature et le type de preuve que le demandeur doit soumettre au ministre.

[20]           L’avocat de M. Ammar soutient qu’il n’est pas possible que le délégué du ministre ait pu raisonnablement soupçonner, en fonction du dossier produit, que les montants saisis étaient des produits de la criminalité. Je ne suis pas de cet avis. La norme applicable en l’espèce est moins élevée que la prépondérance des probabilités, mais la décision doit malgré tout être fondée sur des faits vérifiables crédibles et objectifs pouvant faire l’objet d’un examen judiciaire : voir Sellathurai, précité, au paragraphe 112.

[21]           Ici, le dossier révèle non seulement que M. Ammar n’a pas déclaré avoir en sa possession l’argent saisi, mais en plus qu’il a menti sur le montant réel qu’il possédait. Il s’est montré vague et incohérent à d’autres égards. Ces faits, en plus des autres préoccupations mentionnées dans la décision, sont essentiellement les mêmes faits que ceux qui ont été examinés et jugés suffisants par la Cour d’appel dans l’arrêt Sellathurai, précité, aux paragraphes 123 et 124.

[22]           En l’absence d’une preuve corroborante provenant de M. Ammar, la décision rendue par le délégué du ministre est raisonnable et inattaquable par voie de contrôle judiciaire (voir Yang c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 281, [2008] FCJ no 1321, au paragraphe 13).

[23]           Enfin, l’argument selon lequel il était impossible pour M. Ammar de produire une preuve acceptable pour le délégué du ministre est sans fondement. La preuve demandée à M. Ammar aurait dû être facilement accessible si des efforts diligents avaient été faits. Il n’y a pas de raison de penser, par exemple, que les tiers identifiés n’auraient pu produire la preuve de la source licite de l’argent confié à M. Ammar si on avait communiqué avec eux. À un certain point, l’avocat de M. Ammar a sollicité et a obtenu un délai supplémentaire pour se procurer la documentation relative à l’impôt sur le revenu afin de confirmer la source de l’argent d’Ironwood. Il n’a jamais été expliqué pourquoi ces renseignements n’ont pas été fournis. Sur cette question, je fais miens les propos du juge Richard Mosley dans la décision Singh Kang c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 798, [2011] FCJ no 1006, au paragraphe 40 :

[36]      Au moment d’être interpellé et fouillé à l’aéroport international de Calgary, le demandeur a dit aux agents qu’il avait retiré l’argent auprès de deux institutions financières canadiennes : (1) la Banque de Nouvelle-Écosse, sous le nom de son entreprise, JJG Trucking; et (2) la Caisse populaire Khalsa. Il a dit qu’il avait emporté l’argent au Royaume-Uni pour l’offrir en cadeau à son cousin à l’occasion de son mariage. Il a prétendu qu’il était revenu avec l’argent parce que son cousin n’en avait pas voulu. Prié de donner le nom de son cousin, il n’avait pu s’en souvenir.

[37]      Dans une correspondance ultérieure avec l’ASFC, et après avoir été prié de produire une preuve documentaire attestant l’origine licite des espèces saisies, le demandeur a déclaré qu’il avait commis une erreur en affirmant à l’agent qu’il avait emporté l’argent avec lui à son départ du Canada. Il a imputé son erreur à sa nervosité. Ce qu’il qualifie d’erreur était naturellement une explication qu’il lui était impossible d’étayer en apportant la preuve de retraits effectués auprès des établissements financiers en question.

[38]      Le demandeur a alors dit que l’argent lui avait été donné par sa famille au Royaume-Uni, à savoir son cousin, M. Andip Singh, et son oncle, M. Kewal Singh. Il a produit une lettre de son cousin et un affidavit de M. Singh, établi sous serment. Aux deux documents étaient annexés des renseignements bancaires. Cependant, aucun des documents émanant de son oncle et de son cousin ne révèle comment leurs retraits avaient été transférés au demandeur.

[39]      Le ministre a donc estimé que l’affidavit et la lettre n’établissaient pas l’origine licite des espèces ni ne prouvaient que l’argent que le demandeur avait en sa possession provenait de ces sources. Lorsque l’ASFC a voulu en savoir davantage sur la famille du demandeur, afin de pouvoir établir l’origine licite des espèces, le demandeur n’a rien ajouté.

[40]      Je n’accepte pas l’argument du demandeur qui affirme se voir imposer une norme de preuve impossible à atteindre. La preuve produite par le demandeur n’établit pas l’origine licite des fonds. Les retraits bancaires effectués par l’oncle et le cousin du demandeur étaient des sommes qui théoriquement pouvaient représenter des prêts consentis au demandeur, mais, hormis leurs déclarations, il n’y a dans le dossier rien qui permette de rattacher ces sommes d’argent à celle qui a finalement été saisie à l’aéroport de Calgary. Des faits qui ne sont pas aptes à établir l’origine licite des fonds ne saurait valoir comme preuve de cette origine licite : Dupré c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 1177 (CanLII), au paragraphe 31; Sidhu, précitée, au paragraphe 41.

[41]      Globalement, l’absence de preuve, les récits contradictoires qui jettent le doute sur la crédibilité du demandeur, enfin les mesures coercitives prises auparavant contre le demandeur pour l’introduction de substances réglementées, font qu’il était raisonnable pour le ministre de ne pas être persuadé que les espèces ne représentaient pas des produits de la criminalité. Il s’ensuit qu’il était raisonnable pour le ministre de dire que les espèces étaient confisquées.

[24]           Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande.

« R.L. Barnes »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1212-15

 

INTITULÉ :

AJWAD AMMAR c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juin 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :

Le 11 juillet 2016

COMPARUTIONS :

Nathan J. Whitling

Pour le demandeur

Brad Bedard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Beresh Aloneissi O’Neill Hurley O’Keeffe Millsap

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour le défendeur

 

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