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Date : 20160711


Dossier : IMM-155-16

Référence : 2016 CF 788

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

DAUDET ROUSSEL NTSONGO (alias DAUDET ARIA SOUAMOUNOU)

Demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) d'une décision d’un agent de la Section de la protection des réfugiés (SPR) datée du 18 décembre 2015. La SPR a conclu que la demande d’asile était manifestement infondée. Le demandeur n’a donc pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. Le demandeur tente de faire infirmer cette décision et de la renvoyer devant un autre agent d’immigration pour un réexamen.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

II.                Les faits

[3]               Le demandeur, M. Daudet Roussel Ntsongo, affirme être un citoyen de la République du Congo-Brazzaville. Il y était maraîcher et vendait ses produits dans un quartier militaire, dont à la résidence du colonel Ntsourou.

[4]               Le 16 décembre 2013, le colonel Ntsourou a été arrêté.

[5]               Au cours de la semaine suivante, deux policiers se sont présentés chez le demandeur car son nom figurait sur la liste des visiteurs au domicile du colonel Ntsourou. Le demandeur n’était pas présent.

[6]               Le 24 décembre 2013, le demandeur a été informé par le président de la coopérative des jeunes maraîchers auquel il appartenait que trois policiers le recherchaient et avaient saccagé ses champs. Le demandeur a fui à Boko et a demandé à son épouse de se réfugier chez sa mère avec les enfants.

[7]               En novembre 2014, des policiers auraient de nouveau cherché à obtenir de l’information sur le demandeur à la coopérative.

[8]               En décembre 2014, un ami de l’oncle du demandeur a accepté de le placer sur une liste de participants à un échange de Vision dentaire internationale afin de l’aider à quitter le Congo. Cette personne lui a procuré un passeport au nom de « Daudet Aria  Souamounou» et l’a aidé à obtenir un visa canadien.

[9]               Le demandeur a quitté le Congo-Brazzaville le 16 mai 2015 et est entré en territoire canadien le jour suivant avec son faux passeport.

III.             Décision contestée

[10]           La question déterminante en l’espèce était l’identité du demandeur. La SPR a noté que le fait que le demandeur ait soumis des documents d’identité émis sous deux identités différentes n’était pas déterminant en soi, puisqu’il est possible qu’un demandeur d’asile ait dû recourir à de faux documents pour quitter son pays. Ainsi, la SPR a pris en considération plusieurs facteurs qui contribuent à l’identité d’une personne à travers le témoignage du demandeur et les preuves soumises, soit son nom, sa date de naissance, son pays de naissance et citoyenneté, son emploi, la composition de sa famille, son état civil, sa religion et sa langue.

[11]           La SPR s’est d’abord attardée à la question du faux passeport du demandeur. Elle a relevé deux contradictions importantes : premièrement, dans son témoignage, le demandeur a affirmé détenir un passeport valide à son nom véritable, alors que ce document n’est mentionné dans aucun formulaire; ensuite, le demandeur a aussi affirmé dans ses formulaires de demande d’asile que le passeport émis à sa fausse identité était son véritable passeport valide. Il n’a pas non plus été en mesure d’expliquer à la SPR pourquoi il n’avait pas amené son vrai passeport avec lui avant de quitter le Congo, ni pourquoi il n’avait pas fait d’efforts pour le récupérer par la suite. La SPR a donc conclu que le demandeur n’était pas détenteur d’un passeport valide au nom de Daudet Roussel Ntsongo. La SPR a aussi constaté que le demandeur n’avait pas mentionné avoir obtenu de l’aide pour se procurer un faux document dans ses formulaires et a tiré une inférence négative de l’omission d’un fait aussi important.

[12]           Quant aux facteurs additionnels, la SPR a noté que le demandeur avait déclaré avoir deux enfants dans sa demande d’asile ainsi que dans son témoignage. Or, dans deux demandes de visas faites en 2011 et 2012, le demandeur avait déclaré avoir trois enfants. Le demandeur n’a pas pu expliquer cette incohérence.

[13]           Le demandeur a également présenté un témoignage incohérent sur son état matrimonial. Dans ses demandes de visa, il affirmait être marié, alors qu’il se déclarait en union de fait dans sa demande d’asile et affirmait n’avoir jamais été marié. Il a finalement expliqué qu’il était polygame et qu’il s’était marié en mariage coutumier. La SPR n’a pas accepté cette explication, notant qu’un mariage récent était une omission importante.

[14]           Par ailleurs, la SPR a aussi noté que la polygamie n’était pas permise dans la religion catholique, alors que le demandeur avait affirmé être un catholique pratiquant. Le demandeur a expliqué que la polygamie était une pratique courante, même chez les catholiques. Lors de son témoignage, le demandeur n’a pas non plus été en mesure d’indiquer la date exacte à laquelle il avait fui pour Boko bien qu’il l’ait indiquée dans son formulaire, alors que le 25 décembre est une fête catholique importante. La SPR a estimé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur se rappelle d’une date si marquante.

[15]           La SPR a aussi souligné une contradiction entre les emplois déclarés dans les demandes de visa en 2011 et 2012 et l’emploi déclaré dans la demande d’asile. Le demandeur a affirmé détenir deux emplois et avoir oublié d’en inscrire un à la demande d’asile. La SPR a conclu que le manque de concordance entre ses demandes de visa et sa demande d’asile sur un fait aussi important nuisait à la crédibilité du demandeur. La carte de membre de la coopérative du demandeur indiquait également une adresse différente de celle déclarée dans sa demande d’asile pour la même période.

[16]           La SPR a finalement jugé que les documents corroboratifs soumis par le demandeur ne suffisaient pas à combler les lacunes du témoignage du demandeur quant à son identité et a souligné l’historique d’obtention de faux documents du demandeur. La SPR a ainsi conclu que le demandeur n’était pas crédible et n’avait donc pas réussi à établir son identité et que sa demande d’asile était manifestement infondée.

IV.             Question en litige

  La SPR a-t-elle erré dans son analyse de l’identité du demandeur?

V.                Analyse

[17]           La question de l’identité du demandeur est une question factuelle, soumise à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

[18]           Le demandeur soumet que les omissions, contradictions et incohérences relevées par la SPR entre le témoignage oral du demandeur et son témoignage écrit et les preuves soumises ne concernent pas des éléments essentiels de la demande d’asile et ne sont ainsi pas suffisamment importantes pour justifier une conclusion défavorable.

[19]           Or, il est bien établi dans la jurisprudence qu’un demandeur d’asile a l’obligation fondamentale d’établir son identité, sous peine de quoi sa demande doit être rejetée (Yip c Canada (MEI), 70 FTR 175, para 7; Najam c Canada (MCI), 2004 CF 425, para 16).

[20]           En dépit du nombre important de documents soumis à cet effet, il demeure qu’il est impossible de déterminer qui est le demandeur.

[21]           Il a soumis deux passeports : l’un, valide, supposément émis sous un faux nom, l’autre, expiré, sous son nom véritable. Il a également affirmé lors de l’audience détenir un passeport valide émis sous son nom véritable resté au Congo. Quant à ses formulaires, ils indiquent que le passeport émis sous un faux nom était son seul passeport valide, laissant croire que a) il s’agissait de son véritable passeport et b) qu’il ne possédait aucun autre titre de voyage valide. Il a par ailleurs refusé de faire des efforts raisonnables afin d’obtenir le passeport resté au Congo, malgré le fait que sa femme aurait pu facilement le lui envoyer. Il n’était donc pas déraisonnable pour la SPR de conclure qu’il était impossible d’établir l’identité du demandeur sur la base de son ou de ses passeports et que sa crédibilité en était affectée.

[22]           De plus, à la lecture de son témoignage, il apparaît que le demandeur ne sait pas non plus véritablement qui il est : il n’a pas été capable d’expliquer les incohérences quant au nombre d’enfants qu’il avait, au nombre de ses épouses, à son historique matrimonial, ou encore à son emploi. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, ce ne sont pas des détails mineurs et périphériques à la demande. Ils vont plutôt au cœur de son identité. Je note également que son emploi est directement lié au fondement de sa demande d’asile.

[23]           Dans les circonstances, la décision de la SPR était tout à fait raisonnable.

VI.             Conclusion

[24]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le demandeur n’a pas réussi à établir son identité selon la prépondérance des probabilités.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’il n’y a aucune question à certifier.

« Peter Annis »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-155-16

INTITULÉ :

DAUDET ROUSSEL NTSONGO c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Rawia Ebrahim

pour le demandeur

 

Me Suzon Létourneau

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Rawia Ebrahim

Montréal (Québec)

 

pour le DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

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