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Date : 20160711


Dossier : IMM-5624-15

Référence : 2016 CF 787

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

SANDEEP SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] d'une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] datée du 19 novembre 2015, rejetant la demande d’asile du demandeur. Celui-ci cherche à faire infirmer la décision de la SPR et à renvoyer le dossier devant un tribunal différemment constitué.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.                Les faits

[3]               Le demandeur est un citoyen de l’Inde. En janvier 2010, il a commencé à travailler pour le parti politique Shiroman Akali Dal (Amristar). Des membres du parti Congrès National Indien (les membres du Congrès) se sont opposés à sa participation aux activités d’Amritsar et l’ont menacé de graves conséquences s’il refusait de se joindre à leur parti.

[4]               Le 8 décembre 2010, le demandeur a été battu par quatre membres du Congrès, qui ont menacé de le tuer s’il ne se joignait pas à leur parti. La police a refusé d’intervenir et a averti le demandeur qu’il serait accusé d’avoir déposé de fausses accusations s’il ne quittait pas le poste de police.

[5]               Le 27 février 2011, le demandeur a de nouveau été maltraité par des membres du Congrès qui cherchait à le recruter.

[6]               Le 16 mars 2011, le demandeur a quitté l’Inde par l’entremise d’un agent. Il a transité par plusieurs pays, incluant les États-Unis, pour finalement arriver au Canada un an plus tard, soit le 13 février 2012.

[7]               Le demandeur allègue également avoir été informé après son arrivée au Canada que sa famille était harcelée par les membres du Congrès ainsi que par la police à la suite d’une plainte déposée par des membres du Congrès contre le demandeur.

[8]               En juin 2013, les membres du Congrès auraient détenu et torturé le frère du demandeur afin de découvrir l’endroit où il se trouvait et d’obtenir de l’information sur d’autres militants. Les membres du Congrès ont aussi accusé son frère d’avoir des liens avec des militants.

[9]               À la suite de ces évènements, le frère du demandeur aurait immigré aux États-Unis, tandis que leur famille aurait fui leur domicile pour se cacher dans différents endroits.

III.             Décision contestée

[10]           La SPR a conclu que les allégations du demandeur sur les incidents survenus avant son arrivée au Canada étaient crédibles. La SPR n’a cependant pas cru le récit du demandeur quant aux menaces et au harcèlement de sa famille dont il aurait pris connaissance après son arrivée au Canada. La SPR a relevé plusieurs omissions et contradictions entre le récit du demandeur et son témoignage lors de l’audience, ce qui a miné sa crédibilité.

[11]           La SPR a ensuite procédé à l’évaluation d’une possibilité de refuge interne (PRI) à New Delhi. Premièrement, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que les membres du Congrès auraient la volonté ou la capacité de le retrouver à New Delhi ni que les policiers seraient de connivence avec les membres Congrès de son village. Deuxièmement, la SPR a constaté que le demandeur n’avait soulevé aucun argument quant à l’impossibilité de se réfugier à New Delhi.

[12]           La SPR a donc conclu que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

IV.             Questions en litige

[13]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.      La SPR a-t-elle raisonnablement évalué la crédibilité du demandeur?

2.      La SPR a-t-elle a raisonnablement évalué la PRI?

V.                Analyse

[14]           La norme de contrôle en l’espèce est celle de la décision raisonnable autant pour la question de crédibilité que les conclusions sur la PRI : Lopez Martinez c Canada (Ministre de l’immigration et de la citoyenneté), 2010 FC 550 au para 14; Dunsmuir c Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9.

[15]           Le demandeur soutient que la SPR a omis d’évaluer son témoignage dans son ensemble et s’est concentrée sur les détails au point d’en oublier l’essentiel de son récit. Or, il m’apparaît plutôt que la décision de la SPR très bien équilibrée et détaille raisonnablement les différentes allégations du demandeur et les raisons pour lesquelles sa crédibilité a été remise en question sur les évènements survenus subséquemment à son départ de l’Inde.

[16]           Il est bien établi que l’évaluation de la crédibilité d’un demandeur d’asile constitue l’essentiel de la compétence de la SPR (Tocha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1741, para 21; Eze c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2016 CF 601, para 12; Abdullahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2016 CF 260, para 22).

[17]           La SPR a relevé plusieurs incohérences, omissions et contradictions dans le récit du demandeur. Je les rappelle ici :

         Le demandeur a attendu deux ans avant d’amender son Formulaire de renseignements personnels (FRP amendé) qu’il a déposé la journée de l’audience pour y inclure les allégations concernant le harcèlement de sa famille. La SPR n’a pas accepté son excuse indiquant qu’il était dépendant d’un traducteur payé trop occupé, vu qu’il était représenté par avocats depuis 2012 et qu’il avait pris connaissance de ces incidents en 2013;

         De même, le demandeur a tardé à produire l’affidavit du sarpanch local , qu’il a déposé 7 jours avant l’audience en violation de règles qui imposent un délai minimal de 10 jours, bien qu’il soit en contact régulier avec ses parents et d’autres membres de sa famille en Inde;

         Le FRP amendé au début de l’audience était incohérent avec le témoignage du demandeur, puisqu’il n’y était pas  mentionné que sa famille avait été battue à deux reprises et que son père avait été arrêté et torturé. Par ailleurs, l’affidavit du sarpanch local ne mentionne pas non plus ces faits importants. Par conséquent, la SPR a conclu que l’allégation que son père a été arrêté et torturé n’était pas véridique;

         Le demandeur a témoigné que son frère avait été arrêté la première fois que les policiers avaient harcelé sa famille, alors que ses documents indiquent plutôt que les policiers ont commencé à harceler la famille, puis que la situation s’est empirée en juin 2013 à l’arrestation de son frère;

         À l’audience, le demandeur a indiqué que sa famille avait été battue, alors que dans son récit, il indique qu’ils ont été harcelés;

         Il existe également une contradiction dans le nombre de fois où le frère aurait été torturé. Dans son témoignage, le demandeur a dit que son frère avait été torturé deux fois, alors qu’il n’avait noté qu’un incident dans son récit;

         Le demandeur a indiqué dans son récit que ses parents avaient fui la maison juste après la libération de son frère en juin 2013, mais a témoigné que la police avait recommencé à les harceler après le départ de son frère pour les États-Unis en 2013, ce qui aurait été difficile compte tenu du fait que ses parents étaient supposément en fuite;

         Il n’est pas raisonnable que les parents du demandeur n’aient pas cherché à prouver à la police que leur fils était bien au Canada afin d’éviter d’être persécutés; de même, le comportement du demandeur, qui n’a pas cherché à fournir à ses parents une quelconque preuve à cet effet, n’est pas compatible avec les allégations selon lesquelles ses parents seraient harcelés;

[18]           Le demandeur fait valoir comme excuse pour le dépôt tardif des documents que les directives n’imposent qu’un délai de dix jours avant la date de l’audience pour le dépôt de ceux-ci. Cependant, il est généralement compris que les modifications importantes du FRP devraient se faire rapidement après leurs découvertes, sauf pour les amendements mineurs. Je note également que la preuve du demandeur n’a été déposée que sept jours avant la date de l’audience. De toute manière, les conclusions négatives de crédibilité se sont fixées sur les faibles excuses offertes par le demandeur pour le délai, et non pas sur le délai comme tel.

[19]           Compte tenu du nombre important d’incohérences, d’omissions et de contradictions décrites ci-haut, je suis d’avis que les conclusions de la SPR sont fondées dans la preuve indiquant que le demandeur n’est pas perçu comme un séparatiste sikh et ne fait pas l’objet d’une plainte par les membres du Congrès, laissant croire qu’il est recherché par la police. Il est à noter que le demandeur n’a jamais déposé une copie de la plainte en question.

[20]           Les conclusions de la SPR quant à la possibilité de refuge intérieur sont donc raisonnables. Je rejette également les prétentions du demandeur disant que la SPR n’a pas tenu compte de l’application de l’article 144 du Code criminel de l’Inde imposant aux propriétaires l’obligation d’inscrire les renseignements des locataires aux postes de police locale à New Delhi.

[21]           S’il n’est pas recherché par la police, il est improbable que le demandeur puisse être retrouvé à New Delhi par des membres du Congrès, même par le biais de la vérification des antécédents criminels. La SPR a noté que si des opérations de vérification existent en Inde, la preuve documentaire révèle cependant que leur structure juridique est inconsistante d'une part et, d’autre part, que la mise en œuvre de cette structure est incohérente et désordonnée.

[22]           La SPR a conclu qu’il était spéculatif qu’une telle information soit signalée à la police de New Delhi. La SPR a fait remarquer que la preuve documentaire indiquait que les policiers limitaient les vérifications aux listes de personnes recherchées en leur possession. Compte tenu des conditions de travail et de la situation des forces de sécurité en général, la SPR a jugé qu'il serait également spéculatif de supposer que le nom du demandeur serait porté à l'attention de la police locale dans son village par cette voie. Par ailleurs, les activités politiques du demandeur étaient limitées et locales et il n’a pas été impliqué dans des causes politiques depuis son départ de l’Inde, il y a plus de quatre ans.

[23]           Par conséquent, il est raisonnable de conclure que le demandeur bénéficierait d’une possibilité de refuge intérieur à New Delhi.

VI.             Conclusion

[24]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les conclusions de la SPR, tant au niveau de la crédibilité du demandeur sur les évènements s’étant produits à la suite de son départ de l’Inde qu’au niveau de la possibilité de refuge interne, sont raisonnables.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question  ne sera certifiée.

« Peter Annis »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-5624-15

INTITULÉ :

SANDEEP SINGH c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Stéphanie Valois

pour le demandeur

 

Me Sonia Bédard

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

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