Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160712


Dossier : IMM-3198-15

Référence : 2016 CF 771

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 12 juillet 2016

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

DAMILOLA OGUNDIPE, MICHELLE ADEDIRAN (MINEURE) ET EMMANUEL ADEDIRAN (MINEUR)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Mme Damilola Ogundipe (la « demanderesse principale »), Mme Michelle Adediran et M. Emmanuel Adediran (collectivement, les « demandeurs ») sollicitent le contrôle judiciaire de la décision, rendue le 11 juin 2015 par la Section d’appel des réfugiés (la « SAR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « SPR »), selon laquelle leur demande d’asile a été refusée.

[2]               Les demandeurs sont des citoyens du Nigeria. Ils ont demandé l’asile, aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « Loi »), au motif que l’ancien partenaire de la demanderesse principale la forcerait à l’épouser et qu’il soumettrait tous les demandeurs à des [traduction] « rituels barbares dans la poursuite de son objectif politique ».

[3]               La SPR a rejeté leur demande dans une décision rendue le 3 février 2015, au motif que les demandeurs disposaient de possibilités de refuge intérieur viables.

[4]               En présentant leur appel à la SAR, les demandeurs ont produit de nouveaux éléments de preuve et ont demandé une audience, au titre des paragraphes 110(4) et 110(6) de la Loi, respectivement. Les nouveaux éléments de preuve qu’ils cherchaient à présenter incluaient un affidavit non signé d’Akanni Ayoola et d’articles extraits de publications en ligne datés du 1er février 2015 et du 13 février 2015.

[5]               La SAR a accepté l’affidavit d’Akanni Ayoola puisqu’il a été créé après le rejet de la demande par la SPR. Cependant, la SAR n’a accordé aucun poids à l’affidavit, car il n’était pas signé.

[6]               La SAR a conclu que les articles décrivent des événements précédant le rejet de la demande des demandeurs, et elle ne les a pas acceptés.

[7]               La SAR a aussi conclu que les nouveaux éléments de preuve admis en vertu du paragraphe 110(4) ne soulevaient aucune question sérieuse en ce qui a trait à la crédibilité, n’étaient pas essentiels à la décision de la SPR et ne justifiaient aucunement l’accord ou le refus de la demande. Une audience n’a donc pas été tenue.

[8]               La SAR a déterminé que les trois possibilités de refuge intérieur, définies par la SPR, étaient raisonnables. Elle est d’accord avec la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs ne seraient pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution au sens de la Convention ni à une menace à leur vie, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque de torture s’ils retournent au Nigeria.

[9]               Après l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire le 3 février 2016, la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision répertoriée comme Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Singh, 2016 CAF 96. Conformément à une directive émise le 1er avril 2016, les parties ont eu l’occasion de présenter des observations sur l’application de cette décision à la présente affaire. La demanderesse principale a déposé des observations le 12 avril 2016. Le défendeur a déposé ses observations le 18 avril 2016.

[10]           Les demandeurs soulèvent cinq questions dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[11]           Premièrement, les demandeurs soutiennent que la SAR a mal appliqué le paragraphe 110(4) de la Loi en accordant pas de poids à l’affidavit d’Ayoola et en rejetant les articles de presse. Ils font valoir que l’affidavit aurait été valide au Nigeria et que, par conséquent, la SAR aurait dû lui accorder plus de poids : voir la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, au paragraphe 54(2). Ils soutiennent aussi que la SAR ne s’est pas demandée si on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils présentent des articles de presse au moment de leur rejet.

[12]           Deuxièmement, ils font valoir que la SAR a commis une erreur en omettant de tenir une audience.

[13]           Troisièmement, ils allèguent que la SAR n’a pas mené une évaluation indépendante de leur demande.

[14]           Quatrièmement, les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR quant aux possibilités de refuge intérieur n’est pas raisonnable.

[15]           Enfin, ils font valoir que la SAR n’a pas évalué le risque pour les demandeurs mineurs, et que ses motifs à cet égard sont inadéquats.

[16]           Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le « défendeur ») soutient que la SAR a appliqué correctement le paragraphe 110(4) de la Loi et que sa décision était raisonnable.

[17]           Le défendeur soutient également qu’aucun poids ne devrait être accordé à l’affidavit de la demanderesse principale, souscrit le 4 août 2015 et déposé à l’appui de la demande, car il contient des arguments inappropriés.

[18]           La première question à aborder concerne la norme de contrôle applicable.

[19]           La norme de contrôle appropriée pour notre Cour lors de l’examen d’une décision de la SAR repose sur le caractère raisonnable : voir les décisions Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35, et Singh, précité, au paragraphe 29.

[20]           Pour satisfaire à la norme de la décision raisonnable, les motifs invoqués doivent être justifiables, transparents et intelligibles et appartenir aux issues possibles acceptables; voir la décision rendue au paragraphe 47 dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190.

[21]           La prochaine question à aborder est celle du poids accordé à l’affidavit de la demanderesse principale. À mon avis, l’objection du défendeur est bien fondée. L’affidavit de la demanderesse principale contient des arguments juridiques inappropriés, aux paragraphes 7 à 9, 12 à 16 et 21 à 26, lesquels ne seront pas pris en considération.

[22]           La troisième question à examiner est l’application par la SAR du paragraphe 110(4) de la Loi.

[23]           Le paragraphe 110(4) de la Loi stipule ce qui suit :

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[24]           La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Singh, précité, a déclaré au paragraphe 49 que l’arrêt Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, D.L.R. 289 (4th) 675 (C.A.F.) s’applique à l’examen d’une « nouvelle preuve » :

Sous réserve de cette adaptation nécessaire, je suis donc d’avis que les critères implicites dégagés dans l’arrêt Raza trouvent également application dans le cadre du paragraphe 110(4). Pour les raisons explicitées plus haut, on ne m’a pas convaincu que le rôle différent de l’ERAR et de la SAR ainsi que le statut distinct des personnes appelées à exercer ces fonctions suffisent pour écarter la présomption voulant que le législateur entendait s’en remettre à l’interprétation qu’ont faite les tribunaux d’un texte législatif lorsqu’il choisit d’en reprendre les éléments essentiels dans une autre disposition. Non seulement les exigences mentionnées dans l’arrêt Raza vont-elles de soi et ont-elles largement été appliquées par les tribunaux dans une foule de contextes juridiques, mais il y a au surplus de très bonnes raisons qui expliquent pourquoi le législateur préconiserait une approche restrictive quant à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve en appel.

[25]           Le seuil d’admissibilité de nouveaux éléments de preuve à la SAR est élevé et la règle de base est à l’effet que la SAR « procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la SPR »; voir Singh, précité au paragraphe 51.

[26]           À mon avis, la SAR aurait dû accepter les articles de presse. L’article publié le 1er février 2015 décrit un événement ayant eu lieu le 31 janvier 2015. L’audience des demandeurs a été tenue le 26 janvier 2015, et la décision a été rendue le 3 février 2015.

[27]           Étant donné que les demandeurs étaient au Canada à ce moment, on n’aurait pas pu raisonnablement s’attendre à ce qu’ils présentent l’article dans les trois jours entre la date de l’événement et celle de la décision.

[28]           Le deuxième article, en date du 13 février 2015, a été publié après que la SPR a rendu sa décision. Il était tout aussi déraisonnable pour la SAR de déclarer que cet article ne constituait pas un « nouvel élément de preuve ».

[29]           La SAR a commis une erreur susceptible de révision en omettant d’admettre les articles en tant que nouveaux éléments de preuve. Il n’est pas nécessaire d’aborder les autres questions soulevées par les demandeurs.

[30]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR pour nouvel examen. Aucune question n’est soulevée pour être certifiée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin que celui-ci procède à un nouvel examen. Aucune question n’est soulevée pour être certifiée.

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3198-15

 

INTITULÉ :

DAMILOLA OGUNDIPE, MICHELLE ADEDIRAN (MINEURE) ET EMMANUEL ADEDIRAN (MINEUR) c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 février 2016

 

DATES DES OBSERVATIONS APRÈS L’AUDIENCE :

 

Les 12 et 18 avril 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge Heneghan

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 juillet 2016

COMPARUTIONS :

Oluwakemi Oduwole

Pour les demandeurs

 

Alexis Singer

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Johnson Babalola

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.