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Date : 20160413


Dossier : T-1853-15

Référence : 2016 CF 412

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

SOLDAT (À LA RETRAITE) CORY D. WAGNER

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

[1]               Il s’agit d’une requête présentée au nom du défendeur aux termes de l’article 369 des Règles des Cours fédérales en vue de radier l’affidavit de Michel W. Drapeau dans son intégralité, ou, à titre subsidiaire, d’en radier des parties selon le jugement de la Cour.

[2]               Au moyen d’un bref exposé des faits, le demandeur a déposé, le 3 novembre 2015, un avis de requête sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 25 septembre 2015 par le chef d’état-major de la défense, qui fait office d’autorité de dernière instance à l’égard du système de règlement des griefs des Forces canadiennes (l’« autorité de dernière instance »). La décision rejetait le grief du demandeur en ce qui a trait à sa libération obligatoire des Forces canadiennes aux termes de l’article 15.01 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), au numéro 2, Service non satisfaisant. Le demandeur sollicite une ordonnance infirmant la décision et enjoignant l’autorité de dernière instance à lui accorder une « libération honorable » aux termes de l’article 15.01 des ORFC.

[3]               Le 29 janvier 2016, le demandeur a déposé une preuve de signification de deux affidavits qui ont été fournis à l’appui de la demande : l’affidavit du demandeur, assermenté le 28 janvier 2016, et l’affidavit de Michel W. Drapeau, assermenté le 26 janvier 2016 (l’« affidavit Drapeau »). Le 26 février 2016, le défendeur a déposé une preuve de certification de son affidavit assermenté aux termes de l’article 307 des Règles. Le défendeur a par la suite déposé la présente requête visant à radier l’affidavit Drapeau dans son intégralité ou, à titre subsidiaire, à en radier des parties.

[4]               Il y a une question litigieuse préliminaire à trancher, à savoir s’il faut résoudre la requête de radiation de l’affidavit avant l’audience. La Partie 5 des Règles des Cours fédérales, qui gouverne les actes de procédure engagés par voie de demande, ne contient pas de disposition autorisant la radiation d’affidavits sollicitée par une demande à l’aide d’une requête interlocutoire. Même si la Cour détient le pouvoir discrétionnaire de radier des affidavits, elle doit exercer ce pouvoir avec modération. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles où l’existence d’un préjudice est démontrée et que la preuve est de toute évidence dénuée de pertinence que ce type de requête est justifié : Canadian Tire Corp. Ltd. c. P.S. Partsource Inc., 2001 CAF 8 (CanLII).

[5]               Je conclus qu’une décision anticipée quant à la question de l’admissibilité de l’affidavit Drapeau est justifiée, car l’affaire est assez claire et évidente.

[6]               Le demandeur soutient que l’affidavit Drapeau aborde les conséquences pratiques néfastes de la destitution ignominieuse d’un militaire des Forces canadiennes, ainsi que les arcanes du droit et des politiques militaires en ce qui concerne la libération obligatoire d’un militaire en tant que destitution ignominieuse. Selon le demandeur, le but premier de l’affidavit consiste à aider la Cour à évaluer la véracité et la fiabilité des motifs qu’a fournis l’autorité de dernière instance pour justifier le rejet de l’argument du demandeur selon lequel la libération 2a) qui lui a été imposée (destitution ignominieuse) compromet gravement son avenir, y compris son employabilité.

[7]               En supposant, pour les besoins de cette requête, que M. Drapeau est un spécialiste du droit militaire, il n’en demeure pas moins que son interprétation de la législation n’est pas un sujet adéquat pour une preuve d’expert. À première vue, le but premier de l’affidavit Drapeau consiste à mettre en évidence et à interpréter certaines dispositions du Code de discipline militaire, de la Loi sur la défense nationale et des ORFC. Son but second consiste à rendre un avis au sujet des effets juridiques et pratiques de la libération d’un militaire « non honorable ». Dans la décision Eco-Zone Engineering Ltd. v. Grand Falls - Windsor (Town), 2000 NFCA 21 (CanLII), 2000 NFCA 21 (la « décision Eco-Zone »), la Cour d’appel de Terre-Neuve a conclu ce qui suit [traduction] : « il est bien connu que les Cours n’accueillent pas les éléments de preuve sous forme d’opinion soumis pour des questions de droit national (par opposition au droit étranger) ».

[8]               L’opinion de M. Drapeau au sujet des conséquences pratiques de la législation est également inadmissible, et ce, pour deux motifs. Premièrement, la règle générale veut que les éléments de preuve pouvant être soumis au décideur administratif, en l’occurrence l’autorité de dernière instance, ne puissent être accueillis par la cour de révision : Connolly c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 294 (CanLII), 466 NR 44, au paragraphe 7. Je constate que le demandeur a déposé un affidavit décrivant les difficultés qu’il a éprouvées lors de sa recherche d’emploi après sa libération, le 18 septembre 2013. Vraisemblablement, l’autorité de dernière instance a pris connaissance des effets de la destitution ignominieuse sur le demandeur lui-même avant de rendre sa décision. Rien n’indique que l’autorité de dernière instance disposait d’une preuve d’expert quelconque.

[9]               Deuxièmement, motif plus important, la Cour d’appel fédérale, dans la décision Brandon (Ville) c. Canada, 2010 CAF 244 (CanLII), citant avec approbation la décision Eco-Zone, a confirmé au paragraphe 27 que « [l]’effet juridique de la législation intérieure n’est pas une question de preuve : c’est à la Cour qu’il appartient d’interpréter la législation ». Les deux décisions défendent le principe selon lequel les Cours n’acceptent pas la preuve d’expert par rapport à la question ultime, une décision revenant à la Cour.

[10]           Les déclarations de M. Drapeau consistent en un avis juridique et argument inadmissibles qui se rapportent proprement au sujet de l’argument juridique, et non aux éléments de preuve. Étant essentiellement d’accord avec les observations écrites présentées au nom du défendeur, je conclus que radier l’affidavit avant l’audience permettrait de servir les intérêts de la justice et d’économiser des ressources judiciaires. Les parties ne devraient pas consacrer inutilement du temps et des ressources à un contre-interrogatoire qui s’avérera ultimement inefficace et à la préparation d’un mémoire des faits et du droit fondé sur des éléments de preuve clairement inadmissibles.

[11]           L’affidavit Drapeau doit, par conséquent, être radié dans son intégralité.

[12]           En ce qui concerne les dépens de la requête, je note que le défendeur a tardé pour soumettre la présente requête de radiation de l’affidavit Drapeau, ce qu’il a fait seulement afin de se conformer à l’article 307 des Règles des Cours fédérales. Même si les dépens devraient habituellement être imputés après l’événement, je suis d’accord avec l’argument du demandeur à l’effet que la demande sous-jacente soulève d’importantes questions de privation des droits et de droit des pauvres. Selon les circonstances en l’espèce, je conclus que chaque partie devrait assumer leurs propres dépens par rapport à la requête.

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La présente requête soit rejetée.

2.                  L’affidavit de Michel W. Drapeau assermenté le 26 janvier 2016 soit radié dans son intégralité.

3.                  Les parties se voient accorder une prorogation de délai jusqu’au 29 avril 2016 afin de réaliser des contre-interrogatoires, le cas échéant.

4.                  Le demandeur reçoive et soumette le dossier du demandeur dans les 20 jours suivant la fin des contre-interrogatoires ou dans les 20 jours suivant l’expiration du délai prévu à cette fin, selon celui de ces délais qui est antérieur à l’autre.

5.                  Aucuns dépens ne doit être adjugé dans la présente requête.

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 13 avril 2016


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1853-15

INTITULÉ :

SOLDAT (À LA RETRAITE) CORY D. WAGNER c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE PRÉSENTÉE À L’ÉCRIT EXAMINÉE À VANCOUVER (COLOMBIE-BRITTANIQUE) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :

Le 13 avril 2016

OBSERVATIONS ÉCRITES :

LAURA C. SNOWBALL

Pour le demandeur

SOLDAT (À LA RETRAITE) CORY D. WAGNER

KATHLEEN KOHLMAN

CHRISTINE ASHCROFT

Pour le défendeur

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laura C. Snowball

Avocate

Calgary (Alberta)

Pour le demandeur

SOLDAT (À LA RETRAITE) CORY D. WAGNER

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour le défendeur

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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