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Date : 20160708


Dossier : IMM-5812-15

Référence : 2016 CF 774

Ottawa, Ontario, le 8 juillet 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

DJINDE KOITA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur se pourvoit à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SAR] rejetant son appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de ladite Commission [SPR], laquelle concluait qu’il n’a ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la « Loi »].

[2]               Le demandeur est un citoyen du Mali.  Il a quitté ce pays pour le Canada en janvier 2015 pour y demander l’asile au motif qu’il craint les représailles de deux voyous qui auraient, en 2011, volé la motocyclette d’un de ses frères (Dougoutigui) et qui, après avoir été jugés pour ce crime et s’être subséquemment évadés de prison, auraient entrepris de se venger de la famille du demandeur.  Il allègue à cet égard :

(i)     que ses ennuis auraient commencé en juillet 2014 lorsque les deux voyous fugitifs se seraient présentés au domicile familial, situé dans la ville de Bamako et, en l’absence de Dougoutigui, s’en seraient pris à lui;

(ii)   que suite à cet incident, Dougoutigui se serait caché pour ensuite quitter le Mali;

(iii) qu’en septembre 2014, les deux voyous auraient été vus dans le quartier où le demandeur habitait, ce qui aurait incité le demandeur et ses parents à déménager dans un autre quartier de la ville de Bamako;

(iv) qu’à la mi-décembre 2014, le demandeur et un autre de ses frères (Drissa) seraient retournés dans leur ancien quartier et y auraient croisé les deux voyous, lesquels auraient alors blessé Drissa par balles;

(v)   que le 31 décembre 2014, un cousin du demandeur, intrigué par des bruits, se serait rendu à un carrefour du nouveau quartier de résidence du demandeur et y aurait été abattu; et

(vi) que quelques jours après cet incident, les parents du demandeur auraient décidé de déménager de nouveau, cette fois tout près d’une ville de 2.5 millions d’habitants, la ville de Kayes, située à plus de 600 kilomètres de Bamako, le demandeur optant de ne pas les suivre et d’aller vivre chez un ami afin de pouvoir poursuivre ses études à Bamako.

[3]               La SPR a conclu au rejet de la demande d’asile du demandeur au motif que le récit des événements qui l’auraient poussé à fuir le Mali n’était pas crédible et qu’à tout événement, le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur à Kayes.  La SPR a jugé plus particulièrement que le récit du demandeur souffrait de contradictions et incohérences, notamment en lien avec le fait que contrairement à l’incident de la mi-décembre 2014, aucune plainte aux autorités policières n’avait été déposée suite au meurtre du cousin du demandeur.  Aussi, le fait que le demandeur ait opté de rester à Bamako pour y poursuivre ses études au lieu d’accompagner ses parents dans un lieu plus sûr, lui est apparu incompatible avec le comportement d’une personne qui craint pour sa vie.  La SPR n’a pas davantage donné de poids au certificat de décès du cousin du demandeur compte tenu que ce certificat est muet sur les circonstances du décès et qu’aucune plainte n’a été formulée auprès des autorités en marge de cet incident, lequel était beaucoup plus sérieux que le précédent où une plainte avait été faite.

[4]               Le demandeur reproche à la SPR d’avoir conclu à la non-crédibilité du récit sur la base de considérations non-pertinentes et non-déterminantes.  La SAR, devant qui le demandeur n’a produit aucun nouvel élément de preuve, a, après avoir écouté l’enregistrement de l’audience devant la SPR et lu et analysé l’ensemble de la preuve au dossier, refusé d’intervenir, jugeant la décision de la SPR bien fondée.

[5]               Le demandeur prétend que la SAR a erré, à son tour, de trois façons, soit (i) en démontrant un excès de zèle dans l’évaluation de son témoignage et en accordant une importance démesurée à des éléments de seconde importance; (ii) en concluant que le demandeur disposait de la possibilité d’un refuge antérieur; et (iii) en concluant que l’article 96 de la Loi ne s’appliquait pas en l’instance malgré le fait que Dougoutigui, victime du vol de moto en 2011, s’était vu reconnaître la protection du Canada.

[6]               Il s’agit ici de déterminer si, en décidant comme elle l’a fait, la SAR a commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.  Il est bien établi que l’examen de la décision de la SAR doit se faire en fonction de la norme de la raisonnabilité, ce qui veut dire que la Cour, pour intervenir, doit être satisfaite que les conclusions tirées par la SAR en l’espèce se situent hors du champ des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47, [2008] 1 RCS 190; Canada (Citoyenneté et Immigration ) c Huruglica, 2016 CAF 93, aux para 32, 35; Ghauri v Canada (Citizenship and Immigration), 2016 FC 548, au para 22).

[7]               Le demandeur ne m’a pas convaincu qu’il y a lieu d’intervenir.  Tant la SPR que la SAR,  qui a procédé à sa propre évaluation de la preuve, a décelé des incohérences dans le récit du demandeur et je ne peux dire que ces constatations sont déraisonnables.  La Cour doit éviter ici de substituer sa propre appréciation des faits à celle de la SAR, un tribunal administratif d’appel spécialisé, faut-il le rappeler, et doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions tirées par cette dernière, d’autant plus que celles-ci confirmaient les conclusions de la SPR dont l’appréciation du témoignage et de la crédibilité des demandeurs d’asile est au cœur du mandat et de l’expertise (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 89, [2009] 1 RCS 339; Quintero Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 491, au para 12; Touileb Ousmer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 222, au para 15; Cepeda-Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1998] FCJ No 1425, au para 14, 157 FTR).

[8]               En particulier, il était, à mon avis, loisible à la SAR de remettre en cause la crédibilité du récit du demandeur sur la base de la décision de ce dernier, d’une part, de ne pas porter plainte suite au meurtre de son cousin, alors qu’il s’était déjà adressé aux autorités, avec un certain succès, pour des incidents de moindre gravité, et, d’autre part, de demeurer sur place après cet incident au lieu de quitter Bamako avec ses parents alors qu’il disait craindre pour sa vie.  Il était également loisible à la SAR de donner peu de poids au fait que le demandeur avait décidé de ne pas quitter Bamako à ce moment pour poursuivre des études qu’il a affirmé, dans son formulaire d’immigration, avoir cessées en juin 2014.  Enfin, la SAR pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n’avait pas établi que le décès de son cousin, le 31 décembre 2014, lui était relié ou était relié aux deux voyous ayant volé la motocyclette de son frère Dougoutigui.  À cet égard, il lui était loisible de s’attendre à ce que le témoignage du demandeur sur l’existence d’un tel lien soit appuyé d’une preuve corroborative plus forte que le simple certificat de décès du cousin.

[9]               Mais de façon encore plus significative, même en supposant que les craintes du demandeur aient été jugées fondées, je ne vois pas matière à intervenir eu égard aux conclusions de la SAR concernant la possibilité d’un refuge intérieur à Kayes, soit là où les parents du demandeur se trouvent depuis le début janvier 2015.  Cette ville, située au cœur d’une région de 2.5 millions d’habitants, est située, je le rappelle, à plus de 600 kilomètres de Bamako et le demandeur, dont s’était le fardeau (Aguilar Suarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1474, au para 8; Aramburo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 984, au para 13), n’a pas démontré que les deux voyous avaient l’intérêt, la motivation ou encore la capacité de le rechercher à cet endroit.  La norme pour éliminer une possibilité de refuge intérieur est exigeante : elle requiert une preuve réelle et concluante de l’existence de conditions mettant en péril la vie ou la sécurité du demandeur d’asile (Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 8, au para 15).  Or, non seulement cette preuve n’a pas été faite mais le demandeur a indiqué que ses parents ne semblaient pas avoir été importunés depuis leur déménagement à Kayes.  Comme la Cour l’a noté dans Perez, précitée, la protection internationale n’est offerte que si le pays d’origine ne peut offrir de protection adéquate sur l’ensemble de son territoire (Perez, au para 15).  La SAR a jugé qu’une telle protection était possible pour le demandeur à Kayes.  Cette conclusion m’apparaît inattaquable et, en soi, fatale, sous tous ses aspects, au recours du demandeur, y compris eu égard à l’argument mis de l’avant en lien avec l’article 96 de la Loi.

[10]           La présente affaire ne soulève pas, comme l’ont reconnu les parties à l’audience, de questions graves de portée générale justifiant la certification d’une question pour la Cour d’appel fédérale.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5812-15

INTITULÉ :

DJINDE KOITA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal, QuÉbec

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 juin 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 8 juillet 2016

COMPARUTIONS :

Me Sabine Venturelli

Me Angelina Guarino

Pour LE DEMANDEUR

Me Pavol Janura

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sabine Venturelli

Avocat(e)s

Montréal, Québec

Pour lE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal, Québec

Pour LE DÉFENDEUR

 

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