Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160704


Dossier : IMM-5474-15

Référence : 2016 CF 747

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 4 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

AMLESAT HADESH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]            Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, décision dans laquelle il a été conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) ni une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR. La SPR a également conclu que la demande de la demanderesse est dépourvue d’un minimum de fondement.

[2]            La demande est accueillie pour les motifs suivants.

I.                   Contexte

[3]            La demanderesse, Amlesat Hadesh, affirme qu’elle est une ressortissante de l’Érythrée et qu’elle craint d’être persécutée dans son pays parce qu’elle a refusé de faire son service militaire. Elle a quitté l’Érythrée pour se rendre au Soudan en juillet 2009, puis en Israël en avril 2010, où elle a vécu pendant environ cinq ans avant d’arriver au Canada le 14 juillet 2015.

II.                Décision contestée

[4]            La SPR a conclu que les questions déterminantes dans la demande de la demanderesse étaient l’identité et la crédibilité quant à l’identité. La SPR a rejeté sa demande parce que la demanderesse n’est pas un témoin crédible et ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir son identité selon la prépondérance des probabilités comme l’exige l’article 106 de la LIPR et l’article 11 des Règles de la SPR.

[5]            La demanderesse n’avait aucun document d’identité provenant de l’Érythrée. Elle a donc présenté d’autres documents à l’appui pour établir son identité, dont des documents de résidente israélienne, un certificat de baptême, et des lettres et des cartes d’identité nationale (CIN) des membres de sa famille. Elle a également appelé comme témoin un ancien résident de l’Érythrée, maintenant citoyen canadien, qui a déclaré qu’il avait connu la demanderesse et sa famille en Érythrée avant 1997.

[6]            La SPR a conclu que les irrégularités dans les documents israéliens ont miné la crédibilité de la demanderesse concernant son identité. Ces irrégularités comprenaient l’inversion du prénom et du nom de famille de la demanderesse dans les documents, l’utilisation de graphies différentes du nom de la demanderesse, et l’utilisation d’un nom différent sur les permis temporaires israéliens (Beyane) et les autres documents israéliens ou le formulaire Fondement de la demande d’asile. De plus, la SPR n’a accordé aucune valeur aux documents israéliens, car la demanderesse a déclaré qu’elle n’avait soumis aucun document d’identité aux autorités israéliennes lorsqu’elle est entrée en Israël et que la preuve ne permettait pas de savoir comment les autorités israéliennes ont établi son identité.

[7]            La SPR n’a pas non plus accordé de valeur probante au certificat de baptême de la demanderesse, car il contenait seulement son prénom, et la graphie de son prénom et du prénom de sa mère était différente de celle utilisée par la demanderesse dans son formulaire Fondement de la demande d’asile. De plus, le certificat et la photo qui l’accompagnait ne comportaient aucun élément de sécurité établissant que le certificat avait été délivré de façon régulière à la demanderesse.

[8]            Les éléments de preuve présentés par la demanderesse comprenaient une lettre de M. Hadish Beyene, qui affirmait être son père, ainsi que des copies des cartes d’identité nationale pour lui et pour la mère de la demanderesse. Les années de naissance indiquées sur les cartes d’identité nationale des parents de la demanderesse sont différentes de celles fournies dans le formulaire Fondement de la demande d’asile. Lorsqu’on l’a questionné à ce sujet, la demanderesse a déclaré qu’elle ne connaissait pas les dates de naissance exactes de ses parents et qu’elle les avait simplement estimées. La SPR a rejeté cette explication, car la demanderesse a reçu l’aide d’un avocat pour remplir son formulaire Fondement de la demande d’asile, qui indique qu’il faut donner l’âge approximatif d’une personne si on ne connaît pas sa date de naissance.

[9]            Le témoin qui a témoigné devant la SPR a fait remarquer qu’il connaissait très peu la demanderesse et sa famille et qu’il n’avait eu aucun contact avec elle depuis 1997. Bien que la SPR reconnaisse que le témoin a connu personnellement la demanderesse en Érythrée avant 1997, elle a conclu que cet élément de preuve n’établissait pas son identité ou son identité nationale actuelle à titre de citoyenne de l’Érythrée seulement.

[10]        Lorsque la SPR a rejeté la demande de la demanderesse parce que cette dernière n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités, la SPR a également indiqué que, compte tenu de son manque de crédibilité et de l’absence d’éléments de preuve crédibles et indépendants indiquant une persécution potentielle ou un risque de préjudice, sa demande était dénuée d’un minimum de fondement.

III.             Question en litige et norme de contrôle

[11]        La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en concluant que ses éléments de preuve n’étaient pas crédibles et que sa demande était dénuée d’un minimum de fondement. Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la décision doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

IV.             Analyse

[12]        Le défendeur soutient que la SPR a l’habitude d’examiner des documents d’identité et que son évaluation de tels documents doit être traitée avec grande déférence. Je souscris à cet argument. Cependant, je ne considère pas que la décision de la SPR était raisonnable. Comme l’a affirmé la demanderesse, la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve contenus dans son cartable national de documentation (CND) sur l’Érythrée qui auraient pu atténuer certaines des principales préoccupations qui l’ont poussée à n’accorder aucune valeur aux éléments de preuve présentés pour établir son identité. Même s’il faut traiter la SPR avec déférence en raison de son expertise, son expertise s’étend à l’évaluation de la documentation sur la situation qui règne dans le pays. Comme je l’explique ci-dessous, le cartable national de documentation contient des renseignements qui pourraient expliquer certaines des principales irrégularités relevées par la SPR dans les documents d’identité de la demanderesse et qui ne semblent pas avoir été pris en compte par la SPR quand elle a rendu sa décision.

[13]        Le cartable national de documentation contient un rapport d’information sur les pays d’origine concernant l’Érythrée qui a été publié par le Bureau européen d’appui en matière d’asile en mai 2015, et qui explique que les noms érythréens ne contiennent pas de noms de famille contrairement aux noms européens. Le prénom d’une personne est plutôt suivi du prénom de son père et du prénom de son grand-père.

[14]        Le cartable national de documentation contient également une réponse à une demande d’information datée de décembre 2014 concernant les certificats de naissance de l’Érythrée. Cette réponse fait référence aux renseignements fournis par un représentant de l’ambassade des États-Unis, selon lesquels il n’existe aucune translittération du tigrinya (la langue parlée en Érythrée), ce qui explique les différences dans les noms et la graphie observées sur les certificats de naissance de l’Érythrée. Bien que les observations particulières du représentant de l’ambassade portent sur la graphie du nom de la région centrale « Zoba Maekel » ou « Zoba Maakel », la question de la translittération et de l’absence d’uniformité dans la graphie est une question d’application plus générale. La demanderesse soutient que les différences observées dans la graphie des noms érythréens sont attribuables à l’absence d’une translittération normalisée entre l’alphabet du tigrinya et l’alphabet du latin.

[15]        Ces deux points (la convention d’appellation de l’Érythrée et l’absence de translittération normalisée) pourraient expliquer certaines des irrégularités relevées par la SPR dans les documents d’identité considérés comme les plus importants, à savoir les documents israéliens et le certificat de baptême. Ces irrégularités sont les suivantes :

A.                Le dossier médical produit par la prison israélienne indique que la demanderesse s’appelle « Amleset Hadesh » (le même nom que celui indiqué sur le formulaire Fondement de la demande d’asile), mais une graphie différente de son prénom (Amlest) et un autre nom de famille (Beyane) figurent sur ses permis temporaires israéliens et dans la décision rendue par l’Autorité de la population et de l’immigration israélienne.

B.                 Le certificat de baptême ne contient aucun nom de famille;

C.                 Le certificat de baptême indique que le prénom de la demanderesse est « Amlesat », alors que le prénom « Amleset » est utilisé dans le formulaire Fondement de la demande d’asile de la demanderesse;

D.                Selon le certificat de baptême, la mère de la demanderesse s’appelle « Letankel Gebre », mais selon le formulaire Fondement de la demande d’asile, elle s’appelle « Letmichael Gebre ».

[16]        Les graphies différentes observées par la SPR pourraient être attribuables à l’absence de translittération normalisée. L’utilisation de différents noms de famille (Hadesh et Beyane) pourrait être expliquée par le fait que, selon la convention d’appellation de l’Érythrée, les noms de famille ne sont pas utilisés comme ils le sont en Europe; on utilise plutôt plusieurs noms de la ligne paternelle. À cet égard, il est pertinent, même si la SPR ne l’a pas mentionné, que le certificat de baptême indique que le nom du père de la demanderesse est « Hadesh Beyene » et que ce nom, mis à part la différente graphie de « Beyene », contienne les deux noms de famille, dont l’un d’eux figure dans son dossier médical produit par la prison israélienne, sur ses permis temporaires et dans la décision rendue par l’Autorité de la population et de l’immigration israélienne. Cela est conforme aux éléments de preuve contenus dans le cartable national de documentation en ce qui concerne la dérivation des noms de famille érythréens. Ces renseignements sur la convention d’appellation de l’Érythrée permettent également de comprendre pourquoi le nom du père de la demanderesse est indiqué sur le certificat de baptême au lieu d’un nom de famille.

[17]        Je sais que la SPR n’est pas tenue de mentionner chaque élément de preuve qu’elle a examiné. Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée ni analysée est importante, plus une cour de justice sera disposée à inférer qu’une conclusion a été tirée sans tenir compte de cette preuve (voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, 157 FTR 35, aux paragraphes 16 et 17). J’arrive donc à la conclusion que l’omission de mentionner les renseignements contenus dans le cartable national de documentation décrits ci-dessus, ou d’analyser les documents d’identité en comprenant clairement les renseignements sur la convention d’appellation de l’Érythrée et la translittération de l’alphabet du tigrinya, rend la décision déraisonnable.

[18]        Je reconnais que la décision de la SPR comporte d’autres motifs pour justifier sa décision de n’accorder aucune valeur aux documents d’identité de la demanderesse, ce qui comprend l’inversion de son prénom et de son nom de famille sur les documents d’identité de la prison. La SPR a également conclu qu’il n’y avait aucune preuve que le nom et les renseignements personnels de la demanderesse ayant été consignés dans les documents de l’Israël par les autorités israéliennes provenaient de sources fiables, et qu’elle ne savait pas quels renseignements auraient été présentés pour obtenir le certificat de baptême. Cependant, les préoccupations relatives à l’utilisation de différentes graphies et de différents noms de famille ont tellement influé sur la décision de la SPR que la Cour ne sait pas si la SPR aurait écarté les documents israéliens et le certificat de baptême comme elle l’a fait et aurait rendu la même décision concernant la crédibilité si elle n’avait pas commis les erreurs susmentionnées.

[19]        Ayant conclu que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie compte tenu des erreurs dans l’analyse de la crédibilité effectuée par la SPR, et étant donné que la conclusion d’absence de fondement crédible résulte des décisions défavorables concernant la crédibilité, cette conclusion doit également être révisée.

[20]        Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5474-15

INTITULÉ :

AMLESAT HADESH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 JUIN 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JUILLET 2016

COMPARUTIONS :

Paul VanderVennen

Pour la demanderesse

Bridget A O’Leary

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paul VanderVennen

Avocat

VanderVennen Lehrer

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.