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Date : 20160713


Dossier : IMM-4623-15

Référence : 2016 CF 781

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 13 juillet 2016

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

KIBROM KEBEDOM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Kibrom Kebedom (le « demandeur ») demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Dans sa décision, la SPR a refusé la demande d’asile du demandeur en application de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « Loi »).

[2]               Le demandeur prétend être citoyen de l’Érythrée. Il allègue être exposé à un risque de persécution en raison de la conscription obligatoire au service d’État. Il a reçu l’ordre de conscription au service d’État en juillet 2014, moment où il a décidé de s’enfuir. Il allègue aussi être exposé à un risque de persécution à titre de demandeur d’asile.

[3]               La SPR a conclu que la demande du demandeur n’a aucun fondement crédible. Son identité a été le facteur déterminant des questions en litige devant la SPR. La SPR a jugé que les documents d’identité du demandeur n’étaient pas suffisants, selon la prépondérance des probabilités, pour reconnaître son statut de citoyen de l’Érythrée. Pour ce motif, la SPR a rejeté la demande.

[4]               Pour prouver son identité, le demandeur a soumis un acte de naissance, un bulletin scolaire et des copies de cartes d’identité de ses parents. La SPR n’a accordé aucun poids à ces documents.

[5]               Après l’audience tenue le 17 septembre 2015, le demandeur, par lettre datée du 20 septembre 2015, a fait une demande de présentation d’éléments de preuve après audience, et a demandé que l’affaire demeure en délibéré pendant cinq jours.

[6]               La SPR a refusé la demande du demandeur pour présenter d’autres éléments de preuve. Elle a jugé que le demandeur n’a fourni aucun renseignement sur les documents qu’il voulait présenter, ainsi que sur la pertinence de ces documents et sur la raison pour laquelle les documents ne pouvaient pas être présentés plus tôt.

[7]               Le demandeur a soulevé quatre questions dans sa demande de contrôle judiciaire :

A.    La SPR a-t-elle manqué à l’équité procédurale en refusant au demandeur de présenter des éléments de preuve après l’audience?

B.     La SPR a-t-elle fait une évaluation déraisonnable des éléments de preuve du demandeur?

C.     Les conclusions tirées par la SPR quant à la plausibilité étaient-elles déraisonnables?

D.    La SPR a-t-elle commise une erreur susceptible de révision en concluant que la demande n’avait aucun fondement crédible?

[8]               Comme question préliminaire, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le « défendeur ») s’oppose à l’inclusion, dans le dossier de demande du demandeur, des éléments de preuve soumis après l’audience, lesquels n’ont pas été accueillis par la SPR.

[9]               Le défendeur soutient qu’une demande de contrôle judiciaire devrait être effectuée sur la foi du dossier qui était devant le décideur. Il fait aussi valoir que les éléments de preuve ne sont pas visés par l’exception étroite de la règle générale, selon la décision Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario [2003] 1 R.C.F. 331.

[10]           Le défendeur soutient que la SPR n’est nullement tenue d’accepter les éléments de preuve. Il prétend aussi que la SPR a exercé à bon droit son pouvoir discrétionnaire en refusant de recevoir d’autres éléments de preuve après l’audience; voir la décision Farkas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 542, au paragraphe 12.

[11]           La première question à aborder concerne la norme de contrôle applicable.

[12]           Le refus d’accepter de nouveaux éléments de preuve après l’audience sous-tend l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. En l’espèce, le demandeur interprète ce refus comme étant une question d’équité procédurale. Le manquement à l’équité procédurale, ce qui est allégué en l’espèce, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte; voir la décision Behary c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 794.

[13]           Les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité et à l’identité sont révisables sous la norme de la décision raisonnable; voir la décision Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

[14]           Un examen du caractère raisonnable tient à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables; voir la décision Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

[15]           Je vais maintenant examiner l’objection du défendeur à l’inclusion d’éléments de preuve après audience dans le dossier de demande du demandeur.

[16]           Le demandeur soutient que les éléments de preuve déposés après l’audience avaient pour but d’établir le manquement à l’équité procédurale, ce qui est reconnu comme étant une exception à la règle générale voulant qu’un contrôle judiciaire soit effectué selon les éléments de preuve qui étaient devant le décideur.

[17]           Je suis d’accord que des éléments extrinsèques aux éléments de preuve qui étaient devant le décideur peuvent être présentés dans une demande de contrôle judiciaire pour appuyer un argument au sujet d’un manquement à l’équité procédurale; voir la décision Ontario Assn. of Architects, précitée, au paragraphe 30. Je rejette les arguments du défendeur à cet égard.

[18]           Cependant, comme il est indiqué ci-dessous, je ne suis pas persuadée qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale. Pour la prise de décision à l’égard de la présente demande, je ne vais pas tenir compte des éléments de preuve présentés après l’audience, lesquels ont été inclus dans le dossier de demande.

[19]           La troisième question en litige vise à déterminer si la SPR a manqué à son obligation d’équité procédurale en refusant au demandeur de présenter des éléments de preuve après l’audience.

[20]           Le paragraphe 43(3) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, établit les facteurs à considérer lorsqu’une partie soumet une demande de présentation de documents comme éléments de preuve après une audience :

(3) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

(3) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

a) la pertinence et la valeur probante du document;

(a) the document’s relevance and probative value;

b) toute nouvelle preuve que le document apporte aux procédures;

(b) any new evidence the document brings to the proceedings; and

c) la possibilité qu’aurait eue la partie, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document aux termes de la règle 34.

(c) whether the party, with reasonable effort, could have provided the document as required by rule 34

[21]           Je suis d’accord avec le défendeur que la SPR n’est nullement tenue d’accueillir des éléments de preuve après l’audience.

[22]           Les décisions discrétionnaires sont sous réserve d’une intervention judiciaire si ces décisions ont été prises pour des motifs irréguliers ou en tenant compte de points non pertinents; voir la décision Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 RCS 2.

[23]           Je ne suis pas convaincue que la SPR a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en refusant les éléments de preuve après l’audience. La lettre de l’avocat du demandeur, en date du 29 septembre 2015, ne précise pas les éléments de preuve qu’il désire ajouter à son dossier de demande, ni la raison pour laquelle ces éléments de preuve n’ont pas été soumis conformément à l’article 34 des Règles. Le demandeur n’a donc pas respecté le critère établi au paragraphe 43(3) des Règles.

[24]           La prochaine question à traiter est celle du caractère raisonnable de l’évaluation des éléments de preuve du demandeur par la SPR.

[25]           La SPR n’a accordé aucun poids à l’acte de naissance du demandeur, même si elle a déterminé que ce document [traduction] « ne contient aucun défaut à première vue ». La SPR a conclu que l’acte de naissance n’était ni crédible ni fiable en raison de la disponibilité de faux documents et du fait qu’elle a déterminé que le demandeur n’est pas crédible.

[26]           À mon avis, le fait que des documents d’identité frauduleux sont disponibles en Érythrée et dans la communauté expatriée d’Érythrée au Canada ne constitue pas un motif suffisant pour rejeter l’acte de naissance du demandeur; voir la décision Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1133.

[27]           La disponibilité de faux documents dans un pays ne signifie pas, en soi, que le demandeur n’est pas crédible.

[28]           Il s’ensuit que l’évaluation de l’acte de naissance par la SPR était déraisonnable, en application de la norme de la décision raisonnable susmentionnée.

[29]           La dernière question en litige est celle sur la conclusion d’absence d’un minimum de fondement.

[30]           On peut seulement tirer une conclusion d’absence de minimum de fondement si aucun élément de preuve crédible ou digne de foi n’a été présenté pour reconnaître le statut allégué; voir la décision Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.), [2002] 3 R.C.F. 537, au paragraphe 28. Puisque j’ai déterminé que l’évaluation de l’acte de naissance par la SPR était déraisonnable, je conclus que la décision sur l’absence de minimum de fondement est aussi déraisonnable.

[31]           À mon avis, la conclusion d’absence de minimum de fondement est aussi viciée puisque le fait que le demandeur connaît le tigrigna, la langue la plus parlée en Érythrée, est un élément de preuve crédible qui pourrait appuyer la reconnaissance du statut de réfugié du demandeur; voir la décision Tran c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1080, au paragraphe 8.

[32]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvel examen. Aucune question n’est soulevée pour être certifiée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR afin que celui-ci procède à un nouvel examen. Aucune question n’est soulevée pour être certifiée.

« E. Heneghan »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-4623-15

 

INTITULÉ :

KIBROM KEBEDOM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Molly Joeck

 

Pour le demandeur

 

Marcia Pritzker-Schmitt

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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