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Date : 20160713


Dossier : T-1641-15

Référence : 2016 CF 798

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

LAWRENCE LEMIEUX

demandeur

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

APRÈS avoir entendu la demande de contrôle judiciaire à Edmonton (Alberta), le 8 juin 2016;

ET APRÈS avoir examiné les documents déposés devant la Cour et avoir entendu les avocats au nom du demandeur et du défendeur;

ET APRÈS avoir pris l’affaire en délibéré;

ET APRÈS avoir conclu que la demande doit être accueillie pour les motifs suivants :

[1]               La présente demande vise le refus du défendeur d’accorder au demandeur Lawrence Lemieux un allègement discrétionnaire d’une pénalité de 4 745,87 $ pour récidive de production tardive.

[2]               Le dossier indique que le défendeur a accordé un allègement des pénalités et des intérêts imposés au demandeur pour le dépôt tardif de ses déclarations de revenus de 2007 à 2010, mais que cet allègement lui a été refusé pour l’année d’imposition 2011. Cet allègement partiel a été accordé en raison de la tragédie personnelle vécue par M. Lemieux, comprenant le suicide de sa femme, suivi d’une longue dépression. À cet événement s’est ajouté le décès du frère de M. Lemieux, âgé de 59 ans, et de sa belle-sœur.

[3]               Le dossier indique que M. Lemieux a obtenu des soins médicaux en 2009 et qu’il a reçu un diagnostic d’anxiété et de dépression. Une réaction de deuil prolongé a également été observée. Ce diagnostic a été suivi d’un rapport médical rédigé en mai 2013 par le Dr Henderson, médecin de famille de M. Lemieux, après avoir évalué ce dernier. Le dossier laisse à penser que le Dr Henderson n’y donne pas de diagnostic actuel, mais fait plutôt référence aux difficultés auxquelles M. Lemieux a fait face relativement à la préparation et au dépôt de ses déclarations de revenus.

[4]               La décision refusant d’accorder à M. Lemieux un allègement relatif au dépôt tardif de sa déclaration de revenus 2011 se fonde en partie sur le fait qu’il a été en mesure de déposer ses déclarations pour 2007 à 2010, mais a négligé d’en faire autant pour la déclaration 2011. C’est ce qui, apparemment, a mené le décideur à conclure que M. Lemieux était suffisamment remis pour ne plus être entravé par des circonstances indépendantes de sa volonté.

[5]               Sans surprise, la lettre de décision ne décrit pas l’analyse de toute la preuve pertinente. Afin de comprendre comment la preuve médicale a été traitée, il est nécessaire d’examiner les rapports sous-jacents, et plus précisément les feuillets de renseignements sur l’allègement pour les contribuables. Je retiens ces rapports comme faisant partie de la décision visée par le contrôle puisqu’ils décrivent la preuve de façon plus détaillée et fournissent les recommandations sous-tendant les décisions officielles.

[6]               Dans le premier feuillet de renseignements, l’examinateur était prêt à recommander [traduction] « l’allègement complet » demandé par le contribuable. Ce feuillet de renseignements mentionne l’année d’imposition 2011, mais il n’est pas clair s’il tient compte de la pénalité pour récidive de production tardive de 2011. Cette recommandation d’allègement complet se fonde principalement sur l’historique médical documenté de M. Lemieux. Le feuillet de renseignements mentionne une lettre du Dr Henderson, confirmant un diagnostic d’anxiété, de dépression et de réaction de deuil prolongé datant du décès de l’épouse de M. Lemieux, en 2009. Sur la question de savoir si les circonstances échappaient au contrôle de M. Lemieux, l’examinateur a déclaré ce qui suit :

[traduction] Oui. Selon le contribuable, sa femme s’est enlevé la vie dans leur maison le 8 février 2009. La lettre du Dr Henderson datée du 29 mai 2013 affirme qu’il a rencontré le contribuable et que ce dernier semble souffrir d’anxiété, de dépression et d’une réaction de deuil prolongé en réponse à la mort de son frère et de son épouse. Cette lettre affirme de plus qu’il est probable que ces circonstances aient nui à sa capacité de produire adéquatement ses déclarations de revenus.

[7]               Comme il a été mentionné, ces recommandations ont été retenues pour les années d’imposition 2007, 2008, 2009 et 2010 (voir la page 34). M. Lemieux s’est interrogé sur l’absence d’examen de la pénalité pour récidive de production tardive qui lui a été cotisée pour sa déclaration de 2011. Après un examen plus approfondi, un refus d’allègement a été recommandé pour 2011. Le feuillet de renseignements applicable renvoie une fois de plus au rapport médical du Dr Henderson de mai 2013. Un extrait de ce feuillet de renseignements mentionne que la lettre du 29 mai 2013 du Dr Henderson concerne [traduction] « les difficultés éprouvées par M. Lemieux pour la production de ses déclarations de revenus des années 2007 à 2011 ». Toutefois, sur cette même page, l’examinateur déclare que [traduction] « la documentation médicale soumise visait les années d’imposition 2007 à 2010 précisément » (voir le dossier du défendeur, à la page 39). Il s’agit d’une incohérence substantielle qui ne peut être résolue par un contrôle judiciaire puisque le défendeur n’est pas en mesure de déposer en preuve le rapport médical du Dr Henderson. En effet, il semblerait que ce rapport a été détruit après l’octroi de l’allègement pour les années d’imposition 2007 à 2010. L’importance de cette preuve est reconnue dans le dossier certifié du tribunal, à l’onglet F, où il est déclaré que : [traduction] « le premier agent d’examen semble avoir accordé la plus grande importance à l’état de santé actuel du contribuable ».

[8]               Le rapport médical du Dr Henderson est essentiel à la décision visée par le contrôle et aurait dû faire partie du dossier certifié du tribunal. Son absence empêche la Cour d’examiner adéquatement la décision refusant l’allègement pour l’année d’imposition 2011. Dans ces circonstances, le dossier est contradictoire sur la question de savoir si l’opinion du Dr Henderson visait le défaut de M. Lemieux de produire sa déclaration de revenus pour 2011 ou non. Si tel est le cas, alors la déclaration contraire de l’examinateur est incorrecte et la décision serait par conséquent déraisonnable. Sans cette preuve, il faut accorder le bénéfice du doute à M. Lemieux.

[9]               La Cour a été confrontée au même problème dans la décision Parveen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 660, 168 FTR 103, alors que le défendeur avait écarté du dossier certifié du tribunal plusieurs pages de notes pertinentes. La Cour a exprimé ses préoccupations à propos de l’exhaustivité du dossier et a abordé la question en ces termes :

[8]        La Cour est ainsi incitée à croire que la demanderesse ne dit pas la vérité quand elle affirme que ces documents ont été remis à l’agente des visas, et qu’elle ne disait pas la vérité quand elle a dit à l’agente des visas qu’elle avait reçu une formation officielle. Cela dit, les données informatisées que l’on trouve dans le dossier du défendeur démontrent que plus de documents relatifs aux études que ceux qui se retrouvent maintenant dans le dossier de la Cour ont été remis au défendeur par la demanderesse. De plus, lors de sa première demande afin d’obtenir le statut d’immigrante ayant reçu le droit d’établissement, la demanderesse a inscrit dans son formulaire de demande de résidence permanente le diplôme en science du secrétariat qu’elle avait obtenu en 1980 (pour l’année 1978-1979). Ainsi, il est fort peu probable que la demanderesse ait « confirmé » à l’agente des visas qu’elle n’avait pas de formation officielle en secrétariat.

[9]        Il y a d’autres divergences similaires entre la description donnée par la demanderesse et celle donnée par l’agente des visas au sujet de ce qui s’est passé à l’entrevue. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de les décrire. Je pense qu’il est suffisant de noter que c’est le défendeur qui est maître du dossier présenté à la Cour. Ainsi, tout différend qui survient à cause de lacunes dans le dossier devrait, en général, être interprété contre le défendeur plutôt qu’en sa faveur. À vrai dire, je pense qu’un dossier incomplet pourrait, dans certaines circonstances, constituer un motif suffisant en soi d’annulation d’une décision faisant l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Le défendeur, en tant que partie devant la Cour et ayant le pouvoir de décider du degré d’exhaustivité des dossiers conservés relativement à ces entrevues, a la responsabilité de garantir que la Cour dispose d’un dossier complet et précis.

Voir également Yadav c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 140, 3095, [2010] A.C.F. no 353, au paragraphe 36.

[10]           Le même problème se pose en l’espèce et je suis enclin à adopter la même solution, c’est-à-dire d’annuler la décision et de renvoyer le tout à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision sur le fond. Considérant le temps écoulé depuis, M. Lemieux pourra déposer une documentation médicale à jour ainsi que toute autre preuve pouvant étayer sa demande d’allègement.

[11]           Pour les motifs qui précèdent, la demande est accueillie.


JUGEMENT

LA COUR annule la décision faisant l’objet du contrôle. L’affaire est renvoyée à un autre décideur afin qu’elle soit jugée à nouveau sur le fond.

« R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1641-15

INTITULÉ :

LAWRENCE LEMIEUX c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JUIN 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :

LE 13 JUILLET 2016

COMPARUTIONS :

Lawrence Lemieux

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Mary Softley

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

S.O.

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour le défendeur

 

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