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Date : 20160601


Dossier : IMM-2409-15

Référence : 2016 CF 611

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 1er juin 2016

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

JIAN CHEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) à l’encontre d’une décision rendue le 14 mai 2015 par un agent d’immigration (l’agent) rejetant la demande de résidence permanente du demandeur à titre de membre de la catégorie de l’expérience canadienne (CEC). L’agent a constaté que le demandeur ne se qualifie pas en tant que membre de cette catégorie puisqu’il n’a pas acquis un an d’expérience professionnelle pertinente au sein du groupe 6313 de la Classification nationale des professions (CNP), soit « Superviseurs/superviseures des services d’hébergement, de voyages, de tourisme et des services connexes ». Ainsi, l’agent a conclu que le demandeur ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 87.1(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

II.                Faits

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Chine âgé de 26 ans. Il a déménagé au Canada en novembre 2007 afin de poursuivre ses études pour enfin obtenir, en mai 2011, un diplôme en administration des affaires après deux années d’études au Cambrian College à Sudbury, en Ontario.

[3]               Après l’obtention de son diplôme, le demandeur a obtenu un permis de travail et a trouvé un emploi avec East Link Travel Ltd. (East Link), une entreprise organisant des visites au Canada pour une clientèle principalement chinoise.

[4]               Le demandeur a d’abord travaillé en tant qu’agent de réservations, mais en 2013 il a été promu surveillant aux réservations. Il affirme aussi être accrédité par le Conseil de l’industrie du tourisme de l’Ontario à titre de conseiller en voyages et de superviseur ou gestionnaire (dossier de demande, p. 15).

[5]               En 2014, le demandeur a décidé de présenter sa demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie de l’expérience canadienne. Lorsqu’une personne présente une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie de l’expérience canadienne, elle est soumise à une évaluation selon les critères définis dans le paragraphe 87.1(2) du Règlement.

[6]               Les alinéas 87.1(2)a), b) et c) définissent trois exigences sous-jacentes, à savoir que le demandeur : (1) compte au moins un an d’expérience professionnelle à temps plein dans l’un des codes pertinents de la CNP (dans la colonne 0 des genres de compétences ou dans la rangée A ou B des niveaux de compétences); (2) a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal de la CNP connexe; (3) a exécuté un nombre considérable des principales fonctions décrites dans la CNP.

[7]               Le demandeur a présenté une demande aux termes de la CNP 6313 (« Superviseurs/superviseures des services d’hébergement, de voyages, de tourisme et des services connexes »), soit l’un des groupes admissibles en vertu du paragraphe 87.1(2) du Règlement, selon lequel le poste « surveillant/surveillante aux réservations » figure sous la rubrique « Exemple(s) illustratif(s) ». Voici l’énoncé principal de la CNP 6313 :

Les surveillants des services d’hébergement, de voyages, de tourisme et des services connexes, supervisent et coordonnent les activités des réceptionnistes d’hôtel, des employés de casinos, des commis aux réservations, et autres travailleurs du secteur des services d’hébergement, de voyages, de tourisme et des services connexes non classés ailleurs. Ils travaillent dans des établissements de services des secteurs public et privé.

(dossier de demande, page 48)

[8]               La section « Fonctions principales » de la CNP 6313 contient les détails supplémentaires suivants :

Les superviseurs des services d’hébergement, de voyages, de tourisme et de services connexes exercent une partie ou l’ensemble des fonctions suivantes :

•    coordonner, attribuer et réviser le travail des réceptionnistes d’hôtel, de motel et d’autres services d’hébergement, des travailleurs de casino, des commis aux réservations, et autres travailleurs du secteur des services d’hébergement, de voyages, de tourisme et des services connexes non classés ailleurs;

•    établir les horaires et les méthodes de travail, et coordonner les activités avec les autres unités de travail ou services;

•    résoudre les problèmes liés au travail, et préparer et présenter des rapports d’étape et d’autres rapports;

•    recruter le personnel et assurer sa formation quant aux tâches, aux consignes de sécurité et aux politiques de l’entreprise;

•    commander des fournitures et du matériel;

•    assurer le bon fonctionnement des ordinateurs, de l’équipement et de la machinerie, et voir à leur entretien et à leur réparation;

•    exercer, au besoin, des fonctions qui relèvent normalement des employés supervisés.

(dossier de demande, page 48)

[9]               En plus de sa demande de résidence permanente, le demandeur a soumis une lettre rédigée par le président de East Link, exposant son expérience professionnelle.

Du 28 janvier 2013 jusqu’à présent (le 27 janvier 2014), le (demandeur) occupait le poste de surveillant aux réservations et exerçait les fonctions suivantes :

•    Responsable des réservations (hôtels, véhicules et restaurants)

•    Établissement d’horaires et de procédures pour chaque groupe de visite avec le directeur

•    Négociation avec des partenaires d’affaires

•    Formation d’organisateurs et d’agents de réservations

•    Analyse de toutes les réservations et production de rapports destinés au directeur

•    Collaboration avec le directeur pour contrôler les coûts associés aux réservations

(dossier de demande, page 19)

[10]           En rejetant la demande du demandeur, l’agent a déclaré que l’évaluation du demandeur était fondée sur la CNP 6313, mais la description de poste fournie dans sa lettre de recommandation ne fait aucune mention de l’attribution ni de la révision du travail des commis sous sa supervision, tel qu’il est indiqué dans l’énoncé principal de la CNP (dossier de demande, page 8). Par conséquent, l’agent a conclu que le demandeur faisait plutôt partie de la CNP 6521, « Conseillers/conseillères en voyages », faisant en sorte qu’il ne peut pas revendiquer le statut de CEC.

III.             Analyse

[11]           La seule question en cause dans ce contrôle judiciaire consiste à déterminer si l’agent a commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas acquis un an d’expérience de supervision. Il est incontestable que le demandeur doit exercer toutes les fonctions figurant dans l’énoncé principal de la CNP.

[12]           La Cour a déjà conclu que l’évaluation d’un agent quant à l’admissibilité d’un demandeur à titre de membre de la catégorie de l’expérience canadienne est une question mixte de fait et de droit faisant l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Song c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 141, au paragraphe 11 [Song]; Anabtawi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 856, au paragraphe 28). Dans le cadre d’un examen fondé sur la norme de la décision raisonnable, la Cour devrait intervenir seulement si l’évaluation de l’agent est insuffisante sur le plan « de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité » et ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). En d’autres mots, les conclusions de fait de l’agent commandent une déférence, telles qu’elles s’appliquent à la Loi.

[13]           Le demandeur soutient que, comme la preuve primaire (soit la lettre de recommandation de son employeur) stipule qu’il était « responsable » des réservations, il occupait, par définition, un rôle de supervision. Puisque la CNP ne définit pas les mots « superviser » et « superviseurs » (ni la Loi, ni le Règlement), le demandeur consulte le dictionnaire Merriam-Webster en ligne. Ce dernier définit le mot « superviser » comme « effectuer un contrôle sur (une personne ou une activité) ». Selon la lettre de recommandation de son employeur, le demandeur était responsable des réservations (hôtels, véhicules et restaurants). Il prétend que, puisque cette fonction, comme l’établissement d’horaires et la formation de nouveaux agents, est une tâche de supervision essentielle, il satisfait aux exigences de la CNP, malgré le fait que la lettre de son employeur ne contient pas précisément le mot « superviser ». Prouver le contraire, selon le demandeur, ne tient pas compte du fond de sa position appuyant le libellé strict de la CNP. Cela est particulièrement le cas puisque son titre de poste, soit « surveillant aux réservations », figure parmi les exemples illustratifs de la CNP 6313. Ainsi, l’agent était inutilement obnubilé par le libellé exact de la CNP plutôt que le fond de son expérience.

[14]           Le défendeur fait valoir que rien dans la demande ni la lettre d’emploi ne suggère que le demandeur fait partie du « personnel de supervision ». L’agent a pris en considération tous les éléments de preuve disponibles, et il n’a trouvé aucune preuve de tâches de supervision. Puisque le demandeur était tenu de fournir les documents nécessaires pour aider l’agent à déterminer s’il respectait l’énoncé principal de la CNP 6313 et qu’il ne l’a pas fait, la décision de l’agent était raisonnable. Comme on le précise au paragraphe 24 de la décision Madan c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (1999), 172 FTR 262, « les agents des visas ont un pouvoir discrétionnaire très étendu lorsqu’il s’agit de déterminer si un demandeur répond aux critères pour une profession donnée, y compris dans leur interprétation des dispositions de la CNP. Leur connaissance et leur compréhension de ce document est au moins égale, sinon supérieure, à celle du tribunal chargé du contrôle. »

[15]           Au paragraphe 30 de la décision Qin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 147, la juge Gleason établit un processus selon lequel un agent doit évaluer la demande d’un demandeur concernant son appartenance à une CNP :

Pour déterminer si l’expérience d’un demandeur relève d’un code admissible de la CNP, l’agent doit comprendre la nature du travail effectué et le degré de complexité des tâches accomplies pour déterminer si elles correspondent aux fonctions énumérées sous la description du code pertinent. Cette analyse indispensable exige bien plus qu’une comparaison mécanique des fonctions énoncées sous le code de la CNP avec celles qui sont évoquées dans une lettre de recommandation ou une description de poste. Il s’agit plutôt d’évaluer de manière qualitative le travail exécuté et de le comparer à la description du code de la CNP... Il est donc indiscutable que l’agent doit analyser de manière approfondie les tâches effectivement remplies par un demandeur.

(Non souligné dans l’original.)

[16]           Autrement dit, un agent doit tenir compte du fond du travail exécuté pour éviter une analyse de surface de la langue utilisée dans la description de poste. En l’espèce, cependant, l’agent ne tient pas compte du fond de la lettre appuyant le libellé précis utilisé lorsqu’il précise que la lettre ne fait « aucune mention de l’attribution ni de la révision du travail des commis sous sa supervision, tel qu’il est indiqué dans l’énoncé principal » (dossier de demande, page 8). Comme le demandeur le souligne avec raison, le fait d’être « responsable » et le fait de « superviser » sont synonymes; c’est particulièrement le cas lorsqu’on tient compte des autres tâches énumérées dans la lettre de recommandation, notamment la « formation d’organisateurs et d’agents de réservations ».

[17]           Obliger le demandeur ou East Link à en dire davantage exige la répétition mot à mot du libellé de l’énoncé principal de la CNP. Le juge Russell, faisant face à une situation semblable dans l’affaire Song, s’exprime comme suit :

[29]      Il est évident que les fonctions énumérées dans la lettre de l’employeur ne sont pas formulées de la même façon que dans la CNP, sous le code 0621. Cette situation est inévitable puisque des demandes ont été rejetées parce que l’employeur ne faisait que reprendre le libellé d’un code de la CNP. Les employeurs sont donc tenus de décrire dans leurs propres mots les fonctions exactes des demandeurs. Ainsi, les agents doivent examiner attentivement les demandes et ne doivent pas les rejeter parce que leur formulation diffère.

[18]           Les observations du demandeur révèlent que, en tant que « surveillant aux réservations », il « supervise et coordonne les activités des commis aux réservations », comme l’exige l’énoncé principal, et ce, même si ces mots ne figurent pas dans la lettre de recommandation. Le demandeur est « responsable des réservations (hôtels, véhicules et restaurants) », et il s’occupe de la « formation d’organisateurs et d’agents de réservations », conformément à la lettre de recommandation de East Link (dossier de demande, page 19). S’il forme des employés à gérer des réservations et qu’il effectue également des tâches connexes, il est évident que, à titre de « surveillant aux réservations », il supervise les employés qu’il a formés pour s’affairer aux réservations. Bien qu’il incombe aux demandeurs d’établir qu’ils satisfont aux exigences du paragraphe 87.1(2) du Règlement, les agents ne peuvent pas les rejeter lorsque le libellé diffère tout simplement de la CNP en question, surtout lorsque la jurisprudence précise que l’utilisation mot à mot du libellé d’une CNP dans une lettre de recommandation peut motiver une conclusion défavorable relative à la crédibilité (Kamchibekov c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1411, au paragraphe 16).

[19]           En fin de compte, l’agent a rejeté la demande en cause, malgré l’expérience professionnelle pertinente du demandeur, tout simplement parce que son employeur n’a pas inclus le mot « superviser » dans sa lettre de recommandation. Une erreur a été commise, c’est-à-dire qu’en misant sur la correspondance du libellé de la CNP et des soumissions du demandeur plutôt que d’examiner le fond de la position actuelle du demandeur, l’agent est arrivé à une conclusion déraisonnable. La demande est donc accueillie et le dossier sera réacheminé à un autre agent aux fins de réévaluation.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La présente demande est accueillie.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.      Il n’y a aucune question certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge


ANNEXE

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227)

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

87.1(2) Fait partie de la catégorie de l’expérience canadienne l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes:

87.1(2) A foreign national is a member of the Canadian experience class if

a) l’étranger a accumulé au Canada au moins une année d’expérience de travail à temps plein, ou l’équivalent temps plein pour un travail à temps partiel, dans au moins une des professions, autre qu’une profession d’accès limité, appartenant au genre de compétence 0 Gestion ou aux niveaux de compétence A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions au cours des trois ans précédant la date de présentation de sa demande de résidence permanente;

(a) they have acquired in Canada, within the three years before the date on which their application for permanent residence is made, at least one year of full-time work experience, or the equivalent in part-time work experience, in one or more occupations that are listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix, exclusive of restricted occupations; and

b) pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de la Classification nationale des professions;

(b) during that period of employment they performed the actions described in the lead statement for the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification;

c) pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de la Classification nationale des professions, notamment toutes les fonctions essentielles;

(c) during that period of employment they performed a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all of the essential duties;

d) il a fait évaluer sa compétence en français ou en anglais par une institution ou organisation désignée en vertu du paragraphe 74(3) et obtenu, pour chacune des quatre habiletés langagières, le niveau de compétence applicable établi par le ministre en vertu du paragraphe 74(1);

(d) they have had their proficiency in the English or French language evaluated by an organization or institution designated under subsection 74(3) and have met the applicable threshold fixed by the Minister under subsection 74(1) for each of the four language skill areas; and

e) s’il a acquis l’expérience de travail visée à l’alinéa a) dans le cadre de plus d’une profession, il a obtenu le niveau de compétence en anglais ou en français établi par le ministre en vertu du paragraphe 74(1) à l’égard de la profession pour laquelle il a acquis le plus d’expérience au cours des trois années visées à l’alinéa a).

(e) in the case where they have acquired the work experience referred to in paragraph (a) in more than one occupation, they meet the threshold for proficiency in the English or French language, fixed by the Minister under subsection 74(1), for the occupation in which they have acquired the greater amount of work experience in the three years referred to in paragraph (a).


 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2409-15

 

INTITULÉ :

JIAN CHEN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER JUIN 2016

 

COMPARUTIONS :

Winnie Lee

 

Pour le demandeur

 

Judy Michaely

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee and Company

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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