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Date : 20160718


Dossier : IMM-5757-15

Référence : 2016 CF 811

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

HONG XIN LIU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Hong Xin Liu, est un citoyen de la Chine âgé de 37 ans. Avant son arrivée au Canada, il affirme avoir eu à se cacher pendant cinq mois après que le Bureau de la sécurité publique (BSP) de Chine eut effectué un raid sur son église chrétienne illégale en novembre 2013. Le demandeur soutient que des agents du BSP ont fouillé sa maison, interrogé sa conjointe et laissé une sommation à son endroit quatre jours après le raid.

[2]               Peu après son arrivée au Canada le 18 mars 2014, le demandeur a déposé une demande d’asile pour persécution au motif qu’il était recherché par le BSP et qu’il faisait partie de l’Église du Dieu tout-puissant (Éclair de l’Orient). La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté la demande de protection du demandeur, concluant qu’il n’avait pas réussi à établir son identité, qu’il manquait de crédibilité et qu’il n’éprouvait pas de crainte subjective. Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la CISR mais, dans une décision rendue le 29 décembre 2014, la SAR a rejeté l’appel et confirmé le rejet de la demande d’asile par la SPR. Le demandeur demande maintenant à notre Cour, aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, d’annuler la décision de la SAR et de renvoyer l’affaire à un autre commissaire de la SAR aux fins d’un nouvel examen.

I.                   La décision de la SAR

[3]               La SAR a déterminé, en s’appuyant sur l’arrêt Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, [2014]  4 RCF 811, qu’elle mènerait une évaluation indépendante exhaustive de la décision de la SPR et parviendrait à ses propres conclusions. Par la suite, la SAR a souligné que même si la SPR n’a pas tiré de conclusion précise au sujet du raid du BSP ou de ses conséquences, les réserves de la SPR quant à la crédibilité du demandeur étaient suffisantes pour qu’elle ne croie pas à l’intégralité des allégations du demandeur. La SAR s’est ensuite penchée sur les conclusions précises de la SPR.

[4]               Identité et poids accordé aux documents d’identité : La SAR a déterminé que la conclusion de la SPR à l’effet que le demandeur avait été incapable de présenter des preuves fiables pour confirmer son identité n’était pas justifiable. La SAR a par conséquent conclu que le demandeur avait établi, selon la prépondérance des probabilités, son identité en tant que citoyen de la Chine.

[5]               Information sur la demande de visa canadien du demandeur : Le demandeur a déclaré qu’il n’avait fourni que son passeport à son passeur et nulle autre information; toutefois, sa demande de visa indiquait son adresse de résidence, un renseignement qui ne figure habituellement pas dans un passeport. La SPR a déterminé que cette anomalie avait nui à la crédibilité du demandeur, ce que la SAR a approuvé, concluant que l’anomalie était notable et que la détermination de la SPR à cet égard était justifiable.

[6]               Clandestinité et remise du passeport au passeur : La SAR a déterminé que la SPR n’avait pas fourni suffisamment d’information pour expliquer ses conclusions relativement à la crédibilité, soutenant qu’il n’était pas crédible qu’un parent de la conjointe du demandeur fournisse un refuge sûr à celui-ci durant une longue période, ou qu’il n’était pas crédible que le demandeur remette son passeport au passeur étant donné qu’il n’avait pas beaucoup d’argent. Sur ces points, la SAR, après avoir examiné les éléments de preuve fournis, a adopté l’avis du demandeur à l’effet que ces conclusions de la SPR n’étaient pas justifiables.

[7]               Croyances religieuses : La SAR a noté que la SPR avait tiré une conclusion défavorable à partir du manque d’éléments de preuve attestant que le demandeur avait été recruté par l’Église du Dieu tout-puissant, un fait que la SPR jugeait être [traduction] «  l’un des grands principes » de sa religion. Après avoir examiné les éléments de preuve associés, la SAR a conclu que la conclusion de la SPR à cet égard était justifiable, mentionnant un article faisant état d’un espion allégué de la police chinoise qui a infiltré l’Église.

Cela fait aussi penser un peu à la vente pyramidale. Plus de personnes vous recrutez et plus d’argent vous donnez à l’Église, plus votre statut sera prestigieux au Ciel. Si vous ne faites pas de dons, aucune chance de promotion ne vous est offerte dans cette vie non plus.

La SAR a aussi mentionné que même si le demandeur a prétendument été membre de l’Église en Chine pendant environ neuf mois, il n’a pas été en mesure de prouver qu’il avait été recruté par l’Église ou fait des dons à celle-ci.

[8]               Capacité à quitter la Chine au vu et au su des autorités : À la suite d’un examen des éléments de preuve, la SAR est arrivée à la même conclusion que la SPR à l’effet qu’il est invraisemblable que le demandeur a réussi à quitter la Chine au vu et au su des autorités simplement parce que son passeur a offert un pot de vin à un agent des douanes. La SAR a conclu que l’affirmation du demandeur selon laquelle il a pu éviter de se faire repérer de cette manière, alors que la preuve objective indiquait le contraire, a miné davantage sa crédibilité.

[9]               Incapacité à déposer une demande d’asile ailleurs : Le demandeur s’est rendu aux États-Unis en décembre 2012 en raison de sa crainte alléguée de la suppression des droits religieux en Chine, mais, a souligné la SAR, il n’a pas signalé cette crainte aux autorités américaines lorsqu’elles lui ont refusé l’entrée au pays et ne leur a pas présenté de demande d’asile. La SAR a déterminé qu’il était clair que le demandeur était motivé à quitter la Chine, mais que ses motivations semblaient être autres que de trouver un pays où il pourrait pratiquer ses croyances religieuses sans oppression. De l’avis de la SAR, le défaut du demandeur de déposer une demande d’asile aux États-Unis a nui considérablement à sa crédibilité et démontrait un manque de crainte subjective.

[10]           Poids attribué aux sommations et aux lettres : Comme la SPR, la SAR n’a pas accordé de poids aux sommations que le demandeur a présentées pour prouver que le BSP était à sa recherche; la SAR a déterminé que les sommations ne comportaient pas suffisamment d’éléments de sécurité, ne présentaient pas suffisamment d’information sur les activités illégales du demandeur, et ne fournissaient pas de renseignements vérifiables. La SAR n’a pas non plus accordé de poids aux deux lettres signées par des membres de l’Église au Canada, indiquant que ces lettres ne contenaient pas d’éléments qui pourraient être utilisés pour juger l’authenticité des pratiques religieuses du demandeur.

[11]           En fin de compte, la SAR a conclu que le demandeur n’a pas su établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il s’était joint à l’Église du Dieu tout-puissant de Chine pour soulager sa dépression suivant le décès de son ami, que le BSP l’avait désigné comme étant un adepte de l’Église, et qu’il a dû fuir la Chine pour échapper au BSP.

II.                Questions en litige et norme de contrôle

[12]           Les parties soulèvent divers problèmes en lien avec la décision de la SAR. J’estime toutefois que la Cour ne doit se pencher que sur une seule question en litige, à savoir le caractère raisonnable de la décision de la SAR.

[13]           La Cour d’appel fédérale a récemment déterminé que la norme de contrôle appropriée pour l’examen, par notre Cour, d’une décision de la SAR est celle de la décision raisonnable (voir : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35, 396 DLR (4th) 527). En conséquence, il faut faire preuve de déférence à l’égard de l’examen des éléments de preuve présentés à la SAR (voir : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Yin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1209, au paragraphe 34; Mojahed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 690, au paragraphe 14).

[14]           Qui plus est, la décision de la SAR ne devrait pas être remise en question en autant qu’elle soit justifiable, intelligible, transparente et défendable au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). Les motifs répondent aux critères établis « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador [Conseil du Trésor], 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708). Il faut considérer la décision comme un tout et la Cour doit s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au paragraphe 54, [2013] 2 RCS 458; voir aussi Ameni c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 164, au paragraphe 35).

III.             La décision de la SAR est-elle raisonnable?

[15]           Je rejette les arguments du défendeur à l’effet que les conclusions de la SAR étaient rigoureuses et raisonnables. La SAR a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en lien avec la religion du demandeur et l’appartenance de celui-ci à l’Église du Dieu tout-puissant. Cette décision ne pouvant pas être justifiée, elle est par conséquent déraisonnable.

[16]           À l’instar de la SPR, la SAR a conclu que les  éléments de preuve objectifs indiquaient que le recrutement constituait un élément essentiel ou un grand principe de la religion du demandeur. Comme elles ne disposaient d’aucun élément de preuve prouvant que le demandeur faisait du recrutement pour le compte de l’Église du Dieu tout-puissant, la SAR et la SPR ont toutes deux conclu que le demandeur n’était pas membre de l’Église et que, par conséquent, n’était pas chrétien. La seule preuve contenue dans les documents chinois objectifs sur laquelle la SAR et la SPR se sont fondées pour rendre cette décision est tirée d’un article du Financial Times daté du 20 décembre 2012 (la partie pertinente de l’article étant reproduite ci-dessus). Même si cet article indique que le recrutement peut faire partie des objectifs de l’Église, le dossier en l’espèce ne prouve pas hors de tout doute que le recrutement fait partie des grands principes de la religion du demandeur. Je suis d’avis que la SAR ne disposait pas du fondement suffisant pour conclure que le recrutement constitue un grand principe de l’Église du Dieu tout-puissant. Ce fondement est insuffisant pour au moins deux raisons.

[17]           D’abord, la source de ce renseignement, un espion de la police, n’est pas suffisamment fiable. La citation ci-dessus n’est pas étayée par aucun autre document au dossier. Ensuite, la source citée n’a pas réellement affirmé que le recrutement fait partie des exigences, et encore moins des grands principes, de l’Église du Dieu tout-puissant. La SAR n’a pas divulgué de connaissances spécialisées en lien avec les principes de la religion du demandeur. Sa conclusion à l’effet que le recrutement constitue l’un des grands principes de la religion du demandeur constitue une conclusion de fait erronée ne s’appuyant pas sur les éléments qui lui ont été présentés.

[18]           En outre, il n’était pas raisonnable pour la SAR de tirer une conclusion négative du manque d’éléments de preuve démontrant que le demandeur a fait du recrutement pour le compte de l’Église du Dieu tout-puissant, car il y a peu ou pas d’éléments de preuve démontrant que le recrutement fait bel et bien partie des exigences pour l’adhésion à l’Église. Comme c’est la base sur laquelle la SAR s’est fondée pour déterminer que le demandeur n’était pas membre de l’Église, et par conséquent pas un chrétien, la question doit être renvoyée pour réexamen, car la preuve documentaire objective démontre un risque clair pour les chrétiens en Chine.

IV.             Conclusion

[19]           La demande de contrôle judiciaire du demandeur est donc accueillie. La décision de la SAR est annulée et l’affaire est renvoyée devant la SAR aux fins de réexamen par un autre commissaire, conformément aux motifs du jugement. Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire; l’affaire est renvoyée à la SAR aux fins de réexamen par un autre commissaire, conformément aux motifs du présent jugement, et aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5757-15

 

INTITULÉ :

HONG XIN LIU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Victor Pilnitz

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jelena Urosevic

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Victor Pilnitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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