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Date : 20160719


Dossier : IMM-262-16

Référence : 2016 CF 824

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

TUYEN PHAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision d’un représentant du ministre de déférer à la Section de l’immigration [SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR, un Rapport d’interdiction de territoire [Rapport] rédigé en conformité avec le paragraphe 44(1) de la LIPR.

II.                Faits

[2]               Le demandeur, Tuyen Pham (37 ans), est un apatride. Il est résident permanent au Canada depuis 1991. Il a fui le Vietnam avec ses parents à l’âge de 3 ans et n’y est jamais retourné depuis. Il est père de trois enfants mineurs de citoyenneté canadienne.

[3]               Le demandeur a plusieurs antécédents criminels. En mai 2001, le demandeur a été reconnu coupable de possession de substance inscrite (cocaïne) en vue d’en faire le trafic, contrairement au paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19 [LRCDAS]. Une mesure d’expulsion a été émise à l’encontre du demandeur en septembre 2002. Dans une décision datée du 8 juillet 2003, la Section d’appel de l’immigration a ordonné un sursis de cinq ans à la mesure de renvoi pour des considérations d’ordre humanitaire.

[4]               Le 21 mai 2013, le demandeur a été déclaré coupable de possession de substances inscrites (marihuana) en vue d’en faire le trafic, contrairement au paragraphe 5(2) de la LRCDAS. Le 2 octobre 2013, le demandeur a reçu une peine d’emprisonnement de douze mois. Le 13 janvier 2014, un Rapport a été rédigé en conformité avec le paragraphe 44(1) de la LIPR à l’encontre du demandeur puisque l’agent ayant rédigé le Rapport est d’avis que le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité, en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Suite à une entrevue avec le demandeur le 14 janvier 2014, l’agent conclut que le Rapport est bien fondé. Le 6 mai 2014, le demandeur est invité à faire des soumissions, qui seront acheminées le 23 juin 2014.

[5]               Le 17 septembre 2015, l’agent remet à son superviseur un résumé des faits et sa recommandation que l’affaire soit déférée à la SI. Le Directeur adjoint de la Section Investigations et Renvois de l’Agence des services frontaliers du Canada (Montréal) [représentant du ministre] décide de déférer l’affaire à la SI afin que cette dernière détermine si le demandeur est interdit de territoire conformément à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

[6]               C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III.             Points en litige

[7]               Les points en litige suivants font l’objet du présent contrôle judiciaire :

1.      Le représentant du ministre a-t-il erré dans son appréciation des facteurs à prendre en considération pour déterminer si l’affaire devait être déférée à la SI?

2.      Le représentant du ministre a-t-il erré dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants?

IV.             Positions des parties

[8]               Le demandeur plaide que le représentant du ministre a erré en omettant de pondérer tous les facteurs pertinents énoncés dans le Guide d’exécution de la loi – Chapitre ENF 6 : L’examen des rapports établis en vertu de la L44(1) [Guide]. Notamment, le demandeur plaide qu’en tant que résident permanent de longue date, le représentant du ministre aurait dû accorder une attention particulière à son dossier avant que ce dernier ne soit déféré à la SI. En l’espèce, le représentant du ministre aurait erré en ne faisant qu’énumérer les facteurs à considérer sans procéder à une évaluation de ceux-ci. Au surplus, le demandeur plaide que le représentant du ministre a omis de prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants dans ses motifs. Ce faisant, la décision du représentant du ministre n’est pas raisonnable.

[9]               De son côté, le défendeur plaide que le représentant du ministre a raisonnablement pris en considération tous les facteurs énumérés dans le Guide, et ce, même s’il n’avait pas l’obligation de tous les prendre en considération étant donné que son pouvoir est discrétionnaire (Spencer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 990 au para 15; Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 429). Quant à l’intérêt supérieur des enfants, le défendeur soumet que le représentant du ministre n’avait pas à être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants directement touchés puisqu’il ne s’agit pas d’une demande en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, tel que cela était le cas dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 909, 2015 CSC 61 [Kanthasamy]. De plus, le défendeur plaide que dans un suivi fait en conformité avec le paragraphe 44(2) de la LIPR, l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas, à lui seul, un critère prépondérant.

V.                Analyse

[10]           Le demandeur soutient principalement que le décideur a erré dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, en ne prenant pas en considération tous les facteurs pertinents, ainsi que dans son appréciation des considérations d’ordre humanitaire. Ce type de questions doivent être révisées par cette Cour selon la norme de la décision raisonnable (Balan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 691 au para 19 [Balan]).

[11]           L’essentiel des prétentions du demandeur est que le représentant du ministre a erré dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne considérant pas dans son analyse tous les facteurs énumérés dans le Guide ainsi qu’en omettant de procéder à une analyse complète de l’intérêt supérieur de l’enfant tel que prescrit dans l’arrêt Kanthasamy.

[12]           L’étendue du pouvoir discrétionnaire dont jouit le représentant du ministre afin de déterminer si l’affaire doit être déférée à la SI est une question qui n’est toujours par réglée (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Tran, 2015 CAF 237 au para 12; Cha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2007] 1 RCF 409, 2006 CAF 126 au para 41 [Cha]; Richter c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 806 au para 14 [Richter], conf par Richter c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 73). La jurisprudence s’accorde pour dire que la portée du pouvoir discrétionnaire du représentant du ministre varie selon les motifs allégués ainsi que selon si la personne visée est résident permanent ou étranger (Cha, ci-dessus au para 22; Richter, ci-dessus au para 14). Cependant, il s’avère probable que le représentant du ministre ait un pouvoir discrétionnaire limité au paragraphe 44(2) de la LIPR étant donné le libellé détaillé de l’article 36 de la LIPR (Balan, ci-dessus au para 25), et ce, même pour les résidents permanents visés d’interdit de territoire pour grande criminalité conformément à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR (Balan, ci-dessus au para 26).

[13]           En l’espèce, il n’est pas nécessaire de trancher cette question puisque la décision du représentant du ministre est raisonnable, peu importe l’étendue de son pouvoir discrétionnaire.

[14]           Dans le traitement de son dossier, le demandeur pouvait raisonnablement s’attendre à ce que sa demande soit traitée conformément au processus prévu au Guide (voir Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2013] 2 RCS 559, 2013 CSC 36; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Jayamaha Mudalige Don, 2014 CAF 4 au para 52). À cet effet, la section 19.2 du Guide – 19.2 Rapports établis en vertu du paragraphe L44(1) sur les résidents permanents au Canada, prévoit une liste non exhaustive de facteurs pouvant être considérés dans les causes criminelles et non-criminelles. Il est également énoncé dans cette même section du Guide que la gravité de l’infraction est une considération importante. La section 19.3 du Guide prévoit que dans le cas de résidents permanents de longue date, la décision de déférer l’affaire doit être prise par le gestionnaire ou directeur de la région concernée. Dans le cas présent, ce processus a été suivi puisqu’un directeur adjoint a souscrit aux recommandations de l’agent au dossier pour déférer l’affaire à la SI pour enquête.

[15]           En l’espèce, le demandeur s’appuie principalement sur la décision Faci c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 693 [Faci] pour plaider que le représentant du ministre a erré en ne prenant pas en considération tous les facteurs énoncés dans le Guide. Or, bien qu’il y ait divergence quant à l’étendue des pouvoirs discrétionnaires du représentant du ministre, la décision sur laquelle le demandeur s’appuie pour plaider que le ministre a erré en ne prenant pas en considération tous les facteurs énoncés dans le Guide, énonce spécifiquement l’opposé de ce que le demandeur soutient :

[63]      La jurisprudence de notre Cour indique clairement que, pour décider si la tenue d’une enquête doit être recommandée, le représentant du ministre a le pouvoir discrétionnaire, et non l’obligation, de prendre en considération les facteurs énoncés dans l’ENF 6. Voir la décision Lee, précitée, au paragraphe 44; Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, aux paragraphes 22 et 23. Dans la présente affaire, la représentante du ministre a conclu à juste titre qu’il n’y avait pas lieu de considérer la situation dans le pays d’origine à cette étape du processus parce qu’une évaluation des risques devrait être faite avant que le demandeur ne puisse être renvoyé. [Je souligne.]

(Faci, ci-dessus au para 63)

[16]           Dans le cas présent, les motifs du représentant du ministre sont suffisamment élaborés afin de permettre à la Cour de se prononcer sur la raisonnabilité de ses conclusions. Ce faisant, bien que le représentant du ministre n’ait pas procédé à une analyse de chaque facteur, sa décision s’avère raisonnable puisque ses motifs démontrent qu’il les a pris en considération.

[17]           Deuxièmement, quant aux arguments du demandeur portant sur les considérations d’ordre humanitaire, la Cour les rejette.

[18]           Le représentant du ministre, en décidant si l’affaire doit être déférée à la SI n’a pas à procéder à un examen approfondi des considérations d’ordre humanitaire. Ainsi, bien que le représentant du ministre puisse avoir un pouvoir discrétionnaire résiduaire de prendre en compte des motifs d’ordre humanitaire (Balan, ci-dessus au para 27; Richter, ci-dessus), la prise de décision du représentant du ministre au paragraphe 44(2) de la LIPR n’est pas un véritable examen approfondi des considérations d’ordre humanitaire (Faci, ci-dessus au para 25). Dans la mesure où le représentant du ministre avait ce pouvoir discrétionnaire résiduaire, il a raisonnablement pris en compte ces motifs.

VI.             Conclusion

[19]           La Cour conclut que la décision du représentant du ministre en vertu du paragraphe 44(2) est raisonnable. Conséquemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-262-16

 

INTITULÉ :

TUYEN PHAM c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Carole Fiore

 

Pour le demandeur

 

Michel Pépin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bélanger, Fiore, Avocats

St-Laurent (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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