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Date : 20160712


Dossier : IMM-5507-15

Référence : 2016 CF 792

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2016

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

KALMAN KAROLY HORVATH

KALMAN KAROLYNE HORVATH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 20 novembre 2015. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes ayant besoin de protection en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[2]               La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                   Contexte

[3]               Les demandeurs, Kalman Karoly Horvath et Kalman Karolyne Horvath, sont mari et femme, sont d’origine rome et sont citoyens de la Hongrie. Ils ont quitté la Hongrie en décembre 2014 et ont présenté une demande d’asile au Canada.

[4]               Dans leur formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), les demandeurs affirment avoir subi de la discrimination et de la persécution en raison de leur origine rome. Ils déclarent avoir été expulsés de force de leur maison et avoir subi de nombreux incidents de violence raciale.

[5]               La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs en raison de leur manque de crédibilité.

[6]               L’appel des demandeurs auprès de la SAR a été rejeté le 18 novembre 2015. La SAR, comme la SPR, a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et qu’ils n’avaient pas établi une crainte de persécution bien fondée. La SAR a également conclu, en l’espèce, que les renseignements généraux sur la situation dans le pays n’étaient pas suffisants pour prouver les allégations de persécution.

II.                Questions en litige

[7]               Les demandeurs soulèvent les deux questions suivantes :

1.      La SAR n’a pas réussi à évaluer correctement la preuve concernant leur état psychologique.

2.      La SAR a omis de prendre en considération leurs profils généraux.

III.             Analyse

1.      La SAR n’a pas réussi à évaluer correctement la preuve concernant l’état psychologique des demandeurs.

[8]               Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas effectué sa propre évaluation des éléments de preuve et qu’elle n’a pas examiné et analysé convenablement les nouveaux éléments de preuve psychologiques. Les demandeurs soutiennent que ces éléments de preuve démontrent que les problèmes de crédibilité découlent de leurs problèmes cognitifs.

[9]               Ces problèmes ont été examinés en fonction de la norme de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35 [Huruglica].

[10]           Les demandeurs affirment également que des mesures adéquates n’ont pas été prises à l’audience de la SPR relativement à leurs problèmes cognitifs et que par conséquent, leurs droits à l’équité procédurale n’ont pas été respectés. Selon les demandeurs, la SAR n’a pas remédié à cette iniquité procédurale.

[11]           Cette question est examinée selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43.

[12]           La SAR a autorisé la présentation de nouveaux éléments de preuve sous la forme de rapports psychologiques rédigés par Mme Riback et le Dr Meier. Les demandeurs soutiennent que ces rapports démontrent que leur capacité à témoigner devant la SPR était gravement compromise en raison de leurs difficultés cognitives. Ils ajoutent que la SPR n’était pas au courant de leurs difficultés cognitives et n’a pas modifié ses procédures pour les adapter à eux en tant que personnes vulnérables, et que par conséquent, leurs droits à l’équité procédurale n’ont pas été respectés. Ils soutiennent que la SAR aurait dû mener une audience orale pour évaluer de nouveau leur crédibilité ou qu’elle aurait dû renvoyer la question à la SPR pour nouvel examen.

[13]           Les conclusions de fait de la SPR comprenaient des conclusions relatives à la crédibilité fondées sur le témoignage de vive voix des demandeurs. Dans Huruglica, la Cour d’appel fédérale observe « l’avantage certain que peut avoir la SPR sur la SAR lorsque les conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit reposent sur l’appréciation de la crédibilité ou de la valeur des témoignages de vive voix » (paragraphe 69).

[14]           La SAR a passé en revue les conclusions relatives à la crédibilité de la SPR dans le contexte du dossier et des nouveaux éléments de preuve présentés, y compris les rapports psychologiques. La SAR a conclu de façon indépendante que les demandeurs n’ont pas été en mesure de se souvenir de renseignements de base à propos des incidents décrits dans le formulaire FDA détaillé.

[15]           La SAR a conclu que les rapports psychologiques et les renseignements contenus dans ceux-ci n’expliquaient pas l’incapacité des demandeurs à fournir des faits de base concernant leur demande. La SAR a conclu que ces rapports n’ont pas remédié aux principales lacunes du témoignage de vive voix des demandeurs.

[16]           Quoi qu’il en soit, la SAR a souligné que la SPR a pris des mesures pour composer avec les difficultés cognitives des demandeurs en répétant soigneusement ce qu’elle comprenait des éléments de preuve des demandeurs. La SAR a également souligné que lorsqu’il est devenu apparent que les demandeurs avaient de la difficulté à se souvenir de dates et de détails précis, le commissaire de la SPR ainsi que l’avocat des demandeurs ont entrepris de poser des questions générales et suggestives à propos de leur demande. Même à ce moment-là, selon la SAR, les demandeurs étaient incapables de raconter leur histoire de façon générale.

[17]           À mon avis, la SAR a raisonnablement évalué la demande des demandeurs, y compris leur crédibilité. Il convient de faire preuve de déférence à l’égard de l’interprétation du paragraphe 110(4) de la LIPR par la SAR : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 24. L’évaluation de la SAR des éléments de preuve psychologiques était raisonnable, y compris la décision de ne pas tenir d’audience orale ou de ne pas renvoyer la question à la SPR en raison de ces éléments de preuve. Étant donné le caractère raisonnable des conclusions de la SAR concernant les éléments de preuve psychologiques, il s’ensuit qu’aucune iniquité ne découle du fait que la SAR ait mené l’audience par écrit et en soit arrivée à ses propres conclusions concernant la demande des demandeurs.

[18]           Le SAR souligne qu’aucune observation n’a été faite par les demandeurs dans leur appel concernant les incidents individuels qu’ils affirment avoir vécus en Hongrie en raison de leur origine rome. La SAR, tout comme la SPR, a conclu que les demandeurs n’étaient en général pas crédibles relativement à ces incidents. Il s’agit d’une conclusion raisonnable.

2.      La SAR a omis de prendre en considération les profils généraux des demandeurs.

[19]           Les demandeurs soutiennent que même s’il était conclu qu’ils n’étaient généralement pas crédibles, ils sont tout de même des Roms analphabètes, invalides et sans éducation, et que ce profil les expose à un risque de persécution. Ils soutiennent qu’en raison de ces faits, ils ont beaucoup de difficulté à avoir accès à l’emploi, à l’hébergement et aux soins de santé. Ils affirment qu’il incombait à la SAR d’évaluer de façon indépendante ce profil de risque particulier.

[20]           Les demandeurs invoquent la décision Sido c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1187, au paragraphe 16 [Sido], où la Cour déclare ce qui suit :

[16]      La jurisprudence de la Cour indique qu’une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité n’empêche pas une personne d’avoir qualité de réfugiée si d’autres éléments de preuve satisfont aux volets subjectifs et objectifs du critère applicable au statut de réfugié. Cela dit, il ne sera pas nécessaire d’évaluer la preuve documentaire si la seule preuve qui établit un lien entre le demandeur et les documents est le témoignage discrédité du demandeur; cela dépendra, dans chaque cas, de la nature de la preuve documentaire et de son lien avec la demande d’asile : voir Manickan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1525; Fernando c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2006 CF 1349.

[21]           Les demandeurs invoquent également la décision Zhuravel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 870 [Zhuravel]. Dans l’affaire Zhuravel, la demanderesse a présenté une demande d’asile au motif qu’elle craignait à la fois des gangsters et de la violence familiale. La Commission dans l’affaire Zhuravel avait conclu que la demanderesse n’était pas crédible, mais il y avait des éléments de preuve objectifs clairs dans le dossier corroborant les blessures causées par le conjoint de fait de la demanderesse. La Cour a conclu que le défaut de la SPR d’examiner ces éléments de preuve était déraisonnable.

[22]           La présente affaire n’est pas comme l’affaire Zhuravel. Il n’y a aucun élément de preuve documentaire substantiel dans le dossier contredisant les principales conclusions de la Commission. La nature des éléments de preuve documentaires devant la SAR en l’espèce était de la documentation générale sur la situation en Hongrie relativement au traitement des Roms.

[23]           Dans la décision Joseph c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 548, la Cour a mentionné que le Tribunal n’a pas besoin de considérer dans chaque cas la preuve sur la situation générale du pays pour déterminer si la demande est fondée, citant Mathews c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1387, aux paragraphes 7 et 8 [Mathews].

[24]           En l’espèce, comme dans l’affaire Mathews, la preuve documentaire était d’ordre général et la SAR n’a pas jugé nécessaire d’effectuer une évaluation de la preuve sur la situation du pays concernant les circonstances des demandeurs, étant donné leur manque général de crédibilité.

[25]           Selon les motifs des décisions Sido et Mathews, il peut ne pas être nécessaire d’évaluer la preuve documentaire sur le pays s’il n’y a d’aspect crédible à la demande liant le demandeur à cette preuve. Les demandeurs n’ont pas signalé quoi que ce soit dans la preuve documentaire qui lie leur profil particulier à de la persécution.

[26]           En l’absence d’une telle preuve, il n’était pas déraisonnable de la part de la SAR d’être d’accord avec la SPR sur le fait que la preuve documentaire du profil général des Roms n’était pas suffisante, en particulier en présence d’une non-crédibilité générale : Nagy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 640.

[27]           La SAR a conclu que bien que certaines personnes d’origine rome subissent de la persécution, cela n’établit aucunement que tous les Roms sont exposés à une possibilité sérieuse de traitement équivalant à de la persécution. Ayant conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles, la SAR a confirmé les conclusions de la SPR selon laquelle les demandeurs n’ont ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

[28]           Je suis d’avis que l’approche de la SAR et les conclusions qui en ont découlé n’étaient pas déraisonnables.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5507-15

 

INTITULÉ :

KALMAN KAROLY HORVATH, KALMAN KAROLYNE HORVATH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Meera Budovitch

 

Pour les demandeurs

 

Suran Bhattacharyya

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patricia Wells Immigration Lawyers

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général

du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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