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Date : 20160630


Dossier : IMM-5845-15

Référence : 2016 CF 739

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

CYNTHIA ERHATIEMWOMON

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise à infirmer une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SAI avait infirmé la décision d’un agent de visa de refuser la demande de résidence permanente du fils de la défenderesse. Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

[2]               La défenderesse, Cynthia Erhatiemwomon, est citoyenne du Nigeria. Elle est arrivée au Canada le 31 décembre 1999 et a fait une demande d’asile, laquelle a été par la suite refusée en raison d’un manque de crédibilité. Après diverses instances, sa demande pour circonstances d’ordre humanitaire a été approuvée en principe le 21 novembre 2008.

[3]               La défenderesse a obtenu le droit d’établissement le 23 juin 2010. Dans sa demande, elle a déclaré qu’elle a trois fils et une fille. Le 25 juin 2010, la défenderesse a signé une application pour parrainer un autre fils, Kenneth Aburime Ukhuegbe, qui, selon ses allégations, serait l’aîné de ses enfants. Pendant la période de 2000 à 2008, elle a eu au moins six occasions de déclarer l’existence de Kenneth, mais ne l’a pas fait.

[4]               Lorsqu’elle a fait connaître l’existence de Kenneth pour la première fois le 13 novembre 2008 dans sa demande pour circonstances d’ordre humanitaire, à titre d’enfant à charge, elle a indiqué que la date de naissance de Kenneth est le 30 novembre 1988. Selon les renseignements fournis par la défenderesse, cela signifie que Kenneth est né seulement deux mois avant son frère cadet, nommé « L » dans les motifs. L’anomalie a été signalée à la défenderesse, qui a par la suite corrigé l’erreur par téléphone en alléguant que la date de naissance de Kenneth est le 30 juin 1988.

[5]               Le 20 décembre 2010, la demande de parrainage pour résidence permanente de la défenderesse a été refusée pour divers motifs, lesquels ont incité l’agent d’immigration à conclure qu’il est probable que Kenneth ne soit pas le fils biologique de la défenderesse ou qu’il n’ait pas l’âge déclaré et que, par conséquent, Kenneth ne serait ni un enfant à charge ni un membre du regroupement familial.

[6]               Par contre, grâce à un test d’ADN, il a été déterminé que Kenneth est bel et bien le fils biologique de la défenderesse. L’affaire étant portée en appel devant la SAI, la commissaire a conclu que la défenderesse a établi que Kenneth était un membre du regroupement familial grâce à la preuve corroborante présentée après le rejet des éléments de preuve fournis par la défenderesse et Kenneth.

[7]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAI, évaluée en fonction de la norme de la décision raisonnable, ne cadre pas dans l’éventail des conclusions convenables et que la justification est intelligible, ce qui signifie que la décision doit être annulée et que l’affaire doit être réexaminée par un autre commissaire de la SAI : Nawful c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 464, aux paragraphes 13 à 15.

[8]               Bien que les parties aient soulevé diverses questions en litige, cette affaire peut être réglée par l’examen du raisonnement de la commissaire à l’égard du rejet, ou, faudrait-il dire, de la non-considération de la date de naissance inconciliable du frère cadet de Kenneth dans sa conclusion que Kenneth était âgé de moins de 22 ans à la date de la demande du 29 juin 2010. Je cite la décision de la commissaire au paragraphe 19, où elle traite la question liée à la proximité des dates de naissance des deux enfants :

[traduction] [19] Bien qu’il ne soit pas courant pour une femme de donner naissance à deux enfants (le demandeur et son frère L) à un intervalle d’un peu plus de cinq mois, ce qui est le cas en l’espèce si la date de naissance du demandeur est exacte, ce phénomène est tout de même biologiquement possible, quoique très peu probable dans un pays comme le Nigeria. Je trouve ceci plus crédible que l’hypothèse selon laquelle l’appelante aurait donné naissance à l’âge de dix ans. Je note aussi que l’exactitude de la date de naissance du frère cadet L du demandeur n’a pas été mise en doute comme elle aurait dû l’être, pour déterminer l’intervalle en mois entre les naissances, en particulier du fait que l’appelante a témoigné ne pas avoir tenu un calendrier ou enregistré les naissances que beaucoup plus tard.

[9]               Au paragraphe 19 de sa décision, la commissaire a conclu qu’il était [traduction] « très peu probable » que la demanderesse aurait donné naissance à deux enfants à seulement un peu plus de cinq mois d’intervalle. Le terme « probable », bien entendu, correspond à la même terminologie utilisée pour désigner une conclusion de fait selon la prépondérance des probabilités. Cette explication serait logique en fonction des hypothèses objectives concernant la naissance prématurée. La conclusion tirée serait aussi raisonnable non seulement en raison du taux élevé de naissances prématurées au Nigeria, mais aussi puisqu’elle expliquerait que L a été conçu peu après la naissance de Kenneth.

[10]           Pour appuyer sa conclusion qu’une naissance prématurée était peu probable, la commissaire a tout d’abord supposé [traduction] « qu’il est plus plausible que l’appelante (la défenderesse) ait donné naissance à l’âge de dix ans » en 1978, plutôt que d’avoir donné naissance à l’âge de 20 ans en 1988, comme il a été déclaré par la défenderesse dans les instances. Si tel était le cas, cela signifierait que Kenneth était nettement plus âgé que 21 ans à la date de la demande du 29 juin 2010.

[11]           Plus important encore, la commissaire a tenté d’expliquer la proximité des dates de naissance des deux enfants en formulant une hypothèse que la différence d’âge pourrait être attribuable au fait que la date de naissance de L était inexacte puisque la défenderesse a seulement enregistré les naissances beaucoup plus tard. En d’autres mots, la date de naissance de Kenneth, soit le 30 juin 1988 devrait être acceptée en raison d’une erreur dans la date de naissance du fils cadet. Je ne peux trouver aucun fondement qui puisse justifier cette conclusion hautement hypothétique, qui contredit la preuve fournie par la défenderesse concernant la date de naissance de L, date qui n’a jamais été soulevée ou considérée comme étant une question en litige.

[12]           Le manque de tout fondement probatoire, ou même l’absence de tout examen sérieux de la date de naissance de L, autre que l’hypothèse de la commissaire qui pourrait être erronée, demeure le principal obstacle de la décision qui conclut que la date de naissance de Kenneth est bel et bien le 30 juin 1998. Il est déjà problématique que la preuve destinée à corroborer la date de naissance de Kenneth devienne plutôt le motif d’une conclusion qui détermine que les principaux témoins sont jugés non crédibles. Toutefois, il convient de préciser que, même si cette preuve est hautement probable, elle ne peut pas servir à tirer une conclusion après coup que la date de naissance de L est inexacte, lorsqu’une telle conclusion vient contredire un fait apparemment convenu par les parties et que les parties n’ont jamais contesté ou examiné en profondeur.

[13]           À mon avis, lorsque la commissaire accepte que Kenneth soit bel et bien né le 30 juin 1998, elle le fait sans explication rationnelle quant à la raison pour laquelle la date de naissance de L doit alors être rejetée, bien qu’elle reconnaisse que les deux dates de naissance alléguées des enfants ne soient pas conciliables.

[14]           Comme je l’ai dit, j’éprouve énormément de difficulté à accepter que la commissaire ait transformé un témoignage corroborant fourni hors cours par affidavit pour en faire la principale preuve sur laquelle baser sa décision. Habituellement, les témoignages corroborants hors cour ne serviraient pas de base pour rendre une décision après une conclusion négative tirée quant à la crédibilité des principaux témoins, qui, en l’espèce, seraient les personnes les mieux informées de la date de naissance de Kenneth.

[15]           De plus, la commissaire n’a pas pris en considération les facteurs qui minaient le poids de la preuve corroborante sur laquelle elle a basé sa décision. Le témoignage par affidavit sollicité auprès de membres de la famille à l’égard de la naissance de Kenneth a été obtenu par téléphone par un proche du mari de la défenderesse, lequel a été décrit tout simplement par son nom, Joshua. Apparemment, il était présent à la naissance de Kenneth et il a fourni la date de naissance en effectuant des calculs à l’aide du calendrier nigérien. Outre le fait que cet élément de preuve est un ouï-dire multiple, aucun détail n’est fourni à l’égard du calendrier nigérien, ni sur la façon dont les dates équivalentes ont été calculées ou sur la raison pour laquelle la SAI devrait se fier au témoignage de cet homme.

[16]           Des problèmes semblables sont signalés concernant les renseignements fournis par l’école dans une lettre au sujet de la date de naissance de Kenneth. On a demandé à la défenderesse de fournir le certificat de fin d’études secondaires de Kenneth, ce qui confirmerait objectivement la date de naissance de ce dernier. Un tel certificat n’a pas été fourni. La défenderesse a plutôt soumis un rapport d’enquête policière du Nigeria daté du 13 décembre 2010, dans lequel il était signalé que le certificat de fin d’études secondaires de Kenneth avait disparu le 28 mars 2009. L’école n’a fourni aucune explication sur la raison pour laquelle un tel crime inhabituel aurait eu lieu.

[17]           En fin de compte, je ne trouve aucun motif raisonnable dans les éléments de preuve et aucun motif qui justifierait la raison pour laquelle la commissaire a conclu que la défenderesse s’est acquittée de son obligation de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que Kenneth avait moins de 22 ans à la date de la demande.

[18]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La question est différée à un autre commissaire de la SAI pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR  accueille la demande d’appel, la question est différée à un autre commissaire de la SAI pour nouvel examen, et aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-5845-15

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. CYNTHIA ERHATIEMWOMON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 juin 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Suzanne Trudel

Pour le demandeur

 

Styliani Markaki

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le demandeur

 

Styliani Markaki

Avocat

Montréal (Québec)

Pour la défenderesse

 

 

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