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Date : 20160713


Dossier : IMM-5537-15

Référence : 2016 CF 800

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

DANILO ORDONIO CORTEZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch-27 (la Loi) à l’encontre d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), qui a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre d’une mesure de renvoi. Je conclus que la décision de la SAI est raisonnable pour les motifs expliqués ci-dessous.

[2]               Le demandeur est un citoyen des Philippines âgé de 46 ans. Le 15 janvier 2000, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Peu de temps après, il s’est marié (25 août 2000) et a eu un fils (20 juin 2001).

[3]               Le 27 février 2004, le demandeur a dû présenter une nouvelle demande de visa. Dans cette demande, il n’a pas déclaré qu’il était marié et qu’il avait un enfant. À au moins trois autres occasions, le demandeur a omis de déclarer ces faits aux autorités d’immigration canadiennes.

[4]               Le demandeur a obtenu le statut de résident permanent et est entré au Canada le 4 avril 2005. Il a ensuite trouvé un emploi de comptable.

[5]               Le 15 décembre 2009, le demandeur a présenté une demande pour parrainer sa femme et son enfant au titre de la catégorie du regroupement familial afin qu’ils obtiennent la résidence permanente. Cependant, le 17 mars 2011, cette demande a été rejetée en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), qui se lit comme suit :

117(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

[…]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

[6]               L’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de cette décision a été rejeté le 20 octobre 2011.

[7]               De décembre 2012 à août 2013, le demandeur est retourné aux Philippines pour chercher du travail. Il affirme qu’il n’est pas parvenu à trouver du travail en raison de la médiocrité de la conjoncture économique et de la discrimination fondée sur l’âge à l’embauche.

[8]               Le 11 février 2014, la Section de l’immigration de la CISR a mené une enquête et a pris une mesure d’exclusion contre le demandeur parce qu’il a fait une fausse déclaration dans sa demande de résidence permanente en omettant de déclarer qu’il avait une femme et un enfant.

[9]               Le demandeur a fait appel de cette mesure auprès de la SAI et a demandé que des mesures spéciales soient prises à son égard en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi ou qu’un sursis à la mesure de renvoi lui soit accordé en vertu de l’article 68. Il a admis avoir fait de fausses déclarations sur avis de son consultant en immigration. Il a également expliqué qu’il travaillait au Canada pour subvenir aux besoins de sa famille et qu’il valait mieux qu’il reste au pays pour gagner le plus d’argent possible.

II.                Décision

[10]           Le 19 novembre 2015, la SAI a rejeté l’appel du demandeur après avoir conclu que ses fausses déclarations étaient graves et qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant du demandeur que son père retourne aux Philippines.

[11]           La SAI a tout d’abord fait remarquer que le demandeur avait reconnu que la mesure de renvoi était bien fondée en faits et en droit et qu’il interjetait appel pour que des mesures spéciales soient prises. Par conséquent, il lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existait des motifs d’ordre humanitaires justifiant la prise de mesures spéciales compte tenu de toutes les circonstances.

[12]           La SAI a ajouté par la suite que la mesure d’exclusion reposait sur le fait incontesté que le demandeur n’avait pas déclaré qu’il était marié et qu’il avait un fils. La SAI a conclu que, même si le demandeur a exprimé des remords, il était conscient que ses fausses déclarations étaient graves, et « il était entièrement motivé par son désir d’immigrer au Canada rapidement et de parrainer ensuite sa famille ». Ces faits sous-jacents ne sont pas contestés. Ils ont été résumés comme suit par la SAI dans sa décision :

[15] [...] [L’appelant] a affirmé qu’il savait que les renseignements fournis dans le formulaire étaient inexacts, mais qu’il avait signé et présenté la demande [traduction] « suivant les conseils du consultant », qui lui avait dit de ne pas ajouter le mariage et la naissance, car cela retarderait le règlement de sa demande, et qu’il pourrait parrainer son épouse et son fils une fois établi au Canada. Même s’il [traduction] « n’était pas à l’aise avec cela », il a expliqué que cette solution [traduction] « était sensée [et] semblait la plus avantageuse » pour lui parce qu’il n’avait ni parents ni amis au Canada. L’appelant a mentionné que ses consultants ne lui ont jamais précisé l’ampleur du retard ou le délai à envisager pour le parrainage et qu’il n’a jamais posé la question.

[16] L’appelant a reconnu avoir signé le formulaire de demande de résidence permanente frauduleux à maints endroits en février 2004. Il a aussi réitéré les fausses déclarations lorsqu’il a déclaré ne s’être jamais marié et qu’il a juré à l’agent d’immigration que le contenu était exact, en mars 2004, mais il [traduction] « n’était pas à l’aise d’agir ainsi ». Il a admis avoir réitéré ces déclarations à l’agent d’immigration à son entrée au Canada en avril 2004. Il a également signé un document qui confirmait l’absence d’épouse et d’enfant en août 2004. Le fait que l’appelant ait fait de fausses déclarations et omis de divulguer sa situation de façon répétée sur une période de quatre ans environ constitue une circonstance aggravante qui milite contre l’appel en l’espèce.

[13]           Le demandeur a fait valoir devant la SAI que la divulgation de son mariage et de la naissance de son enfant n’aurait pas entraîné le refus de sa demande initiale de résidence permanente puisque, lorsqu’il a enfin présenté une demande pour les parrainer, son épouse et son fils n’étaient pas interdits de territoire pour des raisons d’ordre médical ou criminel. Par conséquent, la gravité de la non-divulgation des renseignements dans sa demande initiale était moins importante qu’elle aurait pu l’être. La SAI a soupesé ce fait, mais a conclu qu’« il n’est guère pertinent dans l’affaire en l’espèce, qui comporte un détournement répété des règles à des fins précises et exprimées » et que « la non‑divulgation des renseignements par l’appelant n’était pas involontaire ».

[14]           La SAI a ensuite examiné les éléments de preuve présentés par le demandeur concernant son établissement au Canada et le fait que cela était dans l’intérêt supérieur de son enfant. Le demandeur a affirmé qu’il était bien établi au Canada et qu’il gagnait bien sa vie comme comptable. Il a ajouté qu’il envoyait de l’argent à sa famille pour que son fils puisse continuer de fréquenter une école prestigieuse, en mentionnant que même si l’école est financée à l’aide de fonds publics, les frais de transport et d’hébergement ne sont pas payés. Il a fait valoir que le salaire de son épouse ne suffirait pas pour continuer de payer le pensionnat de son fils et qu’il était peu probable qu’il trouve du travail aux Philippines s’il y retournait. Le demandeur a affirmé qu’il est dans l’intérêt supérieur de son fils qu’il demeure au Canada pour les deux raisons suivantes : premièrement, pour qu’il puisse continuer d’envoyer de l’argent pour subvenir aux besoins de son fils et payer ses études; deuxièmement, pour que son fils ait la possibilité de déménager au Canada un jour.

[15]           La SAI est arrivée à une autre conclusion et a conclu que « la présence [du demandeur] auprès de son fils correspond à l’intérêt supérieur de ce dernier et que le renvoi [du demandeur] ne constituerait pas une épreuve pour son fils (ni pour le reste de la famille) ». La SAI a soupesé les arguments du demandeur sur ce point, mais a conclu qu’il a « exagéré considérablement les difficultés que son renvoi pourrait lui apporter ». Il n’a pas de famille au Canada et même s’il était autorisé à demeurer au Canada, il serait tout de même incapable de parrainer son épouse et son fils. Par conséquent, l’appel du demandeur a été rejeté.

III.             Questions en litige

[16]           Le demandeur soulève deux questions dans sa demande de contrôle judiciaire :

A.                La SAI a-t-elle commis une erreur déraisonnable en ne tenant pas compte de l’analyse du demandeur quant à l’intérêt supérieur de son fils?

B.                 La SAI a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la gravité des fausses déclarations puisque l’épouse et l’enfant du demandeur ne sont pas autrement interdits de territoire?

IV.             Analyse

[17]           La norme de contrôle applicable à une décision de la SAI concernant la question de savoir si la prise de mesures spéciales relativement à une mesure d’exclusion est justifiée est celle de la décision raisonnable (Duquitan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 769, au paragraphe 11; Uddin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 314, au paragraphe 19). Par conséquent, si la décision est justifiable, transparente et intelligible, et qu’elle appartient aux issues possibles et acceptables, la Cour ne devrait pas intervenir (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

A.                La SAI a-t-elle commis une erreur déraisonnable en ne tenant pas compte de l’analyse du demandeur quant à l’intérêt supérieur de son fils?

[18]           L’alinéa 67(1)c) de la Loi mentionne explicitement que l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché par une décision faisant l’objet d’un appel devant la SAI doit être pris en compte :

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

[19]           Lors de l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, la jurisprudence établit clairement que le décideur doit être « réceptif, attentif et sensible » aux besoins de l’enfant touché (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75; voir aussi Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61).

[20]           Le demandeur soutient qu’il a évalué lui-même les intérêts de son fils et qu’il était dans l’intérêt supérieur de ce dernier qu’il demeure au Canada et envoie de l’argent à sa famille afin que son fils puisse poursuivre ses études dans une école prestigieuse et compétitive. Il soutient également que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte de cette évaluation et en concluant qu’il vaudrait mieux que le demandeur retourne aux Philippines. Selon le demandeur, [traduction] « l’argument de la [SAI] selon lequel elle sait mieux que les parents de l’enfant ce qui est mieux pour ce dernier est indéfendable et déraisonnable, car il va à l’encontre du principe établi voulant que de bons parents sont censés savoir ce qui est mieux pour leur propre enfant et agir en conséquence ».

[21]           Dans le même ordre d’idées, le demandeur affirme qu’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant devrait toujours aboutir automatiquement à l’hypothèse que les parents agissent et agiront dans l’intérêt supérieur de leur enfant et que leur analyse devrait donc aider le décideur à prendre la décision qui convient. Le demandeur cite plusieurs décisions qui établissent le principe selon lequel les parents aptes et compétents agiront dans l’intérêt supérieur de leur enfant :

         Dans Young c. Young, [1993] 4 RCS 3, au paragraphe 42, le juge L’Heureux-Dubé a récusé le témoignage de [Young] en affirmant qu’« [u]ne fois que le tribunal a déterminé à qui il convient de confier la garde, il doit et, en réalité, il ne peut rien faire de plus, présumer que le parent agira dans le meilleur intérêt de l’enfant »;

         Dans DLC v GES, 2006 SKCA 79, aux paragraphes 61 et 62 [GES], il est établi [traduction] « qu’il ne faut pas intervenir à la légère face à l’interprétation que fait un parent compétent de l’intérêt supérieur de son enfant [...] et que la Cour doit hésiter à contester l’opinion d’un parent gardien apte et compétent qui affirme qu’il est inapproprié d’accorder un droit de visite à son enfant »;

         Dans Troxel v Granville, 530 U.S. 57 (2000), au paragraphe 68 [Troxel], il est établi [traduction] « qu’il existe une présomption selon laquelle des parents compétents agissent dans l’intérêt supérieur de leurs enfants [...] Par conséquent, tant et aussi longtemps qu’un parent prend bien soin de son ou ses enfants (autrement dit qu’il est compétent), l’État n’aura normalement aucune raison d’intervenir dans la vie privée de la famille »;

         Dans Chapman v Chapman, (2001) 201 DLR (4th) 443, au paragraphe 449 (C.A. Ont.) [Chapman], il est indiqué que [traduction] : « en l’absence de preuve indiquant que les parents agissent d’une façon qui montre une incapacité d’agir dans l’intérêt véritable de leurs enfants, on doit respecter leur droit de prendre des décisions et de se faire des opinions au nom de leurs enfants, y compris les décisions au sujet de qui ils devraient voir, à quelle fréquence et dans quelles conditions ils les voient ».

[22]           Le demandeur soutient que cette jurisprudence démontre que les tribunaux [traduction] « doivent tenir pour acquis, en l’absence d’une preuve convaincante du contraire, que les actes des parents témoignent de l’intérêt supérieur de leurs enfants ». Essentiellement, il est d’avis que lorsque l’on analyse l’intérêt supérieur de l’enfant, il faut d’abord présumer que les actes des parents reflètent l’intérêt supérieur de l’enfant et il faut réfuter cette présomption uniquement lorsqu’il y a une preuve convaincante à cet effet. Étant donné qu’elle a agi de façon contraire à ce principe et qu’elle a rejeté le choix du demandeur en ce qui concerne l’intérêt supérieur de son fils, la SAI a tiré une conclusion déraisonnable.

[23]           Le demandeur n’a cité aucune jurisprudence en matière de droit de l’immigration et des réfugiés pour étayer ce principe. En effet, les décisions citées – Young, GES, Troxel et Chapman – portent toutes sur le droit de la famille, un domaine très différent, et ont toutes été rendues dans le contexte de litiges entre les parents (Young et GES) ou les parents et les grands-parents (Troxel et Chapman) concernant le droit de visiter l’enfant ou les enfants concernés. Ces décisions démontrent toutes qu’il y a une réticence générale, dans ce domaine du droit, à intervenir inutilement dans la vie privée des familles.

[24]           Cependant, comme la souligné la Cour d’appel fédérale, « [l]’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant dans un contexte d’immigration ne fait pas nécessairement intervenir une analyse fondée sur le droit de la famille où les véritables questions en litige portent sur des questions de garde des enfants et de droits de visite » (Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 37 [Kisana]). Bien que dans l’arrêt Kisana la Cour d’appel fédérale ait établi une proposition différente (selon laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant touché par une décision donnée l’emporterait toujours sur les autres facteurs à prendre en considération) que celle contestée en l’espèce, les tribunaux doivent toujours faire attention lorsqu’ils utilisent des principes d’interprétation provenant de domaines de droit différents sans fournir de justification convaincante.

[25]           Il faut être d’autant plus prudent lorsque le dossier de preuve dont dispose la Cour contient seulement des renseignements fournis par le demandeur. Dans le contexte du droit privé, toutes les parties engagées dans un litige en droit de la famille ont intérêt à présenter des éléments de preuve en faveur de leur position et, par conséquent, de mettre à la disposition du décideur un dossier complet. En l’espèce, il n’y a que le demandeur et ce qu’il juge le mieux pour son enfant. Chose certaine, lorsque le parent a déjà fait de fausses déclarations, comme c’est le cas en l’espèce, il est raisonnable de se demander si le parent ne confond pas ce qu’il affirme être l’intérêt supérieur de son enfant avec la conclusion qui lui conviendrait. Le demandeur veut rester au Canada. S’il ne reste pas au pays, il devra retourner aux Philippines. Il faut donc évaluer attentivement sa suggestion selon laquelle il est dans l’intérêt supérieur de son enfant qu’il reste au Canada.

[26]           Par conséquent, si aucune autre expression de droit n’est plus solide que celle présentée par le demandeur, je ne peux admettre que la position à adopter par défaut lors d’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant est que tout ce que les parents [traduction] « font dans la pratique » pour (ou avec) l’enfant est dans l’intérêt supérieur de ce dernier. Par conséquent, je conclus que la SAI n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a analysé le résultat de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant qu’aurait préféré le demandeur.

B.                 La SAI a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la gravité des fausses déclarations puisque l’épouse et l’enfant du demandeur ne sont pas autrement interdits de territoire?

[27]           Le demandeur soutient que, lorsqu’une personne est considérée comme interdite de territoire en raison de la non-divulgation de l’existence d’un membre de la famille, il faut se demander si ce membre de la famille aurait été admissible au Canada si son existence avait été divulguée au moment approprié. Si le membre de la famille était admissible, la non-divulgation n’aurait pas entraîné le rejet de la demande du demandeur et n’aurait donc pas donné lieu à une conclusion d’interdiction de territoire.

[28]           Le demandeur soutient que la Cour a fait des observations similaires dans Sultana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 533 [Sultana], une affaire analogue portant sur une demande de dispense de l’interdiction en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement pour des motifs d’ordre humanitaire. Dans cette affaire, le juge de Montigny, alors juge de la Cour, a conclu que la décision qui avait été rendue était en partie déraisonnable parce qu’« on n’explique pas pourquoi les considérations de politique qui sous-tendent l’alinéa 117(9)d) du Règlement devraient l’emporter sur les difficultés auxquelles sont exposés ces enfants, alors qu’il n’y aucune indication que ceux-ci auraient été inadmissibles s’ils avaient été déclarés » (Sultana. au paragraphe 34; non souligné dans l’original).

[29]           Le demandeur fait également les observations suivantes au sujet de la section 5.12 du guide opérationnel OP 2, « Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial », de Citoyenneté et Immigration Canada :

Les motifs d’exclusion prévus au R117(9)d) existent en vue d’encourager l’honnêteté et d’empêcher les immigrants de contourner le règlement. Plus précisément, cet alinéa existe pour empêcher les demandeurs de pouvoir parrainer plus tard des membres de la famille autrement interdits de territoire aux termes des généreux règlements de parrainage de la catégorie de la famille alors que d’avoir déclaré ces mêmes membres aurait empêché l’immigration du demandeur au Canada pour des motifs relatifs à l’admissibilité (c.-à-d. fardeau excessif).

[30]           Selon le demandeur, lorsqu’un membre de la famille dont l’existence n’a pas été déclarée est interdit de territoire, les considérations de politique qui sous-tendent l’alinéa 117(9)d) n’entrent pas en jeu et il est donc justifié d’accorder favorablement une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

[31]           La SAI a cependant refusé de suivre cette jurisprudence et a conclu qu’« il n’est guère pertinent dans l’affaire en l’espèce, qui comporte un détournement répété des règles à des fins précises et exprimées » et que « la non‑divulgation des renseignements par l’appelant n’était pas involontaire ». Le demandeur affirme que cette analyse confond les motifs de la fausse déclaration avec l’effet de celle-ci. La jurisprudence consiste à déterminer si la fausse déclaration aurait pu avoir un effet sur l’issue de la demande et non à examiner les raisons pour lesquelles le demandeur a fait cette fausse déclaration. Par conséquent, la SAI a commis une erreur en ne considérant pas ce principe comme un facteur déterminant en faveur de l’octroi d’une dispense.

[32]           Le défendeur allègue que la jurisprudence montre que « l’omission de divulguer des renseignements qui pourraient être importants concernant l’admissibilité d’un demandeur de visa est suffisante pour étayer une conclusion de présentation erronée » (Aoun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 296, au paragraphe 9; non souligné dans l’original). Autrement dit, il importe peu que la fausse déclaration ait un effet sur l’issue, ce qui importe est de savoir si elle a privé le décideur de la possibilité d’effectuer une analyse pertinente.

[33]           Il peut en être ainsi pour une conclusion de fausse déclaration, mais le défendeur a omis de signaler que le débat porte sur une conclusion selon laquelle la prise de mesures spéciales est justifiée : la fausse déclaration a déjà été démontrée et d’autres facteurs, comme l’effet de la décision du demandeur de ne pas divulguer l’existence de son épouse et de son fils, peuvent et devraient donc être invoqués pour déterminer si des mesures spéciales doivent être prises.

[34]           Cela dit, je ne crois pas que la SAI a commis une erreur déraisonnable en refusant d’accorder, comme l’exige le demandeur, une grande importance au fait que les fausses déclarations qu’il a faites dans sa demande initiale n’auraient, de toute façon, pas eu d’incidence sur son admissibilité à ce moment-là.

[35]           Tout d’abord, je tiens à souligner que la jurisprudence établie à l’alinéa 117(9)d) porte presque exclusivement sur le motif de la fausse déclaration lorsque la question est de savoir si des mesures spéciales doivent être prises (voir, par exemple, Krauchanka c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 209, au paragraphe 22 [Krauchanka]; Lopez Pascual c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 993, au paragraphe 19; Aggrey c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1425, au paragraphe 9), ce qui explique pourquoi la SAI a expressément relevé la raison pour laquelle le demandeur a dissimulé l’existence de sa famille. La seule suggestion que l’effet de la fausse déclaration soit un facteur important qui joue en faveur de la prise de mesures spéciales après le fait repose sur le bref commentaire du juge de Montigny dans l’arrêt Sultana.

[36]           Le demandeur est d’avis que le principe selon lequel l’effet d’une fausse déclaration est un facteur clé qui doit être pris en considération pendant une analyse fondée sur l’alinéa 117(9)d) est également établi dans l’arrêt Krauchanka. Pour illustrer ses dires, il cite le passage suivant :

[24]      Dans le cas de la présente demande, l’intérêt public qu’il y a à confirmer le respect des lois canadiennes en matière d’immigration est un sujet de préoccupation légitime. Le répondant n’aurait pas eu le droit d’immigrer au Canada à titre d’enfant à charge s’il avait déclaré les demandeurs avant d’obtenir le droit d’établissement. Il a omis de le faire et la preuve au dossier donne à penser qu’il s’agit d’une fausse déclaration délibérée. C’était là un point important, mais non déterminant, que l’agente des visas était en droit de prendre en considération dans l’analyse : Legault c. Canada (MCI), [2002] 4 CF 435 (C.A.), le juge Décary, au paragraphe 29.

[37]           Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation que fait le demandeur de ce paragraphe. Je crois plutôt que l’arrêt Krauchanka réitère simplement le principe selon lequel le caractère délibéré d’une fausse déclaration est un facteur pertinent et que la question n’est pas de savoir si ce facteur aurait changé radicalement les choses lorsqu’il a été établi.

[38]           Dans l’arrêt Sultana, le juge de Montigny a établi que l’agent a commis une erreur en considérant « l’omission de déclarer » comme un « facteur primordial excluant toute possibilité que les facteurs d’ordre humanitaire puissent l’emporter sur l’exclusion prévue à l’alinéa 117(9)d) » et que « [c]ette fixation sur l’omission du répondant de déclarer des membres de sa famille a empêché l’agent d’immigration de véritablement évaluer les facteurs d’ordre humanitaire invoqués par les demandeurs » (paragraphes 29 et 30; non souligné dans l’original). Pour le juge de Montigny, l’agent a mis l’accent de façon déraisonnable sur un seul facteur en excluant tous les autres facteurs et c’est ce qui devait faire l’objet d’un contrôle, et non l’omission de tenir compte de l’effet de la non-divulgation dans cette affaire. J’estime que les circonstances sont différentes en l’espèce, car la SAI a examiné de façon approfondie les différents facteurs d’ordre humanitaire qui devaient être pris en considération.

[39]           D’ailleurs, dans une autre affaire portant sur l’omission de déclarer des personnes (Zingano c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1243 [Zingano]), la Cour a refusé de souscrire explicitement au principe selon lequel l’effet de la fausse déclaration est un facteur important quasi déterminant au moment d’évaluer s’il convient d’accorder une dispense. Dans cette affaire, comme c’est le cas en l’espèce, le demandeur a été déclaré interdit de territoire parce que son parrain n’a pas divulgué son existence dans une demande de résidence permanente. Devant la Cour, le demandeur a soulevé la question de l’effet important de la fausse déclaration initiale :

[48]      Le demandeur affirme également que le rejet de sa demande CH est déraisonnable lorsque l’enfant qui n’a pas été déclaré n’est par ailleurs pas interdit de territoire au Canada. Lorsque l’enfant qui n’a pas été déclaré n’est pas interdit de territoire, le fait qu’il n’a pas été déclaré est sans importance pour ce qui est de la demande du parent qui ne l’a pas déclaré. Dans ce type d’affaires, l’objectif de principe que sous-tend l’alinéa 117(9)d) ― à savoir s’assurer que des demandeurs ne cherchent pas par la suite à parrainer des membres de leur famille qui sont interdits de territoire ― ne tient pas, et il est normalement justifié d’accorder une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire; un refus sera normalement considéré comme déraisonnable.

[40]           Le juge Russel a cependant conclu que « le fait que le demandeur soit ou non interdit de territoire n’a aucune incidence sur le caractère raisonnable de l’évaluation faite par l’agente des facteurs d’ordre humanitaire » (Zingano, au paragraphe 74).

[41]           Autrement dit, la SAI peut tout à fait tenir compte de l’effet ultime de la fausse déclaration sur l’admissibilité des personnes concernées, mais ce facteur à lui seul n’est pas déterminant et ne peut pas toujours revêtir une grande importance. Après tout, dans une affaire comme celle en l’espèce, il est impossible de connaître vraiment les issues d’un contrôle hypothétique de l’admissibilité portant sur des facteurs d’ordre médical, criminel ou financier qui a été effectué à un moment quelconque dans le passé. Il serait difficile, voire impossible, de prouver l’admissibilité de façon rétroactive sans qu’un contrôle et une évaluation soient effectués au moment opportun.

[42]           En l’espèce, la SAI a tenu compte des observations du demandeur sur ce point (c.-à-d. que la divulgation de l’existence de son épouse et de son fils n’aurait rien changé à l’issue de sa demande) et a pondéré les facteurs d’ordre humanitaire qui devaient être pris en considération. Cependant, elle a conclu que la gravité des fausses déclarations l’emportait sur l’effet des fausses déclarations. Puisque la Cour ne peut pas s’ingérer dans l’appréciation de la preuve lors d’un contrôle judiciaire, la conclusion de la SAI sur ce point est donc raisonnable.

V.                Conclusion

[43]           La SAI a examiné minutieusement les éléments de preuve présentés par le demandeur à l’appui de la prise de mesures spéciales et les a soupesés en regard de [traduction] « l’intégrité du contrôle qu’exerce le Canada sur ses frontières » en tenant compte des fausses déclarations faites délibérément par le demandeur. Le rôle de la Cour n’est pas d’effectuer un examen microscopique de l’analyse de la SAI, mais plutôt de déterminer si sa décision, dans son ensemble, est raisonnable au regard des faits et du droit, et ce, même si d’autres auraient rendu une décision différente dans les circonstances. En dépit des efforts concertés et très louables de son avocat, le demandeur ne m’a pas convaincu que la décision de la SAI est déraisonnable. Sa demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune question n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.      Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5537-15

INTITULÉ :

DANILO ORDINO CORTEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 juin 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

Le 13 juillet 2016

COMPARUTIONS :

John Agwuncha

Pour le demandeur

Aleksandra Lipska

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Agwuncha

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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