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Date : 20160614


Dossier : T-2174-15

Référence : 2016 CF 663

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2016

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

JAMES WILLIAM ROBERTSON

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission) rejetant la demande du demandeur en vue de faire lever de façon permanente la restriction relative aux déplacements à l’étranger imposée en application de l’alinéa 161(1)b) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, (le Règlement) et rejetant sa cinquième demande de voyage aux États-Unis pour l’année 2015.

I.                   Rappel des faits

[2]               Le 7 novembre 2003, le demandeur, M. James Robertson, a été reconnu coupable de plusieurs infractions à caractère sexuel contre des enfants qui se sont déroulées sur deux décennies (entre 1965 et 1976, et entre 1983 et 1988). Condamné à 16 ans d’emprisonnement, il a purgé cinq années en plus des 11 années passées en détention préventive. Le demandeur a toujours clamé son innocence.

[3]               Le juge chargé de la détermination de la peine lui a imposé une ordonnance de surveillance de longue durée (l’« ordonnance de surveillance ») de 10 ans, conformément à l’article 753.1 du Code criminel, LRC 1985, ch. C-46, ordonnance qui prendra fin le 9 octobre 2022. Le demandeur est également soumis à des conditions particulières : il lui est par exemple interdit de se trouver en présence d’enfants de moins de 18 ans à moins qu’ils ne soient accompagnés d’adultes connaissant ses antécédents criminels, et il doit rendre compte de toute relation intime, sexuelle ou non, avec des femmes ayant des responsabilités parentales envers des mineurs.

[4]               Le 31 mars 2010, quelques mois après sa remise en liberté, le demandeur s’est envolé vers sa résidence en Californie, aux États-Unis, contrevenant ainsi à son ordonnance de surveillance. Il est demeuré illégalement en liberté jusqu’au mois de décembre 2012, date à laquelle il a été arrêté et extradé vers le Canada.

[5]               Au mois d’août 2013, le demandeur a présenté une demande à la Commission afin d’obtenir la permission de retourner aux États-Unis. Suivant la recommandation de son équipe de gestion de cas [ÉGC] de Service correctionnels Canada [SCC], la Commission a rejeté sa demande le 30 septembre 2013, en raison notamment du manque de reconnaissance apparent du demandeur quant à la gravité de sa décision de se retrouver en liberté illégale.

[6]               La Commission a autorisé ses six demandes de voyages subséquentes pour se rendre aux États-Unis en 2014 et en 2015, toutes ces demandes ayant été approuvées par son ÉGC et s’étant déroulées sans incident.

[7]               Le 17 août 2015, le demandeur a déposé une demande à la Commission afin de faire lever de façon permanente la restriction relative aux voyages à l’étranger prévue par l’alinéa 161(1)b) du Règlement et, subsidiairement, en vue de faire lever de façon temporaire cette restriction pour lui permettre de se rendre aux États-Unis du 19 décembre 2015 au 3 janvier 2016.

[8]               L’ÉGC du demandeur a rendu le 8 octobre 2015 une évaluation en vue d’une décision (l’évaluation), appuyant sa demande de dispense de l’application de la condition statutaire prévue par son ordonnance de surveillance l’obligeant à demeurer en tout temps au Canada. L’ÉGC recommandait également qu’il soit permis au demandeur de voyager aux États-Unis aux dates demandées. L’ÉGC conclut ainsi son évaluation :

[traduction] En tenant compte des circonstances entourant l’infraction criminelle commise par le sujet, de l’absence de récidive depuis 1988, du respect de son ordonnance de surveillance (depuis mars 2013) et de sa motivation à établir sa crédibilité afin de prouver qu’il s’est réintégré dans la collectivité sans poser de danger à la société et que l’ordonnance de surveillance n’est plus nécessaire, le rédacteur évalue que le risque posé par M. Robertson peut être géré en dépit d’un nouveau voyage vers sa résidence aux États-Unis et de la levée de la condition générale l’obligeant à demeurer en tout temps au Canada. En raison de l’attitude positive de M. Robertson face à la surveillance et de son comportement jusqu’à ce jour, le rédacteur est d’avis que la levée de la condition générale précitée ou l’autorisation de voyage demandée ne posera pas de risque inacceptable pour la collectivité.

[9]               Deux rapports psychologiques déposés au SCC sont pertinents à l’évaluation de l’ÉGC et à la décision subséquente de la commission :

  1. Le rapport de la Dre Heather Scott, communiqué au SCC le 2 avril 2014, indique que l’évaluation antérieure établissant que le demandeur posait un risque modéré de récidive de crimes violents et de nature sexuelle n’avait pas changé de façon marquante depuis la dernière évaluation psychologique. La Dre Scott note que le demandeur ne reconnaît toujours pas les crimes commis de même que leur impact. La Dre Scott a modifié son rapport psychologique le 16 juillet 2014, mais ses recommandations sont demeurées les mêmes.
  2. Le Dr Donald Salmon est le psychologue traitant du demandeur et l’a rencontré neuf fois au cours des deux dernières années. Dans son rapport daté du 26 juin 2015, il observe que [traduction] « la réintégration de M. Robertson dans la collectivité s’est bien déroulée et n’est pas préoccupante pour le moment. Ses délits sont chose du passé et le risque dynamique actuel est faible ». Le Dr Salmon mentionne également que le demandeur nie avoir commis les délits dont il a été reconnu coupable, mais qu’il est conscient de la perception du public et qu’il « est très prudent par rapport aux situations dans lesquelles il se retrouve ».

[10]           Le 2 décembre 2015, la Commission a rejeté la demande du demandeur visant à modifier ou à faire lever de façon permanente la restriction relative aux déplacements à l’étranger imposée en application de l’alinéa 161(1)b) du Règlement (la décision).

[11]           La Commission a indiqué avoir examiné le dossier du demandeur, la recommandation de l’évaluation de l’ÉGC ainsi que les observations du demandeur, et a conclu qu’elle n’interviendrait pas quant à la demande. La décision se lit comme suit :

[traduction] Il est manifeste que vous ne profitez pas du suivi normal offert par le processus de surveillance des libérations conditionnelles lorsque vous êtes à l’extérieur du pays. Puisque vous faites l’objet d’une ordonnance de surveillance de longue durée, il est particulièrement important que cette surveillance soit maintenue. En fait, le juge qui vous a reconnu coupable des crimes dont vous étiez accusé a indiqué qu’il vous imposait une désignation de délinquant de longue durée en raison de la menace que vous représentiez encore pour la collectivité, qui pouvait être diminuée à un niveau acceptable seulement si vous demeuriez surveillé. [...] [L]e niveau de surveillance inhérent à une ordonnance de surveillance de longue durée constitue l’un des motifs ayant poussé la juge à ne pas vous désigner délinquant dangereux et à ne pas vous condamner à une période d’emprisonnement indéterminée. Ce degré de surveillance exige de la Commission qu’elle examine les circonstances de toutes vos absences proposées.

[12]           La Commission a également décidé de ne pas intervenir sur la demande visant un voyage aux États-Unis aux dates proposées au motif suivant :

[traduction] Le risque posé par chacun des voyages individuellement est acceptable, mais lorsqu’il est tenu compte de l’ensemble des absences, le risque posé devient inacceptable. La demande d’un contrevenant de se rendre à l’étranger constitue une exception à la règle générale selon laquelle il ou elle doit demeurer au Canada, et à plus forte raison lorsque cette personne est visée par une ordonnance de surveillance de longue durée. À un certain point, les exceptions deviennent la règle elle-même et la Commission est d’avis que c’est ce qui s’est passé dans votre cas.

[13]           La Commission a jugé que le risque posé par le demandeur s’il devait se rendre pour une cinquième fois aux États-Unis en 2015 était inacceptable, compte tenu des antécédents du demandeur lors de sa remise en liberté, notamment son départ illégal aux États-Unis, son risque modéré de récidive, son déni catégorique d’avoir commis quelque crime que ce soit et son absence de reconnaissance du tort causé.

II.                Questions en litige

[14]           Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La Commission a-t-elle entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?
  2. La décision de la Commission est-elle raisonnable?

III.             Norme de contrôle

[15]           La question de savoir si la Commission a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, bien que « s’accordant mal » à la norme de contrôle déterminée dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, est examinée selon la norme de la décision raisonnable. Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, aux paragraphes 22 à 25, une décision résultant d’une entrave au pouvoir discrétionnaire est en soi une décision déraisonnable.

[16]           L’examen de fond de la décision de la Commission est également susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, puisque cette question vise l’exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire, qui est un domaine d’expertise hautement spécialisé et qui appelle à la retenue (Latimer c. Canada (Procureur général), 2014 CF 886, au paragraphe 18 [Latimer]; Hurdle c. Canada (Procureur général), 2011 CF 599, au paragraphe 11).

IV.             Analyse

[17]           Les dispositions pertinentes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), et du Règlement se trouvent à l’annexe A.

A.                Question préliminaire

[18]           Tout d’abord, je suis d’avis que le comportement du défendeur ne permet pas de conclure que sa conduite constitue un outrage envers le système judiciaire. Il est impossible de faire droit à la requête du demandeur en fonction de ce motif seulement, comme il le souhaiterait.

[19]           Le demandeur fait valoir qu’en ne se conformant pas à sa demande, formulée en vertu de l’article 317 des Règles, d’obtenir les documents [traduction] « pertinents à l’imposition continue de la restriction relative aux déplacements à l’étranger » en possession de la Commission, le défendeur a commis un outrage au système judiciaire. La Commission a déposé un total de 1 550 pages de documentation réparties en cinq volumes, sans table des matières, indexation ou indication des documents utilisés dans la décision de ne pas intervenir.

[20]           Bien qu’il eut été préférable que le défendeur fasse à tout le moins une pagination et une table des matières du dossier, la portée de la requête du demandeur était suffisamment vaste pour conclure que tous les documents entre les mains de la Commission au moment où elle a rendu sa décision devraient être fournis. Une demande de contrôle judiciaire, sous réserve de rares exceptions, doit s’effectuer en fonction des documents qui étaient en possession du décideur fédéral dont la décision est visée par le contrôle. Dans le même ordre d’idée, l’évaluation de l’ÉGC recommandait de lire l’évaluation conjointement avec plusieurs autres documents figurant au dossier certifié du tribunal [DCT]. Il n’incombe pas à la Commission de déterminer quels sont les documents les plus pertinents ou les plus importants à fournir.

B.                 La commission a-t-elle entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire attribué en vertu de l’alinéa 134.1(4)a) de la Loi?

[21]           Le paragraphe 134.1(1) de la Loi prévoit, sous réserve du paragraphe 4, que les conditions prévues au paragraphe 161(1) du Règlement s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, au délinquant surveillé aux termes d’une ordonnance de surveillance de longue durée. L’alinéa 134.1(4)a) de la Loi prévoit la possibilité de lever ces conditions :

La Commission peut, conformément aux règlements, soustraire le délinquant, au cours de la période de surveillance,

à l’application de l’une ou l’autre des conditions visées au paragraphe (1), ou modifier ou annuler l’une de celles visées aux paragraphes (2) ou (2.1).

[22]           Le demandeur fait valoir que cette disposition démontre que l’intention du législateur est manifestement d’attribuer un vaste pouvoir discrétionnaire à la Commission pour dispenser de certaines conditions les délinquants soumis à une période de surveillance de longue durée en vertu du paragraphe 161(1) du Règlement, comme cela se dégage des éléments suivants :

  1. l’absence de termes qualifiant ce pouvoir discrétionnaire, par exemple par des limites de temps précisées dans la loi, alors que de telles qualifications se retrouvent ailleurs dans la Loi;
  2. l’autorité et le pouvoir discrétionnaire explicite attribués par la disposition permettant de soustraire un délinquant à l’application des conditions dont il fait l’objet ou de modifier ces conditions;
  3. la confirmation unanime de la Cour du vaste pouvoir discrétionnaire dont jouit la Commission en vertu de l’alinéa 134.1(4)a) de la Loi.

[23]           Le demandeur soutient également que la Commission a fondé sa décision sur une politique désuète. La politique en place prévoit que la Commission doit tenir compte de [traduction] « tous les renseignements pertinents relatifs au risque ». En l’espèce, l’évaluation la plus récente du risque posé par le demandeur est celle du Dr Salmon, qui affirme que son risque de récidive est « faible ». La Commission, qui connaissait l’existence de cette évaluation, ne l’a pas mentionnée et n’en a pas tenu compte dans sa décision de rejeter les demandes du demandeur de se rendre à l’étranger.

[24]           Il n’est pas contesté que l’alinéa 134.1(4)a) de la Loi attribue un grand pouvoir discrétionnaire à la Commission pour soustraire les délinquants à l’application des conditions établies au paragraphe 161(1) du Règlement. Il est également bien établi que des manuels de politiques n’ont pas force de loi et ne lient pas le décideur. Il s’agit toutefois d’indicateurs utiles pour guider une prise de décision uniforme et fondée sur des principes, et il est possible qu’une décision contraire à ces politiques constitue un exercice déraisonnable du pouvoir délégué (Latimer, précité, au paragraphe 34, citant Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 72).

[25]           Je ne suis pas d’accord avec le demandeur : il n’y a rien dans la décision de la Commission qui indique qu’elle aurait appliqué à tort une politique désuète, qu’elle aurait agi contrairement à la politique actuelle ou qu’elle se serait uniquement fondée sur la politique pour rendre sa décision, sans tenir compte du pouvoir discrétionnaire attribué en vertu de l’alinéa 134.1(4)a) de la Loi.

[26]           Même si les trois phrases de la décision soulevées par le demandeur proviennent d’une politique antérieure comme il l’allègue, ces phrases établissent uniquement les principes applicables et les considérations en jeu. Il n’y a rien d’inapproprié dans le fait que la Commission souligne la condition prévoyant qu’un délinquant doit demeurer au Canada, mais qu’il peut demander d’être temporairement soustrait à l’application de cette condition. De même, bien qu’il soit indiqué dans la décision que [traduction] « les commissaires tiendront compte de tous les éléments pertinents pour établir si le voyage pourrait avoir pour conséquence d’augmenter le risque posé par le délinquant à la société » sans renvoyer directement à [traduction] « l’évaluation générale et la recommandation de l’agent de libération conditionnelle » tel qu’il est prévu au paragraphe 12 du chapitre 7.1 de la politique en vigueur, il est évident que la Commission a tenu compte de l’évaluation de l’ÉGC et de sa recommandation en rendant sa décision.

[27]           L’allégation du demandeur selon laquelle la Commission n’a pas tenu compte de sa demande en fonction des faits particuliers à l’espèce n’est pas fondée. La Commission a examiné la nature des antécédents criminels du demandeur, ses progrès lors des voyages précédents, sa réintégration, les fins et les détails du voyage, la cohérence du voyage par rapport à son plan correctionnel, qui sont tous des facteurs énumérés au paragraphe 17 du chapitre 7.1 de la politique actuellement en vigueur. Rien en l’espèce ne laisse penser que la Commission a conclu qu’elle était liée par la politique en rejetant la demande de levée permanente de la condition. La Commission a également examiné d’autres facteurs pour rendre sa décision, y compris les éléments dont le juge chargé de la détermination de la peine a tenu compte en imposant une ordonnance de surveillance de longue durée.

C.                 La décision de la Commission est-elle raisonnable?

[28]           Le demandeur soutient qu’il n’y a pas d’éléments de preuve ou de nouveaux renseignements justifiant la conclusion de la Commission selon laquelle la levée permanente de la restriction du demandeur relative aux déplacements à l’étranger ou sa modification aurait pour conséquence d’augmenter le risque posé à la société ou de causer un risque inacceptable pour la société. Il affirme que les éléments de preuve, y compris l’évaluation de l’ÉGC, indiquent plutôt le contraire. Le SCC et la Commission ont approuvé les six voyages précédents du demandeur après avoir tenu compte de sa situation personnelle, de la nature de ses antécédents, du type restreint de personnes alléguant avoir subi des sévices, de l’absence de commission ou d’allégation de commission de toute autre infraction criminelle, de son ouverture à fournir la date, le mode de transport, l’heure et l’objectif de chaque voyage et enfin, de la participation active de son surveillant. Toutes ces visites se sont déroulées sans incident.

[29]           Le demandeur affirme que la Commission, en rejetant sa demande de lever temporairement la condition restreignant ses déplacements à l’étranger, n’a fourni aucune justification pour expliquer sa conclusion selon laquelle [traduction] « lorsqu’il est tenu compte de l’ensemble des absences, le risque posé devient inacceptable ».

[30]           L’alinéa 101a) de la Loi prévoit que la Commission doit tenir compte des éléments de preuve démontrant le degré de risque posé par le demandeur. Celui-ci soutient toutefois que la Commission a ignoré la plus récente évaluation psychologique du Dr Salmon, datée du 26 juin 2015, qui évalue comme faible ou faible à modéré le risque de récidive du demandeur.

[31]           De même, en vertu de l’alinéa 101c) de la Loi, la Commission ne doit maintenir que les restrictions qui, « compte tenu de la protection de la société, ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs de la mise en liberté sous condition ». Les autres conditions prévues à l’alinéa 161(1)a) et au sous-alinéa 161(1)g)(iv) du Règlement exigent toujours du demandeur qu’il avise son surveillant de tous ses projets de voyage et de tous ses déplacements.

[32]           À mon avis, la décision de la Commission de ne pas lever de façon permanente la condition prévue à l’alinéa 161(1)b) du Règlement ou de ne pas la modifier, nonobstant son pouvoir discrétionnaire lui permettant de le faire, est raisonnable, justifiée et cohérente avec la loi et la politique de la Commission.

[33]           Il est manifeste que la Commission avait connaissance des éléments positifs du dossier du demandeur, y compris du succès de ses voyages antérieurs à l’étranger et de la recommandation positive provenant de l’évaluation de l’ÉGC. La Commission est l’organisme expert dont le mandat donné par la loi consiste à rendre de telles décisions. Elle n’est pas liée par l’évaluation de l’ÉGC recommandant de lever la restriction relative aux déplacements à l’étranger.

[34]           Le demandeur souligne à bon droit que la Commission a l’obligation en vertu de l’alinéa 101a) de la Loi de tenir compte des éléments de preuve relatifs au degré de risque posé, mais cette disposition demande également à la Commission de tenir compte :

de toute l’information pertinente dont [elle dispose], notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, la nature et la gravité de l’infraction, le degré de responsabilité du délinquant, les renseignements obtenus au cours du procès ou de la détermination de la peine et ceux qui ont été obtenus des victimes, des délinquants ou d’autres éléments du système de justice pénale, y compris les évaluations fournies par les autorités correctionnelles

[35]           C’est exactement ce que la Commission a fait. Le juge chargé de la détermination de la peine a détaillé ses motifs et ses recommandations de façon exhaustive dans sa décision et ces éléments font partie des motifs déterminants de la décision de la Commission de rejeter la demande du demandeur. La Commission a également tenu compte de la nature et de la gravité des infractions commises, de même que de l’absence de reconnaissance du demandeur des crimes commis. Ces considérations sont conformes au mandat attribué à la Commission par la Loi et le Règlement et à son devoir de considérer comme primordiale, dans ses décisions, la « protection de la société » (article 100.1 de la Loi).

[36]           Je considère comme non fondée l’allégation du demandeur selon laquelle la décision de la Commission ne repose sur aucun élément de preuve. En empêchant le demandeur de retourner temporairement aux États-Unis, la Commission a tenu compte du fait qu’il s’était déjà rendu à quatre reprises aux États-Unis dans l’année et que le juge chargé de la détermination de la peine avait conclu que la menace posée par le demandeur à la société pouvait être ramenée à un niveau acceptable dans la mesure où il demeurait surveillé dans la collectivité, une condition qui ne peut être respectée lorsqu’il se trouve à l’extérieur du Canada. La Commission a expliqué que le cumul des absences du demandeur rendait le risque posé inacceptable et qu’une demande de sortie du pays constituait une exception.

[37]           Je ne suis pas non plus convaincu que la Commission n’a pas tenu compte du rapport psychologique du Dr Salmon daté du 26 juin 2015. La Commission a mentionné ce rapport lorsqu’elle a examiné en détail les observations du demandeur du 17 août 2015 faisant état des notes du rapport psychologique du Dr Salmon. De plus, l’évaluation de l’ÉGC demandait à la Commission de tenir compte de plusieurs documents, y compris les [traduction] « notes d’activité psychologique du 26 juin 2015 » du Dr Salmon, et [traduction] « l’évaluation psychologique du risque [modifiée] du 16 juillet 2014 » de la Dre Scott.

[38]           Ces rapports semblent avoir été fournis pour des raisons différentes. Le rapport de la Dre Scott avait pour objectif d’offrir une opinion psychologique [traduction] « afin d’appuyer le processus décisionnel de la libération conditionnelle ». Les notes d’activité psychologique plus récentes du Dr Salmon ont pour leur part été fournies afin d’expliquer l’interruption des rencontres entre le psychologue et le demandeur, qui constituait pourtant initialement une condition spéciale de mise en liberté du demandeur et qui a par la suite été levée en septembre 2015, sur la foi de l’opinion du psychologue.

[39]           Bien que l’opinion d’un psychologue qui a vu le demandeur à neuf reprises au cours d’une période de deux ans offre une plus grande valeur probante qu’un rapport plus ancien rédigé suite à une rencontre de quelques heures, le rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire n’est pas d’évaluer la preuve de nouveau et l’expertise de la Commission sur ces questions ne peut être ignorée. De même, j’estime que l’absence de renvoi précis de la Commission au rapport du Dr Salmon ne rend pas l’ensemble de la décision déraisonnable au point de faire droit à la demande. L’évaluation psychologique n’est qu’un des éléments parmi plusieurs autres dont la Cour a tenu compte pour rejeter la demande du demandeur.

[40]           La Commission a exposé les motifs de sa décision de façon transparente et intelligible. Son issue est raisonnable et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[41]           Le défendeur demande des dépens forfaitaires de 2 500 $. En fonction de la preuve et des arguments qui m’ont été présentés, je lui octroie des dépens de 1 500 $.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Des dépens établis à 1 500 $ sont adjugés au défendeur.

« Michael D. Manson »

Juge

 


ANNEXE A

Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 :

Conditions de mise en liberté

161 (1) Pour l’application du paragraphe 133(2) de la Loi, les conditions de mise en liberté qui sont réputées avoir été imposées au délinquant dans tous les cas de libération conditionnelle ou d’office sont les suivantes :

a) dès sa mise en liberté, le délinquant doit se rendre directement à sa résidence, dont l’adresse est indiquée sur son certificat de mise en liberté, se présenter immédiatement à son surveillant de liberté conditionnelle et se présenter ensuite à lui selon les directives de celui-ci;

b) il doit rester à tout moment au Canada, dans les limites territoriales spécifiées par son surveillant;

c) il doit respecter la loi et ne pas troubler l’ordre public;

d) il doit informer immédiatement son surveillant en cas d’arrestation ou d’interrogatoire par la police;

e) il doit porter sur lui à tout moment le certificat de mise en liberté et la carte d’identité que lui a remis l’autorité compétente et les présenter à tout agent de la paix ou surveillant de liberté conditionnelle qui lui en fait la demande à des fins d’identification;

f) le cas échéant, il doit se présenter à la police, à la demande de son surveillant et selon ses directives;

g) dès sa mise en liberté, il doit communiquer à son surveillant l’adresse de sa résidence, de même que l’informer sans délai de :

(i) tout changement de résidence,

(ii) tout changement d’occupation habituelle, notamment un changement d’emploi rémunéré ou bénévole ou un changement de cours de formation,

(iii) tout changement dans sa situation domestique ou financière et, sur demande de son surveillant, tout changement dont il est au courant concernant sa famille,

(iv) tout changement qui, selon ce qui peut être raisonnablement prévu, pourrait affecter sa capacité de respecter les conditions de sa libération conditionnelle ou d’office;

h) il ne doit pas être en possession d’arme, au sens de l’article 2 du Code criminel, ni en avoir le contrôle ou la propriété, sauf avec l’autorisation de son surveillant;

i) s’il est en semi-liberté, il doit, dès la fin de sa période de semi-liberté, réintégrer le pénitencier d’où il a été mis en liberté à l’heure et à la date inscrites à son certificat de mise en liberté.

Conditions of Release

161 (1) For the purposes of subsection 133(2) of the Act, every offender who is released on parole or statutory release is subject to the following conditions, namely, that the offender

(a) on release, travel directly to the offender’s place of residence, as set out in the release certificate respecting the offender, and report to the offender’s parole supervisor immediately and thereafter as instructed by the parole supervisor;

(b) remain at all times in Canada within the territorial boundaries fixed by the parole supervisor;

(c) obey the law and keep the peace;

(d) inform the parole supervisor immediately on arrest or on being questioned by the police;

(e) at all times carry the release certificate and the identity card provided by the releasing authority and produce them on request for identification to any peace officer or parole supervisor;

(f) report to the police if and as instructed by the parole supervisor;

(g) advise the parole supervisor of the offender’s address of residence on release and thereafter report immediately

(i) any change in the offender’s address of residence,

(ii) any change in the offender’s normal occupation, including employment, vocational or educational training and volunteer work,

(iii) any change in the domestic or financial situation of the offender and, on request of the parole supervisor, any change that the offender has knowledge of in the family situation of the offender, and

(iv) any change that may reasonably be expected to affect the offender’s ability to comply with the conditions of parole or statutory release;

(h) not own, possess or have the control of any weapon, as defined in section 2 of the Criminal Code, except as authorized by the parole supervisor; and

(i) in respect of an offender released on day parole, on completion of the day parole, return to the penitentiary from which the offender was released on the date and at the time provided for in the release certificate.

(2) Pour l’application du paragraphe 133(2) de la Loi, les conditions de mise en liberté qui sont réputées avoir été imposées au délinquant dans tous les cas de permission de sortir sans surveillance sont les suivantes :

a) dès sa mise en liberté, le délinquant doit se rendre directement au lieu indiqué sur son permis de sortie, se présenter à son surveillant de liberté conditionnelle selon les directives de l’autorité compétente et suivre le plan de sortie approuvé par elle;

b) il doit rester au Canada, dans les limites territoriales spécifiées par son surveillant pendant toute la durée de la sortie;

c) il doit respecter la loi et ne pas troubler l’ordre public;

d) il doit informer immédiatement son surveillant en cas d’arrestation ou d’interrogatoire par la police;

e) il doit porter sur lui à tout moment le permis de sortie et la carte d’identité que lui a remis l’autorité compétente et les présenter à tout agent de la paix ou surveillant de liberté conditionnelle qui lui en fait la demande à des fins d’identification;

f) le cas échéant, il doit se présenter à la police, à la demande de l’autorité compétente et selon ses directives;

g) il doit réintégrer le pénitencier d’où il a été mis en liberté à l’heure et à la date inscrites à ce permis;

h) il ne doit pas être en possession d’arme, au sens de l’article 2 du Code criminel, ni en avoir le contrôle ou la propriété, sauf avec l’autorisation de son surveillant.

(2) For the purposes of subsection 133(2) of the Act, every offender who is released on unescorted temporary absence is subject to the following conditions, namely, that the offender

(a) on release, travel directly to the destination set out in the absence permit respecting the offender, report to a parole supervisor as directed by the releasing authority and follow the release plan approved by the releasing authority;

(b) remain in Canada within the territorial boundaries fixed by the parole supervisor for the duration of the absence;

(c) obey the law and keep the peace;

(d) inform the parole supervisor immediately on arrest or on being questioned by the police;

(e) at all times carry the absence permit and the identity card provided by the releasing authority and produce them on request for identification to any peace officer or parole supervisor;

(f) report to the police if and as instructed by the releasing authority;

(g) return to the penitentiary from which the offender was released on the date and at the time provided for in the absence permit;

(h) not own, possess or have the control of any weapon, as defined in section 2 of the Criminal Code, except as authorized by the parole supervisor.

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20.

Critère prépondérant

100.1 Dans tous les cas, la protection de la société est le critère prépondérant appliqué par la Commission et les commissions provinciales.

Paramount consideration

100.1 The protection of society is the paramount consideration for the Board and the provincial parole boards in the determination of all cases.

Principes

101 La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes suivants :

a) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente dont elles disposent, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, la nature et la gravité de l’infraction, le degré de responsabilité du délinquant, les renseignements obtenus au cours du procès ou de la détermination de la peine et ceux qui ont été obtenus des victimes, des délinquants ou d’autres éléments du système de justice pénale, y compris les évaluations fournies par les autorités correctionnelles;

c) elles prennent les décisions qui, compte tenu de la protection de la société, ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs de la mise en liberté sous condition;

Principles guiding parole boards

101 The principles that guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are as follows:

(a) parole boards take into consideration all relevant available information, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, the nature and gravity of the offence, the degree of responsibility of the offender, information from the trial or sentencing process and information obtained from victims, offenders and other components of the criminal justice system, including assessments provided by correctional authorities;

(c) parole boards make decisions that are consistent with the protection of society and that are limited to only what is necessary and proportionate to the purpose of conditional release;

Conditions de la surveillance de longue durée

Dispense ou modification des conditions

134.1 (4) La Commission peut, conformément aux règlements, soustraire le délinquant, au cours de la période de surveillance, à l’application de l’une ou l’autre des conditions visées au paragraphe (1), ou modifier ou annuler l’une de celles visées aux paragraphes (2) ou (2.1).

Conditions for Long-Term Supervision

Relief from conditions

134.1 (4) The Board may, in accordance with the regulations, at any time during the long-term supervision of an offender,

(a) in respect of conditions referred to in subsection (1), relieve the offender from compliance with any such condition or vary the application to the offender of any such condition; or

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2174-15

 

INTITULÉ :

JAMES ROBERTSON c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 juin 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

DATE DES MOTIFS :

Le 14 juin 2016

COMPARUTIONS :

James W. Robertson

Pour le demandeur

POUR SON PROPRE COMPTE

Timothy E. Fairgrieve

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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