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Date : 20160620


Dossier : IMM-5452-15

Référence : 2016 CF 694

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2016

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

LETICIA NDAYINASE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié voulant que le refus d’une demande de parrainage par un agent des visas du Haut-Commissariat du Canada à Accra, au Ghana (le Haut-Commissariat), n’était pas valide en droit. L’agent des visas avait refusé la demande de parrainage au titre du regroupement familial pour un enfant mineur parce que la répondante, sa mère Leticia Ndayinase, avait omis de fournir les documents permettant d’établir qu’elle avait la garde complète de l’enfant ou une confirmation écrite que le père biologique ne s’opposait pas à la demande de parrainage.

I.                   Contexte

[2]               La défenderesse, Leticia Ndayinase, est une citoyenne du Ghana qui a obtenu le statut de résidente permanente du Canada en mars 2010 à la suite de son mariage avec un citoyen canadien en janvier 2008.

[3]               En décembre 2013, la défenderesse a présenté une demande de parrainage, et il a été déterminé qu’elle remplissait les conditions requises pour parrainer son fils de 14 ans, Emmanuel Ndayina-nse, au titre du regroupement familial.

[4]               Dans le cadre du traitement de la demande de visa de résident permanent, le Haut-Commissariat avait demandé qu’Emmanuel fournisse une « lettre de non-opposition » rédigée par son père biologique, ainsi qu’une photographie signée.

[5]               La défenderesse a fourni une « lettre de non-opposition » rédigée par son père, Joseph Kaku Ndayina-nse, à titre de tuteur légal d’Emmanuel, mais sans joindre les documents prouvant la tutelle légale.

[6]               Le 10 mars 2014, l’analyste de la demande de visa a noté que le nom du père qui figurait sur le certificat de naissance d’Emmanuel était « Kwesi Odroh ». Par conséquent, le Haut-Commissariat a de nouveau demandé qu’Emmanuel fournisse une « lettre de non-opposition » rédigée par Kwesi Odroh ou, à titre subsidiaire, les documents judiciaires démontrant que la défenderesse avait obtenu sa garde complète.

[7]               Les notes de l’analyste de la demande de visa indiquent que la défenderesse avait fourni une déclaration solennelle au début d’avril 2014, mais que les documents demandés n’avaient toujours pas été reçus.

[8]               Le Haut-Commissariat a donc envoyé à Emmanuel une lettre relative à l’équité procédurale l’avisant qu’en vertu du paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), il était tenu de fournir tous les éléments de preuve et documents pertinents dont l’agent avait raisonnablement besoin pour traiter la demande. Les documents ont de nouveau été demandés, et un délai de 30 jours a été accordé.

[9]               Le 10 septembre 2014, un agent des visas a refusé la demande de résidence permanente pour cause de non-respect du paragraphe 16(1) de la Loi (lettre de refus). La lettre de refus indique que d’après les renseignements disponibles, l’agent des visas n’était pas convaincu qu’Emmanuel, un enfant mineur, n’était pas inadmissible et qu’il satisfaisait aux exigences prévues au paragraphe 11(1) de la Loi, puisque son père n’avait pas autorisé son immigration au Canada.

[10]           La défenderesse a interjeté appel à l’encontre du refus auprès de la SAI, et une audience a été tenue le 23 juin 2015.

[11]           Dans sa décision rendue le 16 novembre 2015, la SAI a accueilli l’appel de la défenderesse (la décision). Elle a conclu que dans les circonstances en l’espèce, il serait impossible pour la défenderesse d’obtenir les documents demandés de manière qu’ils soient considérés comme utiles ou véridiques. La décision indique que les motifs de la conclusion sont les suivants :

  1. La défenderesse a expliqué qu’elle avait été incapable d’obtenir une « lettre de non-opposition » : elle a affirmé qu’elle était tombée enceinte à l’âge de 17 ans et qu’elle n’avait pas revu le père biologique d’Emmanuel ni eu de ses nouvelles depuis la naissance de l’enfant. Elle avait tenté en vain de le localiser, et le seul renseignement concernant l’endroit où il se trouvait était qu’il avait peut-être déménagé au Libéria.
  2. La défenderesse a également déclaré qu’elle avait été incapable d’obtenir les documents judiciaires prouvant la garde exclusive demandés en raison de la corruption des tribunaux au Ghana et du coût élevé que représente le recours à un avocat. Elle a affirmé qu’elle était retournée au Ghana en 2014 et qu’elle avait dépensé des sommes importantes pour obtenir une « déclaration solennelle » dénuée de sens, croyant qu’il s’agissait du bon document concernant la garde.

[12]           La décision indique également que le ministre avait examiné ce qu’aurait pu tenter la défenderesse pour obtenir certains types de documents attestant la disparition du père biologique d’Emmanuel ou les documents judiciaires démontrant la garde exclusive.

[13]           La SAI a déterminé que la défenderesse était crédible : elle avait témoigné de manière franche et cohérente, et il n’y avait aucune raison de douter de la véracité de sa version des événements, d’autant plus que personne ne savait où se trouvait le père biologique d’Emmanuel.

[14]           La SAI a cité les paragraphes 14 et 15 applicables de la décision Lan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 770 [Lan], qui traite d’un refus en vertu du paragraphe 16(1) de la Loi, dans lesquels la Cour déclare ce qui suit :

[14]      L’approche préconisée par l’agent des visas ne peut pas tenir puisqu’elle impose un fardeau trop lourd à la demanderesse.

[15]      En effet, il était déraisonnable d’exiger de la demanderesse qu’elle produise des documents difficilement accessibles sinon impossibles à obtenir [...]

[15]           Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, la SAI a conclu que le refus de l’agent des visas n’était pas valide en droit, et a accueilli l’appel.

II.                Question en litige

  1. La SAI a-t-elle rendu une décision raisonnable lorsqu’elle a conclu que le refus de l’agent n’était pas valide en droit?

III.             Norme de contrôle

[16]           Les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit de la SAI doivent faire l’objet d’une grande retenue et d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Ma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 509, au paragraphe 26; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 8).

IV.             Analyse

[17]           Le demandeur affirme que la SAI a rendu une décision déraisonnable, puisque le refus de la demande par l’agent des visas n’était pas invalide en droit, pour le motif que la personne ayant présenté la demande de visa n’avait pas fourni les documents demandés pour démontrer qu’elle satisfaisait aux exigences de la Loi. Un agent des visas est tenu de refuser de délivrer un visa à l’auteur d’une demande qui ne satisfait pas aux exigences prévues à l’article 16 de la Loi (Lan, précitée, au paragraphe 10).

[18]           Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable que la SAI se fonde sur la décision Lan, précitée, puisque la question traitée dans cette affaire diffère de celle en l’espèce. Dans la décision Lan, la demande de documents de l’agent des visas était déraisonnable, car les documents demandés dataient d’avant la période visée et qu’ils étaient sans pertinence en ce qui concerne les préoccupations de l’agent des visas quant à la légalité des fonds indiqués dans la demande de résidence permanente (Lan, précitée, aux paragraphes 12 à 16).

[19]           Le demandeur affirme qu’en l’espèce, les documents demandés par l’agent des visas pour établir la garde d’un enfant mineur s’avèrent d’une grande pertinence pour évaluer la demande de résidence permanente de cet enfant, puisqu’ils permettent de déterminer s’il est sous la garde juridique de quelqu’un d’autre que la personne répondante (Ahumada Rojas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1303, aux paragraphes 12 et 13).

[20]           Le fait que la défenderesse éprouve des difficultés à obtenir les documents demandés n’empêche ni la validité en droit ni le caractère raisonnable de la demande de l’agent des visas à l’égard de certains documents. C’est particulièrement le cas, selon le demandeur, puisque la preuve présentée par la défenderesse va à l’encontre de la tutelle de son fils.

[21]           À cet égard, je ne suis pas de l’avis du demandeur lorsqu’il affirme que la preuve va à l’encontre de la tutelle d’Emmanuel. La transcription révèle qu’Emmanuel avait été confié à la tante de la défenderesse, mais qu’il était parti vivre avec son grand-père lorsque ladite tante était tombée malade. La SAI a conclu que ce témoignage était crédible, et aucune incohérence inexpliquée ne permet de remettre en cause le caractère raisonnable de la décision de la SAI d’accepter la preuve.

[22]           Le demandeur déclare également que la SAI a fait fi des éléments de preuve suivants, qui laissent entendre que la défenderesse n’a pas tenté par tous les moyens d’obtenir les documents demandés et qui vont à l’encontre de la conclusion de la SAI selon laquelle l’obtention des documents était une mission « impossible » :

  1. le régime national d’aide juridique au Ghana offre aux personnes pauvres du soutien à l’égard des questions liées à la garde; les services consultatifs sont gratuits, et une preuve de l’incapacité à payer doit être fournie pour avoir droit à une représentation juridique;
  2. le demandeur a soumis des articles qui datent de 2007 et ne portent que sur des tentatives d’entrave à l’indépendance judiciaire et aux fonctions officielles, et a présenté un site Web de 2013 qui donne l’« impression » que le Ghana est un pays corrompu; il ne s’agit pas d’éléments de preuve récents corroborant l’affirmation de la défenderesse au sujet de l’ampleur de la corruption dans les tribunaux ghanéens.

[23]           Bien qu’elle ne soit pas tenue de faire référence à tous les éléments de preuve dont elle dispose, la SAI devrait examiner et analyser les éléments de preuve probants, en particulier ceux qui vont à l’encontre de sa conclusion. Par conséquent, le demandeur affirme que puisque la SAI a omis d’examiner ces éléments de preuve contradictoires, il était déraisonnable qu’elle conclue qu’il serait « impossible » pour la défenderesse d’obtenir les documents demandés, et ce, sans tenir compte des documents dont elle disposait (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998, 157 FTR 35 (CF), aux paragraphes 16 et 17) [Cepeda-Gutierrez]).

[24]           La défenderesse n’a présenté aucune observation écrite.

[25]           À mon avis, et comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, la SAI a rendu une décision déraisonnable. La SAI a conclu que le refus de la demande de parrainage de la part de l’agent des visas n’était « pas valide en droit », puisque l’agent des visas avait demandé des documents qui, selon la conclusion de la SAI, étaient impossibles à obtenir par la défenderesse de manière qu’ils soient considérés comme utiles ou véridiques pour ce qui est de la demande de visa. En ce qui concerne la capacité de la défenderesse à obtenir une ordonnance judiciaire prouvant la garde, j’estime que la SAI a tiré sa conclusion à cet égard sans tenir compte des faits dont elle disposait.

[26]           La SAI cite la décision Lan, précitée, pour appuyer la thèse selon laquelle il est déraisonnable qu’un agent des visas demande que des documents soient fournis en vertu du paragraphe 16(1) de la Loi s’il est trop difficile, voire impossible, d’obtenir ces derniers. Aux paragraphes 14 et 15 de la décision Lan, précitée, dont la SAI n’a cité qu’un passage, la Cour a déclaré ce qui suit :

[14]      Pourtant la seule préoccupation de l’agent des visas qui l’a conduit à sa décision de refus est la provenance des revenus de la demanderesse accumulés au cours des années 1984 et 1989. L’approche préconisée par l’agent des visas ne peut pas tenir puisqu’elle impose un fardeau trop lourd à la demanderesse.

[15]      En effet, il était déraisonnable d’exiger de la demanderesse qu’elle produise des documents difficilement accessibles sinon impossibles à obtenir, pour une période lointaine dans le temps, qui de plus sont sans pertinence ou d’une pertinence très ténue en ce qui a trait à la preuve de la légalité des fonds indiqués dans sa demande de résidence permanente.

[Non souligné dans l’original.]

[27]           Plus particulièrement, c’est également en raison de la non-pertinence des documents demandés que le refus de l’agent des visas a été jugé déraisonnable dans la décision Lan. Par conséquent, je conclus que la décision Lan s’applique aux  faits en l’espèce dans la mesure où elle indique qu’une demande de documents doit être raisonnable, c’est-à-dire que les documents demandés doivent être pertinents et qu’il doit être possible de les obtenir.

[28]           En fait, c’est essentiellement de ce que signifie le libellé du paragraphe 16(1) de la Loi :

L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis.

[Non souligné dans l’original.]

[29]           En ce qui concerne la « lettre de non-opposition » du père biologique, la SAI disposait des éléments de preuve suivants : (i) la défenderesse n’avait jamais entretenu de liens étroits avec le père de son enfant et leur dernière conversation remontait à avant la naissance d’Emmanuel; (ii) le père biologique n’avait jamais rencontré Emmanuel et n’en avait pris soin en aucune façon, que ce soit sur le plan physique, financier ou émotionnel. À la lumière de ces éléments de preuve acceptés, j’estime que la SAI a rendu une décision raisonnable lorsqu’elle a conclu que la demande d’une « lettre de non-opposition » rédigée par le père biologique n’était pas raisonnablement nécessaire en vertu du paragraphe 16(1) de la Loi (et que cette demande n’était donc pas valide en droit). Compte tenu de l’ensemble de circonstances plutôt uniques en l’espèce, j’estime que cette conclusion est justifiée vu les éléments de preuve dont disposait la SAI et d’après les explications fournies dans les motifs présentés.

[30]           À titre subsidiaire, l’agent des visas avait demandé à la demanderesse de fournir une ordonnance judiciaire prouvant qu’elle avait la garde exclusive de son fils. Conformément au paragraphe 16 (1) de la Loi, il est à la fois raisonnable et pertinent de demander qu’une preuve de la garde soit fournie lorsqu’une « lettre de non-opposition » ne peut être obtenue avant de permettre à un enfant mineur d’immigrer à l’étranger.

[31]           La SAI a conclu que la défenderesse avait livré un témoignage crédible, dans lequel elle avait décrit en détail les efforts considérables qu’elle avait déployés (notamment deux séjours au Ghana, dont un d’une durée d’un mois) et les sommes d’argent importantes qu’elle avait dépensées pour tenter d’obtenir l’ordonnance judiciaire demandée, qui avait finalement été rejetée par le Haut-Commissariat pour le motif que le document obtenu, soit une déclaration solennelle, n’était « pas acceptable ».

[32]           Lors de l’audience, la défenderesse avait également fait part des difficultés qu’elle aurait éprouvées si elle avait tenté d’obtenir une ordonnance judiciaire prouvant la garde au Ghana. Elle l’avait démontré en décrivant la corruption qui sévissait dans les tribunaux ghanéens de même que les conséquences qu’une tentative d’obtenir une telle ordonnance auraient sur elle et sa famille, en prenant en considération le temps consacré, les dépenses, la perte d’emploi et l’effet sur le soutien financier constant qu’elle apportait à son fils et à sa famille.

[33]           Malgré ce témoignage, j’estime que la SAI a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments de preuve lorsqu’elle a conclu qu’il serait impossible pour la défenderesse d’obtenir les documents demandés de manière qu’ils soient considérés comme utiles ou véridiques. Par conséquent, j’estime qu’il était également déraisonnable que la SAI conclue que la demande de l’agent des visas visant ces documents était invalide en droit.

[34]           Aux termes de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, la Cour peut annuler une conclusion de fait tirée par un tribunal si elle est convaincue que ce dernier « [...] a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose [...] » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 46). Il est assez évident que le législateur souhaitait que les conclusions de fait administratives fassent l’objet d’une très grande retenue.

[35]           Bien qu’il soit établi que la SAI n’était pas tenue d’examiner chaque élément de preuve dont elle disposait, le dossier contient certains éléments de preuve qui, tout en étant essentiels, vont à l’encontre de la conclusion de la SAI selon laquelle il serait impossible pour la défenderesse d’obtenir une ordonnance judiciaire prouvant la garde. Quoiqu’une déclaration précisant que le décideur « a examiné toute la preuve documentaire et le témoignage qui lui ont été présentés » puisse être suffisante dans certains cas pour garantir aux parties et à la Cour que la SAI s’est obligée à examiner la totalité de la preuve, une telle déclaration générale ne suffit pas lorsque les éléments de preuve n’ayant fait l’objet d’aucune discussion dans les motifs semblent carrément aller à l’encontre de la conclusion de fait de l’organisme (Cepeda-Gutierrez, précitée, aux paragraphes 16 et 17).

[36]           Dans sa conclusion selon laquelle il était impossible d’obtenir les documents demandés, la SAI n’a fourni aucune analyse des éléments de preuve fournis qui allaient à l’encontre de cette conclusion; à mon avis, cette omission laisse supposer que la SAI a tiré sa conclusion en faisant fi des documents dont elle disposait (Cepeda-Gutierrez, précitée, au paragraphe 17).

[37]           Les éléments de preuve suivants vont directement à l’encontre de la conclusion de la SAI, et la décision ne contient aucune discussion quant au motif pour lequel il serait impossible pour la défenderesse d’obtenir les services visés, ou pour lequel la preuve avait finalement été rejetée, qui aurait permis à la SAI de raisonnablement conclure qu’il était impossible d’obtenir l’ordonnance judiciaire.

[38]           D’abord, le demandeur a fourni la preuve du régime d’aide juridique au Ghana, qui est gratuit pour les enfants de moins de 18 ans, lesquels « ne sont pas tenus de démontrer leur capacité à payer ». La défenderesse ne savait pas que cette aide existait ni que son fils ou le grand-père de celui-ci aurait eu la possibilité d’obtenir ce soutien. La preuve versée au dossier explique que les services sont offerts à l’égard des affaires au civil, y compris pour la garde.

[39]           Ensuite, dans le dossier dont était saisie la SAI, mais que celle-ci n’a mentionnée nulle part dans ses motifs, figure l’échelle des frais qu’a adoptée la Ghana Bar Association (l’association des avocats du Ghana), dans laquelle sont indiqués le prix d’une première consultation, les taux horaires des avocats selon leur ancienneté ainsi que les coûts estimatifs d’une procédure judiciaire, y compris en ce qui concerne la garde. Dans son témoignage, la défenderesse a déclaré qu’elle avait déjà dépensé environ 10 000 $ CAN en tentant de trouver le père biologique et pour payer le montant nécessaire pour obtenir une déclaration solennelle auprès des tribunaux ghanéens plutôt qu’une ordonnance judiciaire. Bien qu’elle n’ait fourni aucun document corroborant cette déclaration, son témoignage a été jugé crédible et accepté.

[40]           Compte tenu des éléments de preuve susmentionnés, et vu qu’aucun de ceux-ci n’a été écarté ou jugé non probant, il est difficile de concevoir comment la SAI en est arrivée à la conclusion qu’il serait « impossible » pour la défenderesse d’obtenir une ordonnance judiciaire. En outre, rien n’indique que la défenderesse avait épuisé toutes les options raisonnables dont elle disposait : lorsque la déclaration solennelle avait été rejetée par l’agent des visas du fait qu’elle était insuffisante pour prouver la garde, la défenderesse n’avait ni tenté d’obtenir une ordonnance judiciaire, ni demandé à son père ou à son fils de tenter d’en faire la demande au Ghana, ni examiné les délais qu’une telle demande exigerait.

[41]           Dans son témoignage, que la SAI a accepté, la défenderesse a affirmé qu’elle ne faisait pas confiance aux tribunaux et qu’elle les croyait corrompus. Cette affirmation est compréhensible compte tenu de l’expérience négative que la défenderesse a connue jusqu’à maintenant en payant pour un document qu’elle croyait être une ordonnance de garde. Néanmoins, les seuls autres éléments de preuve qui ont été présentés à la SAI sur la question de la corruption des tribunaux au Ghana consistent en deux articles d’une page datant de 2007, de même qu’un site Web, indiquant que le Ghana est classé au troisième rang des pays perçus parmi les plus corrompus. La SAI était libre d’accepter ces éléments de preuve plutôt que ceux fournis par le demandeur. Toutefois, en l’absence de conclusions expresses et d’une analyse des motifs pour lesquels les éléments de preuve selon lesquels il ne serait pas possible pour la défenderesse d’obtenir une ordonnance judiciaire n’ont pas été acceptés, la Cour a le droit de déduire que ces éléments de preuve contradictoires n’ont pas été pris en compte par la SAI lorsqu’elle a tiré sa conclusion de fait.

[42]           Aux termes du paragraphe 11(1) de la Loi, l’agent des visas doit être convaincu « que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi » pour accepter une demande de visa de résident permanent. Or, en l’espèce, l’agent des visas n’était pas convaincu de l’admissibilité du fils de la défenderesse, puisque les documents requis aux fins de l’immigration d’un enfant mineur n’avaient pas été reçus.

[43]           Bien que j’aie de la compassion à l’égard du désir de la défenderesse de se retrouver avec son fils, l’agent des visas a non seulement le droit, mais le mandat d’exiger, pour un motif raisonnable, que la défenderesse prouve au moyen d’un document valide qu’elle a la garde de son enfant mineur, en vertu du paragraphe 16(1) de la Loi, en fournissant : 1) soit une « lettre de non-opposition » rédigée par le père biologique, ce qui, je le concède, n’était pas possible en l’espèce, tel que l’a conclu la SAI; 2) soit des documents judiciaires indiquant que la défenderesse a la garde exclusive de son fils, lesquels n’ont été ni obtenus ni fournis.

[44]           La défenderesse connaît maintenant les options dont elle disposait, et puisqu’elle n’a tenté aucune de celles-ci et que la Cour ne connaît pas les motifs pour lesquels la SAI a finalement déterminé qu’il serait impossible d’obtenir les documents demandés malgré les éléments de preuve contradictoires dont elle disposait, j’estime que la SAI a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments de preuve lorsqu’elle a conclu que le refus de l’agent des visas n’était pas valide en droit. Par conséquent, j’accueillerais la demande et renverrais l’affaire à la SAI pour qu’elle procède à un nouvel examen, conformément aux motifs susmentionnés.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAI pour réexamen;

2.                  Aucune question aux fins de certification.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5452-15

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. LITICIA NDAYINASE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Timothy Fairgrieve

Pour le demandeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Leticia Ndayinase

New Westminster (Colombie-Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

POUR SON PROPRE COMPTE

 

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