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Date : 20160720


Dossier : IMM-440-16

Référence : 2016 CF 833

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

ARBEN RECI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) d’une décision datée du 16 décembre 2015 (décision) rendue par un agent d’immigration principal (l’agent) qui a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur.

II.                CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Albanie. Il allègue avoir été témoin d’une tentative de meurtre en Albanie en 2012. Après en avoir identifié l’auteur à la police albanaise, il a commencé à recevoir des menaces de mort de la famille de l’auteur et on lui a dit de retirer son témoignage. Le demandeur affirme qu’à cette époque, la famille de la victime l’avait menacé de porter atteinte à sa vie s’il se rétractait.

[3]               En février 2012, le demandeur a déménagé avec sa famille au domicile des parents de son épouse à Buzmadh en Albanie, une ville située à environ 100 km de Mamurras, où il avait reçu des menaces.

[4]               Le ou vers le 1er septembre 2012, le demandeur est arrivé au Canada, et a présenté sa demande d’asile à Vancouver en Colombie-Britannique le 14 septembre 2012. Dans une décision en date du 1er mai 2014, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que le demandeur avait des possibilités de refuge interne (PRI) viables en Albanie, soit à Tirana, à Kukes ou à Elbasan.

[5]               Le 16 septembre 2014, le demandeur affirme que son fils mineur et son neveu ont été menacés par des individus cagoulés à moto à Mamurras qui ont dit qu’ils tueraient le demandeur et son fils si le demandeur ne revenait pas du Canada. La famille du demandeur est immédiatement retournée à Buzmadh pour des raisons de sécurité.

[6]               Le ou vers le 12 mars 2015, le frère du demandeur a reçu un message texte anonyme menaçant les enfants du demandeur.

[7]               En mai 2015, le demandeur a fait une demande d’ERAR.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8]               Dans la décision, l’agent évaluant la demande d’ERAR affirme que le demandeur avait un PRI viable à Tirana, à Elbasan ou à Kukes et ne serait donc pas exposé à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté, torturé, tué ou soumis à des peines ou traitements cruels et inusités s’il était renvoyé en Albanie.

[9]               À la suite de la décision de la SPR, le demandeur a fourni des rapports de police et des rapports psychologiques en lien avec les menaces reçues par son frère, son fils et son neveu. Sur la foi de ces documents, l’agent a accepté que les membres de la famille du demandeur eussent été soumis à des menaces et personnellement touchés par ces menaces à Mamurras.

[10]           L’agent a examiné la situation courante en Albanie pour déterminer si les conditions dans le pays avaient considérablement changé depuis la décision de la SPR de manière à représenter un risque menaçant personnellement le demandeur. L’officier a fait observer que, bien que les vendettas soient répandues en Albanie, le gouvernement et les organisations non gouvernementales ont mis en application des sanctions plus sévères ainsi qu’un appui à la réconciliation des familles touchées.

[11]           L’agent a aussi noté que, bien que le demandeur ait déclaré que sa famille a résidé à Buzmadh pendant deux ans et demi sans incident ni menace de l’agresseur du demandeur, Buzmadh ne constituerait pas une PRI viable pour la famille du demandeur en raison de difficultés liées à l’approvisionnement en denrées alimentaires et à l’absence d’écoles et de possibilités d’emploi.

[12]           Toutefois, en ce qui concerne l’aspect pratique de Tirana, d’Elbasan ou de Kukes comme PRI, l’agent a conclu, tout comme la SPR, que le demandeur n’avait pas réussi à apporter la preuve que ses agresseurs le recherchaient à l’extérieur de sa ville natale de Mamurras. Tirana, la capitale de l’Albanie, est un centre économique prospère, et la sœur et le beau-frère du demandeur y vivent. Elbasan et Kukes sont de plus petite taille par rapport à Tirana, mais sont développées et offrent une gamme de services à leurs résidents. Étant une personne ayant de l’instruction et de l’expérience de travail, le demandeur ne devrait pas avoir du mal à s’établir dans l’un de ces endroits. L’agent a confirmé la conclusion de la SPR voulant que ces trois villes constituaient des PRI pertinentes et raisonnables.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[13]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans le cadre de la présente demande :

1.      L’agent a-t-il appliqué le critère juridique approprié dans sa conclusion relative à une PRI en Albanie?

2.      L’agent a-t-il commis une erreur de droit en concluant à l’existence d’une PRI dans les villes de Tirana, de Kukes et d’Elbasan?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[14]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une analyse de la norme de contrôle dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la Cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque la jurisprudence est muette ou qu’elle semble incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que l’examen des quatre facteurs de cette analyse est nécessaire : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[15]           Le demandeur soutient que ces deux questions sont des questions de droit et sont donc susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte. Le défendeur affirme cependant que l’appréciation de la preuve et les conclusions d’un agent évaluant une demande d’ERAR sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable : Manickavasagar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 429, au paragraphe 23.

[16]           Seules de pures questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte. La première question a trait au fait de déterminer si le décideur a appliqué les éléments juridiques énoncés dans la jurisprudence dans l’application du critère d’analyse de la PRI. Sur le plan de l’équité procédurale, les allégations de partialité seront examinées selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 44 [Khosa]).

[17]           Cependant, en dépit du libellé utilisé par le demandeur, j’ai tendance à interpréter la deuxième question comme une question qui touche au caractère raisonnable de la conclusion relative à la PRI de l’agent dans son ensemble. L’application par le décideur du critère d’analyse de la PRI aux faits est une question mixte de fait et de droit et implique des aspects qui relèvent de l’expertise d’un agent évaluant une demande d’ERAR : une évaluation des circonstances et des conditions particulières du pays : Mohamed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 758, au paragraphe 19; Morales c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 557, au paragraphe 38. Cette deuxième question sera donc examinée selon la norme de la décision raisonnable.

[18]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmir, précité, au paragraphe 47, et Khosa, précité, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Demande de protection

Application for protection

112 (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

112 (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

VII.          ARGUMENTS

A.                Demandeur

[19]           Le critère à deux volets applicable à l’analyse de la PRI exige : (i) qu’il n’y ait pas de possibilité sérieuse que l’individu soit persécuté dans la région de la PRI; (ii) que les conditions de la proposition de PRI soient telles qu’il n’est pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, pour un individu d’y chercher refuge : Rasaratnam c. (Emploi et Immigration Canada), [1992] 1 CF 706, à la page 711 (CAF) [Rasaratnam]; Thirunavukkarasu c. (Emploi et Immigration Canada), [1994] 1 CF 589 (CAF).

[20]           En ce qui concerne le premier volet du critère applicable à l’analyse de la PRI, le demandeur soutient que l’agent a mal exposé les exigences. La norme en ce qui concerne le premier volet n’est pas de savoir si la PRI est pertinente, mais plutôt de savoir s’il n’existe pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans la partie du pays où est située la PRI proposée : Gallo Farias c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1035, paragraphe 34. Le demandeur affirme qu’il était particulièrement important que l’agent examine adéquatement le premier volet du critère applicable à la PRI puisque les persécuteurs du demandeur le pourchassaient encore trois ans après qu’il eut été témoin de la tentative de meurtre. Une mauvaise application du droit applicable au critère d’analyse de la PRI constitue une erreur en droit qui rend nulle la conclusion relative à la possibilité de refuge intérieur : Mendoza Velez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 132.

[21]           Le demandeur soutient également que l’agent a commis une erreur dans l’évaluation du deuxième volet du critère applicable à la PRI. Il ressort manifestement de la preuve psychologique fournie par le demandeur que le fils et le neveu du demandeur souffraient d’effets secondaires psychologiques liés aux menaces. Toutefois, l’agent n’a pas tenu compte de cette situation personnelle en évaluant le caractère raisonnable de la PRI. Le demandeur fait valoir que, bien que l’agent ait le droit d’évaluer si l’impact psychologique sur un enfant est assez important pour rendre la PRI déraisonnable, il ne peut pas l’ignorer prima facie comme un facteur pertinent qui doit être apprécié dans le second volet du critère applicable à la PRI : Sinnathamby c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 334. C’est particulièrement le cas puisque la SPR avait analysé l’incidence de rester à Buzmadh sur l’intérêt des enfants si ces derniers devaient y rester.

[22]           Le demandeur affirme que l’évaluation du caractère raisonnable d’une proposition de PRI ne se limite pas à de simples considérations de sécurité physique et implique l’examen des mêmes facteurs qui sont pris en compte lorsqu’il s’agit de prendre une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, notamment des situations et des facteurs liés aux enfants : Ramachanthran c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CFPI 673. Étant donné que l’agent a estimé que les menaces proférées contre le fils du demandeur étaient crédibles, il y avait une obligation d’évaluer s’il était raisonnable d’exiger de réinstaller l’enfant dans une autre partie de l’Albanie. En omettant d’examiner la preuve psychologique concernant le fils du demandeur, l’agent a commis une erreur susceptible de révision.

B.                 Défendeur

[23]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas satisfait au fardeau lui incombant de fournir « une preuve réelle et concrète » démontrant que sa vie et sa sécurité seraient mises en péril dans la PRI proposée : Ranganathan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2001] 2 CF 164, aux paragraphes 10, 13 et 15. Les éléments de preuve soumis après la décision de la SPR ne font que confirmer que la famille du demandeur serait en péril à Mamurras, ce qui avait déjà été accepté. La petite taille de l’Albanie et la nature des vendettas n’excluent pas une PRI, et le demandeur n’a fourni aucune preuve convaincante qu’il ne peut pas se réinstaller ailleurs qu’à Mamurras en toute sécurité.

[24]           Le demandeur n’a pas exposé à l’agent le fait que son fils souffrait d’une détresse psychologique telle qu’il ne pouvait vivre où que ce soit en sécurité en Albanie. Le bref rapport psychologique fourni par le demandeur n’a pas été ignoré par l’agent; il n’indiquait seulement que le fils était troublé, effrayé et anxieux au moment de remplir un rapport de police après l’incident dans lequel lui-même et son cousin ont été menacés. Il ne formulait aucun avis démontrant que le fils souffrirait de détresse psychologique chronique s’il devait vivre où que ce soit en Albanie. L’agent n’était pas tenu de faire des hypothèses quant au pronostic du fils du demandeur.

[25]           Le défendeur estime que l’affirmation du demandeur selon laquelle l’agent a appliqué le mauvais critère juridique est sans fondement. Le libellé « pertinente et raisonnable  » est utilisé par la Cour et dans les lignes directrices du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Voir Sanabria Osuna c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 588, au paragraphe 9.

[26]           L’agent a remarqué que, sans preuve du contraire, les agresseurs ont limité leur recherche du demandeur à sa ville natale de Mamurras. L’agent a directement examiné le critère juridique applicable : s’il y avait une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté à Tirana, à Elbasan et à Kukes.

VIII.       ANALYSE

A.                Le mauvais critère juridique

[27]           Le demandeur prétend que l’agent fait erreur quant au critère juridique applicable au premier volet de l’analyse de la PRI. Au lieu de demander s’il y avait une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans l’une des trois PRI proposées, en accord avec Rasaratnam, précité, l’agent a demandé si les PRI étaient « pertinentes »

[28]           L’agent utilise effectivement le mot « pertinentes » dans ses conclusions :

Dans le critère à deux volets applicable à l’établissement d’une PRI, la PRI en question doit être pertinente et raisonnable. Comme il a été dit plus tôt, la SPR a déjà envisagé les villes de Tirana, d’Elbasan et de Kukes comme des PRI viables pour le demandeur principal. Le fardeau d’établir qu’il n’existe pas de PRI, ou qu’il serait déraisonnable d’exiger qu’il retourne dans une PRI, incombe au demandeur principal. Compte tenu de l’information à ma disposition et de mes recherches, j’estime que le demandeur principal ne s’est pas acquitté de ce fardeau. Par conséquent, je conclus qu’une PRI pertinente et raisonnable existe à Tirana, à Elbasan ou à Kukes pour ce demandeur. Je ne puis donc conclure qu’il existe plus qu’une simple possibilité qu’il soit exposé à un risque de persécution s’il devait retourner en Albanie. De même, je suis incapable de conclure qu’il serait probablement exposé à un risque de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[29]           Il est clair que l’agent est pleinement conscient qu’il existe un « critère à deux volets » dans l’analyse d’une PRI. Il est également clair que, dans la décision dans son ensemble, l’agent évalue le risque pour le demandeur, conformément à la jurisprudence sur le sujet. Tout au long de la décision, l’agent s’occupe de déterminer s’il y a une possibilité sérieuse que le demandeur soit exposé à un danger de la part de ceux qui l’ont menacé s’il devait se réinstaller avec sa famille dans l’une ou l’autre des PRI proposées. Et, comme le souligne l’agent, la SPR a déjà conclu que [traduction] « les villes de Tirana, d’Elbasan et de Kukes sont des PRI viables pour le demandeur principal » en respectant le critère à deux volets. La Cour a rejeté la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la SPR, de sorte que la décision tient et l’agent n’était tenu que d’examiner la nouvelle preuve pour voir si le risque et le caractère raisonnable avaient changé. C’est exactement ce qu’il a fait. Le demandeur affirme que, vu que l’agent a utilisé le mot « pertinentes » on ne peut clairement discerner le critère juridique qu’il a appliqué au premier volet de l’analyse de la PRI. Ainsi, le demandeur tente, par une subtilité terminologique (l’utilisation du mot « pertinentes »), d’établir une erreur susceptible de révision. Rien ne suggère cependant dans la décision que l’agent ait voulu dire autre chose par « pertinentes » que le demandeur ne serait pas en danger s’il déménageait avec sa famille à l’une des trois PRI. En d’autres termes, les PRI sont « pertinentes » à la situation du demandeur parce qu’il n’y a pas de risque sérieux de persécution dans ces endroits.

[30]           La Cour ne peut pas faire prévaloir la forme sur le fond. Le paragraphe de la décision dans lequel le mot apparaît indique clairement ce que le mot signifie. L’agent fait référence à la décision de la SPR et souligne que la SPR [traduction« a déjà envisagé les villes de Tirana, d’Elbasan et de Kukes comme des PRI viables pour le demandeur principal » L’agent fait référence aux deux volets du critère lorsqu’il déclare que [traduction] « Le fardeau d’établir qu’il n’existe pas de PRI, ou qu’il serait déraisonnable d’exiger qu’il retourne dans une PRI, incombe au demandeur principal ». Il n’y a pas de PRI possible dans un endroit où il y a une possibilité sérieuse de persécution au sens de l’article 96, ou de risque au sens de l’article 97, selon la prépondérance des probabilités. S’il y a une possibilité sérieuse de persécution au sens de l’article 96, alors la PRI ne constitue pas un endroit pertinent justifiant l’analyse selon le second volet du critère. Rien dans la décision dans son ensemble ne suggère que l’agent n’a pas évalué le risque associé aux PRI proposées lors de l’examen des nouveaux éléments de preuve.

[31]           Il n’y a aucune erreur susceptible de révision à cet égard.

B.                 Caractère raisonnable

[32]           Le demandeur soutient également que, dans l’examen du deuxième volet du critère applicable à la PRI dans Rasaratnam, précité, l’agent a omis d’examiner si le rapport sur la condition psychologique du fils du demandeur rendait la PRI déraisonnable dans toutes les circonstances. En d’autres termes, il soutient que l’agent [traduction] « a fait fi de l’impact psychologique des menaces qui pèsent sur le fils de M. Reci en tant que facteur pertinent dans l’évaluation du caractère raisonnable de la PRI et, ce faisant, a commis une erreur de droit ».

[33]           Le rapport en question se lit comme suit [traduction] :

ÉNONCÉ

Je, Florinda Jakaj, psychologue au poste de police de Kurbin, déclare que le 17 septembre 2014, j’étais présent au moment de l’interrogatoire de deux mineurs, Flogest Arben Reçi âgé de 11 (onze) ans et Eglis Bardhyl Reçi âgé de 12 (douze) ans, résidant à Mamurras.

Concernant le cas que les parents ont dénoncé aux autorités policières voulant que les deux aient reçu des menaces de mort de deux motocyclistes.

Dans leur déclaration à la police, les deux jeunes ont été jugés troublés psychologiquement, effrayés et anxieux.

Nous produisons cette déclaration à la demande du demandeur.

Laç, le 20 octobre 2014.

[34]           Ce rapport ne nous révèle rien de plus que le fait que les enfants étaient « troublés psychologiquement, effrayés et anxieux » lorsqu’ils ont fait leurs déclarations à la police relatant ce que les motocyclistes qui les avaient abordés leur avaient dit et les menaces qu’ils avaient proférées. Le rapport a de toute évidence été soumis pour démontrer l’existence de menaces et qu’elles devaient être prises au sérieux. L’agent a accepté cette preuve et l’a prise en compte.

[35]           Le rapport ne fait aucunement état des conséquences psychologiques sur les enfants d’un déménagement dans une PRI sûre, de sorte qu’il n’y a pas de preuve de l’impact psychologique d’un renvoi vers une PRI dont l’agent n’aurait pas tenu compte.

[36]           De toute évidence, les enfants ont été effrayés par les menaces et rien ne démontre que leurs craintes ne s’estomperaient pas s’ils devaient déménager dans l’une des PRI proposées, ou qu’ils subiraient quelque autre préjudice. En fait, l’ensemble de la preuve suggère que les enfants ont besoin d’être déplacés à un endroit où la vie normale peut reprendre et où ils peuvent aller à l’école.

[37]           On ne peut pas soutenir que cet élément de preuve constitue un rapport psychologique. Cela révèle simplement que [traduction] « Dans leur déclaration à la police, les deux jeunes ont été jugés troublés psychologiquement, effrayés et anxieux. » Aucune condition psychologique dont l’agent pourrait tenir compte n’est indiquée et le demandeur n’a pas demandé à l’agent d’examiner l’état psychologique des enfants dans son évaluation de la PRI. La jurisprudence que cite le demandeur porte sur des rapports de fond ou des situations où les enfants sont laissés à eux-mêmes au Canada et que les parents font l’objet d’un renvoi, ou dans des situations où des adolescents sont renvoyés en Somalie où ils n’ont pas de parents. Il ne s’agit aucunement d’une situation analogue lorsqu’il y a un élément de preuve psychologique à apprécier ou lorsque le fait de réinstaller des enfants crée un danger évident qui aurait dû être abordé.

[38]           Le demandeur a également déclaré que la décision est déraisonnable parce que l’agent a omis d’examiner si l’escalade et l’évolution des menaces mentionnées dans les nouveaux éléments de preuve ont révélé que les auteurs du préjudice avaient la motivation et la capacité de le pourchasser, lui et sa famille, dans les PRI.

[39]           Rien dans la nature des menaces elles-mêmes ne laissait penser que les auteurs du préjudice seraient prêts ou capables de retrouver le candidat et sa famille dans les PRI. La décision elle-même, cependant, indique de toute évidence que l’agent était conscient de cette question et en a tenu compte. L’agent souligne que le village de Buzmadh [traduction« procurait aux membres de la famille du demandeur principal le refuge dont ils avaient besoin depuis plusieurs années », même s’il ne constituait pas une PRI raisonnable dans le cadre du deuxième volet de l’analyse du critère applicable à la PRI. L’agent a également fait remarquer que la SPR [traduction] « a conclu que le demandeur n’avait apporté aucun élément de preuve démontrant que ses agresseurs sévissaient à l’extérieur de la ville de Mamurras, et qu’en l’absence d’éléments probants objectifs, la commissaire a conclu que les villes de Tirana, d’Elbasan et de Kukes constituaient des PRI objectivement raisonnables pour le demandeur principal et sa famille ».

[40]           En ce qui a trait aux nouveaux éléments de preuve présentés à l’agent, la décision indique manifestement que l’agent a examiné la preuve, mais ne pense pas que le risque de préjudice s’étend au-delà de Mamurras :

Le demandeur principal allègue que la ville de Tirana est « trop près de Mamurras », où il prétend qu’il y a un risque de préjudice grave. J’ai constaté par une recherche sur Google en utilisant l’expression « Mamurras à Tirana » que Tirana se trouve à environ une heure de route de Mamurras (53 minutes). Je conviens que Tirana est relativement proche de Mamurras. Cependant, je remarque de l’audience de la SPR du demandeur principal, que la commissaire [sic] n’avait « aucune preuve crédible » qui la conduise à conclure que les agresseurs du demandeur principal le pourchassaient à l’extérieur de sa ville natale de Mamurras. Je note également que dans la demande d’ERAR, le demandeur principal n’a pas fourni de preuve pour réfuter la déclaration de la commissaire selon laquelle le risque de préjudice évoqué par le demandeur principal, selon les éléments de preuve présentés à l’audience, est circonscrit à Mamurras. En outre, les nouveaux éléments de preuve qui ont été présentés soulignent [sic] des incidents survenus à Mamurras. Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, je trouve qu’il est plus que probable, sans preuve du contraire, que les agresseurs du demandeur principal ont limité leurs recherches dans sa ville natale.

[41]           Cette analyse montre bien que la proximité de Mamurras a constitué un facteur dans l’évaluation que le candidat a faite du risque auquel il est exposé, et que l’agent a estimé que les nouveaux éléments de preuve confirmaient que les agresseurs n’étaient pas disposés à rechercher le demandeur ou sa famille au-delà de Mamurras. Le demandeur peut ne pas être d’accord avec cette conclusion, mais, à mon avis, il ne peut pas soutenir que la question n’a pas été examinée ou que les conclusions de l’agent sur la question n’appartiennent pas à la gamme des issues acceptables défendables au regard des faits et du droit.

[42]           En conclusion, je ne pense pas que les arguments soulevés par le demandeur établissent l’existence d’une erreur susceptible de contrôle dans la décision.

[43]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande est rejetée.

2.      Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« James Russell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-440-16

 

INTITULÉ :

ARBEN RECI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Shane Molyneaux

Pour le demandeur

 

Alison Brown

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shane Molyneaux Law Office

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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