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Date : 20160720


Dossier : IMM-4111-15

Référence : 2016 CF 846

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2016

EN PRÉSENCE DE monsieur le juge Southcott

ENTRE :

SHU FEN LU

JIN HUI SU

ZHI YING SU

XU YANG SU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 16 août 2015, confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]               La présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.                   Contexte

[3]               Shu Fen Lu, son mari, Jin Hui Su, et leurs enfants, Zhi Ying Su et Xu Yang Su, sont des citoyens de la Chine. Comme l’indique la décision rendue par la SAR, leur requête est fondée sur le fait que monsieur et madame Lu sont contrevenus à la politique de planification familiale de la Chine. Mme Lu et son mari ont eu une fille, mais souhaitaient également avoir un fils; en août 2010, Mme Lu s’est rendue à une clinique privée pour faire retirer son dispositif intra-utérin. Elle est tombée enceinte peu après et leur fils est né le 19 juillet 2011.

[4]               Mme Lu a reçu une amende pour avoir omis de se présenter à l’examen obligatoire relatif à son dispositif intra-utérin et pour avoir donné naissance à un deuxième enfant. Trois mois plus tard, lorsqu’elle s’est rendue à la clinique de contrôle des naissances pour se faire insérer un dispositif intra-utérin, elle a reçu un diagnostic d’inflammation pelvienne grave. Comme solution de rechange au dispositif intra-utérin, on lui a exigé de se présenter à un suivi de grossesse mensuel; on a également fourni des condoms à son mari.

[5]               Mme Lu allègue qu’elle a constaté qu’elle était encore enceinte en décembre 2013 et qu’elle est allée se cacher chez une tante. En janvier 2014, son mari a reçu un avis d’amende puisqu’elle ne s’était pas présentée à son suivi mensuel. Elle allègue qu’en avril 2014, quatre agents de contrôle des naissances se sont présentés à la résidence de sa tante et l’ont forcé à se faire avorter. On l’a également informé qu’elle devrait être stérilisée pour s’assurer qu’elle n’aura plus d’enfant.

[6]               En juin 2014, les demandeurs ont trouvé un passeur qui les a aidés à venir au Canada. Ils sont arrivés le 1er février 2015. Ils allèguent que, depuis qu’ils ont quitté la Chine, les agents de contrôle des naissances se sont présentés à leur résidence et y ont laissé un avis d’amende puisque Mme Lu ne s’est pas présentée à sa chirurgie de stérilisation.

[7]               Le 3 juin 2015, la SPR a rejeté la demande des demandeurs, qui ont ensuite interjeté appel auprès de la SAR. Aucune audience n’a été tenue devant la SAR et les demandeurs n’ont présenté aucune nouvelle preuve.

II.                Décision contestée

[8]               La SAR a examiné la question soulevée par les demandeurs, y compris l’évaluation de la crédibilité de la SPR, les conclusions sur les questions secondaires et l’évaluation des documents personnels présentés à l’appui de la requête.

[9]               La crédibilité constituait la question déterminante de l’appel. D’abord, la SPR a constaté que Mme Lu a présenté de la preuve incohérente relative au moment où elle a cessé de travailler en Chine et qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’elle se souvienne de cette période, car elle a indiqué avoir quitté son emploi afin de quitter la Chine. La SAR convient avec la SPR que ces incohérences ont nui à la crédibilité de Mme Lu.

[10]           Ensuite, la SPR a conclu que si Mme Lu se cachait, il n’était pas raisonnable qu’elle continue d’aller au travail, même un ou deux jours par semaine, comme elle l’a témoigné à l’audience. La SAR a conclu que cette preuve était essentielle à la requête. La SAR a également conclu que son témoignage selon lequel elle s’est cachée contrastait avec son témoignage selon lequel elle travaillait un ou deux jours par semaine; par conséquent, elle ne s’est probablement pas cachée comme elle l’a allégué.

[11]           Troisièmement, la SAR, dans le cadre de son examen du dossier, a conclu que Mme Lu a fourni de la preuve contradictoire concernant les médicaments qu’elle a pris pour soulager son inflammation pelvienne. Selon la SAR, cette preuve remettait en question le fait qu’elle était incapable de porter le dispositif intra-utérin. Elle a conclu que ce détail était également essentiel à la requête.

[12]           En plus des conclusions relatives à la crédibilité énoncées ci-dessus, la SAR a tiré des conclusions défavorables concernant la preuve documentaire.

[13]           La SPR avait remis en question la véracité des dossiers d’examen gynécologique de Mme Lu puisqu’ils n’indiquaient pas que Mme Lu et son mari devaient utiliser des condoms. La SAR a conclu qu’on devrait raisonnablement s’attendre à ce que ces renseignements soient inclus dans les dossiers d’examen puisque les autorités ont fourni des condoms et que le but de la visite était de faire un suivi de l’utilisation de contraceptifs.

[14]           La SPR a examiné d’autre preuve documentaire (certificat du diagnostic d’inflammation pelvienne, avis de procédure de stérilisation obligatoire, avis de pénalités lié à la stérilisation obligatoire et certificat d’avortement provoqué). Toutefois, en l’absence d’éléments de sécurité et en raison des conclusions négatives concernant le témoignage de Mme Lu, la SPR n’a accordé aucun poids à ces documents et a conclu que Mme Lu n’a probablement pas été forcée de subir un avortement en avril 2014, comme elle l’a allégué. La SAR a conclu qu’il appartenait à la SPR, en fonction du contenu ou du manque de contenu des documents en question, de n’accorder aucun poids à la preuve documentaire présentée par les demandeurs.

[15]           La SAR a conclu que la preuve relative au certificat d’avortement provoqué était la plus importante. La SAR est d’accord avec la conclusion de la SPR voulant que l’illégalité des avortements forcés en Chine remettait en question la véracité de ce document. Par conséquent, selon la SAR, la conclusion de la SPR était exempte de toute erreur.

[16]           Finalement, la SPR a examiné le risque de stérilisation forcée auquel serait confrontée la famille si celle-ci devait retourner en Chine, puisqu’elle compte déjà deux enfants. En faisant référence à certains documents du cartable national de documentation, la SPR a accepté que les parents de deux enfants sont souvent poussés à se faire stériliser; toutefois, elle a tenu compte du fait que les demandeurs ne risquaient pas la stérilisation avant que les autorités ne soient mises au courant d’une troisième grossesse en avril 2014. La SAR a jugé révélateur que Mme Lu n’ait jamais craint d’être stérilisée après la naissance de son deuxième enfant; elle a aussi indiqué que la conclusion tirée par la SPR concernant la crainte de la demanderesse par rapport à la politique de l’enfant unique de la Chine était conjecturale. La SAR a une fois de plus jugé que les conclusions de la SPR étaient exemptes d’erreur.

III.             Question en litige

La seule question à trancher consiste à déterminer si la décision de la SAR était déraisonnable.

IV.             Norme de contrôle

[17]           Le défendeur renvoie à la décision de la Cour d’appel fédérale sur la norme de contrôle de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Huruglica, 2016 CF 93 [Huruglica], en particulier l’observation de la juge Gauthier au paragraphe 79, qui stipule qu’un appel auprès de la SAR ne constitue pas une véritable procédure de novo ainsi que sa conclusion au paragraphe 103 :

[103]    Au terme de mon analyse des dispositions législatives, je conclus que, concernant les conclusions de fait (ainsi que les conclusions mixtes de fait et de droit) comme celle dont il est question ici, laquelle ne soulève pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix, la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant. Après cette étape, la SAR peut statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle-ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile. L’affaire ne peut être renvoyée à la SPR pour réexamen que si la SAR conclut qu’elle ne peut rendre une décision définitive sans entendre les témoignages de vive voix présentés à la SPR. Nulle autre interprétation des dispositions législatives pertinentes ne serait raisonnable.

[18]           Le défendeur soutient que la SAR a effectué, en l’espèce, sa propre évaluation indépendante en tenant compte de la décision de la SPR et en effectuant sa propre analyse, ce qui répond à l’exigence de l’arrêté Huruglica, qui veut que la décision de la SPR soit examinée en fonction de la norme de la décision correcte. Toutefois, les demandeurs ne soutiennent pas que la SAR ait incorrectement décrit la norme de contrôle ou qu’elle l’ait mal appliquée. Ils soutiennent plutôt que l’évaluation de la preuve effectuée par la SAR était erronée. Le défendeur soutient que le contrôle judiciaire de l’évaluation de la SAR doit être effectué selon la norme de la décision raisonnable, en s’appuyant sur le paragraphe 35 de l’arrêt Huruglica. Je conviens qu’il s’agit de la norme à appliquer; je constate également que les demandeurs ne s’opposent pas à cette norme puisqu’ils soutiennent que la décision de la SAR est déraisonnable.

V.                Thèses des parties

A.                Argument des demandeurs

[19]           Les demandeurs soutiennent que la SAR a évalué de façon excessive le témoignage de Mme Lu et qu’elle s’est concentrée sur les points parallèles qui sont d’intérêt négligeable pour la requête. Ils soutiennent que la question déterminante de cette requête n’est pas à savoir si Mme Lu s’est cachée, mais plutôt si celle-ci risque de subir une stérilisation forcée puisqu’elle et son mari ont déjà deux enfants et qu’ils ont essayé d’en avoir un troisième, ce qui contrevient à la politique de planification familiale de la Chine. Les demandeurs s’appuient sur un certain nombre de documents officiels pour étayer leur requête; de plus, ils soutiennent que la SAR a examiné seulement deux de ces documents, soit le certificat des services de planification familiale et le certificat d’avortement provoqué.

[20]           La position des demandeurs est que la SAR a commis une erreur susceptible de révision en rejetant le certificat des services de planification familiale parce qu’il n’indiquait pas qu’on avait fourni des condoms aux demandeurs adultes. Les demandeurs soutiennent qu’aucune preuve n’a été présentée devant la SAR pour indiquer que ces renseignements figurent habituellement sur ce type de certificat. Ils soutiennent également qu’il était déraisonnable que la SAR tire une conclusion défavorable du fait que Mme a été incapable d’expliquer pourquoi ces renseignements ne figuraient pas sur le document puisqu’elle n’en était pas l’auteure.

[21]           La conclusion tirée par la SAR concernant le certificat d’avortement provoqué est contestée de manière semblable pour les motifs suivants : il s’agit d’une conclusion déraisonnable d’invraisemblance et il était déraisonnable de s’attendre à ce que Mme Lu soit en mesure d’expliquer pourquoi les autorités auraient émis un certificat lié à une procédure illégale.

[22]           Les demandeurs soutiennent également que la SAR a omis de tenir compte de l’avis de procédure de stérilisation obligatoire, qui constituait un élément pertinent et probant de la question fondamentale en l’espèce. Ils s’appuient sur l’arrêt Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, selon lequel plus la preuve qui n’a pas été mentionnée ni analysée expressément dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont il disposait.

[23]           Enfin, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en rejetant le traitement du risque de stérilisation forcée pour les parents ayant deux enfants ou plus. Le cartable national de documentation indique que les agents de la planification familiale sont incités à imposer des avortements et des stérilisations forcés afin de respecter la politique d’enfant unique. Les demandeurs font référence au volume considérable de preuve contenue dans le cartable national de documentation qui indique que ces pratiques existent toujours. Leur position est que la SAR a commis une erreur en rejetant le fait que Mme Lu craint actuellement de subir une stérilisation forcée en s’appuyant sur le motif qu’elle n’est pas retournée en Chine après la naissance de son deuxième enfant il y a quatre ans. Les demandeurs soutiennent que le fait de caractériser leur crainte de conjecturale rejette le fait que cette crainte s’est concrétisée uniquement après l’avortement forcé et qu’il s’agit d’une conclusion qui ne correspond à la preuve entourant le contexte du pays.

B.                 Argument du défendeur

[24]           Le défendeur indique que les demandeurs ne s’opposent pas à certaines conclusions déterminantes tirées par la SAR. La SAR a conclu que Mme Lu ne s’est pas cachée, qu’elle a continué de travailler jusqu’en juillet 2014 et qu’elle n’a pas été forcée de subir un avortement et une stérilisation.

[25]           En ce qui concerne la preuve documentaire, le défendeur soutient que les prétendues rencontres de Mme Lu avec les agents responsables relèvent de sa connaissance personnelle directe et qu’il revenait à la SAR de lui demander la raison pour laquelle un seul type de contraception a été indiqué dans ses dossiers et non les deux. Dans la même veine, la conclusion tirée par la SAR à l’effet que le certificat d’avortement provoqué était frauduleux était raisonnable et fondée sur une évaluation de la preuve dont elle disposait sur l’illégalité de l’avortement forcé. Le défendeur soutient également que les demandeurs n’ont pas expliqué la mesure selon laquelle l’avis de procédure de stérilisation obligatoire, qui est l’un des nombreux documents présentés par les demandeurs qui ne comportent aucune caractéristique de sécurité, prête foi à leur témoignage.

[26]           Enfin, le demandeur soutient qu’il était raisonnable que la SAR juge que les risques prospectifs étaient conjecturaux, en tenant compte des documents relatifs au contexte du pays et de la preuve relative à l’expérience des demandeurs, dans la mesure où ils ont été acceptés par la SPR et la SAR.

VI.             Analyse

[27]           Le demandeur soutient que, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, les demandeurs n’ont pas remis en cause les conclusions défavorables tirées par la SAR quant à leur crédibilité. Bien que ces conclusions ne constituaient pas le point central des arguments des demandeurs, je juge que ces derniers ont partiellement contesté ces conclusions puisque leur argument écrit fait valoir que la SAR a évalué de façon excessive le témoignage de Mme Lu et qu’elle s’est concentrée sur les points parallèles qui sont d’intérêt négligeable pour la requête. Toutefois, je ne suis pas convaincu que ces conclusions comportent une erreur. Je trouve raisonnable de la part de la SAR d’avoir conclu que l’inaptitude de Mme Lu à se souvenir du moment où elle a quitté son emploi pour quitter la Chine, et que le fait qu’elle ait déclaré avoir continué à travailler au moment où elle se cachait, a mis en doute sa crédibilité relative aux éléments centraux de sa requête.

[28]           Les arguments des demandeurs étaient principalement axés sur la façon dont la SAR a traité la preuve documentaire qu’ils ont présentée et sur les conclusions de cette dernière relatives au risque de stérilisation forcée en raison du volume de documents sur le contexte du pays qui mentionnent ce risque.

[29]           J’estime que la SAR a traité les dossiers d’examen gynécologique et le certificat d’avortement provoqué de façon raisonnable. Les demandeurs s’appuient sur l’arrêté Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014, CF 683, pour soutenir qu’une conclusion défavorable ne doit pas être tirée parce qu’un demandeur ne peut expliquer une décision prise par un tiers. Bien que je sois d’accord avec ce principe, je n’estime pas que les raisons mentionnées par la SAR concernent l’inaptitude de Mme Lu à expliquer la raison pour laquelle les dossiers d’examen gynécologique n’indiquent pas la méthode de contraception ou la raison pour laquelle les autorités émettraient le certificat d’avortement provoqué et ainsi documenter la pratique illégale qu’est l’avortement forcé. La SAR a offert la possibilité à Mme Lu de discuter de ses préoccupations concernant ces documents; on ne peut donc pas lui reprocher d’avoir agi ainsi. Toutefois, ses conclusions sur ces questions portent sur sa propre analyse et non sur le manque d’explication de la part de Mme Lu.

[30]           En ce qui concerne les dossiers d’examen gynécologique, la SPR s’est appuyée sur la preuve documentaire indiquant que les examens gynécologiques obligatoires sont effectués afin de surveiller l’utilisation de contraceptifs; à partir de cette preuve, elle a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que l’utilisation de condoms par les demandeurs à titre de contrôle des naissances soit soulignée. En s’appuyant sur l’absence de renseignements dans ces dossiers, la SPR a tiré une conclusion défavorable relative à la crédibilité des demandeurs; de plus, selon elle, il est plus probable qu’improbable que le dossier d’examen gynécologique soit frauduleux.

[31]           La SAR n’a cerné aucune erreur dans la conclusion défavorable de la SPR; de plus, elle conclut également que ces dossiers sont utilisés pour surveiller les dossiers de contraception et de grossesse d’une personne. Bien que les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SAR n’était appuyée par aucune preuve relative au contenu de ces dossiers, je conclus que les fins de cette preuve appuient le caractère raisonnable de la conclusion tirée par la SAR.

[32]           En ce qui concerne le certificat d’avortement provoqué, je ne comprends pas que les demandeurs remettent en question l’observation de la SAR selon laquelle l’avortement forcé est illégal (même s’ils soutiennent, en s’appuyant sur les documents relatifs au contexte du pays, que cette pratique existe). Les demandeurs soutiennent plutôt que la SAR a effectué une analyse inadmissible des invraisemblances pour remettre en question la véracité du certificat en fonction de l’illégalité d’une telle pratique. J’interprète le raisonnement de la SAR comme suit : bien que cette pratique existe, il n’est pas logique que les autorités chinoises documentent une pratique illégale dans un certificat officiel. Je ne peux conclure que ce raisonnement est déraisonnable.

[33]           Les demandeurs soutiennent également que la SAR a commis une erreur en omettant d’évaluer chaque avis de stérilisation obligatoire. Ils s’appuient sur la décision rendue par le juge Russell dans le cadre du jugement Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013, CF 896 [Liu], au paragraphe 43, qui indique que c’est une erreur de rejeter définitivement un document à l’appui parce qu’un autre document est jugé inauthentique, ainsi que sur ma décision rendue dans le cadre du jugement Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015, CF 1138 [Yu], aux paragraphes 31 à 35, qui indiquent que c’est une erreur de rejeter l’authenticité d’un document à l’appui en se fondant sur la conclusion que le demandeur n’était pas crédible.

[34]           J’estime que ces deux décisions soutiennent qu’un document à l’appui doit être assujetti à une certaine évaluation indépendante et que les préoccupations en matière de crédibilité sont en soi insuffisantes pour contester la preuve documentaire. Selon moi, la SAR ne s’est pas appuyée exclusivement sur les préoccupations en matière de crédibilité, mais a plutôt effectué une évaluation indépendante de la preuve documentaire. La SPR et la SAR font référence à l’avis de procédure de stérilisation obligatoire, mais la SPR n’accorde aucun poids au document et la SAR juge que cette conclusion ne comporte aucune erreur. D’après un examen des deux décisions, cette conclusion est fondée sur les préoccupations relatives à la crédibilité de Mme Lu, mais également sur la conclusion défavorable relative à la véracité du certificat d’avortement provoqué.

[35]           J’estime qu’il n’était pas déraisonnable que la SAR s’appuie sur sa conclusion défavorable relative à la véracité du certificat d’avortement provoqué pour rejeter l’avis de procédure de stérilisation obligatoire. Comme le défenseur le souligne, ces deux documents ne sont pas indépendants. Le certificat d’avortement provoqué renvoie à une obligation de se présenter pour une procédure de stérilisation obligatoire et l’avis de cette procédure a été envoyé trois jours plus tard. Selon moi, le lien entre ces documents permet de distinguer la façon dont la SAR les a traités en fonction de l’approche qui a été contestée dans le cadre du jugement Liu. Dans celui-ci, la SPR a relevé que des convocations de la demanderesse étaient frauduleuses; pour ce motif, la SPR a rejeté ce qui semblait être des documents non connexes portant sur la détention de la mère de la demanderesse et sur le congédiement du père de celle-ci. Je conclus que, lorsqu’il y a un lien entre des documents qui appuient des requêtes du demandeur, il n’est pas déraisonnable que la SAR tienne compte de l’un de ces documents lorsqu’elle évalue les autres. En l’espèce, la valeur probante de la procédure de stérilisation obligatoire a été réduite lorsque la SAR a conclu que le certificat d’avortement provoqué qui précédait l’avis de stérilisation obligatoire était probablement un faux document.

[36]           Finalement, j’ai examiné les arguments des demandeurs liés aux conclusions tirées par la SAR relatives au risque de retourner en Chine. Devant la SAR, les demandeurs font référence au volume considérable de preuve relative au contexte du pays qui appuient leur position selon laquelle les parents qui ont deux enfants ou plus risquent de subir une stérilisation forcée en Chine. Toutefois, je n’estime pas que la décision de la SAR ou de la SPR conteste cette position. En faisant référence à l’un des documents du cartable national de documentation, la SAR souligne expressément que la SPR a accepté que la famille des demandeurs soit, entre autres, constituée de deux enfants et que les parents ayant deux enfants sont souvent poussés à se faire stériliser. La décision est plutôt fondée sur une analyse axée sur la preuve propre à la requête des demandeurs, qui se demandent s’ils sont eux-mêmes exposés à ce risque.

[37]           Les demandeurs soutiennent qu’ils sont exposés au risque de stérilisation forcée puisqu’ils sont une famille qui a déjà deux enfants et qu’aucune autre analyse ne doit être effectuée. Je conclus qu’on ne peut reprocher à la SAR d’examiner cette question dans le contexte de la preuve entourant la requête des demandeurs. La conclusion tirée par la SAR selon laquelle les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau relatif à cette question découle de l’examen des interactions que les demandeurs auraient eu avec les autorités de la planification familiale de la Chine, dans la mesure où ces allégations ont été acceptées par la SAR. La SAR a rejeté l’allégation selon laquelle Mme Lu a été forcée de subir un avortement lors de sa troisième grossesse; la preuve démontre que la naissance du deuxième enfant des demandeurs a incité les autorités chinoises à leur imposer des mesures de contraception, mais ne les a pas incités à procéder à une stérilisation forcée. En me fondant sur cette preuve, je ne peux conclure que la décision de la SAR se trouve à l’extérieur de la portée des résultats raisonnables. Étant conscient du degré de déférence nécessaire pour respecter les normes de contrôle applicables, je ne peux conclure qu’il y a lieu de modifier cette décision.

[38]            Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4111-15

INTITULÉ :

SHU FEN LU, JIN HUI SU, ZHI YING SU, XU YANG SU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 MAI 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 20 juillet 2016

COMPARUTIONS :

Mark Rosenblatt

Pour les demandeurs

Sybil Thompson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mark Rosenblatt

Avocat

Minden Gross LLP

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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