Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160722


Dossier : T-1892-15

Référence : 2016 CF 852

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

GINA PATRICIA NICOLA SAMAROO

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La défenderesse, Mme Gina Patricia Nicola Samaroo, a obtenu le statut de résidente permanente du Canada le 22 décembre 2005, tout comme son mari et ses deux enfants. Elle a également un troisième enfant qui est né au Canada. Elle a demandé la citoyenneté canadienne le 1er février 2012 et elle a ensuite comparu devant un juge de la citoyenneté pour une audience. Le juge a rendu une décision le 6 octobre 2015 dans laquelle il a conclu que Mme Samaroo répondait aux exigences en matière de résidence pour obtenir la citoyenneté canadienne en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985) ch. C-29 (la Loi). Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a demandé un contrôle judiciaire de cette décision.

[2]               La demande est accueillie pour les motifs qui suivent. La juge a appliqué le critère de résidence décrit par le juge Muldoon dans Pourghasemi (Re) [1993], ACF nº 232 [Pourghasemi], en vertu duquel les demandeurs doivent établir qu’ils ont été physiquement présents au Canada 1 095 jours au cours des quatre années précédant le dépôt de la demande. Toutefois, même lorsque les motifs du juge sont examinés parallèlement au dossier qui lui a été présenté, il n’est pas possible de comprendre comment il en est venu à la conclusion que Mme Samaroo avait été physiquement présente pendant le nombre de jours exigés. Par conséquent, la décision est déraisonnable et doit être annulée.

II.                Contexte

[3]               Comme Mme Samaroo a demandé la citoyenneté le 1er février 2012, elle devait prouver qu’elle avait résidé au Canada pendant au moins 1 095 jours au cours des quatre années précédentes, soit du 1er février 2008 au 1er février 2012 (la période pertinente). Sa demande faisait état de ses absences du Canada pendant la période pertinente, et elle a par la suite rempli un questionnaire de résidence déclarant les mêmes absences. Un agent de Citoyenneté et Immigration Canada a rempli un modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers, en faisant remarquer que Mme Samaroo avait déclaré 343 jours d’absence au cours de la période pertinente, ce qui correspondait à une présence effective de 1 117 jours.

[4]               L’agent a analysé son passeport et ses registres d’entrées au Canada figurant dans un rapport du Système intégré d’exécution des douanes (SIED) préparé par l’Agence des services frontaliers du Canada et a conclu qu’il y avait de légers écarts par rapport à ses déclarations d’absences. Le nombre de jours d’absence de Mme Samaroo a ainsi augmenté à au moins 351, ce qui a réduit son nombre de jours de présence effective à 1 109. L’agent a également constaté des entrées non déclarées dans le rapport du SIED qui réduisait encore plus sa présence effective, mais comme il n’y avait pas de timbres d’entrée à l’étranger correspondants dans son passeport, le nombre total de jours d’absence demeurait inconnu. Compte tenu de deux entrées non déclarées à l’aéroport et du schéma des absences déclarées de Mme Samaroo, qui étaient toujours de plus de 10 jours, l’agent a conclu que le nombre de jours de présence effective de Mme Samaroo était probablement inférieur à 1 095. La cause a donc été renvoyée à un juge de la citoyenneté pour examen.

III.             Décision contestée

[5]               Le juge a fait remarquer dans sa décision que Mme Samaroo n’avait pas déclaré un nombre insuffisant de jours de présence effective au Canada, mais que des préoccupations avaient été soulevées quant à sa crédibilité. Il a mentionné sa déclaration de 1 117 jours de présence, et le calcul effectué par l’agent menant le nombre total de jours au Canada à 1 109 jours. Le juge a également fait référence à la présence de timbres non déclarés qui pouvaient réduire davantage le nombre de jours de présence effective. À la suite d’une énumération de certains des éléments de preuve documentaire présentés de nouveau par Mme Samaroo, le juge a réalisé son analyse, qui figure dans les deux paragraphes suivants :

[traduction] [9] Pendant l’audience, j’ai abordé la plupart des points préoccupants. La demanderesse s’exprimait franchement et était crédible. Elle a fourni une réponse pour tous les points préoccupants qui étaient soulevés, en me donnant une explication crédible. En outre, après l’audience, elle a présenté d’autres documents du dossier scolaire de ses enfants (ces documents figurent maintenant au dossier).

[10] Plus important encore, je n’ai à ma disposition aucun élément pour contester le nombre de jours de présence effective au Canada déclaré par la demanderesse. Parmi les éléments de la documentation présentée, aucun ne vient à l’encontre des absences déclarées dans la demande et le questionnaire sur la résidence pour la période pertinente. En fait, ils confirment ce que la demanderesse a déclaré.

[6]               Le juge a alors fait référence au critère de résidence de la décision Pourghasemi et a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Samaroo avait démontré qu’elle avait été présente au Canada pendant le nombre de jours de présence qu’elle avait déclaré, et qu’elle satisfaisait par conséquent au critère de résidence en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

IV.             Questions en litige et norme de contrôle

[7]               Le problème soulevé par le ministre est de déterminer si la conclusion du juge indiquant que Mme Samaroo satisfaisait au critère de résidence pour obtenir la citoyenneté canadienne était raisonnable. Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

V.                Analyse

[8]               La position du ministre est que le juge en est arrivé à des conclusions sur la présence effective de Mme Samaroo au Canada qui ne sont pas appuyées par les éléments de preuve, et que ses raisons ne fournissaient pas des justifications suffisantes pour la décision. Le juge a conclu que Mme Samaroo s’exprimait franchement et était crédible, et qu’elle avait fourni une réponse pour tous les points préoccupants qui étaient soulevés, mais il n’a mentionné aucune des explications qu’elle a fournies. Le ministre fait également valoir que la conclusion du juge selon laquelle la documentation présentée ne venait pas à l’encontre des absences déclarées ne donnait pas suite aux préoccupations de l’agent au sujet des entrées non déclarées au Canada.

[9]               Mme Samaroo soutient que la décision du juge était raisonnable, en mentionnant qu’il avait relevé qu’il y avait des timbres non déclarés pouvant réduire le nombre de jours de présence effective et qu’il a plus tard conclu que la demanderesse avait fourni une réponse pour tous les points préoccupants qui étaient soulevés en donnant une explication crédible. Elle affirme que la conclusion du juge selon laquelle elle avait satisfait au critère de résidence était fondée sur cette conclusion relative à sa crédibilité, que la décision commandait la déférence, qu’elle faisait partie des résultats possibles et acceptables, et qu’elle devrait être confirmée comme raisonnable.

[10]           La difficulté concernant la position de Mme Samaroo réside dans le fait que rien dans la décision en soi ou dans le compte rendu devant le juge ne permet de déterminer de quelle façon une conclusion positive relative à la crédibilité a mené le juge à conclure que Mme Samaroo avait passé le nombre de jours requis au Canada.

[11]           Le juge a choisi d’appliquer le critère de la décision Pourghasemi, qui prévoit le comptage strict des jours de présence effective au Canada pendant la période pertinente. Le ministre a remis en cause le fait que le juge s’est fié au calcul de l’agent de 1 109 jours de présence effective. Je ne considère pas cette approche comme erronée. En l’absence d’un motif de douter de l’exactitude du calcul de l’agent, je ne vois aucun problème dans le fait que le juge a adopté ce calcul plutôt que de procéder à nouveau aux mêmes calculs. Toutefois, le calcul des 1 109 jours de présence réalisé par l’agent découlait des absences déclarées par Mme Samaroo, et l’agent a expressément soulevé des préoccupations au sujet d’autres absences non déclarées, qui ressortent du rapport du SIED et qui réduiraient davantage ce nombre de jours. Ma décision d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire repose sur le fait que le juge a omis de tenir compte de ces préoccupations.

[12]           Mme Samaroo et son mari possèdent une entreprise de sécurité à Trinité, où ils séjournent pour voir à ses activités. Ils ont également établi une entreprise au Canada qui vend des produits de sécurité et de défense. Les éléments de preuve dans le dossier présenté au juge, que Mme Samaroo a également décrits en détail lorsqu’elle a formulé ses observations à la Cour, indiquent que les entreprises des Samaroo obtiennent de bons résultats, et que le gouvernement canadien est client de l’entreprise canadienne. La Cour peut comprendre de quelle façon le juge peut avoir conclu que Mme Samaroo et ses entreprises sont tenues en estime et qu’elle constitue un témoin crédible. Bien que l’on ne trouve nulle part dans la décision le motif justifiant la conclusion du juge selon laquelle Mme Samaroo s’exprimait franchement et était crédible, je ne vois aucun problème à prendre en compte le compte rendu en vue d’aider à déterminer si la décision était raisonnable (voir le paragraphe 18 de la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Abdulghafoor, 2015 CF 1020). Les parties du compte rendu décrites dans les arguments de Mme Samaroo aident à appuyer le caractère raisonnable de la conclusion du juge quant à la crédibilité de la demanderesse.

[13]           Néanmoins, cette conclusion relative à la crédibilité n’aide pas la Cour à comprendre de quelle façon le juge s’est penché sur la préoccupation liée aux absences non déclarées qui ressortaient du rapport du SIED. Mme Samaroo n’a pas non plus indiqué à la Cour quoi que ce soit dans le dossier qui pouvait aider cette dernière à y voir plus clair. Le modèle pour la préparation et l’analyse des dossiers de l’agent a relevé quatre entrées non déclarées au Canada ressortant du rapport du SIED. Deux de ces entrées (8 juillet 2011 et 27 août 2011) ont eu lieu en voiture, tandis que deux autres (18 octobre 2008 et 5 juin 2010) ont eu lieu à l’aéroport. L’agent a indiqué que l’entrée du 8 juillet 2011 n’était pas préoccupante, étant donné que la date d’entrée correspondait à un timbre des États-Unis de la même date, et faisait vraisemblablement état d’un voyage d’une seule journée. Il restait donc trois absences non déclarées sur lesquelles le juge devait se pencher.

[14]           Dans un affidavit présenté à l’appui de sa position dans la présente demande de contrôle judiciaire, Mme Samaroo déclare que, pendant l’audience devant le juge, celui-ci l’a questionnée sur ses deux entrées au Canada à partir de Buffalo, et qu’elle lui a répondu qu’il s’agissait de sorties d’une seule journée visant à faire du magasinage et à visiter ses neveux résidant à Buffalo, dans l’État de New York. Le ministre n’a pas remis en cause le fait que Mme Samaroo s’est appuyée sur cet affidavit. Il n’y a aucune transcription de l’audience devant le juge, et il existe un précédent où un demandeur de la citoyenneté a offert, en réponse à une demande de contrôle judiciaire d’une décision en matière de citoyenneté, un témoignage par affidavit afin d’expliquer l’élément de preuve que le juge a pris en compte (voir la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Goo, 2015 CF 1363, au paragraphe 43). L’affidavit de Mme Samaroo aide à comprendre comment le juge peut avoir conclu que les deux entrées en voiture non déclarées du 8 juillet 2011 et du 27 août 2011 (une d’entre elles ayant déjà été désignée comme non préoccupante par l’agent) ne réduisaient pas le nombre de jours de présence effective de Mme Samaroo sous la barre des 1 095 jours exigés.

[15]           Toutefois, l’affidavit de Mme Samaroo n’indique aucun élément de preuve fourni au juge pour donner suite à la préoccupation relative aux entrées à l’aéroport non déclarées du 18 octobre 2008 et du 5 juin 2010. À l’audience du contrôle judiciaire, l’avocat de Mme Samaroo a fait remarquer que le dossier remis au juge renfermait le passeport de Mme Samaroo, lequel contenait un timbre témoignant de son entrée à Trinité-et-Tobago le 7 octobre 2008, ce qui correspond à 11 jours d’absence du Canada supplémentaires entre ce départ et le retour du 18 octobre 2008. Son avocat a indiqué que rien dans le dossier n’indiquait à quel moment Mme Samaroo avait quitté le Canada avant son entrée du 5 juin 2010.

[16]           L’agent a calculé que Mme Samaroo avait accumulé 1 109 jours de présence effective au Canada, avant de comptabiliser les entrées non déclarées. Il s’agit de 14 jours de plus que les 1 095 jours exigés. En soustrayant les 11 jours d’absence supplémentaires d’octobre 2008, on obtient un écart de seulement 3 jours par rapport au nombre de jours exigés, alors que l’entrée non déclarée du 5 juin 2010 n’est pas encore comptabilisée. Il ne semble pas y avoir d’élément de preuve pouvant avoir aidé le juge à déterminer l’incidence de l’absence ayant mené à l’entrée du 5 juin 2010. Il convient aussi de noter que l’absence non déclarée de 11 jours en octobre 2008 cadre avec l’observation de l’agent selon laquelle les absences de Mme Samaroo duraient généralement plus de 10 jours.

[17]           Il n’est simplement pas possible de déterminer, à partir de la décision ou de la décision combinée avec le dossier et les propres éléments de preuve de Mme Samaroo dans la présente demande de contrôle judiciaire, de quelle façon le juge s’est penché sur les absences non déclarées pour conclure que le critère de résidence avait été satisfait, ni en fait de déterminer s’il s’est bel et bien penché sur ces absences. Si le dossier contenait des éléments de preuve à cet égard sur lesquels le juge aurait raisonnablement pu s’appuyer pour en venir à cette décision, alors sa conclusion quant à la crédibilité de la demanderesse contribuerait à étayer cette décision, selon l’étendue des résultats possibles et acceptables. Or, en l’absence d’éléments de preuve à partir desquels le juge pourrait en être arrivé à cette conclusion, il n’est pas possible de confirmer que cette conclusion est raisonnable.

[18]           Je constate que, lors de la plaidoirie, Mme Samaroo a fait référence à ses observations écrites en affirmant au juge que, bien qu’elle et son mari voyageaient régulièrement, ils ont soigneusement veillé à respecter l’exigence de 1 095 jours de présence au Canada, et que lorsqu’ils ont enfin atteint le nombre de jours requis, ils ont alors présenté leur demande de citoyenneté. Elle soutient que cette déclaration, combinée à la conclusion relative à la crédibilité, suffit pour confirmer la décision. Je ne suis pas d’accord, étant donné que cette déclaration ne contient aucun détail quant à la façon dont Mme Samaroo a conclu qu’elle avait atteint 1 095 jours. Compte tenu des entrées non déclarées susmentionnées, la décision du juge ne peut pas être confirmée au moyen de cette déclaration, particulièrement en l’absence, dans la décision, d’indications précisant que le juge s’est fondé sur cette déclaration pour en venir à sa conclusion.

[19]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre est accueillie, et la demande de citoyenneté de Mme Samaroo sera réexaminée par un autre décideur.

[20]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1892-15

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. GINA PATRICIA NICOLA SAMAROO

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juillet 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 22 juillet 2016

COMPARUTIONS :

Nimanthika Kaneira

POUR LE DEMANDEUR

Jeremiah Eastman

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Jeremiah Eastman

Eastman Law Office

Brampton (Ontario)

Pour la défenderesse

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.