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Date : 20160722


Dossier : T-122-16

Référence : 2016 CF 861

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

MAHER EL-KHAIRY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision datée du 30 novembre 2015 rendue par une juge de la citoyenneté (la décision), qui a refusé la demande de citoyenneté canadienne du demandeur pour le motif que ce dernier n’avait pas satisfait aux exigences énoncées au paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985) ch. C-29 (la Loi).

II.                CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Jordanie. Le 9 juin 2009, il est entré au Canada en passant par Montréal (Québec) et a obtenu le statut de résident permanent dans la catégorie des travailleurs qualifiés.

[3]               Avant de venir au Canada, le demandeur a été employé comme pilote de l’aviation commerciale pour plusieurs compagnies aériennes, notamment Jordan Aviation en Jordanie et Anikay Air au Kirghizistan.

[4]               Le demandeur n’a aucun membre de famille immédiate au Canada à part son ex-épouse qui est également une résidente permanente.

[5]               Le 5 juillet 2012, le demandeur a déposé une demande de citoyenneté canadienne. La période de quatre ans pertinente aux fins de sa demande est donc celle comprise entre le 9 juin 2009 et le 7 juillet 2012 (la période pertinente). Le demandeur a déclaré 1 100 jours de présence effective au Canada et 21 jours d’absence pour la période pertinente.

[6]               Le demandeur possédait deux passeports jordaniens qui semblaient valides pendant la période pertinente. Le premier, ayant le numéro I867670, a été délivré le 6 octobre 2005 et expirait le 5 octobre 2010. Le second, ayant le numéro K281573, était valide du 3 mai 2009 au 2 mai 2014. Le demandeur a indiqué que le passeport ayant le numéro I867670 a été annulé à la délivrance du second passeport (K281573), et que par conséquent, il ne pouvait être utilisé pour voyager après le 3 mai 2009. Le passeport I867670 contient la mention [traduction] « ANNULÉ », mais il n’y a aucune indication précise de la date à laquelle l’annulation est entrée en vigueur.

[7]               La juge de la citoyenneté avait quelques préoccupations quant à la question de savoir si le demandeur avait satisfait au critère de résidence en vertu de la Loi, et le demandeur a reçu un questionnaire sur la résidence le 30 décembre 2013. Le 29 janvier 2014, le demandeur a fourni le questionnaire sur la résidence dûment rempli avec les documents à l’appui.

[8]               En juillet 2015, le demandeur a reçu une autre demande de renseignements, notamment pour les passeports ou documents de voyage invalides ou expirés qui étaient valides entre le 9 juin 2009 et le 5 juillet 2012. La demande de juillet précisait que tous les timbres figurant dans le passeport devaient être traduits, y compris ceux ne relevant pas de la période demandée. En réponse à la demande de juillet, l’avocat du demandeur a demandé plus de temps pour obtenir les [traduction] « copies en couleur et la traduction » des timbres figurant dans le passeport I867670. La traduction n’a jamais été fournie.

[9]               Le 30 novembre 2015, le demandeur a comparu devant la juge de la citoyenneté.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[10]           Dans une décision datée du 30 novembre 2015, la juge de la citoyenneté, pas convaincue que le demandeur avait été effectivement présent au Canada pendant la période de temps exigée en vertu de la Loi au moment de la demande de citoyenneté canadienne du demandeur (trois ans ou 1 095 jours), a refusé la demande.

[11]           La juge de la citoyenneté a remarqué plusieurs incohérences dans les documents associés à la demande du demandeur, plus particulièrement en ce qui concerne les détails de son historique d’emploi indiqué dans sa demande de citoyenneté initiale et son questionnaire sur la résidence. À l’audience, le demandeur a admis qu’il avait commis une erreur en ne déclarant pas dans sa demande initiale ses périodes de chômage, de même qu’un revenu étranger gagné en travaillant pour Jordan Aviation, du 9 juin 2009 au 1er août 2009.

[12]           La juge de la citoyenneté a appliqué l’interprétation du juge Muldoon relativement à l’alinéa 5(1)c) de la Loi dans la décision Pourghasemi, Re, [1993] A.C.F. nº 232, concluant qu’il était nécessaire pour un citoyen éventuel d’établir qu’il avait été effectivement présent au Canada pendant au moins 1 095 jours durant la période de quatre ans pertinente selon un comptage strict des jours.

[13]           La juge de la citoyenneté a conclu que puisque le demandeur n’avait pas soumis la traduction des timbres figurant dans son passeport I867670, il était impossible de déterminer ses absences du Canada et donc, de conclure combien de jours il avait effectivement été présent au Canada pendant la période pertinente.

IV.             QUESTION EN LITIGE

[14]           La question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si la décision de la juge de la citoyenneté était déraisonnable.

V.                NORME DE CONTRÔLE

[15]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas requis d’effectuer une analyse de la norme de contrôle dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question en cause est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente des principes de common law concernant le contrôle judiciaire que la cour de révision procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[16]           Les parties sont d’avis, et je suis d’accord, que le contrôle d’une décision visant à déterminer si une personne a satisfait aux conditions de résidence afin de lui accorder la citoyenneté canadienne est déterminé en vertu de la norme de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Bayani, 2015 CF 670, aux paragraphes 20 à22 (Bayani); Haddad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 977, au paragraphe 18.

[17]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47 et Khosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[18]           Les dispositions de la Loi, tel qu’elles étaient formulées à la date où le demandeur a présenté sa demande de citoyenneté canadienne, sont pertinentes en l’espèce :

Attribution de la citoyenneté

Grant of citizenship

5 (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5 (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

a) en fait la demande;

(a) makes application for citizenship;

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

(b) is eighteen years of age or over;

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante:

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

VII.          ARGUMENTS

A.                Demandeur

[19]           Le demandeur affirme que la juge de la citoyenneté n’a pas mentionné l’élément de preuve démontrant clairement que le passeport I867670 avait été annulé à la délivrance du passeport K281573. Plusieurs pages, notamment la couverture, étaient perforées et des timbres [traduction] « ANNULÉ » figuraient sur de nombreuses pages, y compris la page avec la photo d’identification. Puisque le passeport I867670 n’était pas valide pour la période d’admissibilité pertinente, le passeport K281573 est le seul passeport valide durant la totalité de la période d’admissibilité visant à déterminer la résidence pour la citoyenneté.

[20]           Le demandeur soutient qu’on ne lui a pas demandé de fournir la traduction des timbres figurant sur le passeport I867670 annulé avant son audience devant la juge de la citoyenneté, le 30 novembre 2015. On lui a plutôt demandé de fournir les passeports valides à compter de la date d’arrivée, lesquels ont été fournis et ne nécessitaient aucune traduction. En fait, il a reçu la première demande pour une copie de son passeport lors de l’examen pour la citoyenneté et de la vérification de documents le 5 novembre 2013. À ce moment-là, le demandeur a présenté le passeport I867670 et le passeport K281573 (utilisé à son arrivée) et a été informé par un agent de la citoyenneté que le seul passeport d’intérêt était le passeport K281573.

[21]           La juge de la citoyenneté a fait état d’une croyance que la preuve laisse clairement penser que le demandeur était au Canada pendant moins de 1 095 jours, mais il n’y a aucune preuve, passive ou autre, que le demandeur était à l’extérieur du Canada tout jour autre que les 21 jours indiqués dans sa demande. Il s’agissait donc d’une conclusion de fait erronée, car on ne démontrait pas, avec des raisons claires ou exactes, quels faits et éléments de preuve étaient considérés pour parvenir à cette conclusion.

[22]           Le demandeur affirme que la seule période de temps qui aurait pu préoccuper la juge de la citoyenneté était la période s’écoulant à partir de la date d’arrivée du demandeur jusqu’à la date d’expiration du passeport I867670 (5 octobre 2010) si ce dernier n’avait pas été annulé le 3 mai 2009. Cependant, la preuve claire montre que le passeport I867670 a été annulé avant l’arrivée du demandeur au Canada et avant le début de sa période de résidence. Le voyage effectué pendant cette période qui pourrait causer une préoccupation est un voyage aux États-Unis effectué du 30 juin 2009 au 11 juillet 2009. Ce voyage était indiqué dans la demande du demandeur, et l’entrée aux États-Unis et la sortie sont inscrites dans le passeport K281573. Des éléments de preuve démontrant la présence effective au Canada entre la date d’arrivée et le 5 octobre 2010 ont également été fournis, notamment les résultats de l’examen de Transport Canada et des examens médicaux.

[23]           En ce qui concerne certaines des autres préoccupations mentionnées par la juge de la citoyenneté, le demandeur fait valoir que la juge de la citoyenneté a tiré des conclusions de fait erronées relativement à son emploi, ses études et l’impôt qu’il a payé, et a omis d’expliquer leur pertinence à l’égard de la décision. Les éléments de preuve fournis par le demandeur étaient cohérents, crédibles et suffisants pour conclure qu’il avait été effectivement présent au Canada pour se voir octroyer la citoyenneté canadienne.

[24]           Le défendeur a mal interprété les avis envoyés au demandeur concernant ses passeports et ses documents. La demande datée du 30 décembre 2013, soit le questionnaire sur la résidence, indique seulement ce qui suit : [traduction] « Tous les renseignements et les documents à l’appui se rapportant à la présente section doivent être fournis à compter de votre date d’arrivée au Canada jusqu’à présent [...] Passeports (inclure les photocopies couleur de toutes les pages, notamment les pages vierges de tous les passeports et documents de voyage (valides et annulés) que vous avez utilisés depuis votre arrivée au Canada ». La demande datée de juillet 2015 réclamait d’autres éléments de preuve et indiquait ce qui suit :

[traduction] Vous devez fournir les documents exigés dans les 30 jours suivant la date de cet avis. Les documents que vous fournissez doivent couvrir la période allant du 9 juin 2009 au 5 juillet 2012, à moins d’indication contraire. Tout passeport et document de voyage, invalides ou expirés, qui étaient valides entre le 9 juin 2009 et le 5 juillet 2012. Remarque : Tous les timbres figurant dans le passeport et les entrées, y compris les visas et les permis, doivent être traduits en anglais ou en français. Cela comprend toutes les entrées qui n’entrent pas dans la période susmentionnée.

Le demandeur soutient qu’aucune des demandes ne suggère qu’il devait fournir les passeports ou la traduction des timbres des passeports qui n’étaient pas valides ou utilisés pour voyager après la date d’arrivée. Le passeport expiré n’a jamais été exigé, et pourtant, la demande de citoyenneté a été rejetée pour le motif que le demandeur n’avait pas fourni la traduction demandée.

[25]           La juge de la citoyenneté n’a jamais suggéré, comme le défendeur le fait, que le passeport I867670 aurait pu être annulé après l’arrivée du demandeur ou qu’à un certain moment, le demandeur détenait deux passeports simultanément. La date d’annulation du passeport I867670 ne faisait pas partie de la décision, et les timbres d’annulation ou les perforations du passeport n’ont jamais été mentionnés. Le défendeur ne peut pas compléter maintenant les motifs de la juge de la citoyenneté en suggérant que la date d’annulation n’était pas claire.

B.                 Défendeur

[26]           Le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable pour la juge de la citoyenneté de conclure que le défaut de fournir la traduction de tous les timbres figurant dans les passeports du demandeur constituait une irrégularité importante dans sa demande, plus particulièrement du fait que le demandeur avait déclaré seulement 1 100 jours de présence au Canada, soit seulement cinq jours de plus que le seuil obligatoire de 1 095.

[27]           Il incombe au demandeur de convaincre la juge de la citoyenneté qu’il était au Canada pendant la période pertinente : Abdelhamid c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1223, au paragraphe 13; Bayani, précité, au paragraphe 40. Un demandeur de citoyenneté ne peut pas seulement invoquer l’absence d’éléments de preuve justifiant qu’il n’était pas au Canada pendant la période pertinente : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Rahman, 2013 CF 1274, au paragraphe 51 (Rahman).

[28]           Le passeport I867670, et sa date d’annulation non précisée, expirait le 5 octobre 2010, soit seize mois après l’arrivée du demandeur au Canada, et contenait un nombre important de timbres non traduits. Il arrive qu’une personne détienne deux passeports valides en même temps (voir l’arrêt Rahman, précité) et, sans la traduction des timbres, la juge de la citoyenneté ne pouvait être certaine que le passeport I867670 n’avait pas été utilisé pour voyager à un moment pendant la période pertinente.

[29]           Le défendeur affirme que le fait que le demandeur ait fourni le passeport I867670 en réponse au questionnaire indique qu’il comprend sa pertinence. De plus, le questionnaire précisait que tous les timbres des passeports devaient être traduits et le demandeur les a tout de même fournis sans traduction. Cette directive a été répétée dans la demande de renseignements complémentaires envoyée au demandeur en juillet 2015. Après la réception de cet avis, l’avocat du demandeur a demandé plus de temps pour obtenir les [traduction] « copies en couleur et la traduction », laissant entendre que la traduction serait fournie et retardant la possibilité de présenter d’autres requêtes, comme une demande de documents pour confirmer la date à laquelle le passeport I867670 a été annulé.

VIII.       ANALYSE

[30]           L’essentiel de la décision figure au paragraphe 21 :

[traduction] Puisque le demandeur a choisi de ne pas soumettre la traduction de son passeport I867670 expiré, ses absences du Canada ne peuvent être déterminées. Compte tenu de ce qui précède, il est impossible de déterminer combien de jours le demandeur a effectivement été présent au Canada pendant la période pertinente et il faut conclure que le demandeur n’a pas réussi à s’acquitter du fardeau de la preuve concernant sa présence au Canada pendant au moins 1 095 jours pendant cette période. Au contraire, j’estime que la preuve laisse clairement penser que le demandeur a été présent au Canada moins de 1 095 jours pendant la période pertinente.

[31]           Les deux parties sont d’accord que la décision repose sur le défaut du demandeur de fournir la traduction des timbres figurant sur son passeport I867670.

[32]           Le défendeur fait valoir que la question n’est pas de savoir si le passeport I867670 est pertinent ou non (le demandeur dit qu’il a été annulé avant le début de la période pertinente le 9 juin 2009), parce que même s’il était indiqué [traduction] « ANNULÉ » sur le passeport, ce n’était pas clair à quelle date il avait été annulé, et le demandeur aurait pu détenir deux passeports pendant la période de quatre ans pertinente.

[33]           Je suis d’accord avec le demandeur qu’aucune des requêtes formelles ne lui demandait de fournir les passeports ou les traductions des timbres des passeports qui n’étaient pas valides ou utilisés pour voyager après la date d’arrivée, soit le 9 juin 2009. Cependant, le demandeur a fourni une copie du passeport I867670 avec son questionnaire sur la résidence, et son avocat a demandé plus de temps pour obtenir des copies couleur et la traduction de ce passeport (I867670) dans la réponse à la demande de juillet 2015. Par conséquent, le défendeur affirme ce qui suit :

[traduction] 26.       Le capitaine El-Khairy n’a pas expliqué pourquoi, si les requêtes du 30 décembre 2013 ou du 10 juillet 2015 ne lui demandaient pas de fournir son premier passeport, il avait demandé plus de temps pour fournir les « copies couleur et la traduction ». Si le capitaine El-Khairy avait déjà fourni ce qui était demandé, son avocat aurait pu au moins l’indiquer dans sa réponse à la demande de juillet 2015. Au lieu de cela, son avocat a indiqué qu’ «...il pourra les obtenir [son premier passeport et les autres] et obtenir les copies couleur et la traduction immédiatement après son retour au Canada dans les prochains jours ». En effet, en indiquant que la traduction serait fournie, le capitaine El-Khairy a retardé la possibilité de présenter d’autres requêtes, comme une demande de documents pour confirmer la date à laquelle son premier passeport a été annulé.

[34]           Le demandeur répond à ces arguments comme suit :

[traduction] 7.         Le défendeur et la juge de la citoyenneté ne laissent pas entendre que le passeport K281573 utilisé à l’arrivée contient des timbres qui n’ont pu être lus en anglais ni en français.

8.         Le fait de savoir si le demandeur a perçu que ces avis comprenaient une obligation de fournir la traduction du passeport annulé I867670 est entièrement sans importance. Ce qui importe est que le passeport expiré n’a jamais été exigé, et pourtant, la demande de citoyenneté a été rejetée pour le motif que le demandeur n’avait pas fourni la traduction demandée. Le demandeur n’a pas omis de fournir les documents requis. Il a rassemblé et fourni les documents requis.

9.         Le défendeur affirme ce qui suit :

« Le capitaine El-Khairy détenait deux passeports qui semblaient avoir été valides pendant la même période à la délivrance. »

10.       Ce n’est pas une déclaration exacte des faits. Le seul élément de preuve est que le passeport I867670 semblait annulé en raison du mot « ANNULÉ » inscrit à plusieurs endroits et des nombreuses pages perforées. Le passeport K281573, utilisé à l’arrivée, a clairement été délivré le 3 mai 2009, soit avant la date d’arrivée du demandeur au Canada[.]

11.       La juge de la citoyenneté n’a jamais laissé entendre au demandeur que le passeport avait été annulé après le 3 mai 2009 lors de la délivrance de son nouveau passeport, et n’a pas donné au demandeur l’occasion de répondre à la préoccupation au sujet de la date d’annulation, si cette dernière était une préoccupation. La décision semble indiquer que la juge de la citoyenneté n’a tout simplement pas remarqué que le passeport avait été annulé et, par conséquent, qu’elle a déraisonnablement traité le passeport annulé comme faisant partie des éléments à prendre en compte aux fins de l’analyse de la résidence.

12.       Le défendeur allègue maintenant que le passeport I867670 aurait pu être annulé après la date d’arrivée, et donc que la traduction des timbres apposés dans ce passeport pourrait être utile pour la détermination de la demande de citoyenneté.

13.       Toutefois, la juge de la citoyenneté n’a jamais laissé entendre dans sa décision que le passeport I867670 avait été annulé après la délivrance du passeport K281573, utilisé à l’arrivée. La date d’annulation du passeport I867670 ne fait pas partie de la décision de la juge de la citoyenneté.

14.       En fait, la juge de la citoyenneté semble ne pas tenir compte du tout du fait que le passeport était annulé. Elle ne mentionne jamais les timbres d’annulation ni les perforations dans le passeport, qui étaient parfaitement visibles si elle l’avait examiné correctement.

15.       Le défendeur ne peut pas compléter maintenant les motifs de la juge de la citoyenneté en suggérant que la date d’annulation n’était pas claire et qu’elle pourrait être après le 3 mai 2009, alors qu’en fait, la date d’annulation ne faisait pas partie des motifs de la juge de la citoyenneté.

16.       Le demandeur a établi la date d’annulation du passeport I867670 en fournissant des éléments de preuve démontrant que son passeport K287670 [sic], utilisé à l’arrivée, avait remplacé son passeport annulé et avait été délivré le 3 mai 2009.

17.       La juge de la citoyenneté n’a jamais laissé entendre dans ses motifs que le demandeur possédait deux passeports valides en même temps. S’il y avait une préoccupation quant au fait que le demandeur détienne deux passeports valides simultanément, cette préoccupation aurait dû être mentionnée dans les motifs, et le défendeur ne peut plus compter sur son argumentation pour ajouter des éléments dans la décision de la juge de la citoyenneté ou appuyer sa décision.

[35]           Il me semble que si le demandeur soumet un passeport annulé ou que son avocat demande plus de temps pour fournir la traduction, alors cela indique à la juge de la citoyenneté que le demandeur considère le passeport I867670 comme étant pertinent. Autrement, l’avocat du demandeur aurait expliqué la situation dans une lettre de suivi plutôt que de simplement laisser la question en suspens.

[36]           Le demandeur affirme maintenant qu’il a établi la date d’annulation du passeport I867670 en fournissant des éléments de preuve démontrant que son passeport K281573 avait remplacé son passeport annulé et qu’il avait été délivré le 3 mai 2009. Je crois qu’il s’agit d’un argument valable que la juge de la citoyenneté semble avoir omis, peut-être parce que le demandeur avait présenté son vieux passeport et demandé plus de temps pour soumettre sa traduction, suggérant ainsi que la traduction pourrait être pertinente. Donc il semble que les deux parties ont commis des erreurs qui ont mené à une confusion concernant la pertinence du passeport I867670.

[37]           Toutefois, si je reviens à la décision, la raison justifiant la décision négative, énoncée au paragraphe 21, était qu’étant donné que le demandeur avait choisi de ne pas soumettre la traduction de son passeport I867670 annulé, ses absences du Canada ne peuvent être déterminées. Il s’agit de toute évidence d’une erreur. La juge de la citoyenneté a indiqué que le passeport K281573 du demandeur, utilisé à son arrivée, avait été délivré le 3 mai 2009, avant le début de la période pertinente. Il n’y a pas eu de conclusion sur la crédibilité, donc la juge de la citoyenneté semble ne pas avoir tenu compte de ce fait crucial. De plus, il n’y a simplement pas de preuve appuyant la simple allégation inexpliquée de la juge de la citoyenneté : [traduction] « Au contraire, j’estime que la preuve laisse clairement penser que le demandeur a été présent au Canada moins de 1 095 jours pendant la période pertinente ».

[38]           Le défendeur insiste sur le fait que le témoignage oral du demandeur devant la juge de la citoyenneté selon lequel le passeport I867670 avait été annulé était insuffisant parce que la juge de la citoyenneté aurait pu avoir besoin du document pour appuyer la question juridique. Voici la preuve du demandeur présentée à la Cour :

J’ai dit à la juge de la citoyenneté que le passeport I867670 (pièce C) avait été annulé à la délivrance de mon nouveau passeport K281573 (pièce B) et je lui ai montré les timbres d’annulation et les perforations dans le passeport.

[39]           Il s’agit bien sûr d’une question à trancher par la juge de la citoyenneté pour décider quels éléments de preuve sont nécessaires pour satisfaire au critère de 1 095 jours de présence au Canada pendant la période pertinente.

[40]           La juge de la citoyenneté et moi-même ne disposons d’aucune preuve permettant de penser que l’affirmation du demandeur était incorrecte ou qu’elle ne reposait sur aucune base juridique. Il était évident que le passeport I867670 avait été annulé lors de la délivrance du passeport K281573. Si la juge de la citoyenneté avait des préoccupations à l’égard de la date d’entrée en vigueur de l’annulation (en gardant à l’esprit que le passeport I867670 était devenu physiquement inutilisable), le demandeur n’avait aucun moyen de savoir que la juge de la citoyenneté n’avait pas accepté sa preuve relative à l’annulation et qu’elle souhaitait obtenir une confirmation écrite ou un avis juridique. Si cela avait été le cas, le demandeur aurait visiblement fourni cette confirmation ou cet avis. Donc il y a également eu un problème d’équité procédurale. Une interprétation raisonnable des trois demandes de renseignements est que ces demandes n’exigeaient pas que le demandeur soumette le passeport I867670 parce qu’il n’était pas approprié pour la période pertinente. Cependant, le vrai problème est qu’il est tout simplement impossible de dire, à partir de la décision, si la juge de la citoyenneté souhaitait obtenir une confirmation de l’annulation du passeport I867670 ou si elle n’a pas réalisé qu’il avait été annulé et constituait un document qui ne renfermait aucun renseignement sur la période pertinente.

[41]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que c’est à la juge de la citoyenneté de décider de quels éléments de preuve elle a besoin, mais il n’y a aucune indication claire en l’espèce que la juge de la citoyenneté était sensible au témoignage de vive voix présenté par le demandeur que le passeport I867670 avait été annulé à la délivrance du passeport K281573, et à la preuve matérielle d’annulation du passeport I867670. La juge de la citoyenneté a omis d’expliquer pourquoi la traduction est nécessaire pour un passeport expiré qui, par rapport à la preuve dont elle disposait, avait expiré avant le début de la période pertinente.

[42]           L’avocat du défendeur a expliqué pourquoi cela aurait été le cas, mais la Cour n’a aucun moyen de savoir si la juge de la citoyenneté souhaitait obtenir d’autres éléments de preuve écrits de l’annulation ou si elle n’a pas tenu compte de la preuve fournie démontrant que le passeport I867670 avait été annulé le 3 mai 2009, soit avant l’arrivée du demandeur et avant le début de la période de résidence pertinente.

[43]           Sur ces faits, je pense que la décision n’a pas la transparence nécessaire pour être intelligible et qu’elle est déraisonnable pour cette raison.

[44]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie, sans dépens.

2.      Cette affaire sera renvoyée au ministre pour nouvel examen. Le ministre doit accorder la citoyenneté au demandeur ou transmettre l’affaire à un juge de la citoyenneté pour nouvel examen conformément motifs susmentionnés.

3.      Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-122-16

 

INTITULÉ :

MAHER EL-KHAIRY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Dennis G. McCrea

Pour le demandeur

 

Alison Brown

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCrea Immigration Law

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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