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Date : 20160725


Dossier : IMM-5850-15

Référence : 2016 CF 872

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

SUAD SULIEMAN ODEH ABU SHABAB

ABDALLA MAHMOUD ABOUSHABAB

MAHA MAHMOUD MOHAMED OUDAH

ALY MAHMOUD MOHAMED OUDAH

MOHAMED MAHMOUD OUDAH

TAGI MAHMOUD MOHAMED ABOSHABAB

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SPR ou la Commission) le 7 décembre 2015 (la décision), dans laquelle la SPR a conclu que Suad Sulieman Odeh Abou Shabab (demanderesse principale), Tagi Mahmoud Mohamed Aboshabab (demandeur), Abdalla Mahmoud Aboushabab, Maha Mahmoud Mohamed Oudah et Mohamed Mahmoud Oudah (demandeurs d’âge mineur), n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention selon la définition donnée par l’article 96 de la Loi, ni celle de personne à protéger en vertu de l’article 97 de la Loi.

II.                CONTEXTE

[2]               Les demandeurs sont des Palestiniens apatrides, qui avaient leur résidence habituelle aux Émirats arabes unis. La demanderesse principale est née en Jordanie au Proche-Orient, dans un camp de réfugiés palestiniens géré par l’Office de secours et de travaux des Nations Unies. Elle y a vécu jusqu’à son mariage en 1994 avec Mahmoud Mohamed Oudah Aboshabab (Mahmoud), qui est également palestinien, mais qui est né aux Émirats arabes unis (Mahmoud n’est pas partie à la présente instance). Après que Mahmoud eut obtenu les permis de résidence temporaire pour lui-même et pour la demanderesse principale, le couple a eu cinq enfants aux Émirats arabes unis (le demandeur et les demandeurs mineurs). Aucun des membres de la famille n’a jamais obtenu des droits comparables à ceux détenus par les citoyens des Émirats arabes unis, et ils devaient renouveler leur permis de séjour périodiquement.

[3]               En mai 2015, le demandeur a été agressé dans un parc par des individus parlant un dialecte du Golfe qui lui ont dit de cesser de porter les vêtements des Émirats arabes unis puisqu’il n’était pas un citoyen des Émirats arabes unis. Il a subi plusieurs blessures. La demanderesse principale et Mahmoud n’ont pas emmené le demandeur à une clinique médicale de peur que les autorités soient appelées et que cela entraîne la révocation des permis de résidence de la famille. Mahmoud a plutôt choisi de parler avec El Hamar, le père des garçons auteurs de l’agression. El Hamar travaille pour le service du renseignement des Émirats arabes unis et a beaucoup de relations. Il a accusé le demandeur d’avoir commencé la bagarre et d’avoir maltraité ses enfants. Le lendemain, un groupe de jeunes gens lançant des pétards est venu à la maison des demandeurs et a menacé de la brûler s’ils ne partaient pas.

[4]               Plus tard au cours du même mois, Mahmoud est allé au bureau émetteur des permis de résidence pour renouveler le permis de résidence du demandeur. Mahmoud n’a pu obtenir pour le demandeur qu’un renouvellement d’un an plutôt que le renouvellement habituel de deux ou trois ans. L’agent a dit à Mahmoud « C’est un cadeau d’El Hamar » et a indiqué que c’était la dernière fois qu’il serait en mesure de renouveler le permis de résidence du demandeur et qu’il était temps pour la famille de déménager dans un autre pays. Les demandeurs ont commencé à prendre des dispositions pour obtenir des visas américains avec l’aide de la sœur de Mahmoud au Canada. Ils se sont rendus en Jordanie en attendant que les visas soient approuvés. En août 2015, la famille a obtenu l’approbation et s’est envolée aux États-Unis.

[5]               Peu après l’arrivée de la famille, Mahmoud a appris que sa mère, qui vivait toujours aux Émirats arabes unis, était très malade. Il est retourné aux Émirats arabes unis pour prendre soin d’elle. Les demandeurs sont restés en Amérique du Nord, et sont entrés au Canada le 15 septembre 2015.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[6]               Avant l’audience des demandeurs, la présidente de l’audience de la SPR (la commissaire) a écrit au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), en vertu de l’article 27 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-26 (Règles), demandant que le ministre obtienne les demandes de visa des demandeurs et faisant référence à la possibilité que des questions relatives à l’intégrité du statut de réfugié canadien puissent survenir (avis relatif à l’intégrité).

[7]               L’avocat des demandeurs a présenté une requête au début de l’audience pour que la commissaire se récuse en raison d’une crainte raisonnable de partialité due au fait qu’elle avait invité le ministre à participer à l’audience en invoquant la question d’« intégrité ». La commissaire a examiné le critère relatif à la partialité et a finalement rejeté la requête. À l’audience concernant la demande d’asile, la commissaire a expliqué que de demander des renseignements sur les visas des États-Unis dépassait la capacité de recherche de la SPR, et qu’un avis en vertu de l’article 27 des Règles était le seul moyen d’avoir accès à ces documents. L’article 27 des Règles traite de questions de présumée fraude, de fausses déclarations ou d’autres préoccupations analogues.

[8]               La commissaire a ensuite conclu que la question déterminante dans la demande des demandeurs était la crédibilité de leurs allégations relatives à l’agression subie par le demandeur et aux menaces présumées d’El Hamar. Soulignant entre autres le fait que les demandeurs n’aient pu fournir de preuves photographiques de l’agression ou déterminer le jour où le demandeur aurait été agressé, la SPR a conclu qu’un manque de détails minait la crédibilité des demandeurs quant à un incident au cœur de leur argumentation.

[9]               Une conclusion défavorable de plus relative à la crédibilité a été tirée en raison de la méconnaissance du demandeur de la durée du permis de séjour qu’il pouvait personnellement obtenir, malgré qu’il ait démontré connaître la durée du permis que les travailleurs ou les étudiants universitaires pouvaient obtenir.

[10]           La commissaire a également rejeté l’allégation des demandeurs selon laquelle El Hamar était responsable de la prolongation du permis de résidence du demandeur de seulement un an et de la menace de quitter les Émirats arabes unis visant la famille. Pour plusieurs raisons, elle n’a pas jugée crédible qu’El Hamar ait voulu le départ de la famille, entre autres du fait que le plus jeune demandeur ait pu renouveler son permis pour une période de trois ans. La SPR a conclu que la persécution par El Hamar, le cas échéant, n’a pas sévi comme décrit par les demandeurs, ce qui a miné leur crédibilité concernant un élément central de leur demande d’asile.

[11]           Le fait que les demandeurs se soient réclamés à nouveau de la protection des Émirats arabes unis après un séjour en Jordanie a également démontré à la SPR qu’ils n’avaient pas peur de retourner aux Émirats arabes unis et qu’ils n’avaient pas de problèmes relatifs à leurs permis de résidence découlant des interventions d’El Hamar. En outre, la commissaire a déterminé que, même si les Palestiniens sont souvent traités de manière discriminatoire aux Émirats arabes unis, leur traitement n’équivaut pas à de la persécution.

[12]           Les demandeurs sont entrés au Canada dans le cadre d’une exemption en vertu de l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs et comme tels, sont exclus de la procédure d’appel de la SAR en vertu du sous-alinéa 110(2)d)(ii) de la Loi.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[13]           Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

1.      celle de savoir si la commissaire a violé les règles d’équité procédurale en faisant preuve d’apparence de préjugés donnant lieu à une crainte raisonnable de partialité;

2.      celle de savoir si la commissaire a commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité des demandeurs.

V.                NORME DE CONTRÔLE

[14]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une analyse de la norme de contrôle dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la Cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente des principes de common law concernant le contrôle judiciaire que la cour de révision procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[15]           La première question soulevée par les demandeurs en est une d’équité procédurale et sera donc analysée selon la norme de la décision correcte : Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa]; Dhaliwal c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 157, au paragraphe 25.

[16]           La deuxième question est également claire quant à la matière en litige. Il est bien établi en droit que les conclusions de crédibilité sont assujetties à la norme de contrôle du caractère raisonnable. Par conséquent, la question de l’évaluation par la commissaire de la crédibilité des demandeurs sera analysée selon la norme du caractère raisonnable : Yang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 543, au paragraphe 8; Ebika c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 582, au paragraphe 10.

[17]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmir, précité, au paragraphe 47, et Khosa, précité, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[18]       Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Définition de « réfugie »

Convention Refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant:

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

[19]           Les dispositions suivantes des Règles de la SPR sont pertinentes en l’espèce :

Avis au ministre — questions concernant l’intégrité avant l’audience

Notice to Minister of possible integrity issues before hearing

27 (1) Si la Section croit, avant le début d’une audience, qu’il est possible que des questions concernant l’intégrité du processus canadien d’asile soient soulevées par la demande d’asile, et qu’elle est d’avis que la participation du ministre peut contribuer à assurer une instruction approfondie de la demande d’asile, elle, sans délai, en avise par écrit le ministre et lui transmet tout renseignement pertinent.

27 (1) If the Division believes, before a hearing begins, that there is a possibility that issues relating to the integrity of the Canadian refugee protection system may arise from the claim and the Division is of the opinion that the Minister’s participation may help in the full and proper hearing of the claim, the Division must without delay notify the Minister in writing and provide any relevant information to the Minister.

Avis au ministre — questions concernant l’intégrité pendant l’audience

Notice to Minister of possible integrity issues during hearing

(2) Si la Section croit, après le début d’une audience, qu’il est possible que des questions concernant l’intégrité du processus canadien d’asile soient soulevées par la demande d’asile, et qu’elle est d’avis que la participation du ministre peut contribuer à assurer une instruction approfondie de la demande d’asile, elle ajourne l’audience et, sans délai, en avise par écrit le ministre et lui transmet tout renseignement pertinent.

(2) If the Division believes, after a hearing begins, that there is a possibility that issues relating to the integrity of the Canadian refugee protection system may arise from the claim and the Division is of the opinion that the Minister’s participation may help in the full and proper hearing of the claim, the Division must adjourn the hearing and without delay notify the Minister in writing and provide any relevant information to the Minister.

Questions concernant l’intégrité

Integrity issues

(3) Pour l’application de la présente règle, les demandes d’asiles qui pourraient soulever des questions concernant l’intégrité du processus canadien d’asile sont notamment celles où, selon le cas :

(3) For the purpose of this rule, claims in which the possibility that issues relating to the integrity of the Canadian refugee protection system may arise include those in which there is

a) des renseignements indiquent que la demande d’asile pourrait avoir été faite, en tout ou en partie, sous une fausse identité;

(a) information that the claim may have been made under a false identity in whole or in part;

b) une modification importante est apportée au fondement de la demande d’asile par rapport à ce qui est indiqué dans le Formulaire de fondement de la demande d’asile transmis initialement à la Section;

(b) a substantial change to the basis of the claim from that indicated in the Basis of Claim Form first provided to the Division;

c) des renseignements indiquent que le demandeur d’asile a soumis à l’appui de la demande d’asile des documents qui pourraient être frauduleux;

(c) information that, in support of the claim, the claimant submitted documents that may be fraudulent; or

d) d’autres renseignements indiquent que le demandeur d’asile pourrait avoir fait, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait.

(d) other information that the claimant may be directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

Communication au demandeur d’asile

Disclosure to claimant

(4) La Section transmet au demandeur d’asile une copie de tout avis ou renseignement que la Section a transmis au ministre.

(4) The Division must provide to the claimant a copy of any notice or information that the Division provides to the Minister.

Reprise de l’audience

Resumption of hearing

(5) La Section fixe une date pour la reprise de l’audience qui tombe dès que possible :

(5) The Division must fix a date for the resumption of the hearing that is as soon as practicable,

a) après la réception de la réponse du ministre, si celui- ci répond à l’avis visé au paragraphe (2);

(a) if the Minister responds to the notice referred to in subrule (2), after receipt of the response from the Minister; or

b) après un délai minimal de quatorze jours suivant la réception de l’avis par le ministre, si celui-ci n’y a pas répondu.

(b) if the Minister does not respond to that notice, no earlier than 14 days after receipt of the notice by the Minister.

VII.          ARGUMENTS

Première question en litige : équité procédurale

(a)                Demandeurs

[20]           Rien dans l’article 27 des Règles ne requiert d’aviser le ministre de questions d’intégrité non fondées ou infondées afin d’obtenir des demandes de visas étrangers. Les demandeurs contestent l’avis d’intégrité qui a été envoyé au ministre malgré une absence admise de quelque indication que ce soit d’une préoccupation réelle d’intégrité – un geste qui fait manifestement fi de la finalité expresse de l’article 27. Le fait d’accepter l’argument du défendeur équivaudrait à endosser la pratique d’une commissaire sans tenir compte de la formulation claire et de l’intention de l’article 27. La SPR peut avoir un intérêt dans l’acquisition de certains documents, mais ne peut pas soulever une préoccupation non fondée au ministre, une partie adverse, simplement par commodité administrative : Geza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CAF 124 [Geza].

[21]           Les demandeurs ne s’opposent pas à ce que la SPR tente d’obtenir l’information relative à leurs visas. La commissaire a tenté d’expliquer aux demandeurs lors de l’audience qu’elle n’avait pas d’autre choix que d’envoyer l’avis relatif à l’intégrité. Même si c’est le cas, que la commissaire n’avait pas d’autre choix que d’envoyer l’avis relatif à l’intégrité afin d’acquérir les demandes de visa, on peut se demander pourquoi les demandeurs n’ont été invités à signer le formulaire de consentement de demande à la SRRP (la Section de recherche de renseignements précis de la Commission) qu’une semaine avant la publication de l’avis relatif à l’intégrité.

[22]           L’avis relatif à l’intégrité a eu un impact négatif important sur les demandeurs pendant la préparation de leur demande. Cela a rehaussé le niveau d’anxiété puisque la demanderesse principale a senti que la présomption de véracité avait été bafouée. Comme elle l’affirme dans son affidavit, après la réception de l’avis relatif à l’intégrité, elle a [traduction] « senti que la Commission nous accusait, mes enfants et moi, de mentir avant même de nous rencontrer ». Elle était nerveuse durant son témoignage et cela a nui à sa capacité de présenter sa demande, compromettant l’équité de l’audience. Indépendamment des commentaires éventuels de la commissaire selon lesquels elle n’avait aucune inquiétude réelle relative à l’intégrité, en envoyant l’avis relatif à l’intégrité, une apparence de suspicion préjudiciable a été créée. Cela donne lieu à une crainte raisonnable que le décideur ait été réfractaire à la preuve et aux arguments avancés lors de l’audience : Au c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 243, au paragraphe 23.

[23]           Les demandeurs font valoir que l’apparence d’injustice a créé une crainte raisonnable de partialité, qui n’est que renforcée par le fait que les revendications ont en fin de compte été rejetées sur le fondement d’une décision défavorable relative à la crédibilité. Une apparence d’injustice peut mener à une crainte raisonnable de partialité. Il est important de noter que l’obligation d’impartialité de la SPR se trouve au sommet de l’échelle de l’équité procédurale : Geza, précité, aux paragraphes 52 à 54.

[24]           Les allégations des demandeurs se fondent sur les interventions claires et incontestées de la commissaire. Elle a envoyé aux demandeurs un avis relatif à l’intégrité sans fondement avant le début de l’audience, sans justification. Une personne raisonnable conclurait qu’il est plus probable qu’improbable que la commissaire n’ait pas évalué l’audience des demandeurs équitablement : Committee for Justice and Liberty c. L’Office National de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 [Committee for Justice and Liberty].

(b)               Défendeur

[25]           Le défendeur soutient que le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans Committee for Justice and Liberty, précité, est élevé compte tenu de la forte présomption d’impartialité judiciaire – une présomption qui s’étend aux décisions de la SPR : R c. S (RD), [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 532; Luzbet c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 923, au paragraphe 20.

[26]           La suggestion des demandeurs selon laquelle la publication de l’avis relatif à l’intégrité sans réelle préoccupation relative à l’intégrité soulève une crainte raisonnable de partialité est, selon le défendeur, sans fondement. La commissaire était sincère quant à ses motivations justifiant l’envoi de l’avis relatif à l’intégrité. Après avoir tenté sans succès d’obtenir les documents relatifs aux visas des demandeurs par les mécanismes dont disposait la Commission, elle a simplement fait une seconde tentative au moyen de l’avis relatif à l’intégrité. Cela ne constitue nullement la preuve d’un jugement de valeur concernant l’intégrité de la demande d’asile des demandeurs. La commissaire est allée jusqu’à expliquer les raisons de ses interventions directement à la demanderesse principale lorsque les avocats des demandeurs ont convenu que ce lui serait bénéfique.

[27]           Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas réussi à expliquer de quelle façon l’avis relatif à l’intégrité les a empêchés de livrer librement leur témoignage. Bien que les demandes aient été refusées principalement en raison des préoccupations en matière de crédibilité, celles-ci n’étaient pas fondées sur le comportement ou la conduite des demandeurs adultes lors de l’audience. Les préoccupations étaient plutôt fondées sur un manque de précision dans leur récit concernant le moment de l’élément déclencheur en question. Par conséquent, on ne peut raisonnablement soutenir que l’avis relatif à l’intégrité ait eu quelque incidence défavorable que ce soit sur la décision finale.

Deuxième question en litige – Partialité

(a)                Demandeurs

[28]           Les demandeurs font valoir que les conclusions de la SPR en matière de crédibilité sont déraisonnables. Suggérant que la SPR s’est fondée sur une analyse trop étroite, les demandeurs désapprouvent l’insistance de la commissaire à prétendre que les demandeurs auraient dû être capables de se souvenir de la date exacte des agressions subies par le demandeur dans leur témoignage. La demanderesse principale et le demandeur ont tous deux affirmé lors de leur témoignage que l’agression avait eu lieu en mai, et la SPR n’a pas relevé de divergence, d’omission ou d’incohérence entre ces récits – seulement une préoccupation quant au léger flou concernant une date précise. Les demandeurs font valoir que, étant donné que la demanderesse principale et le demandeur ont tous deux précisé que l’incident avait eu lieu en mai, la préoccupation relativement mineure concernant une date précise doit être comprise à la lumière de la preuve par ailleurs cohérente des demandeurs sur les incidents de violence et de menaces qu’ils ont subis de la part de la famille El Hamar. Une demande d’asile ne doit pas être un test de mémoire et la SPR s’est livrée à une tentative exagérée de recherche de failles dans le témoignage des demandeurs.

[29]           Les demandeurs soutiennent que, en concluant que les agressions subies par le demandeur « sonnaient faux », la SPR a effectivement tiré des conclusions relatives à la vraisemblance. Une telle conclusion ne doit être posée que lorsque les faits sont intrinsèquement invraisemblables : Habibi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 253, au paragraphe 28; Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7. L’incapacité des demandeurs à se rappeler les dates précises n’est pas suffisante pour étayer une conclusion au sujet de la vraisemblance et la SPR est tenue d’expliquer le raisonnement sur lequel reposent ses conclusions d’invraisemblance : Saeedi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 146, au paragraphe 30 [Saeedi]. Les demandeurs soutiennent qu’aucune déférence n’est due à la SPR sur ce point, que la Cour est aussi bien placée que la Commission pour évaluer la vraisemblance de ces événements centraux : Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 819.

[30]           La décision indique que la SPR aurait été « moins troublée » par l’absence de précision sur la date de l’agression si elle avait eu « une preuve corroborante qu’elle avait effectivement eu lieu ». Les demandeurs déclarent qu’ils ont fourni cette preuve au moyen de deux lettres de leurs anciens voisins des Émirats arabes unis qui ont confirmé les nombreux détails de l’histoire des demandeurs, y compris que les garçons El Hamar étaient des fauteurs de troubles qui avaient frappé le demandeur dans le parc et que la famille El Hamar avaient des relations et était puissante. La décision ne fait aucune référence à ces lettres et formule encore une conclusion explicite d’un manque de preuve corroborante. En ce qui concerne l’absence de preuve concernant les blessures du demandeur, les demandeurs ont expliqué leur crainte d’aller à l’hôpital et que le personnel médical puisse alerter les autorités sur l’incident. La suggestion de la SPR selon laquelle les demandeurs pouvaient avoir menti au personnel sur l’origine des blessures ne tient pas compte des explications cohérentes des demandeurs voulant qu’ils aient cru qu’aller à l’hôpital aurait risqué d’entraîner l’implication des autorités et d’El Hamar. La SPR a jugé difficile de croire qu’aucune photo des blessures du demandeur n’ait été prise, compte tenu de l’omniprésence des téléphones cellulaires de nos jours. À aucun moment au cours de l’audience la commissaire n’a demandé à la demanderesse principale ou au demandeur s’ils possédaient un téléphone cellulaire. La commissaire a également omis de fournir l’occasion aux demandeurs d’expliquer pourquoi aucune photographie n’existait et a, de ce fait, enfreint les règles d’équité procédurale et, de façon inappropriée, appliqué les normes occidentales à son évaluation.

[31]           Les demandeurs affirment en outre que la seule anomalie cernée par la SPR dans le témoignage des demandeurs est une conclusion de fait erronée de la part de la commissaire. Bien que la SPR allègue que la demanderesse principale a dit que son mari vivait avec ses parents et que le demandeur ait affirmé qu’il était à la maison d’un ami après la fermeture de la maison familiale, un examen de la transcription indique que le demandeur a également déclaré que Mahmoud résidait au domicile de ses parents. Cette erreur factuelle aurait pu être évitée si la commissaire avait respecté l’obligation bien établie d’informer les demandeurs de sa conviction voulant que les demandeurs aient fourni des témoignages contradictoires.

[32]           Enfin, les demandeurs font valoir qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que le témoignage du demandeur en ce qui concerne son statut de résident aux Émirats arabes unis était incompatible avec la preuve documentaire qui révèle que les enfants des hommes adultes employés aux Émirats arabes unis ne peuvent être inclus sur leur permis de résidence familiale que jusqu’à l’âge de 18 ans. Bien que le demandeur n’ait pas pu expliquer pourquoi son permis a été renouvelé pour un an en mai 2015, il a proposé l’explication raisonnable selon laquelle on lui a accordé une année supplémentaire parce qu’il accusait une année de retard à l’école. Il ne relève pas du mandat de la Commission de ne tenir aucun compte d’une explication raisonnable et de considérer la preuve comme si l’explication n’avait jamais été donnée : Veres c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2000] ACF no 1913, au paragraphe 12 [Veres]. De même, la commissaire n’a pas accepté les explications raisonnables des demandeurs concernant leur séjour en Jordanie pendant qu’ils attendaient leurs visas américains. Ils devaient inévitablement revenir aux Émirats arabes unis afin de recevoir leurs visas. Ce n’est pas, comme l’a conclu la SPR, l’indice d’une absence de crainte de retourner aux Émirats arabes unis. En outre, la SPR est restée sous une mauvaise impression voulant que tout risque auquel les demandeurs étaient exposés devait se manifester immédiatement. Il n’y a aucune raison de croire qu’El Hamar n’aurait pas donné suite à ses menaces à une date ultérieure. La Cour fédérale a reconnu qu’il n’est pas nécessaire qu’un demandeur d’asile prouve qu’il a subi les mauvais traitements dont on l’a menacé pour que les menaces proférées contre lui soient considérées comme étant sérieuses : Aguilar Revolorio c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1404, au paragraphe 19.

(b)               Défendeur

[33]           Le défendeur prétend que la SPR est habilitée à tirer des inférences défavorables relatives à la crédibilité d’un demandeur en se fondant sur des contradictions et des incohérences dans son témoignage, et entre son témoignage et d’autres éléments de preuve devant la Commission. En outre, la SPR est habilitée à rendre une décision défavorable en matière de crédibilité en raison de l’invraisemblance du seul témoignage du demandeur : Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238. Les demandeurs n’ont pas démontré que les conclusions tirées par la SPR n’étaient pas raisonnables au vu du dossier.

[34]           Selon le défendeur, un examen de la décision révèle que la SPR a expliqué pourquoi elle avait jugé invraisemblables les témoignages de la demanderesse principale et du demandeur sur certaines questions clés. Pour que la SPR soit convaincue que la preuve est crédible ou digne de foi, elle doit être convaincue qu’elle l’est probablement, non pas seulement possiblement.

[35]           En ce qui concerne l’allégation des demandeurs voulant que la SPR se soit livrée à une analyse trop étroite, le défendeur soutient qu’il n’était pas déraisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs aient été en mesure de fournir une date à laquelle l’agression présumée du demandeur s’est produite. Même si la date précise n’était pas connue, il est raisonnable de concevoir que le demandeur ou la demanderesse principale aient pu déduire la date de l’agression en fonction de l’incident qu’ils allèguent s’être produit le jour suivant – soit la menace d’incendier leur maison. L’incapacité des demandeurs à mettre une date sur l’un ou l’autre événement a sensiblement compromis la vraisemblance des faits allégués. En outre, des lettres de soutien des voisins fournies par les demandeurs ont indiqué que l’agression a eu lieu « au cours de l’été 2015 » et « il y a environ six mois », facilitant encore moins la compréhension du moment où l’attaque a réellement eu lieu.

[36]           Enfin, le défendeur affirme qu’il n’y a pas de preuve objective corroborant l’affirmation selon laquelle les demandeurs ont été victimes d’une vendetta orchestrée par El Hamar, un présumé agent influent du gouvernement des Émirats arabes unis. Lorsque El Hamar a eu l’occasion d’exercer son influence malicieuse, le demandeur a quand même pu obtenir un prolongement de son permis de résidence d’un an, la durée appropriée dans les circonstances. La plus jeune demanderesse a pu obtenir une prolongation de trois ans en juin 2015, et lorsque Mahmoud, le conjoint de la demanderesse principale, est retourné aux Émirats arabes unis en provenance des États-Unis, il a pu rentrer sans incident.

VIII.       ANALYSE

[37]           Que la commissaire ait contrevenu aux règles d’équité procédurale et suscité une crainte raisonnable de partialité ou non, cette affaire doit être renvoyée pour réexamen en raison des erreurs susceptibles de révision dans l’analyse de la SPR relative à la crédibilité.

1.                  Date exacte de l’agression

[38]           La SPR a conclu que le manque de précision concernant la date de l’agression subie par le demandeur « a miné la crédibilité des demandeurs sur cette question centrale. »

[39]           La demanderesse principale et le demandeur ont tous deux donné un témoignage cohérent selon lequel l’agression a eu lieu en mai, mais ne pouvaient pas en donner la date exacte. La SPR s’est fondée sur cela pour remettre en question leur crédibilité même si la commissaire n’a décelé aucune autre lacune, incohérence ou contradiction dans leurs témoignages respectifs, leur formulaire Fondement de la demande d’asile ou dans les notes prises au point d’entrée. La Commission justifie cette conclusion en affirmant que [traduction] « le demandeur d’asile… était en mesure de fournir d’autres détails concernant le moment où son permis de séjour a expiré, et exactement quel âge il a eu en mai de cette année ». Ce raisonnement veut que, parce que le demandeur pouvait être précis sur certaines choses, comme sa date de naissance, le fait qu’il ne puisse pas préciser la date exacte de l’agression minait sa crédibilité. C’est d’exiger qu’il soit précis sur tout, ce qui est déraisonnable et transforme le processus de demande en un test de mémoire, ce qui a fait l’objet de mises en garde de la Cour. Voir Jamil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 568.

[40]           La commissaire a aussi dit :

[traduction]… Je me serais attendue à ce que les deux demandeurs se rappellent la date de l’agression avec clarté parce qu’elle était récente; le demandeur a été violemment agressé et aurait été blessé, et parce qu’en plus de cette agression, il y a eu l’événement mémorable des pétards jetés dans leur maison et la menace d’y mettre le feu qui a été proférée le lendemain. J’estime que ce manque de détails mine la crédibilité des demandeurs relativement à cet incident central.

[41]           Cette explication a un certain fondement, mais le fait de ne pas donner de dates précises doit être équilibré par le fait qu’il n’y ait pas d’autres divergences, omissions ou contradictions concernant l’incident au cœur de la demande. Il semble que l’impossibilité de donner la date exacte de l’agression est ce qui sous-tend la conclusion de la commissaire selon laquelle [traduction] « le récit de l’incident avec les deux garçons en mai 2015 sonnait faux ». Pour juger de la sincérité du témoignage, il faut aussi prendre en compte qu’il n’y avait pas d’autres omissions, divergences ou contradictions, et les conclusions de la commissaire concernant ce point ne constituent qu’une conclusion relative à la vraisemblance qui met l’accent seulement sur un aspect du témoignage : l’incapacité de donner une date exacte de l’agression en mai. Toute conclusion de la sorte doit être fondée sur toute la preuve devant la SPR et ne peut pas s’appuyer sur une seule zone floue. Voir Saeedi, précité, au paragraphe 30.

2.                  Preuve corroborante et le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays

[42]           La commissaire a conclu ce qui suit :

[traduction] [20]     Je serais moins troublée par l’absence de précision sur la date de cet incident très important de voies de fait contre le demandeur si j’avais des éléments de preuve corroborant qu’il a réellement eu lieu. Il s’agit d’un incident grave, le demandeur a été frappé au visage et son corps était couvert d’ecchymoses. Pourtant, il n’y a pas de preuve médicale appuyant la véracité de cette allégation; les demandeurs affirment qu’ils ne pouvaient pas aller à l’hôpital parce qu’ils craignaient que le personnel de l’hôpital appelle la police et qu’El Hamar découvre qu’ils avaient signalé l’incident. J’estime que ce n’est pas crédible parce qu’il s’agit d’un incident grave au cours duquel le demandeur a subi des blessures, et parce que les demandeurs n’étaient pas obligés de dire aux autorités médicales comment les blessures avaient été causées.

En outre, on a demandé au demandeur s’il avait des preuves photographiques de cette agression et il a indiqué qu’il n’en avait pas. C’est cet incident qui a amené les demandeurs à fuir les Émirats arabes unis après y avoir vécu la plus grande partie de leur vie, et à tenter d’obtenir une protection internationale. Les téléphones cellulaires sont omniprésents de nos jours et je ne pense pas qu’il soit déraisonnable de supposer que les demandeurs avaient les moyens de documenter les dommages corporels subis par le demandeur, s’ils ont réellement eu lieu. L’absence d’une photo des blessures infligées lors de cette agression est troublante, et je trouve que cela mine la crédibilité de leurs allégations voulant que cet incident ait eu lieu.

[43]           En se plaignant d’un manque de preuves corroborantes, la commissaire fait fi des lettres d’anciens voisins aux Émirats arabes unis et omet d’en tenir compte; ces lettres corroborent l’agression subie par le demandeur et les problèmes ultérieurs de sa famille aux mains de la famille El Hamar. La SPR n’avait pas à accepter ces lettres, mais elle devait sûrement expliquer pourquoi elle ne les a pas considérées comme preuve corroborante. Voir Aguilar Valdes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 959, au paragraphe 46; Ralda Gomez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1041, au paragraphe 28. Elle ne pouvait pas simplement en faire fi.

[44]           Le rejet par la SPR de l’explication des demandeurs quant aux raisons expliquant pourquoi ils n’avaient aucune preuve médicale corroborant leurs allégations parce que [traduction] « les demandeurs n’étaient pas obligés de dire aux autorités médicales comment les blessures avaient été causées » fait fi de l’essentiel de l’explication des demandeurs selon laquelle il y avait un risque que le personnel médical alerte la police si le demandeur cherchait à obtenir des soins pour ses blessures. La demanderesse principale a indiqué dans son affidavit que la famille [traduction] « …pensait que si nous allions à la clinique, ils appelleraient la police. Nous craignions les policiers parce qu’ils ont des préjugés contre nous en tant que Palestiniens. Dans un conflit avec un citoyen émirati, la police sera toujours de leur côté… » Lors de son témoignage à l’audience, elle a déclaré [traduction] « nous avions peur parce que nous nous sommes dits que si nous allions à l’hôpital, le personnel médical poserait des questions – on nous dira d’appeler la police et si nous appelons la police, ce El Hamar, c’est une famille qui a des relations en haut lieu et ils vont nous créer un problème [sic]. Nous avions peur et nous sommes restés à la maison, nous n’avions pas envie de sortir de la maison ». Les blessures n’étaient pas mortelles, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de risquer d’impliquer la police. La commissaire traite la preuve comme si cette explication raisonnable n’avait pas été donnée (voir Veres, précité, au paragraphe 12) et omet d’examiner si, dans le contexte de la situation précaire des demandeurs aux Émirats arabes unis et de leur crainte d’ennuyer les autorités, leur explication était raisonnable.

[45]           Il n’y a d’ailleurs aucun élément de preuve appuyant les conclusions tirées par la commissaire voulant que les demandeurs aient eu des téléphones portables à leur disposition, ou que les demandeurs auraient pu les utiliser pour prendre des photos des blessures aux Émirats arabes unis. La commissaire suppose simplement que les Émirats arabes unis sont comme l’Amérique du Nord et ne donne aux demandeurs aucune possibilité d’expliquer pourquoi ils ne pouvaient pas prendre des photos eux-mêmes. Voir Jamil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 792, au paragraphe 25.

3.                  Erreur factuelle sur le lieu de résidence de Mahmoud

[46]           La commissaire reproche aux demandeurs d’avoir présenté une preuve contradictoire sur le lieu de résidence de Mahmoud :

En outre, la demanderesse principale et le demandeur ont présenté une preuve contradictoire sur le lieu de résidence de Mahmoud – le demandeur a indiqué qu’il vivait à la maison d’un ami après la fermeture de la maison familiale, alors que la demanderesse principale a déclaré qu’il vivait avec ses parents.

[47]           Cependant, il n’y a pas d’incompatibilité, car le demandeur a clairement indiqué dans son témoignage, en ce qui concerne son père, [traduction] « il reste chez ses parents ». Voir la page 636 du dossier certifié du tribunal, volume 3, aux lignes 44 à 46. Cette prétendue contradiction est l’un des facteurs cités qui minent la crédibilité des demandeurs, et c’est manifestement faux.

4.                  Les demandeurs se sont réclamés à nouveau de la protection des Émirats arabes unis

[48]           Comme le soulignent les demandeurs, il y a plusieurs autres erreurs susceptibles de révision dans la décision où la commissaire omet d’aborder des explications raisonnables présentées pour répondre à certaines des préoccupations de la SPR. Par exemple, la commissaire conclut ce qui suit :

[traduction] [21]     Enfin, je note que les demandeurs sont retournés aux Émirats arabes unis après avoir visité la Jordanie, l’été dernier. J’ai demandé des explications au demandeur à ce sujet et pourquoi il est retourné aux Émirats arabes unis s’il avait peur d’y aller maintenant. Il a déclaré qu’ils ne pouvaient pas rester en Jordanie, ils ont donc dû retourner aux Émirats arabes unis. Les demandeurs ont quitté les Émirats arabes unis le 30 juillet 2015 et y sont retournés le 20 août 2015, bien après que les problèmes avec El Hamar furent survenus. Les timbres apposés sur leurs documents de voyage indiquent qu’ils sont entrés dans le pays à cette date. Je tirerai deux conclusions concernant ce voyage. Premièrement, cela signifie que les demandeurs n’avaient pas aussi peur de retourner aux Émirats arabes unis qu’ils l’ont dit, et deuxièmement, qu’il n’y avait pas de problème avec les permis de séjour découlant des interventions d’El Hamar puisqu’ils ont été estampillés de nouveau dans le pays sans aucune difficulté. Ces deux facteurs minent davantage la crédibilité déjà ternie des demandeurs.

[49]           Les demandeurs ont expliqué qu’ils se sont rendus en Jordanie en attendant la délivrance de leurs visas américains. S’ils étaient restés aux Émirats arabes unis, ils se seraient eux-mêmes exposés à des agressions de la part de ceux qu’ils craignaient, et ils se sont donc rendus temporairement en Jordanie. Ils devaient inévitablement revenir aux Émirats arabes unis afin de recevoir leurs visas. Le bref retour était nécessaire pour qu’ils obtiennent les permis de voyage leur permettant de bénéficier d’une protection permanente en Amérique du Nord. Tout cela est cohérent avec leurs craintes. La commissaire n’avait pas à l’accepter, mais elle devait sûrement aborder l’explication complète et dire pourquoi elle n’était pas acceptable. Voir Islam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1246, au paragraphe 22; Rodriguez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 4, au paragraphe 8.

5.                  Conclusions

[50]           Dans l’ensemble, je pense qu’il y a des erreurs importantes susceptibles de révision dans la décision qui exigent que l’affaire soit renvoyée pour un réexamen.

[51]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un tribunal de la SPR constitué différemment.

2.      Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« James Russell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5850-15

 

INTITULÉ :

SUAD SULIEMAN ODEH ABOU SHABAB, ABDALLA MAHMOUD ABOUSHABAB, MAHA MAHMOUD MOHAMED OUDAH, ALY MAHMOUD MOHAMED OUDAH, MOHAMED MAHMOUD OUDAH, TAGI MAHMOUD MOHAMED ABOSHABAB c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS:

Le 25 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Ben Liston

 

Pour les demandeurs

 

Leanne Briscoe

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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