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Date : 20160725


Dossier : T-1540-15

Référence : 2016 CF 869

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ITKA DALFEN

demanderesse

et

BANQUE DE MONTRÉAL

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Banque de Montréal [BMO] a déposé une requête écrite en radiation de la déclaration modifiée d’Itka Dalfen pour défaut de compétence en vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les « Règles »].

[2]               Pour les motifs suivants, j’en suis venu à la conclusion qu’il est évident et manifeste que la Cour n’a pas compétence pour trancher le recours collectif proposé de Mme Dalfen à l’encontre de BMO concernant ses pratiques bancaires et ses pratiques relatives aux cartes de crédit qui sont prétendument illégales. La déclaration modifiée est par conséquent radiée dans son intégralité, sans autorisation de la modifier.

II.                Contexte

[3]               Le 23 août 2013, Mme Dalfen a présenté une demande en vue d’obtenir une carte de crédit BMO MasterCard, qu’elle a reçue et commencé à utiliser en septembre 2013. Elle reconnaît que son compte est devenu en souffrance après qu’elle ait refusé de payer les montants dus aux termes du contrat MasterCard conclu entre Mme Dalfen et BMO [le « contrat MasterCard »].

[4]               Le 30 mars 2015, BMO a entrepris un recours contre Mme Dalfen devant la Cour des petites créances de la Cour supérieure de l’Ontario en vue de recouvrer les montants dus par cette dernière conformément au contrat MasterCard. Mme Dalfen soulève plusieurs motifs de défense dans sa défense modifiée, dont la négligence, l’absence [traduction] « d’accord de volonté » relativement aux conditions du contrat MasterCard, la Loi de 2002 sur la protection du consommateur, L.O. 2002, chap. 30, annexe A, la Loi sur les lettres de change, L.R.C. (1985), ch. B-4 [la « Loi sur les lettres de change »] et la Loi sur les banques (L.C. 1991, ch. 46) [la « Loi sur les banques »]. Les motifs de défense fondés sur la Loi sur les lettres de change et la Loi sur les banques sont semblables aux revendications alléguées dans la déclaration modifiée déposée par Mme Dalfen devant notre Cour. Les procédures devant la Cour des petites créances de la Cour supérieure de l’Ontario sont toujours pendantes.

[5]               La déclaration initiale de Mme Dalfen a été déposée à la Cour le 14 septembre 2015 et indique BMO et Sa Majesté la Reine comme parties défenderesses. Mme Dalfen fait valoir trois causes d’action dans sa déclaration modifiée déposée le 8 mars 2016 à la Cour.

[6]               Elle allègue premièrement que le contrat MasterCard est un « billet de consommation » auquel la mention « achat de consommation » aurait dû être apposée conformément au paragraphe 190(2) de la Loi sur les lettres de change. Elle affirme également que le contrat MasterCard n’est pas conformément marqué et qu’il est donc nul.

[7]               Deuxièmement, Mme Dalfen soutient que l’article 440 de la Loi sur les banques interdit aux banques de prélever des frais sur un compte sans « entente expresse ». Elle affirme que le contrat MasterCard est nul en raison du non-respect de la Loi sur les lettres de change et, à plus forte raison, par l’absence de l’entente expresse requise par la Loi sur les banques. Elle allègue que toutes les tentatives de recouvrement des comptes BMO MasterCard sont donc illégales.

[8]               Troisièmement, Mme Dalfen fait valoir que les tentatives de recouvrement de BMO à l’égard de tous les détenteurs de compte BMO MasterCard contreviennent à de nombreuses dispositions du Règlement sur les pratiques commerciales en matière de crédit (banques, banques étrangères autorisées, sociétés de fiducie et de prêt, associations de détail, sociétés d’assurances canadiennes et sociétés d’assurances étrangères), DORS/2009-257, et du Règlement sur le coût d’emprunt (banques), DORS/2001-101 [le « Règlement sur les banques »], et que des préjudices découlent de ces contraventions. Elle affirme que les exigences de divulgation obligatoire prévues au Règlement sur les banques n’ont pas été respectées et que BMO l’a illégalement menacée de divulguer publiquement sa défaillance.

[9]               En fonction de la prémisse selon laquelle le contrat MasterCard est nul et inapplicable en vertu de la Loi sur les lettres de change et de la Loi sur les banques, Mme Dalfen plaide plusieurs causes d’action de common law, y compris l’enrichissement injustifié, le principe de la restitution, la fiducie constructoire, la négligence et la rupture de contrat. Elle demande les réparations suivantes : a) une déclaration selon laquelle le contrat MasterCard est nul en vertu de la Loi sur les lettres de change et la Loi sur les banques, que BMO a contrevenu aux deux lois et au Règlement sur les banques connexes et que BMO a contrevenu au contrat de carte de crédit conclu avec chacun des membres du groupe proposé; b) une ordonnance enjoignant à BMO de cesser ses tentatives de recouvrement et de s’en désister, un jugement déclaratoire lui ordonnant de payer des dommages-intérêts de plus de 50 000 $ en réparation de ses tentatives de recouvrement illégales et une ordonnance prévoyant la libération de tout montant reçu à l’égard des comptes BMO MasterCard; c) toute autre réparation jugée équitable par la Cour.

[10]           Le 16 mars 2016, BMO a sollicité une ordonnance en radiation de la déclaration de Mme Dalfen pour défaut de compétence conformément à l’article 221 des Règles. BMO fait valoir qu’il est manifeste et évident que le contrat MasterCard n’est pas un billet à ordre et qu’il n’y a aucun fondement qui permettrait à notre Cour de conclure que BMO ne peut recouvrer les sommes dues de tous les comptes MasterCard. BMO soutient également que les observations de Mme Dalfen ne comprennent aucune allégation contre la Couronne et qu’elle ne revendique aucune réparation à son égard. BMO affirme donc que notre Cour n’a pas compétence pour statuer sur la demande en vertu de l’alinéa 23a) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [la « Loi »]. Cette disposition octroie à la Cour la compétence de statuer sur des recours visant des questions de lettres de change et de billets à ordre uniquement lorsque la Couronne est une partie aux procédures. En réponse à cet argument, Mme Dalfen a accepté de se désister de sa demande à l’égard de la Couronne.

[11]           Le 18 mars 2016, lors d’une conférence de gestion de l’instance [la « conférence de gestion »], notre Cour a autorisé Mme Dalfen à se désister de son recours à l’égard de la Couronne et a ordonné que Sa Majesté la Reine soit retirée de l’intitulé de la cause. Pendant cette conférence de gestion, l’avocat de Mme Dalfen a soutenu que la compétence de la Cour sur le recours collectif proposé découle de l’alinéa 23c) de la Loi, qui vise les « ouvrages reliant une province à une autre ou s’étendant au-delà des limites d’une province ». Notre Cour a demandé à BMO de déposer un nouveau dossier de requête pour répondre à la question de la compétence. BMO s’est conformé à cette demande le 1er avril 2016 et Mme Dalfen a déposé une réponse au dossier de requête le 22 avril 2016, à laquelle BMO a répondu le 29 avril 2016.

III.             Analyse

[12]           Une requête en radiation déposée en vertu de l’article 221 des Règles sera accueillie uniquement s’il est « évident et manifeste » que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, [1990] 1 WDCP (2d) 523 (CSC)). Le critère du caractère « évident et manifeste » s’applique à la radiation d’un acte de procédure pour absence de compétence de la même façon qu’il s’applique à la radiation de tout acte de procédure au motif qu’il ne présente aucune cause d’action valable (Hodgson c. Ermineskin Indian Band No. 942, [2000] ACF no 313, au paragraphe 10, 180 FTR 285).

[13]           La Cour fédérale est une cour créée par la loi « pour la meilleure administration des lois du Canada » en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.U.) reproduite dans la L.R.C. 1985, app. II, no 5 [la « Loi constitutionnelle de 1867 »]. Notre Cour peut statuer sur une question uniquement si elle possède la compétence légale requise, qui se retrouve généralement dans la Loi, en plus de la compétence constitutionnelle prévue à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 (Canadian Transit Company c. Windsor (Corporation de la ville), 2015 CAF 88, au paragraphe 19 [Canadian Transit]).

[14]           Le critère permettant d’établir si notre Cour possède la compétence nécessaire a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt ITO-Int’l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 RCS 752, au paragraphe 12, [1986] ACS no 38 [ITO-Int’l Terminal Operators], et nécessite le respect de ces trois volets :

1.             Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2.             Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.

3.             La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[15]           BMO affirme que le premier volet du critère établi dans ITO-Int’l Terminal Operators n’est pas satisfait puisqu’il n’y a pas en l’espèce de loi du Parlement fédéral attribuant la compétence qui permettrait à notre Cour de statuer sur le recours collectif proposé de Mme Dalfen. BMO soutient que la déclaration de Mme Dalfen est du ressort du droit de la propriété et des droits civils et est de nature purement privée, ce qui s’inscrit dans la compétence exclusive de la Cour supérieure de l’Ontario.

[16]           Les parties conviennent que si compétence il y a, celle-ci est attribuée par l’article 23 de la Loi, dont l’extrait pertinent dispose ce qui suit :

Sauf attribution spéciale de cette compétence par ailleurs, la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans tous les cas — opposant notamment des administrés — de demande de réparation ou d’autre recours exercé sous le régime d’une loi fédérale ou d’une autre règle de droit en matière :

Except to the extent that jurisdiction has been otherwise specially assigned, the Federal Court has concurrent original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise, in all cases in which a claim for relief is made or a remedy is sought under an Act of Parliament or otherwise in relation to any matter coming within any of the following classes of subjects:

a) de lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures;

(a) bills of exchange and promissory notes, where the Crown is a party to the proceedings;

[...]

...

c) d’ouvrages reliant une province à une autre ou s’étendant au-delà des limites d’une province.

(c) works and undertakings connecting a province with any other province or extending beyond the limits of a province.

[17]           BMO affirme que la déclaration de Mme Dalfen se fonde sur l’hypothèse selon laquelle le contrat MasterCard constitue un « billet de consommation ». Le paragraphe 189(2) de la Loi sur les lettres de change dispose expressément qu’un billet de consommation est un « billet ».

[18]           Selon BMO, la seule attribution légale de compétence qui pourrait s’appliquer se retrouve à l’alinéa 23a) de la Loi, qui énonce clairement que la compétence de la Cour sur les questions concernant les lettres de change ou les billets à ordre est conditionnelle à la présence de la Couronne fédérale comme partie aux procédures. Puisque Mme Dalfen s’est désistée de sa demande envers la Couronne, BMO allègue qu’il est manifeste et évident que la Cour n’a pas compétence pour trancher le présent litige.

[19]           Mme Dalfen réplique que BMO dépeint trop étroitement sa demande. Elle fait valoir que sa revendication est fondée sur trois causes d’action qui sont distinctes et indépendantes, quoique reliées. Elle affirme que sa demande à l’égard de BMO alléguant que la banque a contrevenu au Règlement sur les banques, notamment en l’ayant menacée de divulguer publiquement sa défaillance, est indépendante de sa demande alléguant que le contrat de carte de crédit est nul en vertu de la Loi sur les lettres de change et de la Loi sur les banques. Elle déclare qu’il est fallacieux de dépeindre sa demande comme étant [traduction] « une poursuite sur un billet à ordre ».

[20]           Mme Dalfen n’a pas répliqué à l’allégation de BMO concernant l’absence de compétence de notre Cour en vertu de l’alinéa 23a) de la Loi. Elle soutient plutôt que la compétence de notre Cour sur cette matière découle de l’alinéa 23c) de la Loi. Elle fait valoir que cet alinéa permet à une partie de demander réparation à notre Cour sous le régime d’une loi fédérale pour des affaires concernant des « ouvrages reliant une province à une autre ou s’étendant au-delà des limites d’une province ». Elle affirme que BMO est une entreprise fédérale dont les services sont régulièrement fournis d’une province à une autre.

A.         La règle de l’exception implicite

[21]           BMO soutient qu’une conclusion d’attribution de compétence de notre Cour pour statuer sur une action ayant trait à un billet à ordre et dans laquelle la Couronne n’est pas partie en vertu de l’alinéa 23c) de la Loi irait à l’encontre de l’intention manifeste du législateur et mènerait à un résultat absurde.

[22]           BMO fonde son argument sur la règle de l’exception implicite, un principe d’interprétation législatif également connu sous l’expression generalia specialibus non derogant. Cette règle dispose [traduction] « qu’une disposition précise doit l’emporter sur une disposition générale uniquement si l’application de celle-ci a pour effet de rendre la disposition précise inutile » (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6th ed (Markham, ON : LexisNexis, 2014), aux pages 363 à 364). La Cour d’appel fédérale a déclaré qu’un « des principes fondamentaux de l’interprétation législative veut qu’une loi ou une disposition d’une loi qui traite d’une matière d’une façon spécifique doit avoir préséance et l’emporter sur une loi ou une disposition à caractère général traitant de la même matière » (Assurance-vie Banque Nationale, Compagnie d’assurance-vie c. Canada, 2006 CAF 161, au paragraphe 9).

[23]           Selon BMO, puisque le recours de Mme Dalfen se fonde sur l’hypothèse que le contrat MasterCard est un billet à ordre, l’alinéa 23a) de la Loi doit l’emporter sur l’alinéa 23c).

[24]           Le paragraphe 189(2) de la Loi sur les lettres de change prévoit qu’un « billet de consommation est un billet : a) émis relativement à un achat de consommation; b) qui engage, en tant que partie, la responsabilité de l’acheteur ou de tout signataire complaisant ». Le paragraphe 176(1) de la Loi sur les lettres de change défini ainsi le « billet » (aussi appelé billet à ordre) : « une promesse écrite signée par laquelle le souscripteur s’engage sans condition à payer, sur demande ou à une échéance déterminée ou susceptible de l’être, une somme d’argent précise à une personne désignée ou à son ordre, ou encore au porteur ».

[25]           Si le contrat MasterCard est un « billet de consommation » et, par conséquent, un « billet à ordre » tel qu’il est défini dans la Loi sur les lettres de change, je suis d’accord avec BMO que la disposition législative s’appliquant se retrouve à l’alinéa 23a) de la Loi. Comme il a déjà été mentionné, le paragraphe 23a) de la Loi confère à notre Cour la compétence de statuer sur les litiges découlant de billets à ordre uniquement lorsque la Couronne est partie aux procédures. Déterminer que notre Cour a compétence en vertu de l’alinéa 23c) de la Loi uniquement parce que BMO est une entreprise fédérale dont les services sont fournis en dehors des frontières d’une province irait à l’encontre de l’intention claire du législateur selon laquelle la Cour a compétence pour statuer sur des litiges concernant des billets à ordre uniquement lorsque la Couronne est une partie aux procédures.

[26]           Toutefois, si le litige ne repose pas uniquement sur l’hypothèse selon laquelle le contrat MasterCard est un « billet à ordre » tel qu’il est défini dans la Loi sur les lettres de change, alors la demande de Mme Dalfen n’est pas uniquement [traduction] « reliée à une question » concernant [traduction] « des lettres de change ou des billets à ordre ». Dans ces circonstances, la règle de l’exception implicite n’empêcherait pas notre Cour d’avoir compétence en vertu de l’alinéa 23c) de la Loi. J’observe que certaines revendications de Mme Dalfen, y compris celles relatives à la contravention alléguée de BMO au Règlement sur les banques, ne sont pas reliées à première vue à une question reposant sur des billets à ordre. Je dois par conséquent examiner s’il est possible de conclure à la compétence de la Cour en vertu de l’alinéa 23c) de la Loi.

B.         Ouvrages fédéraux ou entreprises fédérales

[27]           Il n’est pas contesté que BMO est une entreprise fédérale. Toutefois, comme l’a observé le juge Zinn, « [l]e simple fait que la défenderesse soit une entreprise fédérale ne peut en soi fonder la compétence de la Cour » (Katz c. Banque de Nouvelle-Écosse, 2009 CF 328, au paragraphe 14, citant Gracey c. Société RadioCanada, (1990), [1990] ACF no 1155, [1991] 1 CF 739). La compétence de notre Cour doit donc être prévue soit par la Loi, soit par une autre loi fédérale qui lui attribue explicitement cette compétence.

[28]           Rien dans la Loi sur les lettres de change ne prévoit précisément la compétence de notre Cour. L’article 2 de la Loi sur les banques définit le mot « tribunal » comme signifiant tous les tribunaux provinciaux y étant décrits. Certaines dispositions de la Loi sur les banques concernent la compétence de la Cour fédérale, comme le paragraphe 977(1), selon lequel certaines directives du ministre des Finances sont susceptibles d’appel devant la Cour fédérale (voir également les paragraphes 617.2(7), 624(2), 647.1(7), 654(2) et 964(7)). Toutefois, aucune des dispositions attribuant compétence à la Cour fédérale ne sont visées par le présent litige. Mme Dalfen n’a pas non plus indiqué de loi fédérale qui pourrait servir de fondement à la compétence de la Cour pour statuer sur ce recours.

[29]           Selon Mme Dalfen, BMO est une « entreprise fédérale » fournissant des services en dehors de la province de l’Ontario et possédant des biens et des équipements dans plus d’une province. Elle affirme que sa demande vise donc une « entreprise fédérale » s’étendant au-delà des limites de la province de l’Ontario, comme le prévoit l’alinéa 23c) de la Loi.

[30]           BMO souligne qu’il n’y a aucun jugement établissant que notre Cour a compétence pour se pencher sur un recours contre une banque canadienne en vertu de l’alinéa 23c) de la Loi. Toutes les décisions citées dans lesquelles la compétence a été attribuée en fonction de cette disposition visent des ouvrages physiques comme des ponts, des voies ferrées, des réseaux de télécommunication ou le mouvement de biens physiques entre les frontières provinciales.

[31]           Mme Dalfen réplique que la Cour suprême du Canada a interprété largement le libellé législatif de l’alinéa 23c) de la Loi pour y inclure les entreprises fédérales offrant leurs services entre les provinces. Elle affirme qu’il n’est pas nécessaire que l’objet en question possède un « lien matériel » pour constituer des « ouvrages [...] s’étendant au-delà des limites d’une province » (en citant Capital Cities Comm. c. C.R.T.C., (1977), [1978] 2 RCS 141, [1977] ACS no 119 (QL) [Capital Cities] et Alberta Government Telephones c. (Canada) Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1989] 2 RCS 225, [1989] 5 WWR 385 [Alberta Government Telephones]). Elle soutient que les banques à charte fédérales comme BMO peuvent [traduction] « facilement » être comprises sous cette disposition.

[32]           À mon avis, les jugements sur lesquels se fonde Mme Dalfen ne lui sont d’aucune aide. Dans l’arrêt Capital Cities, qui concerne une compagnie de télévision câblée exploitant une « entreprise de réception de radiodiffusion », la Cour suprême mentionne une décision du Conseil privé, qui affirme que [traduction] « leurs Seigneuries ne doutent donc pas que la radiodiffusion est une entreprise “reliant la province à d’autres provinces et s’étendant au-delà des limites de la province” » et qu’une [traduction] « “entreprise” n’est pas une chose matérielle, mais une organisation dans laquelle on utilise des choses matérielles » (Capital Cities, aux paragraphes 17 et 28). L’arrêt Alberta Government Telephones concerne un système d’appels locaux alors que l’arrêt Canadian Transit vise un pont reliant les villes de Windsor et de Detroit.

[33]           En termes simples, l’objet du recours de Mme Dalfen à l’égard de BMO est le contrat MasterCard. Cet objet ne peut être interprété comme étant un ouvrage fédéral ou une entreprise fédérale reliant deux provinces ou s’étendant au-delà des frontières de la province, comme ce qui a été reconnu par la jurisprudence. Les allégations de Mme Dalfen vis-à-vis de la compétence de la Cour en vertu de l’alinéa 23c) de la Loi sont sans fondement.

[34]           En raison de ma conclusion selon laquelle la Loi n’attribue pas de compétence à la Cour, le premier critère du volet défini dans l’arrêt ITO-Int’l Terminal Operators n’est pas satisfait. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner les deux autres volets du critère.

IV.             Conclusion

[35]           Le recours collectif proposé de Mme Dalfen se fonde principalement sur l’hypothèse que le contrat MasterCard constitue un billet à ordre. L’alinéa 23a) de la Loi aborde expressément la compétence de la Cour dans le contexte d’un litige découlant d’un billet à ordre. La Compétence de la Cour en vertu de l’alinéa 23a) est conditionnelle à ce que la Couronne soit partie au litige, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. De plus, il est impossible de conclure à la compétence de la Cour sur cette affaire en fonction de l’alinéa 23c) de la Loi. Il n’est pas possible d’interpréter un contrat MasterCard comme constituant un ouvrage fédéral ou une entreprise fédérale reliant deux provinces ou s’étendant au-delà des frontières de la province. Il est donc manifeste et évident que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur ce litige.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.      La déclaration modifiée est radiée dans son intégralité, sans autorisation de la modifier.

2.      Si les parties sont incapables de s’entendre sur les dépens, elles pourront déposer des observations écrites d’au plus cinq (5) pages dans les trente (30) jours ouvrables suivant la date de la présente décision.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1540-15

 

INTITULÉ :

ITKA DALFEN c. BANQUE DE MONTRÉAL

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 juillet 2016

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Kenneth M. Alexander

Henry Juroviesky

 

Pour la demanderesse

 

Michael A. Eizenga

Ranjan K. Agarwal

Nathan J. Shaheen

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davenport Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Bennett Jones LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

 

 

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