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Date : 20160729


Dossier : IMM-5412-15

Référence : 2016 CF 887

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

LIQIN DENG

YONGQIANG ZHAO

demandeurs

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Mme Deng et M. Zhao, les demandeurs, sont des citoyens de la Chine. Ils ont quitté la Chine en avril 2015, et ont demandé l’asile au Canada au motif qu’ils craignent d’être persécutés par le gouvernement chinois en raison de leurs croyances religieuses. Leur demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Les demandeurs ont interjeté appel de la conclusion de la SPR à la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

[2]               En confirmant la décision de la SPR, la SAR a conclu que les allégations des demandeurs n’étaient pas crédibles, selon la prépondérance des probabilités. La SAR a alors procédé à une analyse sur place, soit une analyse que la SPR n’avait pas réalisée. La SAR a conclu que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour établir une demande sur place.

[3]               Les demandeurs soutiennent que la SAR a refusé de façon déraisonnable d’admettre de nouveaux éléments de preuve qu’ils ont présentés en appel. Ils soutiennent également que la SAR n’avait pas compétence pour déterminer l’aspect sur place de la demande et qu’elle a évalué de façon déraisonnable leur identité religieuse. Les demandeurs demandent à ce que la décision de la SAR soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen.

[4]               La demande soulève les questions suivantes :

A. La SAR a-t-elle refusé de façon raisonnable d’admettre les nouveaux éléments de preuve proposés?

B.  La SAR a-t-elle commis une erreur en abordant la question de l’aspect sur place?

C.  La décision était-elle autrement raisonnable?

[5]               Les arguments des demandeurs ne m’ont pas convaincu, c’est pourquoi je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

II.                Norme de contrôle

[6]               Les demandeurs soutiennent que la Cour devrait appliquer une norme de la décision raisonnable en examinant les questions A et C susmentionnées, mais que la question B, portant sur l’aspect sur place, soulève une question de compétence devant être examinée en regard de la norme de la décision correcte. Je ne suis pas de cet avis.

[7]               En examinant l’aspect sur place, la SAR devait interpréter sa loi constitutive, plus précisément les paragraphes 111(1) et 111(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Lorsqu’un tribunal interprète sa loi constitutive, il y a une présomption que la norme de la décision raisonnable s’applique à cette interprétation (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, aux paragraphes 30 à 33 [Huruglica]; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 54 [Dunsmuir]). La question soulevée ici n’en est pas une de véritable compétence, mais plutôt une question d’interprétation. J’appliquerai une norme de la décision raisonnable en examinant toutes les questions soulevées.

III.             Analyse

A.                La SAR a-t-elle refusé de façon raisonnable d’admettre les nouveaux éléments de preuve proposés?

[8]               Les demandeurs ont présenté de nouveaux éléments de preuve à la SAR sous la forme d’un témoignage par affidavit d’un chef de la Church of Almighty God au Canada et de documents imprimés sur le site Web de cette Église.

[9]               La SAR a refusé d’accepter les nouveaux éléments de preuve proposés. La SAR a fait remarquer que le paragraphe 110(4) de la LIPR limite les nouveaux éléments de preuve à ceux qui sont survenus après le rejet de la demande par la SPR ou que les demandeurs n’auraient pas normalement présentés à la SPR dans les circonstances. La SAR a conclu que les nouveaux éléments de preuve ne répondaient pas aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR.

[10]           Les demandeurs ont fait valoir qu’étant donné que les appels de la SAR ont pour objet d’être des appels entièrement fondés sur les faits, celle-ci devrait avoir adopté une approche plus souple quant à l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve. En omettant de le faire, la SAR a appliqué le paragraphe 110(4) de la LIPR de façon déraisonnable. Je ne puis être d’accord.

[11]           La SAR a raisonnablement refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve proposés par les demandeurs en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR. Il était raisonnablement justifié que la SAR conclue que les demandeurs pourraient avoir obtenu et fourni les renseignements à la SPR. De la même façon, il était raisonnablement justifié que la SAR rejette l’explication des demandeurs selon laquelle ils ne pouvaient pas prévoir que la SPR formulerait des conclusions négatives en se fondant sur l’identité religieuse, alors que l’identité religieuse était au cœur de la demande. Enfin, la décision récente de la Cour d’appel fédérale Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96 [Singh] réfute l’argument des demandeurs selon lequel la SAR devrait appliquer une approche souple quant à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR (Singh aux paragraphes 54 et 72).

[12]           La SAR a raisonnablement refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve des demandeurs en appel.

B.                 La SAR a-t-elle commis une erreur en abordant la question de l’aspect sur place?

[13]           Dans sa décision, la SAR a reconnu que la SPR n’avait pas mené d’analyse sur place ni abordé la question de l’aspect sur place dans ses motifs. La SAR a également reconnu la position des demandeurs selon laquelle elle n’a pas compétence concernant l’aspect sur place, et doit renvoyer l’affaire à la SPR pour un nouvel examen. La SAR a toutefois déterminé qu’étant donné que les demandeurs ont soulevé la question de l’aspect sur place comme question en appel, elle avait compétence pour aborder la question, et c’est donc ce qu’elle a fait.

[14]           Les demandeurs ont fait valoir que la SAR a commis une erreur en concluant qu’elle avait compétence pour évaluer de façon indépendante l’aspect sur place de la demande des demandeurs, en se fondant sur la décision Jianzhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 551 [Jianzhu]. Les demandeurs ont soutenu que la SAR peut seulement annuler une décision de la SPR et y substituer sa propre décision lorsque la SPR a effectivement rendu une décision sur la question. Lorsqu’aucune décision n’a été rendue, la SAR ne peut pas évaluer la question de façon indépendante et aboutir à une décision; elle doit plutôt renvoyer l’affaire à la SPR. Je ne suis pas d’accord.

[15]           La SAR pourrait raisonnablement conclure que cette affaire diffère de la décision Jianzhu. Dans la décision Jianzhu, ni les demandeurs ni la SPR n’ont soulevé la question de l’aspect sur place. La question portait sur l’équité envers les demandeurs du fait qu’ils n’avaient pas eu d’avis ni d’occasion d’aborder la question de l’aspect sur place dans Jianzhu.

[16]           On peut constater que la question sous-jacente concerne l’équité, et non la compétence, au paragraphe 20 de la décision du juge Michel Shore dans Ghamooshi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 225 : « La Cour, en lisant l’alinéa 111(1)b) de la LIPR, a déclaré que la SAR, en soi, ne peut pas soulever une nouvelle question, non définie par la SPR, sans autre avis aux parties (Ojarikre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 896; Jianzhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 551 [Jianzhu]). »

[17]           Dans le cas présent, les demandeurs ont soulevé la question de l’aspect sur place dans les observations à la SAR. Il était raisonnablement justifié que la SAR interprète que le paragraphe 111(2) de la LIPR l’autorisait à aborder la question; cette interprétation cadre également avec le rôle de la SAR, qui « doit intervenir quand la SPR a commis une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit » (Huruglica, au paragraphe 78).

[18]           La SAR n’a pas commis une erreur en abordant la question de l’aspect sur place en appel.

C.                 La décision était-elle autrement raisonnable?

[19]           La SAR a examiné et confirmé la plupart, si ce n’est pas l’ensemble des conclusions défavorables de la SPR relatives à la crédibilité, concluant que le témoignage des demandeurs ne correspondait pas aux connaissances d’un pratiquant de l’Église de leur profil. La SAR a conclu que les allégations des demandeurs selon lesquelles ils étaient des pratiquants de l’Église n’étaient pas crédibles, selon la prépondérance des probabilités.

[20]           La SAR a reconnu que la jurisprudence de la Cour met en garde contre l’approche de poser des questions aléatoires sur une religion, mais a également fait remarquer que la jurisprudence permet d’évaluer des allégations de foi en posant des questions réfléchies et prudentes en vue de faire état des connaissances des demandeurs à l’égard de la religion en question. La SAR a raisonnablement conclu que c’est ce qu’il s’est produit en l’espèce.

[21]           En examinant la demande sur place, la SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les conclusions défavorables dans leur ensemble menaient à la conclusion que les connaissances des demandeurs étaient insuffisantes pour démontrer qu’ils étaient ou avaient été de sincères pratiquants que ce soit dans ce pays ou ailleurs à un autre moment, et à la conclusion qu’ils n’étaient pas d’authentiques pratiquants de cette Église en Chine. À la lumière de ces conclusions, la SAR a déterminé que, selon la prépondérance des probabilités, l’allégation des demandeurs selon laquelle ils étaient des pratiquants de la Church of Almighty God en Chine avait été formulée pour appuyer leur demande d’asile frauduleuse. La SAR fait remarquer qu’aucun élément de preuve convaincant n’indiquait que les activités religieuses des demandeurs au Canada étaient venues à l’attention des autorités chinoises, ou qu’ils seraient considérés comme des pratiquants à leur retour en Chine.

[22]           Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables en fonction de leur manque de connaissances quant à certains aspects de l’Église. Les demandeurs avancent qu’il est impossible d’établir des attentes quant au niveau de connaissances d’un membre de l’Église, compte tenu des divergences de croyances et de pratiques. Les demandeurs soutiennent également que les éléments de preuve documentaires renferment peu d’information sur l’Église en soi, en indiquant qu’il est impossible de vérifier ce que croirait un adepte de la Church of Almighty God, compte tenu des problèmes énoncés. Les demandeurs soutiennent que les conclusions d’invraisemblance ont été formulées sans fondement probatoire. Je ne suis pas de cet avis.

[23]           La SAR a examiné les conclusions relatives à la crédibilité formulées par la SPR, et a raisonnablement conclu que les éléments de preuve des demandeurs concernant leur connaissance de cette Église allaient à l’encontre des éléments de preuve documentaires. La SAR a fourni des motifs détaillés pour justifier ces conclusions, en établissant des liens avec les éléments de preuve documentaires et en faisant état des cas où les éléments de preuve documentaires pouvaient être considérés comme allant à l’encontre de ses conclusions. La SAR a reconnu que certains renseignements contradictoires existaient relativement à cette Église et qu’il y avait une divergence dans les croyances de l’Église officielle et de celles en Chine. La SAR s’est raisonnablement appuyée sur les renseignements propres aux pratiquants en Chine, étant donné que les éléments de preuve des demandeurs indiquaient qu’ils avaient été des pratiquants en Chine pendant plusieurs années avant leur arrivée au Canada. La SAR a raisonnablement déterminé que les éléments de preuve des demandeurs devaient être considérés comme allant à l’encontre des éléments de preuve documentaires, et non de la version anglaise du site Web de l’Église.

[24]           En outre, les demandeurs n’ont pas démontré que les contradictions entre leur témoignage et les éléments de preuve documentaire n’étaient pas survenues. Ils ont plutôt affirmé que la SPR et la SAR auraient dû comparer leur témoignage et les nouveaux éléments de preuve proposés. Comme il a été mentionné plus tôt, je conclus qu’il était raisonnable de la part de la SAR de ne pas admettre les nouveaux éléments de preuve.

[25]           Les conclusions de la SAR ont également raisonnablement appuyé les conclusions relatives à la demande sur place. La SAR a évalué la demande en tentant compte des éléments de preuve et de ses constatations antérieures, et a conclu que les demandeurs se sont joints à une Église au Canada afin d’appuyer leur demande frauduleuse. Il n’était pas déraisonnable de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’authenticité de leur pratique au Canada aux fins d’une demande sur place (Su c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 518, au paragraphe 17).

[26]           La décision de la SAR était justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir, au paragraphe 47).

IV.             Question à certifier

[27]           Les demandeurs ont proposé la question à certifier suivante :

La SAR a-t-elle compétence pour rendre une décision sur une question dans une demande où la SPR n’a pas rendu de décision sur ladite question, et si oui, dans quelles circonstances?

[28]           Les demandeurs ont soutenu que la jurisprudence n’est pas claire à l’égard de cette question et que la Cour d’appel fédérale ne s’est pas penchée sur la question dans la décision Huruglica  puisque les faits de cette affaire se rapportaient à une question qui avait précédemment fait l’objet d’une décision par la SPR. Encore une fois, je ne suis pas d’accord avec les demandeurs.

[29]           La Cour d’appel fédérale a énoncé le critère de la certification des questions aux fins d’un appel en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR, à plusieurs reprises (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 10 à 12; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9). Ces arrêts établissent que la Cour ne peut certifier une question en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR que si elle i) est déterminante quant à l’issue de l’appel; ii) transcende les intérêts des parties au litige et porte sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale.

[30]           La question ne soulève aucune question de portée générale. Comme il a été noté dans les observations des demandeurs à l’appui de la question proposée, la Cour d’appel fédérale énonce le rôle de la SAR dans le paragraphe 103 de la décision Huruglica, où la juge Gauthier déclare ce qui suit :

Au terme de mon analyse des dispositions législatives, je conclus que, concernant les conclusions de fait (ainsi que les conclusions mixtes de fait et de droit) comme celle dont il est question ici, laquelle ne soulève pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix, la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant. Après cette étape, la SAR peut statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle-ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile. L’affaire ne peut être renvoyée à la SPR pour réexamen que si la SAR conclut qu’elle ne peut rendre une décision définitive sans entendre les témoignages de vive voix présentés à la SPR. Nulle autre interprétation des dispositions législatives pertinentes ne serait raisonnable.

[31]           Je ne peux pas être d’accord avec les observations des demandeurs selon lesquelles cet énoncé laisse planer une ambiguïté ou de l’incertitude quant au rôle de la SAR lors de l’examen d’une décision de la SPR. Alors que la décision Jianzhu indique que la compétence ne peut pas exister pour examiner une question n’ayant pas déjà fait l’objet d’une décision par la SAR, cette décision a été rendue avant la décision Huruglica de la Cour d’appel fédérale. En outre, de nombreuses décisions subséquentes de la Cour ont été appuyées sur la décision Jianzhu pour étayer l’exigence d’avis et d’occasion de formuler des observations lorsque la SAR aborde une question n’ayant pas déjà fait l’objet d’une décision par la SAR, et non pas pour suggérer que la SAR n’a pas compétence pour le faire.

[32]           Par conséquent, je conclus que la question proposée ne soulève aucune question de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-5412-15

 

 

INTITULÉ :

LIQIN DENG, YONGQIANG ZHAO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 JUIN 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 JUILLET 2016

 

COMPARUTIONS :

Phillip Trotter

Pour les demandeurs

Kevin Doyle

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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