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Date : 20160720


Dossier : IMM-5326-15

Référence : 2016 CF 838

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

JETMIR HIRAJ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2011, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision rendue le 4 novembre 2015 par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

II.                Contexte

[2]               Le demandeur, M. Jetmir Hiraj, est un citoyen de l’Albanie.

[3]               Le 17 avril 2012, le demandeur a eu connaissance d’un différend entre son oncle et un baron de la drogue, M. Sphendi Basha (Basha). Dans le but de résoudre le différend, le demandeur et son cousin sont allés voir Basha, qui a tenté de poignarder le demandeur et a fait feu dans la direction de ce dernier, alors que son cousin et lui partaient. Le cousin du demandeur est ensuite retourné voir Basha et a tiré Basha dans la jambe.

[4]               En lien avec cette agression, le cousin du demandeur a été arrêté et condamné à plus de quatre ans de prison, au terme d’un procès.

[5]               En mars 2014, Basha a été trouvé assassiné. Le demandeur allègue que parce que la famille de Basha a cru que son cousin et lui étaient impliqués dans l’assassinat, elle a commencé à le menacer et à le harceler.

[6]               Le demandeur prétend qu’en septembre 2014, alors qu’il logeait chez un ami à Delvinë, des hommes sont venus à sa recherche et ont tiré sur la maison de son ami. L’ami a déposé une plainte auprès de la police le jour même, bien que le rapport de police présenté en preuve soit daté du 26 novembre 2014, date à laquelle le demandeur se trouvait déjà au Canada.

[7]               Le 15 octobre 2014, le demandeur a été attaqué par trois inconnus, mais il n’a pas prévenu les autorités, croyant que la famille de Basha avait des contacts au sein des services de police, étant donné que ce dernier avait été un baron de la drogue connu.

[8]               Le demandeur a quitté l’Albanie le 8 octobre 2014, a fait escale en Grèce et en Espagne, est arrivé au Canada le 29 octobre 2014 et a demandé l’asile le même jour.

[9]               Le 16 février 2015, la SPR a rejeté la demande du demandeur en soulevant de nombreuses questions liées à la crédibilité et en concluant que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État.

[10]           Dans une décision rendue le 9 novembre 2015, la SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

[11]           La SAR a jugé que la SPR avait procédé à une analyse combinée de la crédibilité et de la protection de l’État et qu’elle avait conclu que a) le demandeur n’avait pas fourni une preuve suffisante permettant d’établir un lien avec un motif énoncé dans la Convention, b) que certains des éléments de preuve manquaient de crédibilité et c) qu’il n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État. La SAR a conclu qu’il ressortissait de la décision que la SPR avait correctement appliqué les critères prévus aux articles 96 et 97 pour en arriver à sa décision.

[12]           La SAR a mentionné que le demandeur s’était rendu en Italie à sept reprises entre 2012 et 2014, de même qu’en France et en Espagne en 2014, et que ses explications quant au fait qu’il n’avait pas demandé l’asile dans l’un de ces pays n’étaient pas raisonnables. La SAR a déduit que si l’appelant craignait la famille de Basha, tel qu’il l’a allégué, il n’était pas logique qu’il ait pris le risque de se rendre au Canada avec des documents frauduleux, plutôt que de demander l’asile dans les pays où il était entré légalement à plusieurs occasions auparavant. La SAR a également déclaré avoir une connaissance judiciaire que l’Italie et l’Espagne étaient des États hautement démocratiques possédant des forces de l’ordre efficaces et qu’il aurait été raisonnable de la part du demandeur d’y demander immédiatement l’asile. La SAR a conclu que les actes du demandeur indiquent que son témoignage selon lequel il craint un préjudice de la part de la famille de Basha n’est pas crédible.

[13]           La SAR a aussi conclu que le fait que le demandeur se soit réclamé à nouveau de la protection de l’État de manière répétitive en 2012, 2013 et 2014 mine sa crédibilité, tant sur le plan général que spécifique, puisqu’elle portait sur ses allégations de risque de préjudice en Albanie.

[14]           Bien que le demandeur ait allégué devant la Cour que les membres de sa famille se trouvant en Italie ont été menacés par la famille de Basha, il a omis d’en faire mention dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) et dans son exposé, ce qui, selon la conclusion de la SAR, mine davantage sa crédibilité. Le demandeur n’a pu fournir d’explication raisonnable pour cette omission, malgré le fait qu’il s’agissait d’une allégation centrale de sa demande.

[15]           Concernant l’évaluation de la crédibilité du demandeur par la SPR, la SAR a conclu que [traduction] « bien que la SPR n’ait pas clairement rejeté certains éléments de preuve ou n’ait pas conclu de manière globale quant à la question de la crédibilité, ses préoccupations en matière de crédibilité demeurent les mêmes et sont mentionnées dans son analyse de la protection de l’État ». La SAR a jugé que les conclusions relatives à la protection de l’État avaient leur propre fondement, bien que la SPR n’ait pas erré en mentionnant ses préoccupations en matière de crédibilité et en tirant des conclusions relatives à la crédibilité.

[16]           En outre, la SAR a établi que la preuve documentaire sur l’efficacité de la protection de l’État en Albanie était assez générale et mitigée, en plus de souligner l’importance d’une analyse individualisée de la demande du demandeur. La SAR a également noté que la SPR était présumée avoir pris en compte tous les éléments de preuve dont elle disposait et qu’elle n’était pas tenue de renvoyer à chaque document au dossier. Elle a conclu que des éléments de preuve indiquaient que le gouvernement avait pris des mesures visant à résoudre le problème du crime organisé en Albanie en général, et plus précisément dans la ville de Lazarat. La preuve démontrait que la police était prête à arrêter les individus soupçonnés de crime, y compris les membres des organisations criminelles, et qu’elle était en mesure de le faire, et que l’Albanie avait pris des mesures qui avaient amélioré la présomption de protection de l’État.

[17]           La SAR n’a accordé aucun poids à une lettre et à une déclaration provenant du chef de police de la ville de Delvinë. Selon la date, la déclaration remontait à deux mois après le départ du demandeur vers le Canada, et il y manquait des précisions spécifiques que l’on s’attend par ailleurs de trouver dans une telle lettre. De plus, la SAR a jugé qu’il serait absurde de la part du chef de police de Delvinë de commenter la situation propre au demandeur, puisque les faits avaient pris naissance dans un autre territoire et que le demandeur n’avait pas sollicité la protection de la police de Delvinë ou de celle de son propre district. En outre, la lettre contredisait des éléments de preuve objectifs indiquant que la situation à Lazarat avait été dissipée, lesquels la SAR a privilégié comme très crédibles, fiables et probants.

[18]           La SAR a noté que le demandeur n’avait fait aucun effort pour obtenir la protection de la police, alors que ses propres éléments de preuve démontraient que la police aurait enquêté si une plainte avait été déposée. La police mène des enquêtes en lien avec des allégations criminelles et les auteurs de crimes sont poursuivis en justice, ce qui a mené à l’arrestation du cousin du demandeur. Par conséquent, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour obtenir la protection de l’État en Albanie, et que ce défaut entraînait le rejet de sa demande d’asile.

III.             Questions en litige

[19]           Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La SAR a-t-elle erré en omettant de tirer des conclusions sur la crédibilité, en termes clairs et sans équivoque?
  2. La SAR a-t-elle erré dans la conduite de l’analyse relative à la protection de l’État?

IV.             Norme de contrôle

[20]           La norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable.

[21]           Les parties ont convenu lors de l’audience qu’il n’existe pas de question litigieuse relativement à la norme de contrôle appropriée, conformément à la décision récente de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93.

V.                Analyse

A.                La SAR a-t-elle erré en omettant de tirer des conclusions sur la crédibilité, en termes clairs et sans équivoque?

[22]           Le demandeur prétend que la SAR a erré en acceptant les conclusions erronées et imprécises relatives à la crédibilité, tirées par la SPR. Le décideur est tenu de faire ressortir, en des termes clairs et sans équivoque, s’il croit ou non le demandeur. En outre, le demandeur déclare que l’analyse de la protection de l’État aurait dû être menée après avoir d’abord établi la crainte de persécution.

[23]           Le demandeur prétend également que la conclusion défavorable de la SAR en matière de crédibilité en ce qui concerne son omission de mentionner, dans son formulaire FDA, les menaces faites à sa famille est déraisonnable, puisqu’il ne s’agissait pas d’une « allégation centrale », mais simplement d’une précision supplémentaire et d’une clarification apportée au récit du demandeur. La SAR a également omis d’expliquer pourquoi elle a conclu que l’explication de son oubli était déraisonnable.

[24]           Je conclus que la SPR, puis la SAR ont effectivement fait ressortir de manière suffisamment claire les parties de la preuve du demandeur qu’elles n’ont pas crues.

[25]           La SAR a conclu que les voyages du demandeur dans plusieurs pays sûrs pendant une période de deux ans et son défaut de demander la protection en Espagne, en France ou en Italie [traduction] « minent sa crédibilité quant à la nature et au degré de sa crainte de retourner dans son pays, de même que son allégation selon laquelle la famille du baron de la drogue est puissante au point d’empêcher la police de pouvoir l’aider en Albanie ». La SAR n’a pas cru le récit du demandeur quant aux raisons de son défaut de demander l’asile dans lesdits pays avant le mois d’octobre 2014. Elle précise que [traduction] « ses actes indiquent que son témoignage selon lequel il craint un grand préjudice de la part du baron de la drogue n’est pas crédible, selon la prépondérance des probabilités », et elle ne fait pas mention de l’absence de crainte subjective de la part du demandeur, puisqu’il s’agit d’un facteur non pertinent en vertu de l’article 97.

[26]           De plus, la SAR a conclu que le fait que le demandeur se soit réclamé à nouveau de la protection de l’Albanie de manière répétitive [traduction] « mine sa crédibilité puisque ces demandes avaient trait à ses allégations de risque de préjudice en Albanie, puis elle conclut qu’elles minent sa crédibilité de manière générale ».

[27]           Les conclusions précitées portent spécifiquement sur la crédibilité de la demande du demandeur concernant le risque auquel il fait face, sa crainte d’être persécuté et le profil des persécuteurs, ce qui se rapporte à la question en litige à savoir si la peur du demandeur est objectivement raisonnable.

[28]           Bien que le demandeur conteste l’analyse de la SAR concernant son omission dans le formulaire FAD, à mon avis, il n’est pas déraisonnable que la SAR ait conclu que les allégations de menaces envers la famille du demandeur, de la part de ses prétendus persécuteurs, étaient sérieuses, et que l’on s’attendrait à ce qu’il en soit fait mention dans le formulaire FAD. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’explication raisonnable à cette omission, et elle avait le droit d’en tirer une conclusion défavorable (Aragon c. Canada (Citoyenneté et Immigration)), 2008 CF 144; Abdurahimov c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 827, au paragraphe 15). En tout état de cause, cette partie de l’analyse n’avait pas d’incidence sur la question en litige déterminante, sur laquelle la demande du demandeur a été rejetée, en particulier vu les autres faits défavorables au demandeur.

[29]           À mon avis, les deux décisions citées par le demandeur à l’appui de son allégation selon laquelle les conclusions relatives à la crédibilité rendaient la décision déraisonnable – Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 251 et Farkas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 210 – se distinguent de la présente affaire. Contrairement à ces décisions, je n’estime pas que la décision de la SAR était contradictoire, qu’elle ait tenu compte de facteurs non pertinents ou qu’elle n’était pas claire en établissant que le demandeur était jugé non crédible quant au préjudice auquel il ferait face à son retour, au pouvoir et aux menaces des agents de persécution échappant à la protection de l’État et quant à la crédibilité de sa demande de manière générale.

[30]           En outre, je ne considère pas la déclaration de la SAR, à savoir que [traduction] « bien que la SPR n’ait pas clairement rejeté certains éléments de preuve ou n’ait pas conclu de manière globale quant à la question de la crédibilité, ses préoccupations en matière de crédibilité demeurent les mêmes et sont mentionnées dans son analyse de la protection de l’État », comme une admission que la SPR avait commis une erreur, tel que le prétend le demandeur. La SAR reconnaît plutôt que, dans les circonstances, la SPR n’était pas tenue de rejeter des éléments de preuve spécifiques ou de conclure que le demandeur était en général non crédible, étant donné que la question de la protection de l’État était déterminante. C’est ce qui ressort de la déclaration de la SAR à la suite de la phrase précitée :

[traduction] La SPR a conclu que la protection de l’État constituait la question litigieuse déterminante de la demande du [demandeur]. La SAR convient et conclut, pour les motifs exposés ci-dessous, que les conclusions relatives à la protection de l’État avaient leur propre fondement, sans prendre appui sur les préoccupations en matière de crédibilité précitées.

[31]           Après examen de l’ensemble de la décision de la SAR, je conclus que cette dernière a fait preuve de suffisamment de clarté quant à la définition de ses conclusions en matière de crédibilité, puisqu’elles ont trait à la question litigieuse déterminante, soit la protection de l’État.

[32]           Bien qu’une certaine ambiguïté découle du regroupement apparent des critères des articles 96 et 97 par la SPR et la SAR, je conclus qu’une analyse contextuelle de la décision rendue par la SAR démontre que chaque élément de chaque critère a été considéré adéquatement au moment de rendre la décision, et que la SAR n’a pas commis d’erreur.

B.                 La SAR a-t-elle erré dans la conduite de l’analyse relative à la protection de l’État?

[33]           Le demandeur prétend que, vu la nature mixte de la preuve concernant l’efficacité opérationnelle de la protection de l’État en Albanie, la SAR ne pouvait pas procéder à une analyse de la protection de l’État sans tirer de conclusions claires en matière de crédibilité.

[34]           Comme il a été mentionné précédemment, je ne crois pas que la SAR ait erré en tirant des conclusions imprécises en matière de crédibilité, et elle a donc pu mener correctement une analyse de la protection de l’État.

[35]           Le demandeur prétend également qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de conclure que le gouvernement albanais était en mesure d’offrir une protection de l’État adéquate au demandeur, à partir d’un document détaillant une seule opération policière, probablement liée à la candidature de l’Albanie à l’Union européenne. De plus, la première interaction du demandeur avec la police à propos de sa situation a entraîné l’arrestation de son cousin. Il était par conséquent raisonnable de sa part de ne pas s’adresser à la police une seconde fois. Dans ce cas, le fait que la police ait choisi de faire enquête sur son cousin plutôt que sur Basha n’est pas signe d’un système fonctionnel ou opérationnel efficace.

[36]           Le demandeur affirme également que la SAR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve objectifs importants, qui démontrent que le crime organisé et la corruption demeurent un problème sérieux en Albanie, sans expliquer pourquoi elle a procédé ainsi. Par conséquent, la SAR n’a pas mené une analyse de la protection de l’État individualisée et contextualisée appropriée.

[37]           Un demandeur a le fardeau de réfuter la présomption de protection de l’État selon la prépondérance des probabilités, au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689; Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94). La protection de l’État n’a pas besoin d’être parfaite; par conséquent, cette dernière peut présenter des écarts ou des lacunes qui sont insuffisants pour réfuter la présomption de protection de l’État (Salazar Santos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 793 [Salazar]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Kadendo (1996), 143 DLR (4th) 532 (CAF) [Kadenko]; Al-Awamleh c. Canada (Citoyenneté et immigration), 2013 CF 925). Qui plus est, le défaut de saisir les occasions de demander la protection au sein de l’État entraîne habituellement le rejet de la demande d’asile (Salazar, précité).

[38]           La SAR a noté que la preuve documentaire portant sur la protection de l’État en Albanie était assez générale et mitigée. Elle a cependant conclu que la preuve était suffisante pour établir que l’Albanie était en mesure de protéger le demandeur. Plus précisément, la SAR a mentionné que le gouvernement albanais avait commandé une descente de police dans le village de Lazarat même, laquelle descente avait permis de démanteler l’organisation criminelle active dans cette localité, démontrant ainsi la détermination du gouvernement albanais d’endiguer le crime et la corruption.

[39]           La SAR a également conclu que la preuve même du demandeur montrait une volonté d’État et une capacité de la police locale à faire enquête sur les incidents de nature criminelle et à arrêter les auteurs de crimes lorsqu’elle dispose d’une preuve suffisante. Le demandeur a déclaré que la police l’avait interrogé, de même que son père, après que son cousin a tiré Basha, et que son cousin avait été arrêté et déclaré coupable à la suite de cette agression. Cette preuve est directement liée à l’efficacité opérationnelle et ne constitue pas simplement une volonté ou des efforts déployés par l’État.

[40]           De plus, la SAR a examiné de la preuve générale provenant de rapports produits par l’Union européenne sur l’admissibilité de l’Albanie à titre de pays membre, et elle a conclu qu’il était démontré que l’Albanie avait fait de réels progrès envers la primauté du droit et qu’elle fait preuve d’un niveau de démocratie qui renforce la présomption de la protection de l’État et alourdit le fardeau de la preuve du demandeur de réfuter ladite présomption (Kadenko, précité, au paragraphe 5).

[41]           Le demandeur cite de nombreux autres rapports témoignant des lacunes faisant obstacle à une protection adéquate, du taux élevé de corruption en Albanie et de son enracinement et des problèmes liés au crime organisé, en particulier à Lazarat. Cette preuve a été présentée à la SAR, et cette dernière aborde expressément la préoccupation du demandeur selon laquelle la SPR n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve ou n’a pas évalué correctement l’efficacité opérationnelle. La décision de la SAR reconnaît que [traduction] « l’Albanie a connu des problèmes de crime et de corruption dans le passé, [et] qu’il existe des signes de corruption policière, surtout en ce qui a trait au commerce de la drogue ». Cependant, l’évaluation de ces éléments de preuve par rapport à l’évaluation de la preuve documentaire, laquelle suggère que la protection de l’État pouvait raisonnablement être offerte, et par rapport au propre témoignage du demandeur, menant la SAR à conclure que ledit témoignage démontrait que la police enquête et poursuit les auteurs de crimes, a conduit la SAR à privilégier la preuve documentaire. À moins d’une indication que la SAR aurait complètement fait fi des éléments de preuve contraires, la Cour ne doit pas réévaluer cette preuve.

[42]           En outre, je conclus que les documents sur lesquels s’est fondée la SAR, bien que de nature relativement générale, étaient suffisamment individualisés et contextuels à la situation du demandeur, puisqu’ils se rapportaient aux pratiques policières dans la localité où les incidents ont eu lieu, au crime organisé et au commerce de la drogue.

[43]           Dans ces circonstances, il était raisonnable que la SAR accorde peu de poids à une lettre provenant du chef de police de Delvinë, où un frère du demandeur demeurait. Elle a conclu que les renseignements contenus dans la lettre n’étaient pas conformes à la preuve objective recueillie au cours de la même période et qu’il y manquait des renseignements que l’on s’attend par ailleurs de trouver dans une telle lettre, à savoir qui le demandeur était soupçonné d’avoir assassiné, la date du meurtre ou la date à laquelle des individus armés ont tenté d’attaquer le demandeur. La SAR a également conclu qu’il était peu probable que le chef de police commente personnellement la situation du demandeur, alors que ce dernier vivait dans un autre district et qu’il n’avait pas déposé de plainte auprès de son poste de police local ou du poste de police de Delvinë lui-même. De plus, selon la date figurant sur la lettre, la déclaration du chef de police aurait été faite deux mois après le départ du demandeur vers le Canada. La SAR a fourni des motifs convaincants afin d’expliquer pourquoi elle n’avait accordé aucun poids à ce document, lesquels motifs étaient indépendants de toutes autres préoccupations en matière de crédibilité précédemment mentionnées.

[44]           La SAR a noté que le demandeur n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour obtenir la protection de l’État en Albanie, avant de demander une protection auxiliaire à l’étranger. « [E]n l’absence d’une explication convaincante, le fait de ne pas solliciter la protection de l’État au sein du pays d’origine sera habituellement fatal pour une demande d’asile [...] » (Camacho c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 830, au paragraphe 10). Le demandeur n’a fait aucun effort pour obtenir la protection de la police en Albanie, et la SAR n’a pas jugé que l’explication de ce dernier – c’est-à-dire que les personnes qu’il craint sont impliquées dans le crime organisé – le dispensait de s’adresser à la police pour obtenir sa protection.

[45]           Cette conclusion et la conclusion résultante, selon laquelle le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants établissant l’incapacité de l’Albanie à protéger ses citoyens, étaient raisonnables dans les circonstances en l’espèce et compte tenu de la preuve présentée à la SAR.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5326-15

INTITULÉ :

JETMIR HIRAJ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 juillet 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

DATE DES MOTIFS :

Le 20 juillet 2016

COMPARUTIONS :

Bjorn Harsanyi

Pour le demandeur

David Shiroky

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour le défendeur

 

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