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Date : 20160728


Dossier : IMM-150-16

Référence : 2016 CF 884

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

DONNA CYNTHILIA GEORGE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Citoyenne de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Mme George a présenté une demande d’asile au Canada par crainte de faire l’objet d’un préjudice en raison de son orientation sexuelle. Elle allègue d’ailleurs qu’elle est victime de violence conjugale exercée par son mari.

[2]               La demande de Mme George a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, conclusion qui a été maintenue par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission. Mme George a présenté à notre Cour une demande d’autorisation en vue de procéder au contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Cette demande a été rejetée en janvier 2015 pour défaut de mise en état.

[3]               En octobre 2015, Mme George a soumis une demande à la SAR en vue de rouvrir la décision de la SAR. Elle a prétendu avoir été victime d’une représentation inadéquate devant la SPR et la SAR, ce qui aurait mené à un manquement aux principes de justice naturelle.

[4]               En décembre 2015, la SAR a rejeté la demande de Mme George visant à rouvrir l’appel. La SAR s’est appuyée sur l’article 171.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) et sur le paragraphe 49(1) des Règles de la section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 (Règles de la SAR) afin de conclure qu’elle n’avait pas compétence pour rouvrir un appel pour aucun motif si notre Cour avait rendu une décision en dernier ressort.

[5]               Mme George me demande d’annuler la décision de la SAR de rejeter sa demande visant à rouvrir son appel. Elle fait valoir qu’aucune décision en dernier ressort n’a été rendue, car notre Cour a rejeté sa demande d’autorisation pour défaut de mise en état. Elle soutient que l’article 171.1 de la LIPR et le paragraphe 49(1) des Règles de la SAR ont pour objet d’éviter de remettre en litige la même question. Elle indique que notre Cour n’a pas tenu compte du caractère raisonnable ou correct de la décision initiale de la SAR ou du bien-fondé de sa demande. À ce titre, le rejet pour défaut de mise en état ne constitue pas une décision en dernier ressort.

[6]               Pour trancher cette demande, je dois traiter les questions suivantes :

A.  Quelle est la norme de contrôle?

B.  La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que le rejet de notre Cour pour défaut de mise en état constitue une décision en dernier ressort conformément à l’article 171.1 de la LIPR et au paragraphe 49(1) des Règles de la SAR?

[7]               Les arguments de Mme George ne m’ont pas convaincu et je rejette donc la demande pour les motifs qui suivent.

II.                Analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle?

[8]               Les parties conviennent que la norme de contrôle de la décision correcte s’applique aux véritables questions de compétence (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 59; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., [2011] 1 RSC 160, au paragraphe 26). Mme George soutient que la question soulevée en est une de compétence et que la norme de la décision correcte s’applique comme norme de contrôle. Je ne suis pas d’accord.

[9]               Peu de questions appartiennent à la catégorie des véritables questions de compétence (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 39). La SAR a compétence unique et exclusive pour connaître « des questions de droit et de fait – y compris en matière de compétence – dans le cadre des affaires dont elle est saisie » (paragraphe 162(1) de la LIPR). La question soulevée dans la présente demande n’est pas une véritable question de compétence, mais plutôt une question d’interprétation de l’article 171.1 de la LIPR, la loi constitutive de la SAR. La SAR a droit à la déférence et j’appliquerai une norme de la décision raisonnable comme norme de contrôle.

B.                 La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que le rejet de notre Cour pour défaut de mise en état constitue une décision en dernier ressort conformément à l’article 171.1 de la LIPR et au paragraphe 49(1) des Règles de la SAR?

[10]           La conclusion de la SAR, selon laquelle une décision de la Cour de rejeter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire pour défaut de mise en état constitue une décision en dernier ressort au sens de l’article 171.1 de la LIPR et du paragraphe 49(1) des Règles de la SAR, était raisonnable et correcte.

[11]           L’article 171.1 de la LIPR prévoit ce qui suit :

171.1 La Section d’appel des réfugiés n’a pas compétence pour rouvrir, pour quelque motif que ce soit, y compris le manquement à un principe de justice naturelle, les appels à l’égard desquels la Cour fédérale a rendu une décision en dernier ressort.

171.1 The Refugee Appeal Division does not have jurisdiction to reopen on any ground — including a failure to observe a principle of natural justice — an appeal in respect of which the Federal Court has made a final determination.

[12]           La question soulevée en est une d’interprétation législative (N.O. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1186 (N.O.)). Il faut lire les lois « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » selon l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 21.

[13]           Dans la décision N.O., la juge Heneghan étudie le sens du terme « dernier ressort » puisqu’il est employé à l’article 170.2 de la LIPR, qui traite de la réouverture d’une affaire par la SPR. La formulation est identique à celle de l’article 171.1. Au moment d’interpréter le sens du terme « dernier ressort », la juge Heneghan renvoie au paragraphe 50 de la décision Blackmore c. British Columbia (Attorney General) [2009], 2009 BCSC 1299, dans laquelle on a déclaré ce qui suit :

[traduction] Le sens ordinaire et grammatical du terme « dernier ressort » est : « ultime [...] qui ne peut être défait, modifié ou révoqué [...] [et] concluant » : Simpson et Weiner, The Oxford English Dictionary, 2e éd., volume V (Oxford : Clarendon Press, 1989) aux pages 191 et 192.

[14]           En l’espèce, la décision de la Cour de rejeter la demande pour défaut de mise en état était une décision en « dernier ressort ». Elle ne pouvait pas être défaite ni révoquée. Toutefois, Mme George fait valoir que l’interprétation du terme « décision » doit être différente de celle à l’article 171.1. Même si la décision de la Cour aurait pu constituer une « décision en dernier ressort », ce n’était pas le cas parce que le bien-fondé de la question n’avait pas été pris en compte. Encore une fois, je ne peux pas être d’accord avec cet argument.

[15]           En l’espèce, la « décision en dernier ressort » de la Cour consistait à rejeter la demande pour défaut de mise en état. Cette décision a ultimement tranché la question; il ne s’agissait pas simplement d’une étape procédurale, mais bien d’une décision en dernier ressort, d’après la décision Frenkel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 96, aux paragraphes 12 et 13, 148 FTR 8 (1re inst.). Bien qu’une décision de rejeter une demande pour défaut de mise en état puisse être annulée dans des circonstances très précises, la jurisprudence de la Cour soutient constamment que : 1) la décision est définitive; 2) la décision ne peut pas faire l’objet d’un appel au sens de l’alinéa 72(2)e) de la LIPR; et 3) la Cour n’a pas compétence pour examiner de nouveau la même affaire, d’après Nkangura Twagirayezu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1384, aux paragraphes 10 et 11; Jalil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 321, au paragraphe 8; Bergman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1082, au paragraphe 6; Shokri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 785, au paragraphe 12.

[16]           Même si le bien-fondé de la question n’a pas été pris en compte dans le cas où une demande est rejetée pour défaut de mise en état, le litige entre les parties a été résolu. L’affaire est réglée. La décision est définitive. Une lecture ordinaire et contextuelle de l’article 171.1 n’importe pas une exigence d’examiner le bien-fondé, mais plutôt une exigence que notre Cour rende une décision en dernier ressort relativement à l’affaire.

III.             Question à certifier

[17]           Mme George a proposé la question à certifier suivante :

Conformément à l’article 171.1 de la LIPR et à l’article 49 des Règles de la SAR, la SAR a-t-elle compétence pour rouvrir un appel si la Cour fédérale rejette une demande d’autorisation en vue d’entamer un contrôle judiciaire pour défaut de mise en état?

[18]           L’avocat de Mme George fait valoir que la question énoncée transcende les questions soulevées en l’espèce et se distingue de la question à certifier dans la décision N.O.

[19]           Le défendeur s’appuie sur l’arrêt Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, au paragraphe 4 lorsqu’il soutient que la Cour ne devrait certifier que les questions de portée générale qui permettent de trancher l’appel. Le défendeur souligne que la demanderesse a fait valoir que les faits de l’espèce sont uniques et ne constituent donc pas une question de portée générale.

[20]           Comme je l’ai mentionné ci-dessus, je conclus que la jurisprudence a établi sans ambiguïté qu’une procédure rejetée pour défaut de mise en état est une décision en dernier ressort. À ce titre, je ne suis pas convaincu que la question proposée soulève une question de portée générale. Je ne certifierai pas la question.

IV.             Conclusion

[21]           La conclusion de la SAR, selon laquelle notre Cour avait rendu une « décision en dernier ressort » relativement à l’appel lorsqu’elle a rejeté la demande pour défaut de mise en état, était raisonnable et correcte. Puisqu’elle a rendu cette décision de manière raisonnable, la SAR a conclu, à juste titre, qu’elle n’avait pas compétence pour rouvrir l’appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-150-16

 

INTITULÉ :

DONNA CYNTHILIA GEORGE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 JUIN 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 JUILLET 2016

 

COMPARUTIONS :

Ashley Fisch

Pour la demanderesse

 

David Cranton

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker Weinstock Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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