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Date : 20160803


Dossier : T-1548-15

Référence : 2016 CF 893

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 août 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

DAVID GORDON SARGEANT

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la directrice générale de la sûreté aérienne (la directrice générale) au nom du ministre des Transports (le ministre), en vertu des pouvoirs discrétionnaires conférés au ministre au titre de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2 (la Loi), qui a annulé l’habilitation de sécurité en matière de transport (HST) du demandeur, l’empêchant ainsi de conserver son emploi permanent au sein d’Air Canada à l’Aéroport international de Vancouver.

[2]               La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.                Contexte

[3]               Le demandeur est âgé de 50 ans. Il était employé par Air Canada (et par son prédécesseur, Canadian Airlines) depuis 1987 à titre d’agent d’escale. Ses tâches principales comprenaient la manutention des bagages, le remorquage des aéronefs et le service à la clientèle pour les passagers handicapés. À titre d’agent d’escale, il devait détenir une HST lui donnant accès aux zones sécurisées de l’Aéroport international de Vancouver et des autres aéroports où il travaillait. Le demandeur a obtenu des HST successives tous les cinq ans durant sa carrière au sein d’Air Canada.

[4]               Le 10 janvier 2015, Transports Canada a reçu un rapport de vérification des antécédents criminels (rapport de VAC) de la part de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) indiquant que le demandeur avait été arrêté en 2003, dans l’état de Washington, en compagnie d’une autre personne et en possession de 26 livres de marihuana et de 353 430 $ en devises américaines. Le rapport de VAC, préparé à l’appui du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport aérien de Transports Canada, se lisait comme suit :

[traduction] En février 2003, le service de police de la ville de Bellingham (Washington) et le Homeland Security Investigation de Blaine (Washington) ont procédé à l’arrestation du demandeur et d’un autre individu en possession de 26 livres de marihuana et de 353 430 $ en devises américaines en gros. Durant son interrogatoire par le service de police de la ville de Bellingham et Homeland Security Investigation de Blaine, le demandeur a déclaré qu’il savait qu’il faisait la contrebande de marihuana et qu’il devait recevoir la somme de 200 $ pour ce travail. Durant l’interrogatoire, l’autre individu a aussi admis faire sciemment la contrebande de marihuana et de devises et a indiqué avoir embauché le demandeur pour 200 $ afin de l’aider à transporter clandestinement ces articles. En raison de la nature sensible de l’enquête et de circonstances imprévues, aucun des deux individus n’a été accusé de possession de marihuana ou de devises en vrac. Le service de police de la ville de Bellingham a détruit la marihuana et l’argent a été saisi par l’État de Washington puisqu’aucun des deux individus n’est retourné aux États-Unis par la suite pour se déclarer dépositaire de l’argent.

[5]               Le 14 janvier 2015, le demandeur a été informé par une lettre du chef des Programmes de filtrage de sécurité de Transports Canada (la lettre d’avis) que des renseignements défavorables soulevant des préoccupations sur son aptitude à détenir une habilitation de sécurité avaient récemment été transmis à Transports Canada et que son HST ferait en conséquence l’objet d’une révision à la lumière de ces renseignements. Les renseignements fournis dans le rapport de VAC a ensuite été reproduits presque mot pour mot. La lettre d’avis donnait aussi des détails sur le processus de révision. À cet égard, le demandeur a été informé de l’existence de l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport (l’Organisme consultatif) et de son rôle d’assistance auprès du ministre dans l’octroi, le refus ou l’annulation des habilitations de sécurité et a reçu un lien vers la version en ligne de la politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport (la politique du PHST).

[6]               Le demandeur était ensuite encouragé à présenter, dans un délai de 20 jours suivant la réception de la lettre d’avis, tout renseignement supplémentaire précisant les circonstances entourant l’incident relaté dans la lettre d’avis ainsi que tout autre renseignement pertinent ou toute explication, incluant les circonstances atténuantes, le cas échéant. Il a également été informé que tous les renseignements ainsi fournis seraient étudiés attentivement dans le processus de prise de décision concernant son habilitation de sécurité. Enfin, le numéro de téléphone de l’auteur de la lettre lui a été fourni [traduction] « au cas où il souhaiterait discuter davantage de la question ».

[7]               Le 29 janvier 2015, le demandeur, par l’entremise de son avocat de l’époque, M. Reza Mansoori-Dara, a demandé une prolongation du délai pour répondre à la lettre d’avis. Il a également demandé plus de détails au sujet de l’incident rapporté dans la lettre ainsi que des copies de tout document s’y rapportant. Le demandeur a obtenu un délai jusqu’au 20 février 2015 pour répondre.

[8]               Le 9 février 2015, M. Mansoori-Dara a informé le chef des Programmes de filtrage de sécurité de Transports Canada qu’il avait entrepris de réunir des documents et des renseignements afin de répondre à la lettre d’avis, mais qu’il avait besoin de plus de temps pour le faire et pour mieux formuler la position de son client. Il a réitéré sa demande d’obtenir plus de détails au sujet de l’incident ainsi que tout document s’y rapportant. Le délai accordé pour répondre à la lettre d’avis a été prolongé jusqu’au 7 mars 2015. Le demandeur a également été informé que Transports Canada ne disposait pas d’autres détails au sujet de l’incident mentionné dans la lettre.

[9]               Le 5 mars 2015, le demandeur, dans une lettre provenant de M. Mansoori-Dara, a répondu à la lettre d’avis. M. Mansoori-Dara a tout d’abord souligné que bien que le demandeur ne soit pas en mesure de fournir un récit détaillé de l’incident pertinent en raison du temps écoulé, il avait été en mesure [traduction] « de donner des détails cruciaux pour la compréhension de [sa] participation involontaire à ce malheureux incident et de son état d’esprit au moment pertinent ». Ces détails sont les suivants :

  1. En février 2003, un individu nommé Lore Antonio Echelli a demandé au demandeur de l’aider en se rendant avec lui à Seattle pour aller chercher [traduction] « le produit d’une transaction concernant la vente d’un bateau »; ils devaient y rencontrer une connaissance de M. Echelli dont le demandeur ne se souvient plus du nom;
  2. Le matin du jour où le voyage à Seattle devait avoir lieu, M. Echelli a demandé au demandeur de s’y rendre seul, de prendre l’argent et de le rencontrer plus tard, parce que M. Echelli n’était pas en mesure de faire le voyage ce matin-là; M. Echelli a convenu de payer au demandeur la somme de 200 $ en compensation de ses frais de voyage;
  3. Arrivé au point de rencontre, le demandeur se rappelle avoir rencontré un homme, dont il ne se souvient pas du nom non plus, dans le stationnement d’un immeuble d’appartement; à cet endroit, on a remis au demandeur une boîte et un sac de sport qu’il n’a pas ouverts, n’ayant jamais suspecté qu’il se passait quoi que ce soit d’illégal et ne se souvenant de rien de suspicieux dans le comportement de cet homme;
  4. Après une brève discussion avec l’homme, le demandeur s’est rendu au centre commercial Bellis Fair Mall de Bellingham pour rencontrer M. Echelli; à son arrivée, il a été arrêté et détenu sous la menace d’une arme par deux agents et amené au poste de police de Bellingham, avec M. Echelli. Au poste de police, il a été longuement interrogé à propos d’une importante somme d’argent et d’une grande quantité de marihuana, qui n’ont été montrées ni l’une ni l’autre; son véhicule a également été saisi dans le cadre de l’enquête. On lui a dit que son véhicule avait été fouillé, mais qu’aucune preuve liée à l’enquête n’avait pu être trouvée;
  5. Durant l’interrogatoire au poste de police, M. Echelli a bien voulu coopérer avec les policiers et leur dire ce qu’il savait, tandis que les policiers ont assuré au demandeur qu’il ne serait pas accusé ni détenu et qu’il n’aurait aucune difficulté à revenir aux États-Unis s’il coopérait avec eux en faisant une déclaration;
  6. Le demandeur a signé une déclaration préparée par la police, mais n’a aucun souvenir des détails de cette déclaration, puisqu’il était alors [traduction] « soumis à un stress intense et qu’il aurait fait n’importe quoi pour être libéré par les policiers »; la déclaration a été signée sans que le demandeur puisse bénéficier des conseils d’un avocat.

[10]           M. Mansoori-Dara a ensuite indiqué que le demandeur est rentré au Canada immédiatement après avoir été libéré par la police et qu’il n’a jamais été contacté ni questionné par les autorités canadiennes ou américaines à propos de cet incident avant aujourd’hui. Il a également fourni des renseignements contextuels concernant la vie personnelle et les antécédents professionnels du demandeur, notant ce qui suit : i) son dossier d’employé depuis 28 ans au sein d’Air Canada était impeccable; ii) il est un mari dévoué et un père aimant pour ses deux fils, âgés de 11 ans et de 8 ans; et iii) il a le soutien des membres de sa famille, de ses collègues de travail et de ses amis, comme en témoignent plusieurs lettres de recommandation qui soulignent sa réputation et sa moralité à titre de membre respectable de la communauté.

[11]           M. Mansoori-Dara a terminé en alléguant, après examen de la politique du PHST, que le demandeur : i) ne pose et n’a jamais posé aucun type de risque pour des personnes ou des biens; i) n’a jamais usé de violence ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens; iii) n’a jamais été associé ou ne s’est jamais sciemment associé à une personne ou un groupe participant à tout type d’activités liées au crime ou au terrorisme; iv) n’a jamais mis en danger la vie, la santé ou la sécurité d’une personne dans le cours de son emploi ou en dehors de son emploi; v) n’a jamais mis en danger la sécurité de l’aviation civile et vi) n’a jamais commis d’acte d’intervention visant l’aviation civile. Il a également souligné l’importance de l’emploi du demandeur pour son bien-être et comme moyen de subsistance pour lui-même et sa famille, les difficultés auxquelles sa famille ferait face s’il devait perdre son emploi par suite du retrait de son HST et l’incidence négative que son renvoi aurait sur sa pension.

[12]           L’organisme consultatif, formé de cinq membres votants, s’est réuni le 28 avril 2015 afin d’examiner les allégations portées contre le demandeur et les observations du demandeur, avant de faire une recommandation à la directrice générale. Il a d’abord noté que la vérification des antécédents criminels montre que le demandeur n’a fait l’objet d’aucune condamnation criminelle. Il a également noté que Transports Canada avait été informé une première fois en 2009 concernant la participation du demandeur à l’incident de 2003, mais avait été avisé à ce moment-là que cette information ne devait pas être communiquée et qu’elle était par conséquent irrecevable en vertu de la politique du PHST. Elle n’est devenue recevable qu’en 2015.

[13]           L’organisme consultatif a ensuite dressé la liste de ses conclusions. Son compte rendu de la discussion présente les éléments suivants :
[traduction]

  1. Durant l’interrogatoire au service de police de Bellingham, le demandeur a admis savoir qu’il faisait de la contrebande de marihuana et qu’il devait recevoir 200 $ pour ce travail, tout comme l’associé du demandeur, qui a aussi déclaré avoir suborné le demandeur en contrepartie de ce montant pour transporter clandestinement la marihuana et les devises;
  2. La transaction concernant le bateau est suspecte, puisqu’il n’y a aucun enregistrement de la transaction, hormis la réception d’argent de la part d’un inconnu dans une boîte et un sac de sport, le fait que le demandeur exécute une telle tâche impliquant une quantité importante de drogue et d’argent, pour une rémunération aussi faible, est également suspect;
  3. L’aveu de culpabilité du demandeur, fait immédiatement après l’incident de 2003, est incompatible avec l’explication fournie dans sa réponse à la lettre d’avis selon laquelle il ne connaissait pas le contenu de la boîte et du sac de sport; il est tout aussi difficile de croire que le demandeur endosserait la responsabilité du trafic d’une quantité aussi importante de drogue et signerait une déclaration à cet effet s’il n’était pas coupable;
  4. La quantité de drogue et d’argent, et leur possible transport transfrontalier portent à croire que ces activités criminelles pourraient être liées au crime organisé;
  5. L’incident de 2003 est survenu alors que le demandeur était titulaire d’une HST, ce qui amène à mettre en doute son jugement, son honnêteté et sa fiabilité; même si l’incident remonte à plusieurs années, il est raisonnable de croire que le ministre des Transports s’en inquiéterait.

[14]           L’organisme consultatif a conclu qu’il avait des motifs de croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur [traduction] « est sujet ou peut être incité à commettre un acte ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile » et que les observations du demandeur n’ont pas fourni suffisamment d’information pour dissiper ses préoccupations à cet égard. Il recommande donc au ministre que l’HST du demandeur soit annulée.

[15]           Le 14 août 2015, la directrice générale, au nom du ministre, a souscrit à la recommandation de l’organisme consultatif et a annulé l’HST du demandeur. Elle a indiqué que sa décision était fondée sur un examen du dossier du demandeur, incluant les renseignements présentés dans la lettre d’avis, les observations du demandeur, la recommandation de l’organisme consultatif et la politique du PHST. L’essentiel de la décision de la directrice générale se lit comme suit :

[traduction] Les renseignements concernant votre implication dans un incident transfrontalier de contrebande de drogue en 2003 ont soulevé des préoccupations au sujet de votre jugement, votre honnêteté et votre fiabilité. Je note que vous étiez sciemment en possession de 26 livres de marihuana et de 352 430 $ en devises américaines. Je note que la quantité de drogue et d’argent pourrait être compatible avec le crime organisé à grande échelle. Je note également que vous avez admis à la police votre connaissance de l’incident et votre participation à cet incident, au moment de votre arrestation; cependant, dans votre lettre à Transports Canada, vous prétendez maintenant avoir signé la déclaration sous serment dans le seul but d’éviter des accusations et que vous étiez là pour recueillir le produit de la vente d’un bateau. Je trouve difficile de croire que quiconque endosserait la responsabilité du trafic d’une grande quantité de drogue si cette personne n’était pas coupable. Je note également que vous avez été suborné par un autre individu afin de l’aider avec la contrebande de drogue, tâche pour laquelle vous deviez être payé 200 $. Après avoir examiné tous les renseignements au dossier, y compris le temps écoulé et la gravité de l’incident noté ci-dessus, j’ai des raisons de croire, selon la prépondérance des probabilités, que vous pouvez être amené ou incité à commettre un acte, ou à aider ou à encourager une personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. J’ai examiné la déclaration que vous avez fournie ainsi que les nombreuses lettres de recommandation, mais les renseignements fournis ne suffisent pas à dissiper mes inquiétudes. Pour ces motifs, au nom du ministre des Transports, j’ai annulé votre habilitation de sécurité.

[16]           Le demandeur allègue que la décision de la directrice générale comporte deux lacunes. Il prétend d’abord que la décision est déraisonnable, puisqu’elle est fondée sur du ouï-dire ou sur une preuve non fiable et repose sur des hypothèses. Deuxièmement, il allègue que la directrice générale a manqué aux principes d’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur i) une copie de l’ensemble des documents sur lesquels elle s’est appuyée pour rendre sa décision; ii) une possibilité valable de connaître la preuve qu’il devait réfuter et iii) des motifs valables justifiant sa décision.

III.             Questions en litige et norme de contrôle

[17]           Le cas en l’espèce soulève les deux questions suivantes :

  1. La décision d’annuler l’HST du demandeur était-elle raisonnable?
  2. La décision était-elle équitable sur le plan de la procédure?

[18]           Les parties ne contestent pas que la norme de contrôle applicable à la première question en litige est celle de la décision raisonnable, alors que celle qui s’applique à la deuxième question en litige est celle de la décision correcte (arrêt Henri c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 38, au paragraphe 16 [Henri CAF]). Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision contestée « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 SCR 190 [Dunsmuir]). Cette approche reconnaît qu’il peut exister plus d’une issue raisonnable et que si l’issue et le processus en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Salmon c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1098, au paragraphe 29, 468 FTR 204, citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339).

[19]           À titre de question préliminaire, le défendeur allègue que plus de la moitié de l’affidavit de 52 paragraphes produit sous serment par le demandeur à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire (les paragraphes 2 à 24, 27, 29, 30 et 38 à 47) devrait être radié, puisque ces paragraphes présentent des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés à la directrice générale ou qui contiennent des opinions et des arguments inadmissibles.

[20]           Il est bien établi que le contrôle judiciaire quant au fond d’une affaire doit être instruit selon la preuve dont le décideur initial disposait (arrêt Henri CAF, au paragraphe 39). Ce principe n’est assujetti qu’aux nouveaux éléments de preuve liés aux questions d’équité procédurale, aux questions relatives à la compétence du tribunal ou sous réserve de fournir des renseignements contextuels ne se rapportant pas au fond de l’affaire (arrêt Henri CAF, au paragraphe 40; Association des universités et des collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 18 à 29).

[21]           En l’espèce, je conclus que les paragraphes 3 à 23, 27, 29 et 30 de l’affidavit du demandeur, même s’ils reprennent, dans certains cas, des éléments déjà inscrits au dossier à propos de la vie personnelle du demandeur, de ses antécédents de travail, de sa moralité et des déplacements transfrontaliers après 2003, offrent davantage que de simples renseignements contextuels généraux sur ces sujets. Par conséquent, puisqu’ils visent à renforcer le dossier du demandeur sur le fond, ce qui n’est pas permis en contrôle judiciaire, ils sont inadmissibles. Cette conclusion s’applique également aux paragraphes 41 à 47, qui servent essentiellement à confirmer les appréhensions énoncées par le demandeur dans sa réponse à la lettre d’avis face aux répercussions qu’aurait la révocation de son habilitation de sécurité sur son emploi au sein d’Air Canada. Quoi qu’il en soit, je conclus que les éléments de preuve contenus dans tous ces paragraphes n’auraient pas eu d’incidence sur l’issue de la présente affaire, s’ils avaient été jugés admissibles.

IV.             Analyse

A.                Le cadre législatif et politique applicable

[22]           En vertu de la loi et de ses règlements d’application, le ministre est responsable de promouvoir et d’assurer la sécurité dans les aéroports canadiens, ce qui comprend le contrôle de l’accès aux zones réglementées de certains aéroports désignés. L’Aéroport international de Vancouver est l’un de ces aéroports. L’accès aux zones réglementées des aéroports désignés est plus précisément régi par le Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, DORS/2011-318. En vertu de ce Règlement, cet accès est limité aux personnes détenant une carte d’identité de zone réglementée dont la délivrance est notamment subordonnée à la possession d’une habilitation de sécurité par la personne à qui elle est délivrée.

[23]           En vertu de l’article 4.8 de la Loi, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’accorder, de refuser, de suspendre ou d’annuler une habilitation de sécurité. Le ministre exerce ce pouvoir discrétionnaire en vertu de la politique du PHST, qui vise à prévenir les actes illégaux d’interférence avec l’aviation civile en donnant une habilitation de sécurité uniquement à des personnes qui répondent aux normes établies dans ce Programme. L’objectif de la politique du PHST, énoncée à l’article 1.4 de cette politique, est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré de toute personne, entre autres, « que le ministre croit, en s’appuyant sur les probabilités, être sujette ou susceptible d’être incitée à : commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile; aider ou inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile » (voir aussi : arrêt Henri CAF, au paragraphe 6).

[24]           La politique du PHST établit essentiellement la procédure de traitement et d’examen des demandes d’habilitation de sécurité. Ce processus comprend, au minimum, une vérification des dossiers criminels, une vérification des dossiers pertinents des organismes d’application de la loi et une vérification des fichiers du SCRS.

[25]           Lorsque ces vérifications révèlent qu’il existe un motif de recommander le refus, la suspension ou l’annulation d’une habilitation de sécurité, l’organisme consultatif est convoqué, comme ce fut le cas en l’espèce, et chargé de faire une analyse complète du dossier et de formuler une recommandation au ministre par l’entremise du directeur général, afin de déterminer si l’habilitation de sécurité faisant l’objet de l’examen doit être refusée, suspendue ou annulée.

B.                 La décision de la directrice générale est raisonnable

[26]           En matière d’habilitation de sécurité, la Cour a affirmé trois principes importants.

[27]           Premièrement, l’article 4.8 de la Loi confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire d’accorder, de suspendre ou d’annuler une habilitation de sécurité, qui l’autorise à prendre en considération tout facteur qu’il juge pertinent (décision Thep-Outhainthany c. Canada (Procureur général), 2013 CF 59, au paragraphe 19, 425 FTR 247 [Thep-Outhainthany]; décision Brown c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1081, au paragraphe 62 [Brown]).

[28]           Deuxièmement, puisque la sécurité aérienne est une question de grande importance et que l’accès aux zones réglementées est un privilège, et non un droit, le ministre, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 4.8, peut pencher du côté de la sécurité du public, ce qui signifie qu’en évaluant les intérêts de la personne touchée et la sécurité du public, l’intérêt du public a préséance (décision Thep-Outhainthany c. Canada, au paragraphe 17; décision Fontaine c. Canada (Transports), 2007 CF 1160, aux paragraphes 53 et 59, 313 FTR 309 [Fontaine]; décision Clue c. Canada (Procureur général), 2011 CF 323, au paragraphe 14; décision Rivet c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1175, au paragraphe 15, 325 FTR 178).

[29]           Troisièmement, dans de telles affaires, l’accent est mis sur la propension des employés des aéroports à s’engager dans des activités susceptibles d’avoir une incidence sur la sécurité aérienne, ce qui exige une perspective large et tournée vers l’avenir. En d’autres mots, la politique « n’exige pas que le ministre croie selon la prépondérance des probabilités qu’un individu “commettra” un acte qui “constituera” un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou qu’il “aidera ou incitera” toute autre personne à commettre un acte qui “constituerait” une intervention illicite pour l’aviation civile, mais seulement qu’il soit “sujet” à le faire » (décision MacDonnell c. Canada (Procureur général), 2013 CF 719, au paragraphe 29, 435 FTR 202 [MacDonnell]; décision Brown, au paragraphe 70). Par conséquent, le refus ou l’annulation d’une habilitation de sécurité « ne requiert qu’une conviction raisonnable, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne est sujette ou susceptible d’être incitée à commettre un acte qui peut être préjudiciable pour l’aviation civile » (décision Thep-Outhainthany, précitée, au paragraphe 20). Toute conduite susceptible de mettre en doute le jugement, la fiabilité et l’honnêteté d’une personne constitue par conséquent un motif suffisant pour refuser ou annuler une habilitation de sécurité (décision Brown, au paragraphe 78; décision Mitchell c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1117, aux paragraphes 35 et 38 [Mitchell]).

[30]           Comme indiqué précédemment, la principale affirmation du demandeur concernant la question du caractère raisonnable est que la décision contestée est fondée sur une preuve conjecturale et très peu fiable. Il allègue en particulier qu’en l’absence de tout document corroborant, par exemple un enregistrement vidéo ou audio, ou une transcription de l’interrogatoire du demandeur par la police, une copie de la déclaration qu’il a signée pendant qu’il était détenu, une copie des rapports narratifs de la police, s’il y a lieu, incluant des rapports sur la quantité de marihuana et de devises américaines, le cas échéant, qui aurait été trouvée dans la boîte ou le sac de sport, le rapport de VAC sur lequel la décision de la directrice générale s’appuie principalement devient, au mieux, un double ou un triple ouï-dire. Il affirme que le fait de s’appuyer sur une telle preuve, qui serait inadmissible en droit selon les principes de la preuve reconnus, pour conclure que le demandeur était susceptible de commettre ou d’inciter à commettre un acte qui constituerait une intervention illicite pour l’aviation civile constitue un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire.

[31]           Cet argument ne peut être retenu, puisque le ministre n’avait aucune obligation de vérifier ou de contre-vérifier l’exactitude des renseignements reçus de la part de la GRC dans le rapport de VAC. Il pouvait donc s’appuyer exclusivement sur ces renseignements même si, du point de vue de la preuve, ils constituent du ouï-dire (décision Fontaine, au paragraphe 75; MacDonnell, aux paragraphes 16 et 31; décision Henri c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1141, au paragraphe 40, 469 FTR 124; décision Christie c. Canada (Transports), 2015 CF 210, au paragraphe 23, 476 FTR 101 [Christie]; décision Singh Kailley c. Canada (Transport), 2016 CF 52, aux paragraphes 28 et 29). À l’audience, l’avocat du demandeur a fait valoir qu’il était déraisonnable de s’appuyer sur un rapport de VAC puisque l’incident ne s’était pas produit au Canada. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cet argument n’est pas valide en l’espèce puisqu’il n’existe aucune preuve que les autorités d’application de la loi aux États-Unis ne soient pas crédibles ou fiables. Je crois qu’on peut dire sans crainte de se tromper que puisque le Canada partage une frontière commune avec les États-Unis, les deux pays, qui ont également des valeurs juridiques communes, ont intérêt à ce qu’il existe une coopération solide et efficace entre leurs appareils d’application de la loi.

[32]           Étant donné que le dossier présenté au demandeur, en l’absence d’une réponse, était suffisant pour justifier la révocation de son habilitation de sécurité, il lui incombait de démontrer que le dossier était non fondé (décision MacDonnell, au paragraphe 34). En l’espèce, je conclus que la décision de la directrice générale, selon laquelle la réponse du demandeur ne suffisait pas à le décharger de ce fardeau, était raisonnable. Le demandeur ne nie pas avoir été arrêté en 2003, alors qu’il revenait de Seattle, et que pendant qu’il s’y trouvait un inconnu lui a remis une boîte et un sac de sport dans le stationnement d’un immeuble d’appartements. Il reconnaît avoir signé une déclaration alors qu’il était détenu par la police, tout en admettant que son associé, M. Echelli, [traduction] « a accepté de collaborer avec les policiers et leur a dit ce qu’il savait ». Il ne nie pas non plus avoir peut-être effectivement dit à la police qu’il savait qu’il faisait la contrebande de marihuana et des devises américaines et qu’il avait été payé 200 $ pour le faire. Son explication selon laquelle il est allé à Seattle pour chercher le produit de la vente d’un bateau, qu’il ne savait pas ce qu’il y avait dans la boîte et le sac de sport, qu’il ne les avait pas ouverts puisqu’il n’a jamais soupçonné qu’un acte illégal se produisait et qu’il a signé la déclaration au poste de police dans le seul but d’éviter des accusations n’a de toute évidence pas été jugée plausible par la directrice générale, et avant elle par l’organisme consultatif.

[33]           C’est ainsi que je lis et que je comprends la recommandation de l’organisme consultatif et la décision de la directrice générale. Ils étaient libres de ne pas croire l’histoire du demandeur, qui selon lui s’était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment (décision Brown, au paragraphe 75) et de rejeter la théorie de sa [traduction] « participation involontaire à ce malheureux incident » qui impliquait des quantités de drogue et de devises normalement associées au crime organisé. Ils étaient également libres de s’appuyer sur des comportements passés, même s’il n’existe pas de preuve d’autres incidents de la nature visée par la politique du PHST concernant le demandeur (décision Christie, au paragraphe 25).

[34]           Dans un domaine aussi important que la sécurité aérienne, où une mauvaise décision peut avoir de graves conséquences (arrêt Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Jagjit Singh Farwaha, 2014 CAF 56, au paragraphe 92), un seul cas de conduite amenant à douter du jugement, de la fiabilité et de l’honnêteté d’une personne pourrait, compte tenu du seuil appliqué pour déterminer si une personne pourrait être amenée ou incitée à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile étant bas, suffire à justifier la révocation d’une habilitation de sécurité. En l’espèce, je conclus que la directrice générale pouvait raisonnablement en arriver à une telle conclusion.

[35]           Pour les mêmes raisons, je conclus que la prétention du demandeur voulant que la directrice générale n’ait pas concilié son pouvoir discrétionnaire avec les faits particuliers de l’instance, la disponibilité de mesures moins punitives pour dissiper ses inquiétudes et le dossier de sécurité sans tache du demandeur durant ses 28 années au service d’Air Canada est dénuée de fondement. La directrice générale disposait de la réponse du demandeur à la lettre d’avis, ainsi que des lettres de recommandation qui y étaient jointes, mais elle n’était pas convaincue que ces renseignements étaient suffisants pour dissiper ses inquiétudes. En particulier, comme je viens tout juste de l’indiquer, elle a jugé invraisemblables les explications du demandeur concernant l’incident de 2003. En soupesant la sécurité publique et les intérêts du demandeur du point de vue des autres considérations présentées dans sa réponse, il lui était loisible, comme il est indiqué au paragraphe 28 des présents motifs, de donner préséance à l’intérêt du public.

[36]           Pour ces raisons, je suis d’avis que la décision contestée appartient aux issues possibles acceptables et, par conséquent, satisfait à la norme de la décision raisonnable.

C.                La décision de la directrice générale est équitable sur le plan de la procédure

[37]           Dans l’arrêt Henri CAF, la Cour d’appel fédérale a confirmé que l’équité sur le plan de la procédure exige qu’une personne dont l’habilitation de sécurité pourrait être révoquée soit informée des faits qu’on lui reproche et ait la possibilité de répondre (arrêt Henri CAF, au paragraphe 28). Bien qu’elle ait reconnu que la décision de révoquer une habilitation de sécurité a « une immense importance pour cette personne », particulièrement lorsque l’emploi d’une personne dépend du maintien de cette habilitation, la Cour d’appel a rappelé qu’il ne s’agissait toutefois que d’un des facteurs à prendre en considération dans la détermination de la nature de l’obligation d’équité procédurale due au demandeur par le ministre.

[38]           Comme dans le cas de M. Henri, le dossier a été présenté au demandeur et il a été invité à se renseigner et à répondre au dossier. On lui a également accordé suffisamment de temps pour préparer sa réponse, y compris deux prolongations du délai qui lui avait initialement été accordé, et sa réponse a été examinée par l’organisme consultatif et par le directeur général. Dans l’arrêt Henri CAF, la Cour d’appel fédérale a conclu que le processus était équitable sur le plan de la procédure.

[39]           En l’espèce, le demandeur conteste le fait que certains documents ne lui aient été divulgués dans le cadre du dossier certifié du tribunal qui lui a été transmis en vertu de l’article 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 qu’après que la décision contestée a été rendue. Ces documents comprennent certaines des demandes d’habilitation de sécurité antérieures du demandeur, des vérifications d’antécédents, des renseignements sur la participation du demandeur à l’incident de 2003, que la GRC ne voulait pas transmettre au ministre au moment où elle en a eu connaissance, ainsi que des documents de correspondance interne à propos des politiques de l’échange d’information et des préoccupations sur la protection de la vie privée qui avaient empêché que ces renseignements soient transmis à ce moment-là.

[40]           Le demandeur allègue que s’il avait reçu ces documents au moment opportun, il aurait pu conduire et aurait conduit sa défense de façon très différente et il aurait eu la possibilité de fournir une réponse à la lettre d’avis plus convaincante. Il renvoie notamment aux rapports de VAC pour les années 2009, 2011, 2012 et 2015. Le demandeur allègue que ces documents contenaient les noms des agents et des unités de la GRC ayant participé à la collecte des renseignements sur lesquels s’est appuyée la directrice générale pour révoquer son habilitation de sécurité. Le demandeur allègue que ces renseignements lui auraient permis de faire d’autres demandes d’information auprès de ces agents et de ces unités, ce qui aurait pu l’aider dans la préparation de sa réponse.

[41]           Je ne suis pas d’accord pour dire que les principes d’équité en matière de procédure exigent du ministre qu’il fournisse la totalité de son dossier au demandeur. Le ministre avait le devoir d’informer le demandeur des faits, lui permettant ainsi de connaître la preuve à laquelle il devait répondre, et de lui donner l’occasion de répondre. En d’autres mots, il n’avait à informer le demandeur que des faits allégués qui soulevaient des préoccupations quant à son admissibilité à une habilitation de sécurité. Bien qu’ils démontrent que le demandeur a éveillé les soupçons des autorités du Programme de HST il y a un certain temps, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les renseignements non divulgués n’ont ajouté aucune nouvelle allégation factuelle à celles sur lesquelles se sont appuyés l’organisme consultatif d’abord, puis la directrice générale. Plus précisément, ils ne contiennent aucune allégation factuelle à propos de l’incident de 2003 qui ne se trouve pas déjà dans le rapport de VAC de 2015.

[42]           La recension de la jurisprudence sur la question de l’équité sur le plan de la procédure faite par le demandeur n’appuie pas sa thèse. Dans la décision Dimartino c. Canada (Ministre des Transports), 2005 CF 635, 272 FTR 250 [Dimartino], la seule information fournie – verbalement – aux demanderesses avant la révocation de leur habilitation de sécurité était qu’elles avaient été suspendues « en raison des liens qu’elles entretenaient avec un criminel notoire », alors que le dossier présenté à l’organisme consultatif contenait l’identité de ce « criminel notoire », des détails sur les liens allégués, des éléments de preuve affectant la crédibilité des demanderesses et des éléments de preuve d’opinion sur la propension de l’une des demanderesses à faire passer les intérêts de ce criminel avant ceux de la police ou de son employeur.

[43]           Dans la décision Xavier c. Canada (Procureur général), 2010 CF 147, 406 FTR 49 [Xavier], l’habilitation de sécurité de M. Xavier avait été suspendue après avoir été accusé de possession de biens volés et de possession de cartes de crédit falsifiées à la suite de la fouille de son véhicule sur le terrain de l’Aéroport international Pearson, alors qu’il était employé au sein d’Air Canada Cargo. En dépit du retrait des accusations par la suite, M. Xavier a été invité à présenter une autre déclaration écrite. L’affaire a ensuite été renvoyée à l’organisme consultatif, qui a recommandé que son HST soit annulée. Le ministre a souscrit à cette recommandation.

[44]           Comme dans la décision Dimartino, certains éléments d’information importants présentés à l’organisme consultatif n’ont pas été divulgués à M. Xavier, y compris i) un courriel faisant valoir qu’il existait un lien entre les accusations et l’emploi de M. Xavier à l’aéroport, et ii) un rapport de l’unité du renseignement de l’aéroport faisant mention des allégations suivantes à l’encontre de M. Xavier :

  1. il avait été surpris en possession de 25 cartes de crédit contrefaites, de plusieurs ensembles de pièces d’identité et d’un important montant d’argent comptant en dollars américains et canadiens;
  2. les policiers avaient remarqué qu’il essayait de cacher quelque chose sous le tapis du plancher;
  3. deux cartes de crédit avaient été découvertes sur le plancher du véhicule;
  4. d’autres cartes de crédit et d’autres pièces d’identité avaient été trouvées dans un compartiment secret derrière le cendrier.

[45]           Comme il ne connaissait pas l’existence de ces renseignements, la Cour a conclu que M. Xavier avait été privé du droit de fournir une [traduction] « réponse adéquate » aux allégations formulées contre lui, comme le prouve le fait que ses observations écrites présentées à l’organisme consultatif sur l’annulation possible de son HST « ne correspondent pas aux accusations portées contre lui » (décision Xavier, au paragraphe 14). Plus précisément, la Cour a conclu ce qui suit :

[12]      Comme je l’ai déjà mentionné, M. Xavier a effectivement présenté des observations écrites à l’organisme consultatif. Il a déclaré qu’il avait été arrêté pour une infraction aux règlements de la circulation et que la police avait trouvé le portefeuille de quelqu’un d’autre dans sa voiture. Comme il n’a pas reçu la communication des autres renseignements présentés à l’organisme consultatif, il n’a jamais eu l’occasion de répondre à l’allégation qu’il avait été surpris en possession de nombreuses cartes de crédit, de plusieurs ensembles d’identité et d’une importante somme d’argent comptant. Il n’a pas non plus eu la possibilité de répondre à l’allégation qu’il avait tenté de cacher des objets sous le tapis du plancher de sa voiture et qu’il avait caché un grand nombre de cartes de crédit dans un compartiment secret. Enfin, il ne savait pas qu’on avait affirmé qu’il existait un lien entre sa prétendue conduite criminelle et son emploi.

[46]           Dans la décision Meyler c. Canada (Procureur général), 2015 CF 357 [Meyler], l’HST de la demanderesse a été révoquée après qu’elle a reçu une lettre faisant état d’une association indéterminée entre la demanderesse et une personne non identifiée appelée « le sujet A ». Il était indiqué que le sujet A était le [traduction] « chef de groupe d’un réseau d’importation de drogue » à l’aéroport Pearson. Il était aussi allégué dans la lettre que la demanderesse elle-même était suspectée dans une enquête criminelle portant sur une importation de drogue à l’aéroport Pearson qui avait eu lieu entre 2007 et 2009, quatre ans avant que la lettre ne lui soit envoyée.

[47]           La lettre d’avis ne nommait pas le sujet A, n’indiquait pas la nature de l’association présumée entre la demanderesse et le sujet A, ne disait pas à quel moment l’association présumée avait pris naissance, ne précisait pas la durée de l’association présumée ni ne disait si l’association présumée existait encore. Mme Meyler a répondu en faisant parvenir à Transports Canada une lettre d’une page dans laquelle elle niait savoir quoi que ce soit sur l’identité du sujet A et être mêlée de quelque façon à des activités de contrebande de drogue.

[48]           La Cour a conclu que la lettre d’avis comportait d’« importantes omissions » relativement au rapport VAC :

[30]      Le défendeur soutient que la lettre adressée à la demanderesse le 8 novembre 2013 renfermait suffisamment d’éléments, puisqu’elle [traduction] « reprenait pour ainsi dire mot à mot le contenu du rapport VAC, y compris le fait que certains renseignements avaient été fournis par des sources “dignes de foi” ». Il y avait toutefois d’importantes omissions. Par exemple, le rapport VAC indiquait le numéro de l’habilitation de sécurité en matière de transport du supposé associé (le sujet A), mais ce renseignement n’était pas révélé à la demanderesse dans la lettre envoyée le 8 novembre 2013. En outre, le rapport VAC expliquait que le sujet A [traduction] « avait une CIZR valide, mais, en août 2013, l’organisme consultatif avait recommandé l’annulation de son habilitation de sécurité… » Cette information n’apparaissait pas dans la lettre du 8 novembre 2013 adressée à la demanderesse, la lettre indiquant plutôt que le sujet A [traduction] « n’a pas de CIZR valide », donnant ainsi à penser que le sujet A n’avait jamais détenu une CIZR valide.

[49]           La Cour a conclu que si ces importantes omissions avaient été divulguées à la demanderesse, celle-ci aurait pu être en mesure de savoir « qui était cette personne avec qui on la soupçonnait d’avoir été associée », et de connaître des détails sur « la nature, le cas échéant, de son association avec cette personne, la durée de l’association, la période de temps durant laquelle une association quelconque a pu exister, les circonstances dans lesquelles l’association a pris naissance, la possible existence actuelle ou non d’une association, et, si une association existait actuellement, les mesures qu’elle était disposée à prendre pour y mettre fin » (décision Meyler, au paragraphe 31).

[50]           Les trois instances se distinguent du cas en l’espèce, car le demandeur a été informé des motifs exacts pour lesquels son habilitation de sécurité faisait l’objet d’un examen dans la lettre d’avis : il a été arrêté dans l’état de Washington, en possession de marihuana et d’une somme d’argent liquide, il a été interrogé par le département de la Sécurité intérieure et le service de police de Bellingham; il a signé un document reconnaissant qu’il se livrait à de la contrebande de marihuana et d’espèces, et qu’il avait reçu la somme de 200 $ pour le faire. En d’autres mots, les allégations contre le demandeur étaient précises, détaillées et situées dans le temps et l’espace.

[51]           Le demandeur prétend que les renseignements qui ne lui ont pas été divulgués lui auraient permis de communiquer avec certaines des personnes ayant participé à la collecte des renseignements contenus dans le rapport de VAC de 2015, mais il ne dit pas comment ces recherches supplémentaires l’auraient aidé à mieux répondre. Ses arguments sont très hypothétiques, puisque le demandeur ne peut indiquer aucune information concrète ne lui ayant pas été divulguée et qui aurait pu avoir une incidence réelle sur la décision du ministre de révoquer son habilitation de sécurité. Ici encore, cela diffère des trois cas sur lesquels s’appuie le demandeur, puisque les demandeurs dans ces affaires ont été en mesure de démontrer que le défaut de fournir certains renseignements précis était inéquitable, en ce que cela a pu avoir une incidence négative sur leur capacité à fournir une réponse valable à l’organisme consultatif. Ici, contrairement à ces trois affaires, « les circonstances laissaient d’emblée apparaître les raisons de la crainte pour la sécurité » (décision Meyler, au paragraphe 33).

[52]           Par conséquent, je conclus que l’obligation du ministre d’informer le demandeur de la preuve qu’il devait réfuter a été respectée, sans égard au contenu du dossier certifié du tribunal. La réponse du demandeur à la lettre d’avis indique clairement, à mon avis, que le demandeur connaissait la preuve contre lui et qu’il était en mesure de formuler une réponse valable. La réponse donnée par Transports Canada à M. Mansoori-Dara, indiquant que le ministère n’avait pas d’autres détails concernant l’incident que ceux déjà communiqués dans la lettre d’avis, était donc exacte sur plan des faits dans ce contexte et légalement correcte du point de vue de l’équité procédurale. Il convient de rappeler à ce stade que dans sa réponse à la lettre d’avis, M. Mansoori-Dara a indiqué que bien qu’ils n’aient pas été en mesure de fournir de récit détaillé des événements à la date pertinente, lui et le demandeur ont néanmoins été en mesure [traduction] « de donner des détails cruciaux pour la compréhension de la participation involontaire de notre client à ce malheureux incident et de son état d’esprit au moment pertinent ». En d’autres mots, rien dans cette réponse n’indique que la capacité du demandeur à fournir une réponse valable à la preuve contre lui ait été entravée de quelque façon importante en raison d’un manque de détails.

[53]           Enfin, l’obligation d’équité procédurale est respectée du moment que la décision est motivée (décision Mitchell, au paragraphe 14). Les lacunes ou les vices dont seraient entachés les motifs n’engagent pas les règles de l’équité procédurale; ils sont plutôt soumis à la norme de la décision correcte (arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 21, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]). En l’espèce, j’ai déjà conclu que la décision de la directrice générale était raisonnable. Dans l’arrêt Newfoundland Nurses, la Cour suprême du Canada a conclu qu’un décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale et que les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables (arrêt Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Je conclus que ce critère a été respecté en l’espèce.

[54]           Je reconnais que les conséquences de la décision de révoquer l’habilitation de sécurité du demandeur sont très graves et qu’il a fait des efforts importants devant la Cour pour que cette décision soit réexaminée. Cependant, le rôle de la Cour n’est pas de déterminer si ce que le demandeur affirme à propos de sa participation à l’incident de 2003 est vrai ou non. La Cour doit déterminer si la décision de la directrice générale était raisonnable et équitable sur le plan de la procédure. Comme je l’ai déjà indiqué, je ne peux pas dire que ce n’était pas le cas.

[55]           Le défendeur demande des dépens de 1 680 $. Puisque le défendeur est la partie ayant eu gain de cause en l’espèce, elle aura droit à une adjudication de dépens. Je conclus cependant qu’un montant de 500 $, débours inclus, serait raisonnable en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens payables au défendeur et fixés à 500 $.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1548-15

INTITULÉ :

DAVID GORDON SARGENT c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 MAI 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 3 AOÛT 2016

COMPARUTIONS :

Ash Ayliffe

Chris D. Drinovz

Pour le demandeur

Nathan Murray

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fraser Valley, Employment & Disability Law

Avocats

Langley (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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